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1163. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Maynard »

Langue sans nom d’humilité volontaire, que Vincent, ce grand artiste en abaissements, s’était faite, et dont il nous a donné toute la rhétorique dans un seul précepte ravissant : « Entre deux expressions, — disait-il, — retenez toujours la plus brillante pour en faire un sacrifice à Dieu dans le fond de votre cœur, et n’employez que celle-là qui, moins belle, ne plaît pas tant, mais édifie. » L’humilité est, je crois, en effet, le caractère de sainteté de Vincent de Paul encore plus que l’amour ; personne, même parmi les saints, n’a eu cette soif de bassesse ; personne n’a dit comme cet homme : « Donnez-moi encore ce verre de mépris ! 

1164. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Ernest Hello »

III À son originalité dans la conception de son livre qui tient à ses idées premières, aux assises mêmes de son esprit, et qu’il met audacieusement, pour la première fois, sous cette forme difficile du conte, pour les faire mieux briller sous cette forme vivante, comme on retourne et l’on fait jouer un diamant à la lumière du jour pour l’épuiser de tous ses feux, Ernest Hello ajoute aujourd’hui une originalité qui n’est plus celle de ses idées, mais de leur expression et de la vie spéciale qu’il sait leur donner, et il obtient ce résultat superbe que l’exécution de l’artiste vaut la conception du penseur !

1165. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Madame Sand et Paul de Musset » pp. 63-77

D’ailleurs, soyons francs une bonne fois : sait-on où commence le mystère, l’arcane, le sanctuaire de la vie privée, dans la destinée exceptionnelle des artistes et des écrivains qui font publicité de tout et jusque parfois de leurs vices ?

1166. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules Sandeau » pp. 77-90

Jules Sandeau était plus moral que Balzac et plus vrai comme artiste.

1167. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Deux romans scandaleux » pp. 239-251

D’ailleurs, soyons francs une bonne fois : sait-on où commence le mystère, l’arcane, le sanctuaire de la vie privée, dans la destinée exceptionnelle des artistes et des écrivains qui font publicité de tout et jusque parfois de leurs vices ?

1168. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Malot et M. Erckmann-Chatrian » pp. 253-266

Le Maurice Berthaud, ce type honteux de l’enfant gâté et de l’artiste, a-t-il au moins l’originalité d’une seule turpitude à laquelle n’aient pas pensé ceux qui lèchent et pourlèchent, depuis des années, soit dans le roman, soit au théâtre, ce type accusateur du dix-neuvième siècle ?

1169. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « G.-A. Lawrence » pp. 353-366

Tout artiste qu’il soit, tout expert des choses de la vie qui font main-basse sur nos affectations et élèvent un homme à la simplicité, tout grandement ou profondément passionné qu’il puisse être, l’auteur de Guy Livingstone porte au milieu de son talent et de son dandysme, que je ne veux point séparer, la tache d’un pédantisme qui, dans le pays du cant, sous toutes les formes, est un véritable cant intellectuel.

1170. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

Certes, les artistes parfaits sont rares : nous avons, au premier rang, Sophocle dans l’antiquité, Racine dans les temps modernes. […] Par son tige, par son éducation, Émile Pouvillon appartenait à cette école d’artistes que Gautier et même Flaubert ont un peu gâtés. […] En somme, en établissant sa distinction entre être sensible et sentir, Diderot veut marquer qu’il y a deux sensibilités, la commune et celle de l’artiste. […] Malgré son grand âge, l’admirable artiste gardait toujours dans les traits de son visage la marque sévère du génie. […] Oui, Nietzsche a raison : que celui qui le peut fasse de même, comme homme et comme artiste !

1171. (1913) Poètes et critiques

Elle boit longuement et sérieusement, et, quand elle n’entonne pas des chansons bachiques, elle chante des psaumes… Elle a d’admirables érudits, des savants qui valent par la précision de leur information scientifique et par le scrupule de leur recherche, des artistes qui la désertent parce qu’elle ne les paie pas, des romanciers et des poètes qui aspirent à s’enfuir, qui s’enfuient et qui reviennent pour l’adorer… Elle aime trop la musique et le songe, et elle possède des fous merveilleux. […] Mais tout ce qu’il y a de dignité et de vertu dans la race suédoise n’est pas exprimé par le savoir de ses docteurs ou le pouvoir de ses artistes. […] Je m’en tiendrai, ici, à la description sommaire du recueil, et ce sera comme un point de départ pour présenter certaines réflexions sur la formation toute savante de cet artiste exceptionnel que fut le poète Verlaine, sur la genèse obscure et la claire révélation de son intime originalité. […] Dès 1838, le maître artiste avait tout indiqué, sinon tout dit, dans trois petites pièces de la Comédie de la Mort : Rocaille, Pastel, Watteau. […] Il ne se trompa point, d’ailleurs, sur l’intérêt des innovations rythmiques de cette artiste « sans trop le savoir » : il lui prit ses courts ou longs vers aux syllabes de nombre impair, « celui de onze pieds entre autres. » Est-elle de Verlaine cette strophe charmante, d’un sentiment, d’une harmonie « inusités » ?

1172. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

Artiste à un haut degré par Corinne, Mme de Staël demeure éminente en ses autres développements, à titre de politique, de moraliste, de critique et d’écrivain de mémoires. […] Michaud écrivait : « Vous avez voulu faire la contre-partie du Génie du Christianisme ; vous avez donné les Beautés poétiques et morales de la Philosophie ; vous avez complétement battu ce pauvre Chateaubriand, et j’espère qu’il se tiendra pour mort. » Adorateur du génie grec, du beau homérique et sophocléen, chantre de Cymodocée, d’Eudore et des pompes lumineuses du catholicisme, M. de Chateaubriand, artiste déjà achevé, n’était pas gagné aisément à cette teinte parfois nuageuse des héros de Mme de Staël, au vague de certains contours, à cette prédominance de la pensée et de l’intention sur la forme, à cette multitude d’idées spirituelles, hâtives et entrecroisées comme dans la conversation ; il admirait moins alors Mme de Staël qu’elle ne l’admirait lui-même. […] S’il y a, comme fonds naturel et comme manière d’artiste, de grandes différences entre M. de Chateaubriand et Mme de Staël, on est frappé d’ailleurs par les ressemblances bien essentielles qu’ils présentent : tous deux aimant la liberté, impatients de la même tyrannie, capables de sentir la grandeur des destinées populaires, sans abjurer les souvenirs et les penchants aristocratiques ; tous deux travaillant au retour du sentiment religieux, dans des voies plutôt différentes que contraires. […] On pourrait reprendre dans le détail de Delphine des répétitions, des consonnances, mille petites fautes fréquentes que Mme de Staël n’évitait pas, et où l’artiste écrivain ne tombe jamais. […] Delphine, seule entre toutes les femmes du salon, alla s’asseoir à côté de Mme de R… Au lieu des curiosités banales ou des malignes louanges, comme elle eût franchement serré sur son cœur ce génie plus artiste qu’elle, je le crois, mais moins philosophique jusqu’ici, moins sage, moins croyant, moins plein de vues sûres et politiques et rapidement sensées !

1173. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

Ces choses sont-elles réellement écrites quand elles ne sont ni peintes, ni senties, ni réfléchies, et quand le narrateur fidèle n’est pas en même temps le suprême artiste ? […] Thiers n’a ni le style athénien de Thucydide, ni le style romain de Tacite, ni le style biblique de Bossuet, ni le style italien de Machiavel, ni le style français de Montesquieu, et que, quand on vient de lire une page de bronze historique de ces suprêmes artistes de la plume, on croit descendre un peu trop l’échelle de l’art d’écrire en lisant les pages de l’Histoire du Consulat et de l’Empire. […] Se passer de style, n’est-ce pas mille fois plus artiste que d’avoir un style ?

1174. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

Herder remarque avec raison que « la philosophie des arts devait naître dans la Grèce, parce qu’en suivant le mouvement libre de la nature et les inspirations d’un goût infaillible, les poètes et les artistes de cet heureux pays réalisaient la théorie du beau, avant que personne n’en eût encore tracé les lois. […] Le physicien est, à cet égard, au-dessous même de quelques artistes, de l’architecte, du médecin, qui étudient certaines modifications de la matière, indépendamment de la matière même ; au-dessous du mathématicien, qui étudie abstraitement d’autres modifications ; fort au-dessous, par conséquent, du métaphysicien, qui étudie plus abstraitement encore les propriétés générales de l’être. […] Platon non plus, tout grand artiste qu’il est, n’aurait certainement pas choisi de lui-même une telle forme, et son génie livré à lui seul n’en eût pas tiré un tel parti.

1175. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre X, Prométhée enchaîné »

D’artiste en belles œuvres, devenir un artisan de tortures, meurtrir et broyer la chair de la même main qui cisèle les vases des banquets célestes, quelle contrainte et quelle déchéance ! […] A chaque clou qu’il fixe, à chaque pièce qu’il emboîte, il constate naïvement la perfection du travail ; — « Voilà qui est fait et en un instant… Ce bras-ci tient, aucun effort n’en briserait l’attache… Certes, excepté lui, nul ne me blâmera. » II. — Héphestos (le Vulcain latin). — Son origine volcanique. — Son génie d’artiste, ses chefs-d’œuvre. — Thétis dans La forge d’Éphestos. […] Ce manœuvre des dieux est en somme l’artiste du monde, sa forge a été le premier atelier plastique.

1176. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

Mais, si mauvaise qu’elle soit, elle n’a pas peur de l’énergie du barbare ; et quoiqu’on n’y voie plus les lignes de ce beau et puissant génie, plus civilisé et plus artiste, comme je le prouverai prochainement, que ceux-là qui parlaient de lui, perdues qu’elles sont sous le fatras du traducteur, comme la statue d’un dieu tombée et engloutie dans la fontaine vaseuse des crocodiles, on y a cependant conscience des tressaillements de ce génie qui vit encore, quoique massacré, et tellement que les Anglais eux-mêmes ont retraduit dans leur langue ces morceaux curieux de Le Tourneur, inspirés de Shakespeare plutôt que traduits de Shakespeare. […] Dieu sait si j’aime et si je respecte ce grand Shakespeare, et mes lecteurs savent aussi si je nie les rapports de la moralité et du génie, et si ce n’est pas au contraire presque une poétique pour moi que la nécessité de tenir compte de leur union dans toute œuvre d’art et de littérature Dieu et mes lecteurs savent si j’ai jamais distrait la beauté morale de la vérité esthétique ; si, par ce côté-là comme par l’autre, Shakespeare, dans ses pièces de théâtre (uniquement dans ses pièces de théâtre, il est vrai), n’est pas à mes yeux le plus grand des artistes, Le plus grand, parce qu’il en est le plus pur ! […] Or, excepté la minute où le grand artiste, l’homme inspiré, le poète, est, par l’intensité de sa conception, le personnage qu’il conçoit et auquel il donne la vie, excepté pendant cet éclair de la conception, Shakespeare n’avait, certes !

1177. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « George Farcy »

., alors enceinte, on remarquera une strophe qui ferait honneur à Lamartine lui-même : c’est celle où le poëte, s’adressant à l’enfant qui ne vit encore que pour sa mère, s’écrie : Tu seras beau ; les Dieux, dans leur magnificence, N’ont pas en vain sur toi, dès avant ta naissance, Épuisé les faveurs d’un climat enchanté ; Comme au sein de l’artiste une sublime image, N’es-tu pas né parmi les œuvres du vieil âge ? […] Nous extrayons religieusement ici les dernières pensées écrites sur son journal ; elles sont empreintes d’un instinct inexplicable et d’un pressentiment sublime : « Chacun de nous est un artiste qui a été chargé de sculpter lui-même sa statue pour son tombeau, et chacun de nos actes est un des traits dont se forme notre image.

1178. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (3e partie) » pp. 369-430

J’en demande pardon comme artiste, mais certes pas comme homme politique. […] On a vu que je me reproche justement aussi d’avoir donné en apparence, comme artiste, trop de vernis à ce portrait.

1179. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (1re partie) » pp. 305-364

Jalousie ridicule, puisque je ne fus jamais qu’un amateur désœuvré du beau, qui esquisse et qui chante au hasard, sans savoir le dessin ou la musique, et que Hugo fut un souverain artiste, qui força quelquefois la note ou le crayon, mais qui ne laissa guère une de ses pensées ou une de ses inspirations sans en avoir fait un immortel chef-d’œuvre : l’un ne demandant rien qu’au jour qui passe, comme un improvisateur sans lendemain ; l’autre, prétendant fortement à gagner et à payer par le travail le salaire que la postérité doit au génie laborieux, un renom qui ne périt pas. […] Je parvins à peu près au milieu sans avoir le malheur d’être reconnu, et j’allais entrer dans les rues à droite pour m’évader par les rues vides parallèles aux boulevards, lorsqu’un froissement de la foule fît glisser mon manteau de mes épaules ; je me baissais pour le ramasser dans la boue, quand je fus reconnu par un artiste alors très célèbre, Cellarius, le musicien de la danse, suivi de quelques-uns de ses élèves et de ses amis.

1180. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 février 1885. »

Mais, la concession une fois faite à l’artiste, son devoir est de se tenir dans les limites, assez larges, d’ailleurs, de la vraisemblance poétique. […] Nos meilleurs chanteurs sont ridiculement mauvais quand ils essayent la Walküre et Parsifal ; il faut qu’il y ait une école de diseurs lyriques : le drame musical ne peut pas être joué par les artistes éduqués pour chanter Bellini.

1181. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre X »

Imaginez une carte géographique morale, tracée en arabesques railleuses par un artiste enivré d’esprit. […] Sa fille a aimé autrefois un jeune artiste qui l’a délaissée lorsque la pauvreté est venue ; a-t-elle une faiblesse à se reprocher ?

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