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490. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

Roederer, qui sent volontiers de la même manière que Sieyès dans les moments décisifs, n’a pas comme lui l’invention ni la puissance de formule, il n’a que beaucoup d’esprit, de sens, une pensée énergique et diverse ; mais il y joint une plume facile, ingénieuse, et ne perd jamais de vue la pratique ; c’est un Sieyès en monnaie et en circulation, communicatif, qui a, chaque jour au réveil, une idée, une observation neuve sur n’importe quel sujet, politique, moral, littéraire, grammatical, et qui, à l’instant même, a autant besoin de dire ce qu’il pense que Sieyès avait toujours envie de le taire. […] Elle désire un compte rendu sérieux dans le Journal d’économie publique, mais pour le Journal de Paris elle désire plus et demande tout naïvement à être louée ; elle en a besoin pour ce qui est de sa situation en France : Dans le Journal de Paris il m’importerait extrêmement qu’on saisît cette occasion pour dire une sorte de bien de moi. […] Roederer avait besoin d’une occasion éclatante qui lui permît de dessiner sa ligne et de mettre en lumière, autrement encore que par des écrits, ses vrais sentiments. […] C’est dans cette discussion du Code civil que Bonaparte, étonné de la force, de la logique et de l’activité de pensée, de la profonde science de Tronchet, jurisconsulte octogénaire, l’étonne bien plus lui-même par la sagacité de son analyse, par le sentiment de justice qui lui fait chercher la règle applicable à chaque cas particulier ; par ce respect pour l’utilité publique et pour la morale qui le fait poursuivre toutes les conséquences d’un principe de législation ; par cette sagesse d’esprit qui, après l’examen des choses, lui laisse encore le besoin de connaître l’opinion des hommes de quelque autorité, les exemples de quelque poids, la législation actuelle sur le point en question, la législation ancienne, celle du Code prussien, celle des Romains ; les motifs et les effets de toutes. […] Examinant chaque question en elle-même sous ces deux rapports, après l’avoir divisée par la plus exacte analyse et la plus déliée ; Interrogeant ensuite les grandes autorités, les temps, l’expérience ; se faisant rendre compte de la jurisprudence ancienne, des lois de Louis XIV, du grand Frédéric… Ce ne sont pas proprement des pages suivies que j’extrais, mais de simples notes que je rejoins, et que j’assemble ; il suffit, toutefois, de les rapprocher, tant elles concordent, pour voir se dessiner cette beauté consulaire dans toute sa vigueur et sa simplicité : Le premier consul n’a eu besoin que de ministres qui l’entendissent, jamais de ministres qui le suppléassent. 

491. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — II » pp. 57-80

Dans cette guerre du Rhin en particulier, Louis XIV avait besoin, en 1702, qu’on opérât une puissante diversion en faveur de l’électeur de Bavière, qui osait, au cœur de l’Allemagne, se déclarer pour lui, et qui était en danger, si on ne les partageait, d’avoir à porter le gros des forces de l’empire. […] L’ordre que vous avez donné au marquis de Villars y convient parfaitement, pourvu qu’il vous puisse joindre en cas que vous jugiez avoir besoin de lui : il peut y arriver le 10 ou le 12 au plus tard. […] Il savait ces choses, et il s’en inquiétait afin d’y répondre, et de ne pas négliger, au besoin, de se poser en victime ; mais, pourvu qu’il eût le roi pour lui, il ne s’en affligeait guère et ne s’en décourageait pas. […] Il sentait à son tour le poids de la responsabilité : « Ce que je crains le moins, ce sont les ennemis, écrivait-il ; et dès que j’aurai passé le Rhin, mon salut consiste à les chercher partout, et je désire seulement qu’ils ne prennent pas le parti d’éviter le combat. » Louis XIV fut mécontent de ce raisonnement prolongé et de cette persistance de Villars dans son propre sens : Vous m’aviez bien mandé, lui écrivit-il (19 mars 1703), le besoin que vos troupes avaient de repos, et la nécessité de leur donner un mois ou cinq semaines pour se rétablir, faire joindre leurs recrues, et les réparations dont elles avaient besoin pour être en état d’agir plus utilement ; mais vous ne m’aviez pas donné lieu de croire que vous les feriez repasser dans l’Alsace ; je devais même être persuadé que vous les feriez cantonner de l’autre côté du Rhin.

492. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

Ce n’est pas à vous, mon cher Mill, que j’ai besoin de dire que la plus grande maladie qui menace un peuple organisé comme le nôtre, c’est l’anéantissement graduel des mœurs, l’abaissement de l’esprit, la médiocrité des goûts : c’est de ce côté que sont les grands dangers de l’avenir. […] Mais<\ comment empêcher le Gouvernement de corrompre, lorsque le régime électif lui donne naturellement tant de besoin de le faire, et la centralisation tant de moyens ? […] Louis de Kergorlay, sa disposition intérieure, son hésitation entre plusieurs projets et le plan final auquel il s’arrête, est, pour moi, des plus essentielles : elle dispenserait, au besoin, de tout autre document sur Tocqueville ; elle est le portrait le plus parfait, le miroir fidèle de son esprit : « … Au milieu de toutes ces belles choses, lui dit-il (15 décembre 1850), je ne tarderais cependant pas à m’ennuyer si je ne parvenais à me créer une forte occupation d’esprit. […] Je n’ai pu encore me remettre dans le courant d’idées et de souvenirs qui peuvent me donner du goût pour ce travail ; et, en attendant que l’inspiration revienne, je me suis borné à rêvasser à ce qui pourrait être pour moi le sujet d’un nouveau livre, car je n’ai pas besoin de te dire que les Souvenirs de 1848 ne peuvent point paraître devant le public. […] Si, par hasard, dirai-je en idée à M. de Tocqueville, la philosophie que vous avez puisée dès l’enfance auprès du bon abbé Lesueur n’était pas absolument la vraie ; si l’homme venait de moins haut ; s’il n’avait pas moins pour cela le besoin et l’aspiration de monter, il n’y aurait pas lieu à être tant humilié de se sentir quelquefois conduit, aidé dans le sens du bien, fût-ce même du bien-être.

493. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Un besoin réel d’exercice intellectuel, une sincère admiration pour la belle intelligence de Voltaire animent Frédéric : mais c’est un homme pratique ; il « utilise » son illustre ami ; il fait corriger par lui son orthographe, ses solécismes, ses fautes de versification ; il a pour rien le meilleur maître de langue française qui existe. […] » et il tire la morale de son aventure : « J’ai besoin de plus d’une consolation ; ce ne sont point les rois, ce sont les belles-lettres qui les donnent. » La désillusion était complète ; la brouille n’était plus qu’une question de temps515. […] Enfin il a des besoins d’esprit, qui lui font mettre les plaisirs sociaux et littéraires parmi les nécessités premières de la vie. […] Un des besoins impérieux de Voltaire, et qui tient aux racines mêmes de son génie, c’est le besoin de dire tout ce qu’il pense.

494. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Francisque Sarcey »

Que ces modes soient passagères ou que quelques-unes soient durables et répondent à quelque réel besoin des générations nouvelles, c’est une autre question. […] De plus, tandis que le romancier use à son gré de la description et de la narration, le dramaturge n’a à son service que le dialogue : il faut qu’il y fourre tout ce que le public a besoin de savoir. […] Les hommes assemblés sont pris d’un grand besoin de justice et de moralité, précisément parce qu’ils sont assemblés et qu’un homme, en public, aime à ne manifester que les plus honorables de ses sentiments. […] Il a besoin d’aimer, dans un drame, un ou plusieurs personnages, de prendre parti pour les uns contre les autres. […] Il blague la patrie et au besoin il mourrait pour elle ; il blague l’amour filial et pleure quand on lui parle de sa vieille mère, il blague les beautés de l’Italie et se mettrait à genoux devant un Raphaël.

495. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

C’est une heureuse nécessité de cette étude, qu’on ne puisse lire Montesquieu sans avoir besoin de relire Bossuet, ni contenter son esprit sur un des plus grands objets de l’histoire, sans demander tour à tour des lumières à l’un et à l’autre. […] Ils étaient tout, dans l’ordre civil comme dans la religion, non par ambition, — on sait leurs refus et leurs fuites, — mais malgré eux, parce que, dans la défaillance croissante des puissances temporelles, on allait à eux comme aux plus habiles, par le besoin que de tout temps les hommes ont eu de la science, de l’éloquence et de la vertu. […] Leurs fautes vinrent de ce que trop de pouvoir trouble par moments les saints eux-mêmes, et je conviens que saint Chrysostome, chassé du siège de Constantinople et rétabli, puis, à travers des émeutes populaires, chassé de nouveau et exilé, a besoin de toute la bonté de sa cause et de toute la majesté de sa disgrâce pour n’avoir pas l’air d’un factieux. […] Ai-je besoin de dire qu’il ne s’agit ni de l’autorité comme l’entendent ceux qui en usent mal et ceux qui sont incapables d’obéissance, ni de la puissance publique sous une forme particulière de gouvernement. […] Entre l’idéal de l’autorité, tel qu’il apparut à Bossuet sous la forme de la monarchie absolue, tempérée par des lois fondamentales, et les dangereuses rêveries du Contrat social, il manque un corps de doctrines tirées de la science des besoins de l’homme et de l’expérience comparée des sociétés humaines, supérieur à toutes les formes de gouvernement et pouvant les perfectionner toutes.

496. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre douzième »

Cependant, même au temps des prospérités de l’Encyclopédie, et quoiqu’elle eût intéressé la vanité de l’homme à cette diminution de son être moral, il y avait plus d’âmes ayant besoin de Dieu et de la nature que d’esprits persuadés qu’on peut s’en passer. […] L’homme a besoin de souffrir de son imperfection pour valoir tout son prix, et de se souvenir de sa misère pour être heureux. […] Il est vrai qu’il y ramenait le public par l’imagination plutôt que par la science ; mais ce moyen n’était pas le plus mauvais, surtout dans notre pays, où la raison même, avant de prendre pied, a besoin de s’introduire comme une mode. […] Les choses anciennes ont tant besoin de protection dans notre pays, qu’elles ne doivent pas dédaigner même celle des nouveautés. […] Elle lui rendait nécessaire, écrivit-il à Voltaire, l’assiduité aux Académies ; il avait besoin, pour vivre, des jetons de présence.

497. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Mais si la liaison de l’état moral et de l’état littéraire d’une société n’a pas besoin d’être démontrée, on se heurte, quand on veut la préciser, à plusieurs difficultés. […] Mme de Pompadour, malgré un court accès de repentance intéressée, n’éprouve aucun besoin d’aller chercher la paix intérieure et le pardon dans un cloître. […] La situation (ai-je besoin de le faire remarquer ?) […] Elles ont tour à tour leur raison d’être et leur utilité ; elles répondent à des besoins changeants. […] Ai-je besoin de répéter que je n’ai pas songé à résoudre ici un problème aussi compliqué, que j’ai voulu seulement en préciser les termes et indiquer quelques moyens d’en préparer la solution ?

498. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Résumé et conclusion »

Elle ne crée rien ; son rôle est au contraire d’éliminer de l’ensemble des images toutes celles sur lesquelles je n’aurais aucune prise, puis, de chacune des images retenues elles-mêmes, tout ce qui n’intéresse pas les besoins de l’image que j’appelle mon corps. […] De sorte que l’obscurité du réalisme, comme celle de l’idéalisme, vient de ce qu’il oriente notre perception consciente, et les conditions de notre perception consciente, vers la connaissance pure, non vers l’action. — Mais supposons maintenant que cet espace homogène ne soit pas logiquement antérieur, mais postérieur aux choses matérielles et à la connaissance pure que nous pouvons avoir d’elles ; supposons que l’étendue précède l’espace ; supposons que l’espace homogène concerne notre action, et notre action seulement, étant comme un filet infiniment divisé que nous tendons au-dessous de la continuité matérielle pour nous en rendre maîtres, pour la décomposer dans la direction de nos activités et de nos besoins. […] Les mêmes besoins, la même puissance d’agir qui ont découpé notre corps dans la matière vont délimiter des corps distincts dans le milieu qui nous environne. […] C’est en la consolidant et en la subdivisant au moyen d’un espace abstrait, tendu par nous au-dessous d’elle pour les besoins de l’action, que nous constituons l’étendue multiple et indéfiniment divisible. […] La fonction de l’entendement est de détacher de ces deux genres, extension et tension, leur contenant vide, c’est-à-dire l’espace homogène et la quantité pure, de substituer par là à des réalités souples, qui comportent des degrés, des abstractions rigides, nées des besoins de l’action, qu’on ne peut que prendre ou laisser, et de poser ainsi à la pensée réfléchie des dilemmes dont aucune alternative n’est acceptée par les choses.

499. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

Il y a deux publics, d’ailleurs, le public lettré qui a besoin d’excitants, le public naïf qui n’a besoin que de vérité, de choses qu’il puisse comprendre. […] Vous les haïssez, vous les craignez ou vous en avez besoin ; leurs idées, leurs actions touchent aux vôtres et s’y mêlent. […] Un peintre n’a besoin ni d’esprit, ni d’intelligence, il ne lui faut que six ans d’école, un dictionnaire de M.  […] Peut-être est-ce à cause de ce besoin sublime de contrastes immenses qui porte le lion à aimer le petit chien ? […] Dans l’opéra on jouit par l’ouïe et par la vue ; de plus, l’action explique la musique qui pour bien des gens a besoin d’être expliquée.

500. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

En présence du symbole, l’homme, après l’avoir adoré, éprouve le besoin de s’en rendre compte. […] Mais c’est la force même de chacun de ces besoins de tendre à se réaliser séparément, et ils le font. […] Or, étant une cause absolue, elle n’a pas besoin d’une force étrangère pour se développer. […] Ajoutez que ce qui dégage la liberté et le moi, c’est précisément la réflexion, et la réflexion a besoin du temps. […] La religion elle-même se résout en actes qui ont besoin de la protection de la loi.

501. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon » pp. 423-461

On découvre même dans le père de Saint-Simon une qualité dont ne sera pas privé son fils, une sorte d’humeur qui, au besoin, devient de l’aigreur ; c’est pour s’être livré à un mouvement de cette nature qu’il tomba dans une demi-disgrâce à l’âge de trente-et-un ans et quitta la Cour pour se retirer en son gouvernement de Blaye, où il demeura jusqu’à la mort du cardinal. […] On a de ces élans où l’on a besoin d’être retenu à mi-corps. […] Il sait rappeler au besoin cette vieille bourgeoise du Marais si connue par le sel de ses bons mots, Mme Cornuel, Tels sont les gens d’esprit aux yeux de Saint-Simon. […] Ici encore il est besoin de s’entendre. […] Habituellement et toujours, il a dans sa vivacité à concevoir et à peindre, le besoin d’embrasser et d’offrir mille choses à la fois, ce qui fait que chaque membre de sa phrase pousse une branche qui en fait naître une troisième, et de cette quantité de branchages qui s’entrecroisent, il se forme à chaque instant un arbre des plus touffus.

502. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

Où donc, encore une fois, est cet accord de doute et de tristesse que vous attribuez à l’art, ce besoin d’une régénération sociale, d’une religion nouvelle, que vous lui supposez ? […] Mais son idée religieuse avait besoin de revêtir une forme, et, dans son abandon, son isolement, sa nudité, elle a pris le dernier vêtement usé et percé de trous qu’elle avait sous la main. […] Or tout homme qui commence à sentir Dieu éprouve le besoin de se rapprocher de ceux qui l’ont senti avant lui. […] Paul, le Jupiter est quodcumque vides de Lucain ; ils s’oublient et se nient eux-mêmes, ils publient le Dieu véritable, pour refaire un horizon à jamais dépassé par l’Humanité, comme Lucain aurait pu s’oublier pour refaire, par besoin de forme religieuse, le Styx et l’Achéron des poètes ses devanciers. […] Au surplus les considérations sur l’art, renfermées dans ce Discours, auraient besoin d’être développées plus largement.

503. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. de Falloux » pp. 311-316

Molé demanda un répit et s’imposa un retard : il avait besoin de deux années encore, de deux ou trois années de voyage et d’études, pour n’entrer dans la lice que tout armé et tout à fait digne de la grande carrière. […] Tournez et retournez vos souvenirs comme il vous plaira, c’était un naufrage, et le plus humiliant des naufrages ; la France entière était sur un radeau ; elle avait besoin, après trois années d’expédients et de misères, de se retrouver voguant à pleines voiles sous le plus noble pavillon.

504. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXIV » pp. 247-253

— Ils avaient besoin de ce procédé pour en venir à leurs conclusions et fins. […] Je m’empresse d’ajouter encore que nous avons le plus grand besoin de l’appui de madame de Chat… Elle est persuadée que son mari doit toute sa réputation à ses conseils.

505. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre I »

Il sera lourd au besoin, mais il sera complet, et la qualité seconde de son observation est la totalité. […] Et la clinique objective, la clinique subjective et la documentation indirecte, distinctes et presque hiérarchisées par nous pour les besoins de l’analyse, se retrouvent à quelque degré chez tous.

506. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VII. De la propriété des termes. — Répétition des mots. — Synonymes. — Du langage noble »

Il peut arriver que certains mots aient dans leur sens une partie commune, et qu’on puisse les employer indifféremment, quand on n’a besoin d’exprimer que cette partie commune de leur sens. […] Comme l’égalité sociale et politique n’a pas aboli l’inégalité de beauté, de force, de vertu, d’intelligence entre les hommes, ainsi les mots, égaux devant le besoin de l’écrivain, ont gardé leur physionomie propre, leur couleur, leur élégance, leur dignité, leur richesse.

507. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IX. Précision, brièveté, netteté »

Les phrases longues peuvent être parfaitement nettes, et il n’est pas besoin d’écrire d’un style haché, ni d’éviter les qui et les que : mais il faut ménager la peine de son lecteur, lui offrir, comme disait Pascal, des reposoirs, pratiquer des jours, et ne pas l’essouffler à travers d’interminables périodes, inégales, tortueuses et mal éclairées. […] Or le style a l’air souvent morcelé, incohérent, quoique les choses aient de l’unité et de la suite : le lecteur a besoin de faire effort pour découvrir les points de contact des idées, que les mots n’indiquent pas assez précisément.

508. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 3. Causes générales de diversité littéraire. »

Mais de plus au moyen âge, l’Église a sa langue qui n’est pas la langue française : elle parle, elle écrit le latin ; du moins ne confie-t-elle au français que les moindres manifestations de sa pensée, les plus vulgaires ou qui avaient le plus besoin d’être vulgarisées. […] Au xvie  siècle, affranchi par l’antiquité retrouvée sinon matériellement dans ses œuvres, du moins dans son véritable esprit, éveillé au sens de l’art par la vision radieuse que lui offre l’Italie, le génie français crée ou emprunte les formes littéraires capables de satisfaire ses besoins nouveaux de science et de beauté.

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