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2107. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre II. Le dix-neuvième siècle »

Un jour, tout à coup, brusquement, le gonflement du vrai a abouti, l’éclosion a eu lieu, l’éruption s’est faite, la lumière les a ouverts, les a fait éclater, n’est pas tombée sur eux, mais, plus beau prodige, a jailli d’eux, stupéfaits, et les a éclairés en les embrasant. […] Le beau doit se mettre au service de l’honnête. […] Nous assistons, sous la pleine clarté de l’idéal, à la majestueuse jonction du beau avec l’utile.

2108. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — L’abbé d’Aubignac, avec Ménage, Pierre Corneille, Mademoiselle de Scudéri et Richelet. » pp. 217-236

Le projet de son livre étoit beau. […] Elle a vêcu jusqu’à quatre-vingt quinze ans, favorisée de plusieurs graces de la cour, reçue de toutes les académies dont son sexe ne l’excluoit point, considérée des plus beaux génies de l’Europe, avec lesquels elle étoit en commerce de lettres. […] Moi qui fais de belles harangues, Moi qui traduis en toutes langues, A quoi sert mon vaste sçavoir, Puisque partout on me diffame Pour n’avoir pas eu le pouvoir De traduire une fille en femme !

2109. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — La déclamation. » pp. 421-441

Baron a ressuscité la belle déclamation. […] Desfontaines passe ensuite à l’énumération des défauts qu’on remarque communément dans les prédicateurs, & qui sont les tons d’écolier, des exclamations périodiques & déplacées ; une véhémence ridicule dans des choses triviales, au lieu d’une noble simplicité qu’on devroit avoir jusques dans les plus beaux morceaux ; des cris & des transports de routine ; une monotonie ennuyeuse, une déclamation dénuée d’attention, d’intelligence & de sentiment. […] Quant aux célèbres prédicateurs vivans, il doit les étudier, se souvenir que les qualités qu’on estime le plus dans un prédicateur, sont une expression noble & vraie, les traits du visage, une belle prononciation, un débit aisé, naturel, intéressant.

2110. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre septième. »

Ce second volume ouvre par le plus beau des Apologues de La Fontaine, et de tous ses Apologues. […] Ce beau vers est un peu gâté par la dureté des deux dernières syllabes Xanthe teint. […] Belle expression qui rajeunit une idée commune.

2111. (1860) Ceci n’est pas un livre « Mosaïque » pp. 147-175

Vous aurez beau faire : ce mot « jardin des plantes » éveillera toujours une idée de ménagerie — plutôt qu’une idée de botanique. […] Et l’on ne voyait partout, la besogne terminée, que fautes d’impression s’épatant lourdement au beau milieu des phrases ou se suspendant ironiquement au bout de chaque ligne : le brave homme que le père Darnet ! […] Viennet ; « On peut placer  les boulevards à côté  des plus belles choses de la capitale.

2112. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VI. Du trouble des esprits au sujet du sentiment religieux » pp. 143-159

Quand nous sommes éloignés de la patrie, nous nous rappelons toujours avec délices les jours où nous vivions sous les arbres qui ombragèrent notre berceau ; nous aimons à retracer à notre mémoire et la prairie et le ruisseau et la forêt qui étaient près du toit paternel : nous visitons mille contrées fameuses ; nous admirons les aspects les plus variés d’une nature tantôt belle, tantôt agreste et sauvage ; mais nulle part il ne sort de la terre que nous foulons sous nos pieds des souvenirs animés ; nulle part nous ne reconnaissons et le vent et la lumière et les ombres. […] Il laisse avec mélancolie errer ses regards en arrière ; il porte au-dedans de lui une vague inquiétude dont il ignore la cause ; il se crée des sentiments factices, et qu’il sait être ainsi, pour suppléer aux émotions qu’il ne retrouvera plus ; il s’étonne du désenchantement où il est plongé ; il a beau être séparé de la religion, ou par les passions dont il est devenu le jouet infortuné, ou par les séductions d’un esprit raisonneur, qui, à force de vouloir approfondir, égare ; il ne peut être sourd aux plaintes touchantes d’une mère, qui ne devait pas s’attendre à lui voir trahir ce qu’elle regardait comme ses plus chères espérances, ni aux terribles accusations de ses aïeux, qui lui reprochent, du fond de la tombe, d’avoir abandonné la portion la plus précieuse de leur héritage. […] Leurs belles années se sont écoulées au milieu des discordes civiles ; ils sont parvenus à l’âge de la maturité, sans avoir passé par celui de l’adolescence.

2113. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XV. Mme la Mise de Blocqueville »

Là elle toucha à Chateaubriand et à Sainte-Beuve et s’en mit une goutte dans son verre d’eau claire, où depuis tombèrent des larmes qui firent reprendre au verre d’eau sa limpidité et sa clarté premières… Mme Swetchine, sans sa piété vraie et avec son éducation pédantesque, aurait été un bas-bleu de forte espèce, parfaitement caractérisé, et Mme de Blocqueville tient beaucoup plus d’elle que d’Eugénie de Guérin, sous le charme de laquelle elle se débat un peu, comme elle se débat, mais plus convulsivement, sous la puissance magique de cet enchanteur à poison qui s’appelle Henri Heine, et qui est le péché mignon de la haute Dévote de son livre, — la duchesse Eltha, qui pourrait bien, au fond, n’être qu’une marquise… Mme de Blocqueville a beau assurer dans sa préface, avec des airs oraculaires et mystérieux, qu’Eltha et Lucio, qui se font l’amour tout le temps du livre, ne sont pas des amants et qu’elle ne peut pas en dire davantage. […] Je ne chercherai point ; Quelque habiles que soient à costumer des poupées les petites filles grandies qu’on nomme des femmes, elles ne costument point d’abstraction ; et sous leur plume, je ne crois, moi, comme un beau diable, qu’à des portraits ! […] Mme de Blocqueville, qui fut belle, dit-on, — qui est grandement née, — qui est peut-être aimable dans son salon, — et je suis sûr qu’elle l’est, car il est impossible qu’on y parle comme dans sa Villa des Jasmins ; elle n’y aurait plus personne, — Mme de Blocqueville n’aurait pas du tout de talent littéraire qu’elle aurait dix raisons pour pouvoir très bien s’en passer ; et d’ailleurs, ce n’est pas un si grand malheur que de n’avoir point de talent, quand on sent le talent des autres !

2114. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVIII. Souvenirs d’une Cosaque »

Tuer un homme endormi, après possession préalable, bien entendu, — une idée qui a passé dans la tête, et jusque dans la main de la dame cosaque d’aujourd’hui, car son poignard était déjà levé, quand l’homme menacé se réveilla ; — le tuer, cet homme endormi qui avait été à tant de femmes, pour qu’il ne fût plus à personne, n’est pas une idée d’originalité très cosaque, mais du plus vieux, du plus usé et du plus plat romanesque de partout, à cette heure, sotte et folle, de ce beau monde civilisé ! […] Le petit cochon de lait criait comme un beau diable de petit cochon qu’il était, au bout de sa corde, sous le museau des loups, qui le humaient comme leur dîner ; mais le Monsieur que la dame cosaque traîne dans le mépris et le ridicule, tout le long de son livre, criera-t-il ? […] L’effet y est cherché et cela devait être, du reste, avec une femme de cette nature, amoureuse de tout ce qui résonne, et qui, parce qu’elle a été quittée par un homme, la belle affaire !

2115. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXI. Mme André Léo »

Chez Mme Sand, la femme a beau descendre, on voit bien qu’elle descend, ce qui implique qu’on vient de plus haut que ceux à qui on se donne24. […] elle a beau se débattre dans le vague de la philosophie, elle y demeure, affirmative de langage, mais sans un principe auquel elle puisse rattacher la législation qu’elle invente. […] Mais Proudhon, appliqué au roman, doit donner quelque chose comme l’ennui d’un Grandisson dépassé… L’avocasserie pour les droits de la femme détermine beaucoup plus les livres des bas-bleus que la vocation des belles œuvres.

2116. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Odysse Barot »

Le vrai et secret motif de ce livre, c’est de constater que le plus beau mouvement de l’esprit humain qui s’est produit en Angleterre (le plus beau, j’en conviens, mais je l’explique autrement !) […] Le beau, dans sa pureté céleste, dans son incompatibilité transcendante avec les autres choses humaines, est pour eux un luxe, une inutilité.

2117. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le colonel Ardant du Picq »

Enfin, ces fragments d’une œuvre militaire à travers lesquels l’imagination perçoit un beau livre complet en puissance, sont signés du plus beau nom militaire qu’un homme puisse porter et que la Providence ait pu écrire, comme l’ordre de sa vocation et de sa destinée, sur le front et le cimier d’un soldat ! […] Et devrait-il n’y avoir pas d’autre effet produit par ce livre de tendance sublime, que ce serait comme cela assez utile et assez beau !

2118. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Louis Vian » pp. 373-387

Voyez le beau crime ! […] Mais c’était à sa mort, et toute sa vie, qui fut correcte et respectueuse pour les choses religieuses4, bafouées alors qu’elles étaient par la Philosophie, il n’eut jamais assez de ferveur pour que la foi éveillât la tendresse en son âme, qui, de nature et d’admiration, allait au Stoïcisme, — cette religion des Secs, — comme à la plus belle chose qu’on eût vue jamais parmi les hommes ! […] Je crois que Vian l’a peint quelque part se promenant en carrosse éreinté, attelé de deux rosses, lui qui avait soixante mille livres de rente au beau soleil du Bordelais !

2119. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le roi René »

Ce n’est point ce qu’on peut appeler un grand homme, mais c’est une belle et noble figure féodale, à laquelle Lecoy de la Marche a essayé de restituer des traits légèrement et cruellement méconnus. […] Mais une conscience, même doublée de science, ne suffisait pas pour écrire l’histoire de cet homme, qui fut un si beau et si héroïque jeune homme, de ce brillant roi de batailles et de pas d’armes qui avait du François Ier avant François Ier, et dont l’Histoire, qui l’a trop bonhomisé, ne se souvient que comme d’un « roi d’intérieur » et d’un vieillard occupé de frivolités littéraires et de bric-à-brac artistique. […] Il était beau, il avait, comme François Ier, la grâce chevaleresque de la personne.

2120. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. le vicomte de Meaux » pp. 117-133

Il a été philosophique, et dans sa manière philosophique d’envisager l’Histoire, il s’est souvenu de l’optimisme de Leibnitz, que l’éclectique Cousin en belle humeur trouvait une si belle chose ! […] Le Protestantisme a fendu en deux la France, — la plus belle unité qui fut jamais parmi les nations ! 

2121. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Crétineau-Joly » pp. 247-262

Il aimait les saints, il les honorait, il se serait battu en duel pour eux, comme d’Orsay, le beau d’Orsay, se battit un jour pour la sainte Vierge ; mais ce diable de Crétineau n’en était pas un. […] L’auteur de la biographie intitulée : Jacques Crétineau-Joly, avait dans les mains tous les éléments d’une vie qui, claire et courte, mais substantielle et d’un bel accent, aurait été lue, car, en France, on aime les batailleurs, et pouvait rester, durable comme une médaille. […] … Diderot dit quelque part que, dans les peintures des grands peintres, ce qu’il y a de plus beau, ce sont les laissés… Il entend par là les choses qu’ils n’y mettent pas quoiqu’elles soient dans le sujet, et que les artistes médiocres ne manqueraient pas d’y mettre.

2122. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Lamennais »

Ils auront beau prendre, en effet, leur aplomb et leurs airs vainqueurs en parlant de cette évolution philosophique, on sera toujours en droit de leur dire, comme à, M.  […] Le 24 mai 1826, écrivant à la comtesse de Seult, un de ces anges d’amitié comme il en passa plusieurs dans sa vie, il se définissait sans regret, sans amertume et même sans tristesse : « un homme pauvre, sans nom, sans place, sans position, à qui bien prenait de ne rien demander aux hommes et de ne vouloir absolument rien d’eux » ; et excepté le sans nom, car la gloire, à cette heure-là, faisait du sien le plus beau qu’il y eût alors en Europe, tout était vrai dans cette définition qu’il donna de lui-même et qui resta vraie, même quand il eut abandonné Dieu pour les hommes. […] III Et cet esprit-là, c’est l’esprit même, — comme on dit en France, — l’esprit, un don, le plus précieux des dons intellectuels, le plus beau diamant qui puisse fermer la couronne du génie et que le génie n’a pas toujours à l’agrafe de sa couronne.

2123. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Sabran et le chevalier de Boufflers »

elle n’est pas jolie comme on l’était au xviiie  siècle, où le beau, c’était le joli. […] C’était déjà une humilité de sentiment bien touchante et bien admirée que le mot de Juliette à Roméo : « Pardonne-moi de t’aimer, beau Montagu ! » mais le mot de Madame de Sabran est plus beau encore d’humilité divine et de tremblement… L’amour d’une pauvre petite femme qui aime dans l’obscurité a rencontré mieux que le génie du grand Shakespeare.

2124. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « II. Jean Reynaud »

Mais — disons-le à son éloge — le dix-huitième siècle, dont il procède, n’a pu lui donner ce mépris de brute pour les problèmes surnaturels qui distingue ses plus beaux génies. […] L’auteur de Terre et Ciel a beau s’en défendre : il n’est réellement qu’un panthéiste de notre temps sous les guenilles de tous les hérétiques de ce Moyen Âge contre lequel il se permet tant de mépris. […] Le sophisme épicurien, le plus compromis des sophismes grecs, qui donnait à la Divinité la forme de l’homme, parce qu’on n’en connaît pas de plus belle, est le genre de preuves le plus familier de M. 

2125. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVII. Saint-Bonnet »

à ne voir en bloc qu’un tel résultat, ce serait déjà une chose grande et belle que de l’avoir atteint, et la Critique, qui sait la profondeur et la difficulté des idées simples, ne pourrait oublier de le signaler avec éclat. […] Indépendamment de sa justesse, nous, chez qui bat le cœur de l’artiste, nous ne savons rien de plus beau que cette définition de la Raison, qui a les proportions d’une analyse. […] Il sait que les gloires les plus pures et les plus solides, espèces de diamants douloureux, se formant comme les plus lentes et les plus belles cristallisations.

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