On y défend les Burgraves et Lucrèce Borgia à l’aide des chefs-d’œuvre antiques : les jeunes auteurs ne s’aperçoivent pas que c’est parce qu’ils ont ensauvagé Sophocle et lui ont imposé des contre-sens de couleur et des traits de moyen âge, qu’ils parviennent ensuite, tant bien que mal, à en faire un patron à leur idole-monstre.
Ou bien l’on conte une anecdote, amusante ou singulière, et on ne s’aperçoit pas qu’on allonge outre mesure son début, et que, perdant son temps à ces bagatelles extérieures, l’on n’en aura plus guère pour le développement sérieux et essentiel.
Au lieu que les mots plus beaux des langues étrangères font obstacle à la pensée en lui imposant, quelle qu’elle soit, leur musique et leur teinte, le mot français, incolore, atone, ne garde qu’un sens net, où l’esprit aperçoit tous les effets, tous les usages dont il est capable ; il prend le relief, l’harmonie, la lumière, la chaleur, que l’idée réclame ; il s’amortit ou éclate, il prête ou emprunte sa flamme, infiniment souple et mobile, élastique et subtil comme le plus léger des gaz, malgré la précision rigoureuse de sa définition, qui, dans aucun emploi, ne s’altère ni ne s’obscurcit.
Et maintenant voici la traduction que je vous propose : « Redevenu vraiment lui-même, tel qu’enfin l’éternité nous le montre, le poète, de l’éclair de son glaive nu, réveille et avertit son siècle, épouvanté de ne s’être pas aperçu que sa voix étrange était la grande voix de la Mort (ou que nul n’a dit mieux que lui les choses de la Mort).
Cette découverte fit changer de face à la création : par sa partie intellectuelle, c’est-à-dire par cette pensée de Dieu que la nature montre de toutes parts, l’âme reçut abondance de nourriture ; et par la partie matérielle du monde, le corps s’aperçut que tout avait été formé pour lui.
C’est là ce qui les distingue des blondes dont la peau fine, laissant quelquefois apercevoir les veines éparses en filets déliés, et se teignant du fluide qui y circule, en reçoit en quelques endroits une nuance bleuâtre.
Telle est la contradiction que notre esprit devine, quand il ne l’aperçoit pas clairement.
Mais lorsqu’on a pondu vingt ou trente mille vers, on finit par s’apercevoir que les mêmes rimes vous rivent plus ou moins aux mêmes images et aux mêmes idées, ce n’est donc que pour affranchir l’inspiration de ce penchant que je me suis décidé à essayer des vers sans rime. […] bien, du diable si on s’aperçoit que le bout du vers en ait uniformisé le dedans ! […] on s’aperçoit, trop tard, que le marchand de nougat n’est autre que Jean Lorrain qui a voulu témoigner de son admiration pour les reisebilders du comte de Montesquiou !) […] Moréas n’a pas tardé de s’apercevoir que l’initiative de son génie l’avait porté plus loin qu’il ne le pensait, et que, si les plus anciens poèmes du Pèlerin passionné pouvaient être encore considérés comme émanant du symbolisme, les plus récents étaient véritablement la condamnation irrévocable de cette esthétique. […] » En voici quelques aperçus.
Et là-dessus, considérations, aperçus et développements. […] Il n’aperçoit en nous que le pur égoïsme. […] Tout à coup il frémit ; il s’aperçut qu’il avait fait acte de réactionnaire. […] Elle fait tout le bien qu’elle peut ; mais elle s’aperçoit avec douleur qu’elle en peut très peu faire. […] Des problèmes dont on n’aperçoit pas la solution vaut-il mieux ne parler jamais ?
Le Misanthrope, dit encore Voltaire, « est une peinture continuelle », mais une peinture « de ces ridicules que les yeux vulgaires n’aperçoivent pas ». […] En 1663, Molière s’est très bien aperçu qu’il en avait dans le parterre, ce qui, du reste, était à prévoir. […] C’est-à-dire que le caractère satanique de Don Juan a complètement échappé à Voltaire, que Voltaire ne s’est pas aperçu que Don. […] Alceste est très honnête ; très droit, très franc et assez bon et, comme il est très jeune, il vient de s’apercevoir que les hommes ne sont rien de tout cela. […] Dans certains romans modernes, à mesure qu’une femme s’aperçoit que celui qu’elle aime devient davantage un coquin, elle l’aime aussi davantage.
Schlegel, qu’on ne s’aperçoive pas de toute la sottise qu’il donne aux plébéiens dans celle pièce, et il l’a fait encore ressortir par le rôle satirique et original du vieux Ménénius. […] Il a conservé la majeure partie de l’original, et marqué spécialement ses additions et corrections pour que la part de chaque poëte fût aperçue au premier examen. […] Ambrogio arrive : Nicuola l’aperçoit dans la rue, et, dans sa frayeur, elle se sauve chez sa gouvernante. […] Paolo, qui l’aime, s’aperçoit de sa méprise et la détrompe. […] La seule idée de ce genre qu’on puisse apercevoir dans le Roi Jean, c’est la haine de la domination étrangère l’emportant sur la haine d’une usurpation tyrannique.
À cette époque, son grand-père s’aperçut de son penchant pour la comédie, et le conduisit chez les comédiens de l’hôtel de Bourgogne, troupe isolée et libre qui amusait Paris. « Avez-vous donc envie d’en faire un comédien ? […] Baron, à qui ce Mondorge s’adressa, s’en aperçut aisément, car ce pauvre comédien faisait le spectacle du monde le plus pitoyable. […] En figurant dans la cérémonie burlesque de son Malade imaginaire, il se sentit pris d’une légère convulsion qu’il contint jusqu’à la fin ; le frisson alors le saisit ; son disciple Baron s’en aperçut, le conduisit dans sa loge et lui donna sa robe de chambre. […] Comme elle était encore fort jeune quand je l’épousai, je ne m’aperçus pas de ses méchantes inclinations, et je me crus un peu moins malheureux que la plupart de ceux qui prennent de pareils engagements: aussi le mariage ne ralentit point mes empressements ; mais je lui trouvai tant d’indifférence, que je commençai à m’apercevoir que toute ma précaution avait été inutile, et que ce qu’elle sentait pour moi était bien éloigné de ce que j’aurais souhaité pour être heureux. Je me fis à moi-même ce reproche sur une délicatesse qui me semblait ridicule dans un mari, et j’attribuai à son humeur ce qui était un effet de son peu de tendresse pour moi ; mais je n’eus que trop de moyens de m’apercevoir de mon erreur, et la folle passion qu’elle eut peu de temps après pour le comte de Guiche fit trop de bruit pour me laisser dans cette tranquillité apparente.
C’est payé bien plus cher que cela ne vaut. » En 1833, il est envoyé à Blaye où était enfermée la duchesse de Berry ; il s’y fait bien venir du général Bugeaud en traduisant au courant de la plume, en trois langues différentes, un petit ouvrage de lui, Aperçu sur l’art militaire. […] Les lettres écrites pendant cette période de commandement sont très vives, animées d’incidents ; les aperçus s’étendent ; le ton s’élève sans que l’enjouement diminue. […] Il ne songe plus à quitter cette terre d’Afrique ; « plus il y réussit, plus il y est enchaîné » ; c’est une bonne école ; il se fait petit à petit général : « Je m’aperçois avec plaisir qu’en face des circonstances les plus difficiles je prends un calme et un sang-froid que je n’avais pas autrefois : je me sens commander, je m’écoute, je me trouve de l’aplomb, et tout marche. […] Ma santé est déplorable, mais personne ne s’en apercevra les jours de bataille.
Il erre çà et là, léger, ailé, sacré, comme dit Platon, dans les prairies poétiques, et, à ce qu’il semble, à l’aventure, mais avec un choix et des préférences qu’il n’aperçoit pas. […] 174 Rabelais, étourdi de ses détails et enivré de sa profusion, n’a pas aperçu ce geste ni rendu cette exclamation ; il dit seulement : « Tous choisissaient celle qui était d’or et l’amassaient, remerciant le grand donateur Jupiter. » Etrange puissance que celle du goût ! […] « Un grand chasseur, dit Pilpay, revenant un jour de la chasse avec un daim qu’il avait pris, aperçut un sanglier qui venait droit à lui. […] Elle aperçut en ce moment cet homme dont nous venons de parler, et elle le pria de lui sauver la vie.
Ainsi, par exemple, cette opération de l’esprit par laquelle l’intelligence se dit : « Il n’y a pas d’effet sans cause, et, puisque j’aperçois une multitude d’effets, il y a donc une cause suprême ; c’est-à-dire il y a donc un Dieu ! […] Le sage s’en aperçoit : « Vous me croyez donc, à ce qu’il paraît, leur dit-il, bien inférieur au cygne, en ce qui touche aux pressentiments et à la divination par l’instinct ? […] La raison de toutes choses, comme de toute qualité de ces choses, est donc Dieu. » Ses aperçus, qu’il développe ensuite sur la physique et sur la construction de notre globe, se ressentent de l’imperfection des sciences expérimentales dans son siècle. […] Criton, s’en étant aperçu, lui ferma la bouche et les yeux.
Cette position empêchait qu’on ne s’aperçût de son côté faible : il avait à peu près perdu l’usage des jambes, et il ne pouvait marcher que soutenu par deux bras robustes. […] Braschi pourrait ensuite agir près des siens quand on aurait été assuré de tous les votes des partisans de Mattei ; que cette affaire dépendait, en dernier ressort, de l’adhésion obtenue de leur chef, qui, s’il le voulait, saurait se rendre maître d’Herzan aussi bien que de n’importe quel autre, si l’on s’apercevait de certaines opiniâtretés. […] Tous aperçurent, ou du moins crurent apercevoir, sans se tromper, une sérénité et une indifférence héroïques sur le visage du premier, un grand trouble sur celui du second.
Si l’on dit qu’il est difficile d’avoir conscience de cette conscience, nous répondrons qu’il est encore plus difficile d’avoir conscience de sa conscience pure, car, après tout, nous nous sentons vivre, et vivre sur terre, corporellement ; il est douteux que nous ayons le pouvoir de nous apercevoir à l’état idéal de pur esprit. […] En réalité il ne songe nullement à imiter la mort ; mais la crainte, en produisant une sorte de paralysie, l’empêche d’être aperçu par son ennemi ; son immobilité le sauve. Une mouche immobile n’est pas remarquée ; dès qu’elle s’envole, on l’aperçoit. […] Du moment que vous avez imaginé ou tracé la ligne, la relation est là devant vous, et devant votre interlocuteur. » Il faudra réfléchir sur cette impression pour en abstraire les caractères géométriques ; mais, encore un coup, avant d’être aperçue et réfléchie, la relation est sentie, grâce à un complexus de sensations simultanées ; et elle est sentie sous la forme déterminée de la ligne, qui seule la réalise et la constitue en fait.
La réflexion appliquée à la recherche des droits et des devoirs de l’homme faisait apercevoir le vide des institutions existantes ; on sentait vivement le besoin d’une régénération complète du corps social. […] Les peuples du Nord aperçoivent les mêmes vérités que les peuples du Midi, mais ils les aperçoivent autrement. […] Dans ces derniers temps une certaine physiologie intellectuelle introduite par Locke semblait avoir tout pacifié et tout ramené à une seule autorité, celle de l’expérience ; mais on s’est aperçu que cette prétendue expérience était elle-même remplie d’hypothèses, et que la nouvelle autorité n’était rien moins qu’un dogmatisme tout aussi tyrannique que ceux dont on avait voulu délivrer la science.
En dehors de cette soutane rouge qu’on aperçoit de si loin dans l’histoire, Richelieu périrait ou diminuerait. […] Partout, à chaque page de son histoire, c’est le même langage, c’est la même idée fixe, car l’idée fixe, on peut la retrouver aussi bien dans l’ivresse que dans la folie, c’est la même peur du Dieu personnel et vivant du catholicisme, de ce splendide revenant qui hante la raison de l’historien malgré lui, et qui, aperçu incessamment à travers le pâle fantôme du dieu philosophique, réduit toujours le même visionnaire au même effort et à la même convulsion de raisonnement pour le repousser. […] Rien de moins bourgeois que Mme de Staël ; elle avait bien des défauts et nous les reconnaissons… Pédante, si l’on veut, quelquefois sans grâce et précieuse, esprit faux en philosophie, bas-bleu, à ravir l’Angleterre de l’éclat enragé de son indigo, Mme de Staël, par la distinction de sa pensée, par la subtilité de son observation sociale, par son style brillant d’aperçus, par ses goûts, ses préoccupations, ses passions même, tendait vers la plus haute aristocratie, vers la civilisation la plus raffinée. […] On pourrait peut-être l’éclairer encore par l’aperçu, par l’originalité du jugement ; mais, pour cela, il faudrait une impartialité et une profondeur que depuis longtemps M.