Gustave apprit là bien des choses dont il ne se doutait point, et, voyant qu’il fallait renoncer à l’espoir de ramener la comtesse, il conçut aussitôt le projet de faire prononcer la séparation légale des deux époux. […] En un mot, dans ma tragédie, telle que je la conçus tout d’abord, Myrrha ferait les mêmes choses qu’elle décrit dans Ovide ; mais elle les ferait sans les dire. […] Le mois suivant, en janvier 1786, j’achevai de jeter sur le papier le second et le troisième livre du Prince des Lettres ; je conçus et j’écrivis le dialogue de la Vertu méconnue. […] ” Je n’en dis pas davantage, je n’en touchai même pas un mot dans ma réponse à mon amie, mais, sur-le-champ et avec la rapidité de l’éclair, je conçus à la fois les deux Brutus, tels que depuis je les ai exécutés. […] Je conçus et jetai sur le papier le plan de six comédies à la fois. » XVI À quarante-neuf ans il semble revenir à une seconde enfance, se sentant vieilli à l’époque où les hommes d’action se sentent jeunes.
C’est même la seule œuvre de Wagner qui ait été conçue et exécutée en entier durant cette période. […] De toutes les œuvres du maître, sans exception (à partir du Hollandais), Tristan est la seule qui soit conçue sans intention nationale ; c’est l’unique œuvre qui ne soit pas faite expressément pour l’Allemagne et pour les Allemands. […] Wagner prétend que Liszt, en écrivant cette symphonie, avait en vue un auditoire composé exclusivement de tous ces hommes remarquables qu’il avait connus à Paris vers 1830, poètes, peintres, savants… Wagner conçut Tristan pour un public de Brésiliens ! […] Elle est nue de tout symbolisme ; elle ne se prête peint aux interprétations philosophiques ou religieuses ; elle est conçue sans préoccupations nationales. […] Pour atteindre ce but, nous devons rechercher le moment de la vie de Wagner où a été conçu Parsifal, et quel est le milieu intellectuel où cette conception s’est développée.
Quelle âme étrange que celle qui ne peut s’exalter qu’au spectacle de la mort et des ruines, qui ne conçoit de patrie digne d’elle que dans des pays chimériques ou dans un passé qui ne reviendra plus ! […] Mais, par votre tempérament, votre hérédité, votre race, êtes-vous aptes à concevoir tel ou tel sujet ? […] Ce qu’on entend par là, c’est un sujet qui se suffise à lui-même, qui ne doive rien d’essentiel ni à la pathologie, ni à la statistique, ni à la sociologie ; qui ne puisse être conçu que par un poète (dans le grand sens du mot), et dont un autre ne puisse rien tirer ; un sujet enfin qui se développe spontanément à la façon d’une plante ou d’un organisme vivant. […] Il ne sait qu’une chose, c’est que cette œuvre doit satisfaire son âme tout entière, puisqu’en cette minute toute la réalité lui semble enclose dans son sujet, au point qu’il ne peut rien concevoir en dehors de lui. […] Mais de les concevoir simplement en dilettantes ou en critiques ne nous avancerait pas beaucoup.
Comme Mme Necker, comme Hume et Gibbon, vous ne pouvez concevoir Buffon qu’à travers l’auréole que son Histoire naturelle lui a faite. […] Cuvier une grave dissidence théorique sur la manière de concevoir l’organisation : là-dessus je n’ai pas un mot à dire, et pour cause d’incompétence. […] Henri Martin a donné sur Buffon un chapitre ferme, étudié, fort bon autant que j’en puis juger, s’il ne s’y mêlait un peu trop de cette dernière manière fougueuse de concevoir Buffon : Quelles prodigieuses visions durent l’assaillir, s’écrie l’historien, quand la nature se présenta à lui comme un seul être dont il avait à décrire les formes et à raconter les vicissitudes !
Oui, tout est chance, hasard, fatalité dans ce monde, la réputation, l’honneur, la richesse, la vertu même… » Et cette note, qui peut tenir lieu des trois ou quatre autres qui sont aussi expressives et aussi formelles sur le même sujet, finit en ces mots sinistres : « Il y a peut-être un Dieu, mais c’est le Dieu d’Épicure ; il est trop grand, trop heureux pour s’occuper de nos affaires, et nous sommes laissés sur ce globe à nous dévorer les uns les autres. » Ainsi donc voilà où en était Chateaubriand à la veille du moment où il fut vivement frappé et touché, et où il conçut l’idée du Génie du christianisme. […] Quoi qu’il en soit, la sincérité de l’émotion dans laquelle Chateaubriand conçut la première idée du Génie du christianisme est démontrée par la lettre suivante écrite à Fontanes, lettre que j’ai trouvée autrefois dans les papiers de celui-ci ; dont Mme la comtesse Christine de Fontanes, fille du poète, possède l’original ; et qui, n’étant destinée qu’à la seule amitié, en dit plus que toutes les phrases écrites ensuite en présence et en vue du public. […] Dans un cours que je faisais à Liège il y a six ans et dont M. de Chateaubriand et ses amis formaient le sujet principal, je disais quelques-unes de ces choses ; sur ce point en particulier qui tient à la production du Génie du christianisme, je concluais en des termes qui ont encore leur application et que je ne pourrais qu’affaiblir en essayant de les varier : Je ne crois pas me tromper, disais-je à mes auditeurs, en assurant que nous avons eu une satisfaction véritable à lire cette lettre de Chateaubriand à Fontanes, qui nous l’a montré sous l’empire d’une haute exaltation sensible et religieuse, au moment où il concevait le Génie du christianisme.
Il remarquait que les sujets de conversation en Italie entre gens du Nord se ressentaient de cette disposition, dans laquelle les Italiens, au contraire, entraient assez peu : Les Italiens, disait-il, ne les conçoivent pas (ces sujets d’entretiens) ; ils sont bien éloignés d’y prendre part avec quelque plaisir. […] Les femmes manquent toujours leur vocation quand elles veulent sortir des soins du ménage, de l’aiguille et du fuseau. » Dans ces dispositions si naturelles et si sincères, on conçoit l’embarras de Léopold Robert pour mettre un éclair au front de sa Corinne idéale ; de guerre lasse, il s’en était tenu à copier, en l’arrangeant pour ce rôle, une des belles brigandes de Sonnino, lorsqu’il se décida enfin, pour plus de sécurité, à effacer de sa toile la fausse muse, et il y substitua selon son cœur un Improvisateur populaire, qu’il avait vu et bien vu de ses yeux (1822). […] Malgré l’accident funeste qui brisa sa carrière et qui l’arrêta dans son développement, et quoique son dernier tableau (celui des Pêcheurs) ait pu paraître empreint de quelque affectation mélancolique, il est certain, à lire ses lettres nombreuses, que sa pensée s’élevait et aspirait chaque jour plus haut avec l’âge ; il devenait plus hardi, ou du moins d’un horizon plus agrandi, en vieillissant ; il avait commencé par copier la nature, il ne cessait de vouloir s’y conformer, et il visait en même temps à un idéal, impossible peut-être à concilier avec cette reproduction sévère et scrupuleuse, mais que, dans son ardeur opiniâtre, il concevait toutefois en accord avec l’exacte vérité.
Sa tête travaille à l’enfanter, et quand il l’a conçu, il l’impose : il appelle cela la Vérité ; et quoi de plus respectable que la Vérité ? […] Aimer à l’excès ou haïr, il ne conçoit pas de milieu. […] Il en est (et je le conçois) qui opposent et préfèrent Joseph de Maistre à Lamennais.
C’étaient, somme toute, de bonnes et inappréciables années, et l’on conçoit que tous ceux qui y ont passé en aient gardé, avec la marque à l’esprit, la reconnaissance au cœur. […] Il avait conçu, pendant son séjour à Nevers, toute une psychologie nouvelle, une description exacte et approfondie des facultés de l’homme et des formes de l’esprit. […] Quand il s’agit de témoins historiques, je conçois des équivalents : je n’en connais pas en matière de goût.
Jusqu’à une époque que je fixerai vers l’an 1750, l’aisance du peuple français avait toujours augmenté, c’est-à-dire que la quantité des subsistances s’accroissait plus que celle des habitants, et que, pour le même travail, ils en obtenaient tous les jours une ration plus forte… » Paris, l’énorme capitale qui s’est accrue successivement de tant de richesses et aussi recrutée de tant de cupidités et de misères, cette cité-tête-monde et gouffre que nous définissait admirablement hier M. le baron Haussmann qui a si bien qualité pour cela32, était, on le conçoit, l’épouvante et le cauchemar de ce M. […] Le Play est d’une génération toute nouvelle ; il est l’homme de la société moderne par excellence, nourri de sa vie, élevé dans son progrès, dans ses sciences et dans leurs applications, de la lignée des fils de Monge et de Berthollet ; et, s’il a conçu la pensée d’une réforme, ce n’est qu’à la suite de l’expérience et en combinant les voies et moyens qu’il propose avec toutes les forces vives de la civilisation actuelle, sans prétendre en étouffer ni en refouler le développement. […] Et l’on ne saurait concevoir pour les âmes un exercice plus salutaire que l’effort à faire pour triompher de l’orgueil et de l’esprit de domination, qui n’ont jamais été plus redoutables que quand ils ont pu se fonder sur la défense des grands intérêts sociaux. » On n’arrive pas du premier jour à ce degré de conviction et de vertu.
L’idée qui prit au duc de Choiseul, après la paix de 1763, de remplacer la perte du Canada par un grand établissement de cultivateurs européens dans la Guyane, se conçoit à peine en théorie : « Il paraît aujourd’hui incroyable, écrivait Malouet en 1802, en se reportant au début de sa vie administrative, qu’un homme d’autant d’esprit que M. de Choiseul ait adopté le projet de faire cultiver les marais de la zone torride par des paysans d’Alsace et de Lorraine. » Mais, si le plan n’était pas raisonnable, les détails d’exécution dépassaient tout. […] Je signe tout ce qu’on demande à Versailles, et je ne conçois pas qui peut avoir le temps de le lire après moi. […] « Cependant, dans cette surabondance de moyens, il me manque ceux de rendre des comptes et de m’en faire rendre ; d’assurer les approvisionnements, de pourvoir aux besoins pressants, de régler les dépenses, de résister aux consommations, de m’occuper efficacement de ce qui est nécessaire et de proscrire ce qui est inutile ou nuisible, c’est-à-dire que ce que je ne fais pas constitue l’administration, et ce que je fais pourrait en être retranché, ainsi que ma place et une grande partie des papiers et des commis. » Quand on en est là dans tous les ordres, les réformes graduées, telles que les concevait Malouet et qu’il les provoquait de ses conseils comme de ses vœux, sont-elles possibles, et n’en est-on pas venu, bon gré, mal gré, à ce point extrême où, à moins d’un génie au sommet, il n’y a d’issue qu’une révolution ?
J’ai désormais des devoirs plus simples et plus clairs ; le reste de ma vie sera, je l’espère, consacré à les remplir, selon la mesure de mes forces… Qu’on ne s’y trompe pas, le monde a changé : il est las des querelles dogmatiques. » Telle est la déclaration formelle que M. de La Mennais exprime aux dernières pages de ce livre ; les termes seuls dans lesquels elle est conçue montrent assez que, si le nouvel écrit est destiné à clore la série de ceux que l’auteur a publiés à partir des Réflexions sur l’État de l’Église, datant de 1808, il ne leur ressemble ni par les principes ni par le ton, et que, sinon pour le sujet et la matière, du moins dans les pensées et les conclusions, il se rattache déjà à cette série d’écrits futurs que nous promet l’illustre auteur. […] Sincèrement il conçoit l’idée d’une régénération spirituelle et religieuse moyennant la liberté, et, las de crier aux puissants, il lui paraît que c’est avec une autre prédication qu’il faut désormais réveiller, spiritualiser et christianiser le monde. […] Il explique l’animosité des Jésuites contre lui par un passage du livre des Progrès de la Révolution (1829), et il ajoute après avoir cité ce passage : « On conçoit donc pourquoi leur institut ne nous paraissait pas suffisamment approprié aux besoins d’une époque de lutte entre le pouvoir absolu des princes et la liberté des peuples, dont le triomphe à nos yeux est assuré, » et il oublie que, pour l’accord logique, il faudrait était assuré, ce qui serait inexact en fait, et même entièrement faux, puisqu’en 1829 ce n’était point par ce côté, mais par l’autre bout, qu’il remuait les questions sociales.
Le bon public, qui ne crée pas, comme Jéhovah, l’homme à son image, mais qui le défigure à sa fantaisie, croit que j’ai passé trente années de ma vie à aligner des rimes et à contempler les étoiles : je n’y ai pas employé trente mois, et la poésie n’a été pour moi que ce qu’est la prière… » Nous concevons ce qu’a d’impatientant pour le poëte, et pour tout écrivain célèbre, l’idée absolue qu’on se forme de lui, et sur laquelle, bon gré, mal gré, on veut le modeler après coup. […] Je concevrais Lucrèce parlant de la sorte ; l’épicurien Hesnault, qui a fait quelque épître sur ce sujet-là, peut marier son scepticisme poétique à tous ses autres scepticismes ; mais M. de Lamartine n’est pas si dépourvu encore de belles illusions qu’on ne puisse lui souhaiter celle-là de plus, d’autant qu’elle tournerait tout aussitôt à notre plaisir. […] Conçoit-on que, dans une pièce de vers inspirée par un tableau de la Charité, la femme soit décrite avec des traits et des mots qui semblent réservés aux alcôves de nos romans modernes ?
Le Maistre à Démosthène dans les collèges, l’opinion publique était secrètement complice de Perrault, et de plus en plus concevait qu’on pouvait se passer des anciens et trouver la perfection dans les ouvrages des Français. […] Le xviiie siècle n’aperçut pas davantage le naturalisme de Boileau : il ne conçut pas d’autre naturel que cette aisance élégante et très étudiée où consiste la perfection de la distinction mondaine. Les questions de goût et de bienséance prennent le pas sur la vérité des choses, et la communication est si bien fermée entre la réalité vivante et l’esprit français, que les formes nouvelles de l’art conçues théoriquement en vue d’une vérité plus grande n’arrivent pas à se réaliser dans des œuvres moins conventionnelles que celles qu’il s’agit de remplacer : je parle de la comédie larmoyante et du drame, qui prétendent se substituer à la tragédie.
L’homme n’est pas un seul moment privé de la raison qui conçoit ces idées. […] Si l’idée de l’humanité a été conçue et exprimée clairement quelque part, ce doit être dans des livres dont l’homme en général a été l’unique sujet. […] En la rendant impatiente du présent, ils l’ont rendue curieuse du passé ; or c’est par l’effet de ce double esprit qu’elle est devenue capable de concevoir à son tour et d’inspirer à ses écrivains des idées générales.
En outre, les choses ne se développent jamais dans la réalité telles que la spéculation pure les a conçues à priori. […] On conçoit une certaine égalité de conditions, sans aucun mélange de souveraineté populaire : c’est ce qui a lieu dans les monarchies asiatiques, où tous sont égaux, excepté un seul. […] Rien n’est moins instructif que ces politiques qui ont des expédients particuliers pour toutes les affaires, ne vous permettant pas d’en imaginer d’autres que ceux qu’ils ont conçus.
Comment cet effort fut-il conçu ? […] L’importance de cette technique nouvelle, en dehors de la mise en valeur d’harmonies forcément négligées, sera de permettre à tout poète de concevoir en lui son vers ou plutôt sa strophe originale, et d’écrire son rythme propre et individuel au lieu d’endosser un uniforme taillé d’avance et qui le réduit à n’être que l’élève de tel glorieux prédécesseur. […] La rime et l’assonance doivent donc être des plus mobiles, soit que le poème soit conçu en strophes fermées, ou qu’on utilise la formule dénommée depuis laisse rythmique ou parfois strophe analytique dont le premier exemple se trouve dans les Palais Nomades, celle qui se rapproche le plus des discours classiques, la plus propre à un long énoncé de sentiments, ou bien qu’on emploie la brève évocation des lieds.
Ce furent des instants de lucidité profonde, grâce auxquels je me sentais meilleur et plus fort, — confirmé dans l’idéal que j’ai conçu. […] Je vais essayer de définir la Liberté, l’Égalité, la Fraternité ainsi que je les conçois. […] La concurrence vitale, conçue dans le sens de lutte impitoyable, ne se conçoit que dans le cas suivant : un salarié, réduit au désespoir par le patron qui le dupe et l’affame, lui ouvre le ventre d’un coup de couteau et lui prend son porte-monnaie afin d’acheter de quoi manger. […] En apparence, rien de mieux conçu pour le soulagement des pauvres : le petit locataire étant dégrevé de quelques taxes qu’on reporte sur le gros propriétaire. […] On pourrait citer quantité de faits analogues, car les lois sont conçues de façon à désarmer le Mangé vis-à-vis du Mangeur.
Notre imagination ne saurait rien concevoir de plus malheureux que des êtres pourvus de sensation, c’est-à-dire pouvant éprouver le plaisir et la peine, quand ils sont privés du pouvoir de fuir l’un et de tendre vers l’autre. […] Si, à l’aide de l’analyse expérimentale, on décompose l’organisme vivant en isolant ses diverses parties, ce n’est point pour les concevoir séparément. […] On ne concevrait pas un physicien ou un chimiste sans laboratoire. […] Van-Helmont, le plus célèbre représentant de ces doctrines archéiques, qui allia avec le génie expérimental l’imagination la plus déréglée dans ses écarts, avait conçu toute une hiérarchie de ces principes immatériels. […] Toutefois, pour que la comparaison fût rigoureuse, il faudrait concevoir un flambeau physique capable de durer, qui se renouvelât et se régénérât comme le flambeau vital.
La Bruyère me semble le modèle excellent du moraliste ainsi conçu. […] C’est dans ce long hiver qu’un jour, en dessinant, elle conçut le soupçon, nous dit M. de Rémusat, qu’elle pourrait bien avoir de l’esprit92. […] Dès les premiers feuilletons du Publiciste, à la date de floréal an X, sous le titre de Pensées détachées, s’en trouvent quelques-unes du cachet le plus net, du tour le mieux creusé, — très-fines à la fois et très-étendues, très-piquantes et très-générales ; par exemple : « Un mot spirituel n’a de mérite pour nous que lorsqu’il nous présente une idée que nous n’avions pas conçue ; et un mot de sensibilité, lorsqu’il nous retrace un sentiment que nous avons éprouvé : c’est la différence d’une nouvelle connaissance à un ancien ami. » Et cette autre : « La gloire est le superflu de l’honneur ; et, comme toute autre espèce de superflu, celui-là s’acquiert souvent aux dépens du nécessaire. — L’honneur est moins sévère que la vertu ; la gloire est plus facile à contenter que l’honneur : c’est que, plus un homme nous éblouit par sa libéralité, moins nous songeons à demander s’il a payé ses dettes. » Elle entre à tout moment dans le vrai par le paradoxal, dans le sensé par le piquant, par la pointe pour ainsi dire ; il y a du Sénèque dans cette première allure de son esprit, du Sénèque avec bien moins d’imagination et de couleur, mais avec bien plus de sûreté au fond et de justesse : une sorte d’humeur y donne l’accent. […] Avant d’être mère, elle travaillait, elle écrivait pour soutenir sa mère, mais c’était tout ; elle pouvait douter de l’action de la vérité et de la raison parmi le monde ; elle voyait le mal, le ridicule, la sottise, et n’espérait guére : une fois mère, elle conçut le besoin de croire à l’avenir meilleur, à l’homme perfectible, aux vertus des générations contemporaines de son enfant. […] Sa santé altérée ; au milieu de tant d’accords profonds et vertueux, le désaccord enfin prononcé des âges ; ses vœux secrets (une fois sa fin entrevue) pour le bonheur du fils et de l’époux avec une autre qu’elle, avec une autre elle-même ; il y eut là sans doute de quoi attendrir et passionner sa situation dernière plus qu’elle ne l’aurait osé concevoir autrefois pour les années de sa jeunesse.