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619. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Milsand Esthétique anglaise, a expliqué à merveille comment la vérité ne peut être le but de l’art. […] Dans ce conflit de sentiments, appliqué à plaire à une catégorie d’êtres qu’il méprise et qu’il redoute, contraint dans ce but de plier à ses vues et de gagner à son talent des éditeurs, des directeurs de journaux, des critiques et des échotiers, l’artiste, l’idéaliste de tout à l’heure est forcé à plus d’expédients, de ruses, de compromissions, d’activité et de souplesse que n’en prodigue le plus déluré commis-voyageur. […] Plus haut encore, les artistes, en percevant les objets par leur côté frappant, caractéristique, essentiel, un paysage en son accent de mélancolie ou d’exubérance, un homme dans la particularité de son tempérament, une civilisation dans son effigie spécifique, en viennent, par un détour, à effectuer dans l’univers cette connaissance par les causes, qui est à la fois le but de la science et le terme dernier de notre développement intellectuel. […] La poésie allemande nous attire moins que l’anglaise, plus violente, plus abrupte15 et donnant l’exemple de ce coloris puissant et heurté qui, depuis le romantisme, est le but de notre esthétique.

620. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

Le père Buffier notamment avait publié en ce sens et dans ce but son Homère en arbitrage, c’est-à-dire deux lettres adressées à la marquise de Lambert avec une réponse de celle-ci (1715). […] On but à la santé d’Homère, et tout se passa bien.

621. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres complètes de Buffon, revues et annotées par M. Flourens. » pp. 55-73

Buffon n’est pas comme Voltaire et d’autres qui se répètent sauf variations chaque matin, qui improvisent au courant de la plume sur chaque sujet, et qui ne font pas mieux à soixante ans qu’à trente : lui, il est toujours en marche et en effort sur lui-même comme Montesquieu, mais il atteint mieux à son but que Montesquieu, qui se fatigue à la fin et se brise sensiblement : Buffon va jusqu’au bout d’un pas grave et soutenu en s’élevant. […] En tout, ceci il y a quelque chose qui m’inquiète : en parlant si vivement de la découverte qu’on a faite il y a seize ans d’un Buffon supérieur à celui qu’on avait admiré jusqu’ici, ne va-t-on pas lui prêter un peu, et dans quel but ?

622. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Chateaubriand. Anniversaire du Génie du christianisme. » pp. 74-90

Un jour, il va s’asseoir au sommet d’une colline qui domine la ville et commande une vaste contrée ; il contemple les feux qui brillent dans l’étendue du paysage obscur, sous tous ces toits habités… Il faut voir, dans le livre même, le détail des ruses innocentes employées pour éluder ou pour tromper la douleur : Mais le but favori de ses courses sera peut-être un bois de sapins, planté à quelque deux milles de la ville. […] Je dis : « Un peuple est parvenu au moment de sa dissolution, etc. » Il cite en cet endroit tout un morceau de son livre ; il pourrait être curieux de comparer cette première version avec le texte imprimé dans le Génie du christianisme (4e partie, livre II, au chapitre des « Tombeaux chrétiens ») : on y verrait au net de quel genre de conseils et de corrections l’auteur fut redevable à ses amis de Paris ; mais cela nous détournerait de notre but.

623. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Maucroix, l’ami de La Fontaine. Ses Œuvres diverses publiées par M. Louis Paris. » pp. 217-234

Qu’une grave maladie le prenne, comme cela lui arriva à Paris, où il se trouvait au printemps de 1682 en qualité de membre de l’Assemblée du clergé, et voilà tout aussitôt cet homme de société, de gaieté et, jusqu’à un certain point, de plaisir, le voilà tout changé ; il a des regrets, il se repent, il se réconcilie : Je commence à sortir, écrit-il au chanoine Favart, si souvent confident de ses légèretés et de ses jeux ; j’ai été aujourd’hui à la messe, c’est la troisième que j’ai entendue depuis ma maladie mortelle : car, mon enfant, j’ai été mort sûrement ; on ne peut aller plus loin sans toucher au but. […] Le surintendant Fouquet, à qui il était fort recommandé par Pellisson, et qui aimait à se donner tous les gens d’esprit pour créatures, avait envoyé Maucroix à Rome sous le titre d’abbé de Cressy, et en qualité d’agent diplomatique à demi accrédité, à demi secret : le but précis de la mission est resté assez obscur.

624. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — III. (Fin.) » pp. 479-496

Il n’avait que dédain pour ceux qui rapportaient l’origine d’une si grande secousse à tel objet particulier de leur dépit ou de leur aversion : L’heure des révolutions sonne, messieurs, disait-il (et c’est dans un discours qu’il eut à prononcer comme préfet à l’ouverture du lycée de Clermont sous l’Empire), — l’heure des révolutions sonne quand la succession des temps a changé la valeur des forces qui concourent au maintien de l’ordre social, quand les modifications que ces forces ont subies sont de telle nature qu’elles portent atteinte à l’équilibre des pouvoirs ; quand les changements, imperceptiblement survenus dans les mœurs des peuples et la direction des esprits, sont arrivés à tel point qu’il y a contradiction inconciliable et manifeste entre le but et les moyens de la société, entre les institutions et les habitudes, entre la loi et l’opinion, entre les intérêts de chacun et les intérêts de tous ; quand enfin tous les éléments sont parvenus à un tel état de discorde qu’il n’y a plus qu’un conflit général qui, en les soumettant à une nouvelle épreuve, puisse assigner à chaque force sa mesure, à chaque puissance sa place, à chaque prétention ses bornes… Cette manière élevée de considérer les choses contemporaines comme si elles étaient déjà de l’histoire, dispense de bien des regrets dans le passé et de bien des récriminations en arrière. […] Le Mont-Perdu, assez voisin du Marboré, participant de cette structure, et que Ramond estimait la montagne la plus haute des Pyrénées, est ici le but principal qu’il se propose.

625. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — II » pp. 254-269

Je sais qu’il a soin de définir le peuple ou vulgaire comme étant formé, à ses yeux, d’esprits de toutes classes, de même qu’il appelle du nom de pédants beaucoup de ceux qui ont des robes et beaucoup aussi qui n’en ont pas ; malgré ces distinctions judicieuses, on peut dire toutefois qu’il est contre le vulgaire avec excès42, et qu’il se met par là en contradiction avec son propre but, qui est avant tout de vulgariser la sagesse. […] Dans le spectacle de ce monde et dans le rôle qui y est départi à l’homme, il plaide, par des raisons plausibles, les causes finales, et maintient pour vrai le but apparent des choses, en se tenant au point de vue de l’optique humaine.

626. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — III » pp. 337-355

  Nos réserves ainsi faites contre les moyens et le but de Rohan, nous sommes en droit de faire remarquer sa fermeté singulière et sa constance. […] Il a dû recommencer deux et trois fois sa carrière, et il n’avait pas cette célérité d’ardeur et cette soudaineté de décision qui font voler au but.

627. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

La vertu qui lui manque, c’est de n’avoir pas appris que la première condition pour bien vivre est de savoir porter l’ennui, cette privation confuse, l’absence d’une vie plus agréable et plus conforme à nos goûts ; c’est de ne pas savoir se résigner tout bas sans rien faire paraître, de ne pas se créer à elle-même, soit dans l’amour de son enfant, soit dans une action utile sur ceux qui l’entourent, un emploi de son activité, une attache, un préservatif, un but. […] Il y a des points où la description, en se prolongeant, trahit le but, je ne dis pas du moraliste, mais de tout artiste sévère.

628. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Un certain oncle Bouvet, personnage un peu solennel, le lui prédisait dès 1804, en lui rappelant l’exemple des hommes de talent qui s’étaient formés d’eux-mêmes : « La mesure de votre gloire sera celle des difficultés que vous aurez vaincues ; j’aime à me le persuader et vous attends impatiemment au but. » Un second point qui me frappe dans ce commencement de la Correspondance et qui a été contesté cependant, c’est la gaîté, une gaîté entremêlée de réflexion, de travail, de méditation même ; mais je maintiens la gaîté. […] Sa théorie de l’utilité de l’art, et d’un but public et politique à lui donner, laisse bien à dire ; elle distingue essentiellement Béranger des artistes proprement dits et marquera plus tard sa séparation d’avec la nouvelle école littéraire.

629. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier »

En Allemagne, on est trop occupé du but et du résultat sérieux, et, dans toute discussion, de la conclusion même ; on ignore l’art d’agir, de parler sans but et pourtant avec intérêt.

630. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Renan croit fermement que l’homme individuel a un but, « une perfection morale et intellectuelle à atteindre. » Il professe avec énergie ces hautes doctrines ; et, si on le presse, si on le chicane, si on lui oppose ses propres recherches, sa propre méthode, ce qu’il y a d’inexorable dans les résultats ou les inductions de l’analyse positive, il n’hésite pas à s’arrêter, à réserver l’avenir, à poser au terme de tout examen critique, et en présence du grand inconnu, ce qu’il appelle un doute inébranlable, mais un doute qui est tout en faveur des plus nobles suppositions et des hypothèses les plus conformes à la dignité du genre humain. […] C’est sa voie directe en effet, c’est sa vocation principale ; il ne se croit pas libre en conscience de l’éluder ; il s’obstine à cet enseignement, à ce but de toute sa vie scientifique, comme à un devoir.

631. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Études de politique et de philosophie religieuse, par M. Adolphe Guéroult. »

Je ne refuse certes pas aux hommes de liberté cet humain et généreux souci ; mais le moyen chez eux est un principe sacré autant que le but. […] Guéroult a, selon moi, le mérite de voir surtout le but, l’objet essentiel ; et c’est maintenant que je suis en mesure de répondre à la question que j’avais posée d’abord : que représente-t-il dans la presse quotidienne ?

632. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens. par M. Le Play, conseiller d’État. (Suite et fin.) »

Habitué comme je le suis et enclin par nature à étudier surtout les individus, et ainsi fait moi-même que la forme des esprits et le caractère des auteurs me préoccupent encore plus que le but des ouvrages, je l’ai défini et appelé tout d’abord, après avoir lu de lui quelques chapitres : « un Bonald rajeuni, progressif et scientifique. » Mais de telles désignations sommaires ne signifient rien que pour ceux qui savent déjà tout ce qu’on y met. […] sa destinée et son but.

633. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

Un même but doit donner à la littérature créée par la république romaine, un même esprit, une même couleur. […] Brutus, dans ses lettres, ne s’occupait point de l’art d’écrire : il n’avait pour but que de servir les intérêts politiques de son pays ; et cependant la lettre qu’il adresse à Cicéron, pour lui reprocher les flatteries qu’il prodiguait au jeune Octave, est peut-être ce qui a été écrit de plus beau dans la prose latine.

634. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre I. Composition de l’esprit révolutionnaire, premier élément, l’acquis scientifique. »

Des molécules organiques partout répandues ou partout naissantes, des sortes de globules en voie de déperdition et de réparation perpétuelles, qui, par un développement aveugle et spontané, se transforment, se multiplient, s’associent, et qui, sans direction étrangère, sans but préconçu, par le seul effet de leur structure et de leurs alentours, s’ordonnent pour composer ces édifices savants que nous appelons des animaux et des plantes ; à l’origine, les formes les plus simples, puis l’organisation compliquée et perfectionnée lentement et par degrés ; l’organe créé par les habitudes, par le besoin, par le milieu ; l’hérédité transmettant les modifications acquises330 : voilà d’avance, à l’état de conjectures et d’approches, la théorie cellulaire de nos derniers physiologistes331 et les conclusions de Darwin. […] L’histoire humaine est chose naturelle comme le reste ; sa direction lui vient de ses éléments ; il n’y a point de force extérieure qui la mène, mais des forces intérieures qui la font ; elle ne va pas vers un but, elle aboutit à un effet.

635. (1892) Boileau « Chapitre VII. L’influence de Boileau » pp. 182-206

Car si les règles sont des moyens, Boileau peut encore concéder qu’on y renonce pour mieux atteindre au but de l’art : mais aujourd’hui que le but, c’est précisément l’emploi des règles, il ne peut plus y avoir d’exception ni de privilège pour personne.

636. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre I. François Rabelais »

Il n’a pas de doute sur son but non plus que sur son prix : le but, c’est l’exercice des fonctions, la satisfaction des besoins, partant l’action, et le bonheur par l’action.

637. (1911) La valeur de la science « Troisième partie : La valeur objective de la science — Chapitre XI. La Science et la Réalité. »

On s’est étonné de cette formule : la Science pour la Science ; et pourtant cela vaut bien la vie pour la vie, si la vie n’est que misère ; et même le bonheur pour le bonheur, si l’on ne croit pas que tous les plaisirs sont de même qualité, si l’on ne veut pas admettre que le but de la civilisation soit de fournir de l’alcool aux gens qui aiment à boire. Toute action doit avoir un but.

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