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194. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VI. Recherche des effets produits par une œuvre littéraire » pp. 76-80

C’est qu’en effet une œuvre, tout en étant le produit de plusieurs facteurs, doit être également considérée par l’historien comme le facteur de plusieurs produits. […] Mais la Révolution est proche ; les caractères deviennent plus virils, les tragédies plus austères, témoin les œuvres de Marie-Joseph Chénier ; aussitôt Corneille remonte dans l’opinion générale, pendant que Racine, considéré comme trop courtisan et trop délicat, y descend.

195. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préface et note de « Notre-Dame de Paris » (1831-1832) — Note ajoutée à l’édition définitive (1832) »

L’auteur considéra que les deux seuls de ces chapitres qui eussent quelque importance par leur étendue, étaient des chapitres d’art et d’histoire qui n’entamaient en rien le fond du drame et du roman, que le public ne s’apercevrait pas de leur disparition, et qu’il serait seul, lui auteur, dans le secret de cette lacune. […] Mais l’auteur est bien loin de considérer comme accomplie la tâche qu’il s’est volontairement imposée.

196. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre III. De la logique poétique » pp. 125-167

De la logique poétique § I La métaphysique, ainsi nommée lorsqu’elle contemple les choses dans tous les genres de l’être, devient logique lorsqu’elle les considère dans tous les genres d’expressions par lesquelles on les désigne ; de même la poésie a été considérée par nous comme une métaphysique poétique, dans laquelle les poètes théologiens prirent la plupart des choses matérielles pour des êtres divins ; la même poésie, occupée maintenant d’exprimer l’idée de ces divinités, sera considérée comme une logique poétique. […] Peut-être même Solon n’est-il que le peuple d’Athènes, considéré comme reconnaissant ses droits, comme fondant la démocratie. […] Le petit peuple des cités héroïques se nourrissait de ces préceptes politiques dictés par la raison naturelle : Ésope est le caractère poétique des plébéiens considérés sous cet aspect. […] Les Italiens considérèrent la chose sous le même aspect que les anciens Latins, lorsqu’ils appelèrent les terres poderi, de podere, puissance ; c’est qu’elles étaient acquises par la force ; ce qui est encore prouvé par l’expression du moyen âge, presas terrarum, pour dire les champs avec leurs limites.

197. (1910) Victor-Marie, comte Hugo pp. 4-265

Les païens et les Juifs ne considèrent généralement pas l’incarnation. […] Ou plutôt il y a deux lieux d’où la considérer. […] Il eût fallu, que de leur côté, de leur point de vue ils considérassent l’incarnation. […] Pour considérer, pour contempler de l’autre côté, venant de l’autre côté, situé de l’autre côté. […] Les chrétiens, par office même, considèrent, contemplent l’incarnation.

198. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre III. De l’émulation » pp. 443-462

Encourager les hommes de lettres, c’est les placer au-dessous du pouvoir quelconque qui les récompense ; c’est considérer le génie littéraire à part du monde social et des intérêts politiques ; c’est le traiter comme le talent de la musique et de la peinture, d’un art enfin qui ne serait pas la pensée même, c’est-à-dire, le tout de l’homme. […] Certainement il est peu de carrières plus resserrées, plus étroites, que celle de la littérature, si on la considère, comme on le fait quelquefois, à part de toute philosophie, n’ayant pour but que d’amuser les loisirs de la vie, et de remplir le vide de l’esprit. […] Après avoir examiné les divers principes de l’émulation parmi les hommes, je crois utile de considérer quelle influence les femmes peuvent avoir sur les lumières.

199. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre troisième. De la sympathie et de la sociabilité dans la critique. »

L’œuvre, on ne la considère alors que comme le produit plus ou moins passif de ces deux forces également inconscientes au fond : le tempérament de l’écrivain et le milieu où il se développe. […] Après avoir analysé l’œuvre littéraire en tant que produit du tempérament personnel de l’auteur (prédispositions héréditaires, genre de talent, etc.), et du milieu où ce tempérament s’est développé (époque, classe sociale, circonstances particulières de la vie), il reste toujours à considérer l’œuvre en elle-même, à évaluer approximativement la quantité de vie qui est en elle38. […] Nous considérerions comme une simple preuve d’ignorance de méconnaître les gloires étrangères ; le nom de Byron, par exemple, a été beaucoup moins contesté en France qu’en Angleterre ; de même pour celui de Shelley, du moins à partir du jour où il a été connu.

200. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

En un sens, la théorie classique, comme on l’appelle, convient par un côté à notre philosophie, car elle proclame l’idéal comme loi suprême de l’art, de même que nous considérons l’absolu et le divin comme cause suprême de la nature ; elle préfère, comme nous-mêmes, l’âme au corps et la raison aux sens ; elle place le beau dans l’expression de la vérité et du sentiment, non dans l’imitation colorée et violente des formes matérielles : par ces différentes raisons, la critique classique que représente M.  […] Je prendrai, pour éclaircir ma pensée, un exemple emprunté à l’histoire religieuse, mais que l’on me permettra de considérer sous un point de vue tout profane et tout littéraire. […] Certainement Pline et Quintilien avaient le droit de se considérer comme les représentants de la raison générale, de la raison commune, contre ce sens propre et individuel qui se disait inspiré.

201. (1818) Essai sur les institutions sociales « Addition au chapitre X de l’Essai sur les Institutions sociales » pp. 364-381

Mon ancien contradicteur, esprit très distingué, croyait que la lacune dans l’investigation de tant de faits importants consistait en ce que les langues avaient été considérées comme peintures, comme expressions de nos idées et de nos rapports perçus ; et qu’elles n’avaient point été considérées comme résultats, pour remonter de là aux puissances de l’intelligence. […] « D’ailleurs, ajoute mon contradicteur, quand on reporte son attention sur les mots et les expressions considérés en eux-mêmes, dans nos langues dérivées, l’on parvient souvent et facilement à en découvrir la nature physique et matérielle.

202. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

On peut les considérer comme les deux legs philosophiques que l’Allemagne moderne a faits au genre humain. […] Il considère comme un être mystérieux et sublime le Dieu qu’ils considèrent comme une forme ou comme une loi. […] Comme de la loi on déduit la série, vous pouvez dire qu’elle l’engendre, et considérer cette loi comme une force. […] Pour achever de sortir du vague, il considère ce sentiment dans un héros. […] Nous considérions ces puritains comme des fous tristes, cerveaux étroits et à scrupules.

203. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

. — Mais si, au lieu de prendre pour exemple un homme enclin à remarquer surtout les sentiments, on considère des hommes accoutumés à remarquer surtout les couleurs et les formes, on trouvera des images si nettes qu’elles ne différeront pas beaucoup des sensations. […] Certains peintres, dessinateurs ou statuaires, après avoir considéré attentivement un modèle, peuvent faire son portrait de mémoire. […] IV Cela nous conduit à considérer des cas où le redressement ne puisse se faire. […] Au même instant, je vis (je ne puis me rappeler si c’est avec les yeux ouverts ou fermés) un de mes amis absents, comme un cadavre, devant moi. — Je dois remarquer ici que, depuis beaucoup d’années, j’avais l’habitude de noter par écrit tout groupe de représentations qui, en songe ou pendant la veille, surgissait avec une force, une précision, une netteté particulières et s’imposait à moi avec cette sorte de vivacité qui fait considérer une telle représentation comme un pressentiment. […] Aussitôt je considérai cela comme le principe de l’explication cherchée, et j’essayai de me représenter aussi d’autres personnes, par la mémoire.

204. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Considérons pourtant la poésie française, pour prendre un exemple restreint. […] Au dix-huitième siècle, la littérature ayant acquis avec les Voltaire et les Rousseau un empire presque sans bornes, une hégémonie politique et sociale, les littérateurs commencèrent à se considérer comme les nouveaux souverains du monde. […] Chateaubriand étale son orgueil et se considère comme le Bonaparte de la littérature. […] Mais, où l’analyse psychologique se transforme en la plus stérile des études, parce qu’elle se fonde alors sur une erreur, c’est lorsqu’elle en vient à considérer le moi en soi et pour soi, à en faire un tout borné et mesquin, alors qu’il n’est qu’un des courants particuliers de la vie universelle. […] — « C’est cet admirable, cet immortel instinct du beau, continue Baudelaire, qui nous fait considérer la terre et ses spectacles comme un aperçu, comme une correspondance du ciel.

205. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Voiture. Lettres et poésies, nouvelle édition revue, augmentée et annotée par M. Ubicini. 2 vol. in-18 (Paris, Charpentier). » pp. 192-209

Pour moi, monsieur, je vous ai toujours considéré vous-même, séparé de ce qui n’en est pas. […] Je connus alors que vous aviez de si saines opinions de tout ce qui a accoutumé à tromper les hommes, que les choses qu’ils considéraient le plus en vous étaient celles que vous y estimez le moins, et que personne ne juge d’un tiers avec moins de passion que vous jugez de vous-même. […] Je le considère avec un jugement que la passion ne fait pencher ni d’un côté ni d’autre, et je le vois des mêmes yeux dont la postérité le verra. […] Mais si l’on doit regarder les États comme immortels, y considérer les commodités à venir comme présentes, comptons combien cet homme, que l’on a dit qui a ruiné la France, lui a épargné de millions par la seule prise de La Rochelle, laquelle d’ici à deux mille ans, dans toutes les minorités des rois, dans tous les mécontentements des grands et toutes les occasions de révoltes, n’eut pas manqué de se rebeller et nous eût obligés à une éternelle dépense.

206. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

L’Antiquité ne perd pas au point de vue historique ; là-dessus je suis tranquille ; la Grèce, ainsi considérée comme un anneau d’or dans la chaîne des temps, se classe et se coordonne de plus en plus ; mais, au point de vue du goût et pour le sentiment direct, pour la familiarité véritable entretenue avec les sources, je suis moins rassuré, et je ne m’en prends de cela à personne ; je considère simplement les circonstances où nous vivons. […] Mais aussi, que le présent, que l’avenir le plus prochain, ne nous possèdent point tout entiers ; que l’orgueil et l’abondance de la vie ne nous enivrent pas ; que le passé, là où il a offert de parfaits modèles et exemplaires, ne cesse d’être considéré de nous et compris. […] » vous qu’un sang généreux pousse aux nouvelles et incessantes conquêtes de l’art et du génie, et qu’impatiente, qu’ennuie à la fin cet éternel passé qu’on déclare inimitable, veuillez y songer un peu : les Anciens, si vantés qu’ils soient, ne doivent pas nous inspirer de jalousie ; trop de choses nous séparent ; la société moderne obéit à des conditions trop différentes ; nous sommes trop loin les uns des autres pour nous considérer comme des rivaux et des concurrents.

207. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre II. Des idées générales et de la substitution simple » pp. 33-54

Considérons-les avec attention. […] Ainsi, entre l’image vague et mobile suggérée par le nom et l’extrait précis et fixe noté par le nom, il y a un abîme. — Pour s’en convaincre, que le lecteur considère le mot myriagone et ce qu’il désigne. […] III Pour cela, considérons tour à tour plusieurs cas où, après avoir parcouru une série d’objets semblables, nous en retirons mentalement une qualité ou caractère général que nous notons par un nom abstrait. […] Considérons un animal quelconque, un chat par exemple.

208. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

Pour comprendre celle-ci, considérons ceux de ses préceptes qui ne regardent que nous, ou plutôt supposons que les prescriptions de la morale individuelle ne concernent que l’individu. […] Notre intelligence, notre sensibilité, notre volonté, nos théories et nos doctrines morales, tout ce que l’on considère comme faisant « la grandeur de l’homme » vient de là. […] Si j’aime mieux rester à sec sur le rivage que prendre le plaisir de plonger pour repêcher un enfant qui m’est indifférent, rien ne peut faire — à ne considérer en moi que moi — qu’il soit raisonnable de risquer ma vie ou même de compromettre ma digestion pour tenter un sauvetage. […] L’ensemble des illusions et des mensonges de la morale, dont le bon emploi serait de préparer une meilleure systématisation de l’homme et du monde et de s’évanouir en elle, au lieu de tendre à se supprimer progressivement, en vient à se considérer comme l’essence et la raison d’être de l’univers, à ne voir dans le monde qu’une occasion de sa propre existence, à s’hypertrophier maladivement, à nuire à sa propre évolution, et à démentir ainsi son propre mensonge.

209. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

Mallarmé n’avait pas été loin de considérer l’Art comme un jeu de mandarins ou, si l’on préfère, une spéculation d’initiés. […] Ce sont plutôt, comme il le considérait lui-même, des ébauches, des essais, des indications. […] Lorsque Mallarmé, écrit Paul Valéry, m’ayant lu le plus uniment du monde son Coup de dés, comme simple préparation à une plus grande surprise, m’en fit enfin considérer le dispositif, il me sembla voir la figure d’une pensée, pour la première fois, placée dans notre espace… Ici, véritablement, l’étendue parlait, songeait, enfantait des formes temporelles. […] André Gide exprime le même avis, entendant par là qu’il ne le considère pas comme un initiateur, mais comme le sommet et la consommation du mouvement parnassien.

210. (1886) De la littérature comparée

Tant qu’on a considéré le Beau littéraire comme un absolu, ou, plus exactement peut-être, tant qu’on n’a pas tenté l’analyse du Beau littéraire, la critique a pu demeurer ce qu’elle avait été à ses débuts, ce qu’on la voit dans les « Examens » de Corneille et de ses contemporains, dans le « Spectator » d’Addison, dans la « Dramaturgie de Hambourg » de Lessing : une discussion conduite en vue de rechercher si l’œuvre étudiée s’éloigne ou se rapproche d’un certain type d’œuvre admis comme type idéal ; si elle respecte ou viole certaines règles, tirées de l’examen des chefs-d’œuvre antiques et acceptées par une convention d’ailleurs tout arbitraire ; ou même, simplement, si elle plaît ou déplaît, soit au critique lui-même, soit à un groupe de personnes qu’il croit représenter, et qu’il appelle suivant les époques les « bons esprits » les « lettrés », le « public ». […] Permettez-moi de la considérer comme résolue : dès après l’Introduction à l’histoire de la littérature anglaise, on peut affirmer que la critique est constituée à l’état de science. […] Si vous considérez dans son ensemble le développement des littératures modernes qui font l’objet de ce cours, vous verrez bientôt qu’à travers bien des variations, des tâtonnements et des revirements de goût, il présente le tableau d’une sorte de conflit entre deux éléments qui parfois se fondent ensemble, puis se séparent de nouveau, se combattent tour à tour et se réunissent. […] Il ne peut cependant être considéré comme un but en lui-même.

211. (1912) Le vers libre pp. 5-41

Bref, pour l’historien littéraire qui considère un mouvement littéraire du passé, l’optique n’est pas la même que pour le contemporain. […] On sait aussi qu’après avoir trop servi les formes demeurent comme effacées ; leur effet primitif est perdu, et les écrivains capables de les renouveler considèrent comme inutile de se soumettre à des règles dont ils savent l’origine empirique et les débilités. […] Pour nous, qui considérons, non la finale rimée, mais les divers éléments assonancés et allitérés qui constituent le vers, nous n’avons aucune raison de ne pas le considérer comme finale de chaque élément et de le scander alors, comme à la fin d’un vers régulier.

212. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — La banqueroute du préraphaélisme »

I Pour celui qui considère d’un œil attentif les origines mêmes de cette peinture intellectuelle et mystique, il n’est pas douteux qu’elles recèlent les germes morbides qui envahiront plus tard tout son organisme. […] Un art nouveau ne peut sortir de l’imitation des Quattrocentisti, qui voyaient la nature avec leur cœur, leur croyance, leurs connaissances, alors que nous devons la considérer avec notre cœur, avec notre œil et notre science d’hommes modernes. […] Bon œuvre demeurera l’exemple de la plus extraordinaire aberration de la peinture, et j’imagine que l’avenir, s’il prend souci de comparer les œuvres des préraphaélites avec les jugements qu’elles ont suscités, demeurera stupéfait de ce que l’on ait pu, pendant de longues années, considérer comme de la peinture, ce qui n’en est le plus souvent que la parodie ou la négation.     […] D’où l’absence de toute couleur réellement vivante chez presque tous les maîtres anciens, qui toujours rendaient un ton réel par un ton faux, quand ils n’en atténuaient pas purement et simplement l’éclat véritable, considéré comme contraire à l’art.

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