— Puis quand il avait fini, et comme pour se mettre à l’abri de l’applaudissement, il rentrait aussitôt chez lui et s’y tenait caché, « rendant gloire à Dieu lui-même de ses dons et de ses miséricordes, sans dire seulement le moindre mot, ni de son action ni du succès quelle avait eu ; et la remarque qu’on fait à ce propos, ajoute Le Dieu, est un caractère vrai et certain, car il en usait de même dans toutes les autres occasions. » Il ne se considérait que comme un organe et un canal de la parole, heureux s’il en profitait tout le premier et aussi bien que les autres, mais ne devant surtout point s’en enorgueillir ! […] Bossuet n’a rien d’un homme de lettres dans le sens ordinaire de ce mot ; ayant de bonne heure connu ces triomphes de la parole qui ne laissent rien à désirer en satisfactions immédiates et personnelles (s’il avait été disposé à les savourer), s’étant dès sa jeunesse senti de niveau avec la haute renommée qui lui était due, naturellement modéré, et avec, cela habitué à tout considérer du degré de l’autel, on ne le voit rechercher en rien les occasions de se produire par la plume et de briller.
. — Et cependant (car je suis l’homme des doutes et des repentirs), tout en reconnaissant, surtout quand je considère certains disciples, que cette conception théocratique, telle que l’a présentée de Maistre, est en effet comme une armure du Moyen Âge qu’on va prendre à volonté, dans un vestiaire ou dans un musée et qu’on revêt extérieurement sans que cela modifie en rien le fond, je me demande, quand je considère d’autres disciples, s’il n’y avait pas un côté mystique en lui, plus intérieur, et répondant aux sources secrètes de l’intelligence et de l’âme.
Walcknaer paraît douter si l’abbé de Saint-Pierre méritait en effet qu’on lui appliquât le portrait : c’est qu’il n’avait pas considéré de près le personnage, et dans ses écrits mêmes et dans tout ce qu’on rapporte de lui. […] C’est bien lui qui, lorsqu’il crut devoir passer de l’étude de la morale à celle de la politique, et qu’il eut acheté pour cela une charge de Cour (celle de premier aumônier de Madame, mère du duc d’Orléans), ne considéra cette espèce de sinécure auprès d’une princesse restée à demi protestante, que comme une petite loge à un beau spectacle, comme une entrée de faveur pour approcher plus aisément ceux qui gouvernaient, et se mit à les regarder, à les étudier à bout portant, bientôt à les aborder et à les harceler de questions, en attendant qu’il les poursuivît, sous la Régence, de ses projets et de ses conseils.
Il n’a aucun goût pour l’étude abstraite, pour l’idée en elle-même, séparée comme un fruit de sa tige et considérée isolément ; il n’a de confiance qu’en l’histoire, en l’histoire vue dans sa suite, dans son étendue, une véritable histoire humaine comparée. […] Certes, l’homme qui s’exprime ainsi n’est pas irréligieux : il me paraîtrait même conserver et introduire dans sa conclusion dernière une légère part de mysticisme ou d’indéterminé sous le nom d’idéal ; et je serais plutôt tenté, quand je considère l’histoire du monde, la vanité de notre expérience, la variété et le recommencement perpétuel de nos sottises ; quand je viens à me représenter combien de lacunes en effet dans ce cabinet des types et échantillons qu’il appelle magnifiquement la conscience du genre humain, combien de pertes irréparables et que de hasard dans ce qui a péri et ce qui s’est conservé, combien d’arbitraire et de caprice dans le classement de ce qui reste, et que ce restant dont nous sommes si fiers, si l’on excepte les tout derniers siècles qui nous encombrent, et dont, nous regorgeons, n’est, en définitive, qu’un trésor composé d’épaves comme après un naufrage ; — quand je me représente toutes ces interruptions, ces oublis, ces brusqueries et ces croquis de souvenirs, ces ignorances complètes ou ces à-peu-près, et à vrai dire, ces quiproquos qui ne sauraient pourtant revenir tout à fait au même, — je serais, je l’avoue, plutôt tenté de trouver que M.
Quand la part qu’elles ont dans les affaires naît de leur attachement pour celui qui les dirige, quand le sentiment seul dicte leurs opinions, inspire leurs démarches, elles ne s’écartent point de la route que la nature leur a tracée : elles aiment, elles sont femmes ; mais quand elles se livrent à une active personnalité, quand elles veulent ramener à elles tous les événements, et les considèrent dans le rapport de leur propre influence, de leur intérêt individuel, alors à peine sont-elles dignes des applaudissements éphémères dont les triomphes de la vanité se composent. […] L’envie, qui cherche à s’honorer du nom de défiance, détruit l’émulation, éloigne les lumières, ne peut supporter la réunion du pouvoir et de la vertu, cherche à les diviser pour les opposer l’un à l’autre, et crée la puissance du crime, comme la seule qui dégrade celui qui la possède ; mais quand de longs malheurs ont abattu les passions, quand on a tellement besoin de lois, qu’on ne considère plus les hommes que sous le rapport du pouvoir légal qui leur est confié, il est possible que la vanité, alors qu’elle est l’esprit général d’une nation, serve au maintien des institutions libres.
Le mathématicien qui crée lui-même la matière de ses spéculations et considère des objets idéaux, développe les conséquences des principes qu’il a posés, et procède par déduction. […] Celui qui sollicite une faveur pour lui seul, parce que cela ne tire pas à conséquence, qui s’autorise d’une juste affection pour réclamer une injuste décision, s’il est de bonne foi, ne devra pas s’obstiner dans sa prétention quand il considérera les formes universelles des raisons qu’il donne.
Au fond, Michelet conçoit l’amour comme Platon, comme les poètes des Chansons de chevalerie, comme d’Urfé (à cela près que d’Urfé, par un scrupule renchéri touchant la possession physique, ne veut considérer l’amour qu’avant le mariage), comme Corneille enfin, et Pascal lui-même. « À mesure qu’on a plus d’esprit, dit Pascal, les passions sont plus grandes, parce que les passions n’étant que des sentiments et des pensées qui appartiennent purement à l’esprit, quoiqu’ils soient occasionnés par le corps, il est visible qu’elles ne sont plus que l’esprit même et qu’ainsi elles remplissent toute sa capacité. » Pareillement Michelet : « L’amour est chose cérébrale. […] C’est une fantaisie de notre esprit de considérer la nature comme « sacrée. » Elle n’est pas sacrée là où elle est absurde, brutale, injuste, meurtrière des faibles, etc.
Mais, en outre, les chrétiens de la bonne société, Attale, Æmilia, Épagathus, Alexandre même, tout en la regardant comme leur sœur en Dieu, n’eussent pas, d’abord, fait grande attention à elle, lui eussent témoigné tout juste les sentiments fraternels qui sont « de commandement », et, malgré eux, se ressouvenant de leur condition sociale, eussent considéré l’humble servante comme une créature égale sans doute à eux-mêmes par sa participation au rachat divin, mais inférieure par l’intelligence, l’éducation, la distinction morale. […] Si l’on considère en elles-mêmes ces deux espèces d’hommes, rien de plus faux qu’un tel rapprochement, puisque les chrétiens étaient chastes, doux, résignés, qu’ils combattaient en eux la « nature » à laquelle nos « libertaires » font profession de s’abandonner ; qu’ils pratiquaient justement les vertus qu’un bon anarchiste doit avoir le plus en horreur ; et qu’ils ne tuaient pas, mais, au contraire, se laissaient tuer.
Verlaine ; mais d’assez grandes parties restent compréhensibles ; et puisque les ahuris du symbolisme le considèrent comme un maître et un initiateur, peut-être qu’en écoutant celles de ses chansons qui offrent encore un sens à l’esprit, nous aurons quelque soupçon de ce que prétendent faire ces adolescents ténébreux et doux… M. […] On peut même prétendre que Verlaine est le seul Français ayant dans ses vers cette intimité profonde et émouvante que l’Allemand considère comme le signe particulier du lyrisme, comme elle se retrouve, par exemple, dans les chansons populaires ou les poésies lyriques de pur sentiment de Goethe.
Quand, au contraire, il s’agit d’une institution, d’une règle juridique ou morale, d’une coutume organisée, qui est la même et fonctionne de la même manière sur toute l’étendue du pays et qui ne change que dans le temps, on ne peut se renfermer dans l’étude d’un seul peuple ; car, alors, on n’aurait pour matière de la preuve qu’un seul couple de courbes parallèles, à savoir celles qui expriment la marche historique du phénomène considéré et de la cause conjecturée, mais dans cette seule et unique société. […] La comparaison ne peut être démonstrative que si l’on élimine ce facteur de l’âge qui la trouble ; pour y arriver, il suffira de considérer les sociétés que l’on compare à la même période de leur développement.
Pour bien entrer dans le sens intime de sa satire, il est nécessaire de considérer l’époque de révolution sociale où il écrivait. […] Racine le jour que la chose devoit être décidée ; mais, voyant que le gros de l’Académie prenoit parti pour la négative, lui seul osa parler ainsi à cette compagnie : « Messieurs, il y a trois choses à considérer ici : Dieu, le public et l’Académie.
En approfondissant à son tour cette extension de la géométrie, on arrive à une théorie générale de la nature, considérée comme un immense mécanisme régi par des lois mathématiques. […] Dans le coup d’œil que nous venons de jeter sur la philosophie française du XVIIe et du XVIIIe siècles, nous avons pris une vue d’ensemble ; nous avons dû laisser de côté un grand nombre de penseurs et ne considérer que les plus importants d’entre eux.
Mais considère et touche du doigt le côté certain de chaque chose ; et, pour avoir vu de tes yeux, ne te confie pas plus que pour avoir toi-même entendu : ne crois pas un vain bruit plus que le raisonnement, ni quoi que ce soit, là où il y a place pour la réflexion. […] Après avoir montré les mortels emportés et roulant çà et là sous les coups du malheur, le poëte dit : « Homme, prends courage96 cependant : les mortels sont une race divine à qui la nature sacrée révèle toute chose. — Abstiens-toi des aliments défendus ; et, pour les expiations et la délivrance de l’âme, sois juge toi-même, et considère toutes choses avec la raison pour guide au-dessus de toi.
En sorte qu’on doit le considérer comme le représentant et l’abrégé d’un esprit duquel il reçoit sa dignité et sa nature.
Une œuvre littéraire peut être comparée à une fleur ; la fleur dépend du rameau ; le rameau se rattache à une branche ; la branche se relie à un tronc ; nous sommes contraints, pour nous expliquer la fleur, de considérer l’arbre tout entier et le sol même où il a grandi.
Mais nous n’avons à dessein considéré jusqu’ici dans l’histoire littéraire que des choses qui peuvent être matière à science, des phénomènes et la liaison entre ces phénomènes.
Au lieu de considérer une conscience individuelle dont on ignore le rapport avec tout le reste, on forme ici l’hypothèse d’un être universel hors duquel rien n’existe et dont toutes les formes individuelles ne sont que des manifestations et des dépendances.
Préface Les essais qui forment ce livre sont consacrés à six écrivains de nationalités diverses, introduits, accueillis et devenus célèbres en France pendant ces cinquante dernières années et qui marquent ainsi un des traits particuliers de l’histoire de notre littérature : l’influence qu’y ont exercée des auteurs étrangers de race, de langue, de tournure d’esprit à tout ce que l’on considère comme le propre du génie gallo-latin.
Du caractère de l’époux, passons à celui de père ; considérons la paternité dans les deux positions les plus sublimes et les plus touchantes de la vie, la vieillesse et le malheur.