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839. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre II. La vie de salon. »

En effet, c’est le monde qui fait alors l’opinion, et, par elle, il pousse aux mœurs dont il a besoin. […] Il faut entendre à ce sujet les héros de l’époque, leur ton leste, dégagé, est inimitable, et les peint aussi bien que leurs actions. « J’étais, dit le duc de Lauzun, d’une manière fort honnête et même recherchée avec Mme de Lauzun ; j’avais très publiquement Mme de Cambis, dont je me souciais fort peu ; j’entretenais la petite Eugénie, que j’aimais beaucoup ; je jouais gros jeu, je faisais ma cour au roi, et je chassais très exactement avec lui251. » Du reste, il avait pour autrui l’indulgence dont il avait besoin lui-même. « On lui demandait ce qu’il répondrait à sa femme (qu’il n’avait pas vue depuis dix ans), si elle lui écrivait : Je viens de découvrir que je suis grosse. […] Une soubrette n’a besoin que d’être entretenue pour devenir une dame. […]  » On y invite les gens quinze jours d’avance. « Cette fois, on renversa les tables, les meubles ; on jeta dans la chambre vingt carafes d’eau ; enfin je me retirai à une heure et demie, excédée de fatigue, assommée de coups de mouchoir, et laissant Mme de Clarence avec une extinction de voix, une robe déchirée en mille morceaux, une écorchure au bras, une contusion à la tête, mais s’applaudissant d’avoir donné un souper d’une telle gaieté et se flattant qu’il ferait la nouvelle du lendemain. » — Voilà où conduit le besoin d’amusement. […] Volney, Tableau du climat et du sol des États-Unis d’Amérique  Selon lui, le trait caractéristique du colon français comparé à ceux des autres nations, c’est le besoin de voisiner et de causer.

840. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre VI. La poésie. Tennyson. »

Nous avons besoin de vivre dans un autre monde, de voler dans le grand royaume de l’air, de bâtir des palais dans les nuages, de les voir se faire et se défaire, de suivre dans un lointain vaporeux les caprices de leur architecture mouvante et les enroulements de leurs volutes d’or. […] Pour contenter la subtilité et la surabondance de leur invention, ils ont besoin de féeries et de mascarades. […] Sans être pédant, il est moral ; on peut le lire le soir en famille ; il n’est point révolté contre la société ni la vie ; il parle de Dieu et de l’âme, noblement, tendrement, sans parti pris ecclésiastique ; on n’a pas besoin de le maudire comme lord Byron ; il n’a point de paroles violentes et abruptes, de sentiments excessifs et scandaleux ; il ne pervertira personne. […] Pour trouver du plaisir là, il faut qu’ils aient bien besoin d’excitation ; la poudre du boulevard vient imprégner la glace qu’ils mangent ; l’odeur du gaz et les émanations du pavé, la sueur laissée sur les murs fanés par la fièvre d’une journée parisienne, « l’air humain plein de râles immondes », voilà ce qu’ils viennent respirer de gaieté de cœur. […] Ils exagèrent leur travail et leur dépense, leurs besoins et leurs efforts.

841. (1858) Cours familier de littérature. V « XXXe entretien. La musique de Mozart (2e partie) » pp. 361-440

Le besoin d’argent le force à quitter cette délicieuse halte et à chercher des ressources dans son talent poétique. […] C’est ce désespoir de l’amour trompé, ce sont ces indignations et ces malédictions des victimes du sort, ce sont ces joies courtes, malignes et ironiques du vice triomphant que Mozart éprouvait le besoin d’exprimer dans un drame. […] Ce sont d’autres besoins qui m’amènent ici. […] « Comme son cœur avait besoin de se soulager, je pensai que c’était le moment de lui parler de ses deux fils perdus pendant mon absence. […] Mais les hommes doués du sens musical, tels que ces grands compositeurs ou tels que ceux qui sont dignes de les comprendre, qu’en ont-ils besoin ?

842. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVe entretien » pp. 317-396

Plusieurs causes, que je ne puis pas toutes énumérer ici, ont concouru à aliéner de moi le cœur de ma patrie au moment où j’aurais eu besoin d’un mouvement soudain et sympathique de ce cœur. […] Les exemples du prince, selon ses principes, sont le premier et le plus puissant ressort de l’autorité ; plus il sera bon fils, bon père, bon époux, bon frère, bon parent, bon citoyen et bon ami, moins il aura besoin de commander pour être obéi ; et plus il respectera les vieillards, honorera ses officiers, fera cas de la vertu et s’attendrira sur les malheureux, plus il sera respecté, honoré, estimé et aimé lui-même. […] On sait que je ne m’en tiens point à une compassion stérile envers ceux qui ont eu à souffrir ; je m’empresse à leur procurer du soulagement aussitôt que je suis instruit de leurs besoins, et, comme je crains que les mandarins ne m’en informent pas d’eux-mêmes, je m’en informe moi-même auprès d’eux. […] Quand on m’a fait savoir que la misère était dans quelque endroit, j’ai fait ouvrir mes greniers, et j’ai fait tenir du secours à ceux qui en avaient besoin. En un mot, il n’est aucun article concernant le peuple dont je n’aie voulu être instruit, et, quand on m’a instruit de ses besoins, je n’ai jamais manqué d’y pourvoir. » C’est le même empereur qui fît recueillir et rassembler, en une seule collection officielle, les cent soixante mille volumes composant l’Encyclopédie chinoise, car l’Encyclopédie elle-même est un exemple de la Chine à l’Europe.

843. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier. — Correspondance de Chateaubriand (3e partie) » pp. 161-240

Il avait l’instinct politique si honnête et si sûr qu’il n’avait pas besoin de penser, il lui suffisait de sentir. […] Les institutions sont aussi imparfaites que les hommes ; gouvernement parlementaire, république, monarchie tempérée, pouvoir absolu, tout a besoin de l’honnêteté des hommes d’État, ou tout s’écroule sous leurs passions. […] Vous voilà bien vengée, si vous aviez besoin de l’être. […] Qu’avez-vous besoin de mes souvenirs d’un passé que vous n’avez pas connu ? […] Retiré dans son jardin de la rue d’Enfer, il eut plus que jamais besoin d’une amitié de femme pour panser ses blessures de cœur, et d’un théâtre intime entre deux paravents pour exhaler ses plaintes et pour accuser la fortune.

844. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIIe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin » pp. 225-319

On n’a pas même besoin de connaître le nom de ce mystérieux confident. […] On voyait qu’en rentrant de la petite église d’Andillac on l’avait déposé là le matin pour le reprendre le soir, à l’heure où le soleil baissant fait sentir le besoin de prier. […] « Que de fois on a besoin de ce soutien ! […] Il en a besoin ; ce besoin, qui ne justifie pas l’homme, justifie la bête, qui n’a pas reçu de loi supérieure à l’instinct. […] aurons-nous besoin de rien d’ici-bas, là-haut, pour être heureux ? 

845. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIe entretien. Balzac et ses œuvres (1re partie) » pp. 273-352

« Elle l’installa donc, avant notre départ de Paris, dans une mansarde qu’il choisit près de la bibliothèque de l’Arsenal, la seule qu’il ne connût pas et où il se proposait d’aller travailler ; elle meubla strictement sa chambre d’un lit, d’une table et de quelques chaises, et la pension qu’elle lui alloua pour y vivre n’eût certainement pas suffi à ses besoins les plus rigoureux, si notre mère n’eût pas laissé à Paris une vieille femme, attachée depuis vingt ans au service de la famille, qu’elle chargea de veiller sur lui. […] J’ai pris mes mesures, en reculant les murs il tiendra, et si mon propriétaire ne veut pas entendre à cette petite dépense, je l’ajouterai à l’acquisition du piano, et le Songe de Rousseau (morceau de Cramer fort à la mode alors) retentira dans ma mansarde, où le besoin de songes se fait généralement sentir.” […]   « “Il me faut absolument le Tacite de mon père ; il n’en a pas besoin, maintenant qu’il est dans la Chine ou dans la Bible ! […] Il se lia avec des libraires, et sacrifia quelque temps sa conscience à ses besoins. […] — Cette règle est l’unité de la volonté pour qu’elle soit obéie ; — monarchie et république ont besoin de cette unité.

846. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (2e partie) » pp. 81-159

Le Pape avait annoncé sa résolution : après avoir rendu grâces au Saint-Père ainsi qu’au sacré collège de la confiance qu’ils me témoignaient, — confiance que je savais ne point mériter, — je dis avec franchise et candeur que j’avais en ce moment un besoin extraordinaire de me souvenir de mes promesses et de mes serments d’obéissance aux volontés du Pape, promesses et serments articulés quand il me plaça le chapeau de cardinal sur la tête ; que cette foi soutenait mon courage et m’aidait à servir le pontife suprême et le Saint-Siège ; que mon désir de le faire était ardent, mais que ce secours m’était indispensable au moment d’accepter une mission si difficile et sa périlleuse, que j’avais tant et de si fortes raisons pour décliner. » II Le cardinal Doria fut choisi par le Pape et par Consalvi pour remplacer le cardinal-ministre en son absence. […] Je n’ai pas besoin de Rome. […] Je n’ai pas besoin du Pape. […] Et cependant le Pontife n’avait pas besoin de tels mobiles. […] On ne sut pas distinguer en lui ce besoin d’accomplir ses devoirs, besoin qui l’emportait sur tout le reste.

847. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

« Je sors d’avec vous, dit-il ; toute la matinée, j’ai lu votre écrit, il n’a besoin d’aucune recommandation, il se recommande de lui-même. » Il me dit que les pensées y étaient claires, bien exposées, bien enchaînées, que l’ensemble reposait sur une base solide, et avait été médité avec soin. […] Les temps sont dans un progrès éternel ; les choses humaines changent d’aspect tous les cinquante ans, et une disposition qui en 1800 sera parfaite est déjà peut-être vicieuse en 1850. — Mais il n’y a de bon pour chaque peuple que ce qui est produit par sa propre essence, que ce qui répond à ses propres besoins, sans singerie des autres nations. […] Tous les essais pour introduire des nouveautés étrangères sont des folies, si les besoins de changement n’ont pas leurs racines dans les profondeurs mêmes de la nation, et toutes les révolutions de ce genre resteront sans résultats, parce qu’elles se font sans Dieu ; il n’a aucune part à une aussi mauvaise besogne. Si, au contraire, il y a chez un peuple besoin réel d’une grande réforme, Dieu est avec elle, et elle réussit. Il était évidemment avec le Christ et avec ses premiers disciples, car l’apparition de cette nouvelle doctrine d’amour était un besoin pour les peuples ; il était aussi évidemment avec Luther, car il n’était pas moins nécessaire de purifier cette doctrine défigurée par le clergé.

848. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

L’action spontanée n’a pas besoin d’être précédée de la vue analytique. […] Comme les philosophies, les religions répondent aux besoins spéculatifs de l’humanité. […] Le christianisme n’est réellement devenu ce qu’il est que quand l’humanité l’a adopté comme expression des besoins et des tendances qui la travaillaient depuis longtemps. […] L’Orient n’a jamais compris la véritable grandeur philosophique, qui n’a pas besoin de miracles. […] Dans le premier âge, la religion n’a pas besoin de symboles ; elle est un esprit nouveau, un feu qui va sans cesse dévorant devant lui ; elle est libre et sans limites.

849. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1887 » pp. 165-228

Vendredi 11 février On faisait la remarque, ces jours-ci, que les femmes complètement antireligieuses placent leur besoin de croire — et un besoin de croire qui ne souffre pas la contradiction — sur de l’autre surnaturel, comme les tables tournantes, les médiums, etc. […] Dîner chez Daudet, et départ avec le ménage pour la première de Numa Roumestan. « J’emporte, dit Daudet, en train de farfouiller dans ses poches de droite et de gauche, j’emporte de très forts cigares et de la morphine… Si je souffre trop… Léon me fera une piqûre… Oui je resterai, toute la soirée, dans le cabinet de Porel, où il y aura de la bière, et je ferai ma salle pour demain. » En voiture, comme Daudet me dit qu’il a fait mettre à Mounet un col droit, qui lui enlève son aspect de commis voyageur de la répétition, je ne puis m’empêcher de lui dire, que je m’étonne du manque absolu d’observation de ces gens, qui en ont autant besoin que nous, et que je ne peux comprendre, comment un acteur, appelé à jouer Numa Roumestan, n’a pas eu l’idée d’assister à une ou deux séances de la Chambre, ou du moins d’aller flâner à la porte, et de regarder un peu l’humanité représentative. […] Mais je lui demande de ne pas le faire paraître, lui disant que je ne veux pas répondre, que je trouve l’accusation au-dessous de moi, que j’ai ignoré absolument le manifeste, et que si je m’étais cru le besoin d’exprimer ma pensée sur la littérature de Zola, je l’aurais fait moi-même, avec ma signature en bas, et qu’il n’était pas dans ma nature de me cacher derrière les autres. […] Il aurait désiré me voir, mais le médecin qui le soigne, a déclaré qu’il valait mieux qu’il ne vît personne, et qu’il avait besoin d’être traité tout autant par le silence que par le bromure de potassium. […] Après dîner, je cause avec Rodin qui me raconte sa vie de labeur, son lever de sept heures, son entrée à l’atelier à huit, et son travail, seulement coupé par le déjeuner, allant jusqu’à la nuit : travail debout ou perché sur une échelle qui l’écrase le soir, et lui donne le besoin de son lit, au bout d’une heure de lecture.

850. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

Emporté par son imagination, Hugo, le converti de 1830, se figurait les opinions de sa mère, non telles qu’elles avaient été, mais telles que les besoins de son excuse les exigeaient. […] Mais les doctrines républicaines, qui ne savaient se donner du poids par des gratifications, pénétraient difficilement dans son cerveau : il n’eut pas besoin, comme le Marius des Misérables, de monter sur les barricades et d’y recevoir des blessures pour se guérir de son néo-républicanisme. […] Le 21 juillet 1842, il eut le courage de jeter à la face de Louis-Philippe des phrases de ce calibre : « Sire, vous êtes le gardien auguste et infatigable de la nationalité et de la civilisation… Votre sang est le sang du pays, votre famille et la France ont le même cœur… Sire, vous vivrez longtemps encore, car Dieu et la France ont besoin de vous. » Victor Hugo a toujours été cosmopolite : il unissait tous les rois d’Europe dans son adulation. […] Équilibre étrange qui s’établit entre les fantaisies d’en haut, et les besoins d’en bas ! […] Il lui fallait à tout prix un Dieu ; il en avait besoin pour son usage personnel, pour être un prophète, pour être un trépied25.

851. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Avant d’arriver à cette maturité de mépris dont il est besoin pour juger ou raconter les hommes, il devait user, dans beaucoup d’expériences, un enthousiasme prompt à l’illusion. […] Tout cela pour innocenter le catholicisme, qui n’a pas besoin d’être innocenté. […] Seulement, pour agir avec fruit sur l’opinion de la Grande-Bretagne, il fallait à la hideuse chronique de Henri VIII, de ce César de la décadence romaine, tombé, on ne sait comment, dans les temps modernes, ajouter cette discussion de doctrines dont l’Angleterre a plus besoin que tous les autres pays protestants, en raison du peu d’épaisseur de ce qui la sépare de la vérité. […] Audin n’a pas caché la sienne ; mais naturellement, par le fait de son amour de l’étude et du recueillement, par la tournure d’une imagination tout à la fois positive et rêveuse, par l’élévation d’un caractère qui se trouvait seul en s’élevant, il a vécu à peu près caché à la foule, même à ceux-là qui auraient besoin, dans l’intérêt de sa renommée, d’ausculter et de savoir sa vie. […] Hormis dans ses récits, où l’on sent, à certaines touches profondes, que le cœur de l’historien connaît les épreuves dont le talent, pour être grand, a besoin comme la sainteté, Audin ne trahissait rien du mal intérieur de toute vie.

852. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — II. (Fin.) » pp. 62-79

Saint-Simon, est-il besoin de le dire ? […] Elle écrivait de Saint-Cloud le 17 juin 1698 ; Je n’ai pas besoin de beaucoup de consolation à l’égard de la mort ; je ne désire pas la mort, et je ne la redoute point. On n’a pas besoin du catéchisme de Heidelberg pour apprendre à ne pas trop s’attacher à ce monde, surtout en ce pays où tout est si plein de fausseté, d’envie et de méchanceté, et où les vices les plus inouïs s’étalent sans retenue ; mais désirer la mort est une chose tout à fait opposée à la nature.

853. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — III. (Suite et fin.) » pp. 454-472

Sans qu’il soit besoin de plus de détails, il suffit de savoir que le ministre de la Police générale, le duc de Rovigo, transmit de Paris, pendant la campagne de Russie et vers le moment de la bataille de la Moskova, une note dressée par l’habile préfet de police de Paris100, exposant tout un nouveau système relatif aux subsistances des grandes villes, et contenant des aperçus sur ce qu’il conviendrait de faire en France pour arriver à une bonne administration des grains. […] Cependant, ce n’était pas là du temps tout à fait perdu ; car cet exercice m’apprenait à manier ma langue, et à me servir avec aisance d’un instrument dont j’ai eu plus tard grand besoin. […] Mais dans un pays où la première ambition n’est pas celle d’être libre, où l’on veut d’abord être courtisan, fonctionnaire, riche, décoré de vains honneurs, et puis indépendant, les vanités sont un besoin, la liberté n’est qu’une fantaisie, et il est naturel qu’on éprouve l’incompatibilité de tant d’ambitions contradictoires.

854. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — II. (Fin.) » pp. 198-216

La religion qu’on a pour lui n’a pas besoin d’être de la superstition, et rien n’empêche de reconnaître les hasards et les inégalités frappantes d’une parole jeune, qui atteindra sitôt d’elle-même à la plénitude de son éloquence. […] Bossuet a besoin de sujets amples et élevés ; en attendant qu’il lui en vienne, il agrandit et rehausse ceux qu’il traite ; mais il y paraît quelque disproportion. […] Dans l’époque auguste et si définie au sein de laquelle il parlait, Bossuet, sans rien perdre de son étendue ni de ses hardiesses de coup d’œil à distance, trouvait partout autour de lui ce point d’appui, cette sécurité, et cet encouragement ou avertissement insensible dont le talent et le génie lui-même ont besoin.

855. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — II. (Fin.) » pp. 361-379

Il aime encore mieux le chercher que l’avoir trouvé ; il a besoin, pour le mieux doter, que ce peuple perdu soit tout à fait reculé et comme enseveli dans les profondeurs historiques antérieures au déluge : « Les Gaulois ne sont pas assez inconnus, dit-il quelque part, pour qu’on puisse leur accorder un savoir illimité. » Il a l’air, par moments, de vouloir donner à ce peuple anonyme le nom à demi fabuleux d’Atlantes ; puis, sur le point de se prononcer, il hésite, et il se décide plutôt à faire des Atlantes les conquérants qui auront détruit son peuple chéri. […] Dans son rapport sur l’Hôtel-Dieu et sur la réforme à opérer dans les hôpitaux, il servait avec un soin et dans un détail touchants un besoin philanthropique qui était celui du temps et le sien. […] » C’est par ces effronteries cent fois répétées, et mêlées aux calomnies sérieuses, qu’en temps de trouble et de passions politiques on achemine les esprits aux ignobles vengeances, et qu’on prépare au besoin les échafauds.

856. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — III. (Fin.) » pp. 479-496

Causeur excellent et plein de traits dans un salon, écrivain élégant et, on l’a vu, éloquent, il n’était pourtant pas essentiellement orateur, ni surtout improvisateur : « C’est une des nombreuses infirmités de ma nature, disait-il, de ne pouvoir dominer qu’à force de temps ces vérités que de meilleurs esprits dominent à force de supériorité. » Cette sorte de lenteur qui tient au besoin d’approfondir, jointe à de la vivacité d’humeur et d’impression, lui fit faire quelques fautes de tribune. […] Dans ce pays d’Auvergne, du pied de cette montagne illustrée par les expériences de Pascal, Ramond nota les variations du baromètre, multiplia les observations et les mesures en tous sens, et perfectionna cette branche de la physique avec une patience et un besoin d’exactitude rigoureuse qui s’alliait en lui à l’imagination la plus brillante. […] Nous donnant le dernier mot de sa fatigue et de sa sensibilité lassée, il dit dans une de ses lettres, du 28 décembre 1826, c’est-à-dire moins de cinq mois avant sa mort : Maintenant je suis vieux ; je me repose, élève mon fils, et cultive mon jardin au fond de ma petite campagne, où je vis très retiré depuis que je suis délivré des affaires, qui pendant seize ans m’ont détourné, malgré moi, de mes études chéries, et que me voilà rendu au repos dont ma vieillesse a besoin.

857. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — II » pp. 71-89

L’idée et la doctrine de Montluc, tout gentilhomme qu’il est, c’est que tout ce qui sert à la guerre, tout ce qui est utile et commandé par les besoins de l’armée, travail de main de quelque genre que ce soit, ne peut faire tache au guerrier et ne peut que procurer honneur aux capitaines et aux princes comme aux soldats. […] un prince ne doit point dédaigner au besoin de servir de pionnier : voici besogne pour tous. » Ainsi Monlluc comprenait en toutes les parties et maintenait en égal honneur tout ce qui constitue le noble métier de soldat. […] Transporté dans une place voisine, à Montalsin, et sachant Montluc presque à l’extrémité, il dépêcha à Rome pour faire venir un autre gouverneur, M. de Lansac ; mais celui-ci ne sut point s’y prendre et se laissa tomber aux mains des ennemis en essayant d’arriver à Sienne : « S’il fût venu, dit naïvement Montluc, je crois que je fusse mort, car je n’eusse eu rien à faire ; j’avais l’esprit tant occupé à ce qui me faisait besoin, que je n’avais loisir de songer à mon mal. » Après avoir été trois jours regardé comme mort, et avoir reçu la visite de Strozzi guéri plus tôt que lui, Montluc revint peu à peu à une santé suffisante pour vaquer à ses devoirs.

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