Le seul Lamartine échappait à ces fades mollesses et les ignorait ; après avoir poussé son chant, il s’était enfui vers les lacs comme un cygne sauvage. […] Dans cette confiante indifférence, le présent échappait inaperçu, la fantaisie allait ailleurs ; le vrai Moyen-Âge était étudié, senti, dans son architecture, dans ses chroniques, dans sa vivacité pittoresque ; il y avait un sculpteur , un peintre parmi ces poëtes, et Hugo qui, de ciselure et de couleur, rivalisait avec tous les deux. […] qu’il y ait eu des regrets de notre part, hommes de poésie discrète et d’intimité, à voir le plus entouré de nos amis nous échapper dans le bruit et la poussière des théâtres, on le concevra sans peine : notre poésie aime le choix, et toute amitié est jalouse.
Si quelques notes s’en retiennent, ce sont celles qui s’échappent des cordes du sentiment. […] Je trouve, dans les poésies que je laissais échapper alors, une pièce qui me paraît exprimer à merveille cette situation de mon âme, et que, pour cela, je veux placer ici : STANCES. […] Tout auprès on sent le parfum des pommes qu’on récolte dans les enclos, et qui tombent sur l’herbe verte encore, parmi les larges feuilles sèches qui s’échappent des arbres secoués, comme des pluies d’or.
M. de Saci, tout de Port-Royal qu’il était, dans ses Enluminures de l’Almanach des Jésuites, n’échappe pas à cette veine persistante ; c’est ainsi que ses vers des Racines grecques iraient mieux à quelque grammairien des bas temps qu’à un contemporain de Pascal. […] Il suffit même qu’il soit dit quelque part que tel Gaulois ou tel Français a écrit quelque chose pour qu’on lui accorde un rang dans la liste et qu’on en fasse mention dans le corps de l’ouvrage ; avoir été simplement homme de lettres, ou même avoir haï et persécuté les sciences (comme l’empereur Caracalla), est un titre pour avoir un article à part, et un digne éloge ou un juste blâme. » Osons le redire à notre tour ; oui, Prévost avait raison ; échappé lui-même des Bénédictins et de leur méthode, il en parlait pertinemment. […] Il est juste pourtant d’excepter le tout premier discours sur l’état des lettres dans les Gaules, avant le christianisme ; dom Rivet, dans ce tableau général, aussi complet que le permettait l’archéologie de son temps, a échappé à l’inconvénient où est tombé M.
Les savants y ont encore échappé toutefois ; on les respecte. […] Si en effet l’on parvient à démontrer que, dès les premiers siècles de Rome, le grand pontife traçait chaque année dans sa maison, sur une table blanchie, les faits mémorables ; que ces tables sur bois ou sur pierre ne furent jamais complétement détruites, qu’elles échappèrent à l’invasion des Gaulois, et qu’elles purent être consultées par les historiens à qui l’on doit le récit de ces premiers âges, il en résulte qu’il n’y a pas lieu de tant douter sur les origines, ni de tant attribuer que l’a fait Niebuhr à l’imagination populaire, aux chants nationaux et aux légendes épiques. […] Le Clerc compare ingénieusement aux Annales des pontifes, si l’on essayait de leur rendre crédit moyennant quelque ligne en l’air, quelque à-peu-près échappé à Voltaire ou à Anquetil.
Comment Tibert le chat mangea l’andouille à la barbe de Renart, sans lui en faire part, et comment deux prêtres se disputèrent la fourrure de Tibert qui ne se laissa pas prendre : comment Renart prit Chantecler le coq, et comment Chantecler échappa des dents qui le tenaient : comment Renart eut le fromage que Tiecelin le corbeau avait dérobé à une bonne femme, et voulut avoir Tiecelin lui-même, etc. : toutes ces aventures, et d’autres encore, méritent d’être lues. […] Bien peu de récits échappent à l’incohérence et à l’absurdité. […] Ici Renart et Ysengrin s’arment pour le duel féodal ; là Brichemer le cerf revêt le haubert et porte l’écu au bras : ce qui ne l’empêche pas d’être chassé par les chiens comme un simple cerf, et pour surcroît d’étrangeté, il échappe aux chiens par la vitesse de son cheval qu’il éperonne.
Nominaliste de doctrine, mais réaliste de cœur, il semble n’échapper au nominalisme absolu que par un acte de foi désespéré. […] Il n’y a pas moyen d’échapper à ce dilemme ; ou bien la science ne permet pas de prévoir, et alors elle est sans valeur comme règle d’action ; ou bien elle permet de prévoir d’une façon plus ou moins imparfaite, et alors elle n’est pas sans valeur comme moyen de connaissance. […] Dans ce cas la proposition (2) n’est plus qu’une définition et échappe au contrôle de l’expérience ; mais alors ce sera sur la proposition (3) que ce contrôle pourra s’exercer.
Cependant l’Église parvient à ressaisir l’autorité qui lui échappait ; et au quinzième siècle des œuvres remarquables, comme l’Imitation de Jésus-Christ, comme les discours et les écrits de Gerson, attestent un réveil de la piété. […] Le contraste est d’autant plus fort que l’Église, ainsi déchue de sa royauté sur les esprits, n’a pas perdu l’appui du pouvoir séculier, et qu’elle voit les âmes lui échapper malgré les chaînes qu’elle essaie de leur forger avec l’aide de l’État. […] Critiques sévères, ils déclarent qu’il faut viser au cœur, non à l’esprit ; ils blâment ces gens qui auraient laissé déborder le torrent des vices et périr le christianisme sans s’échauffer, de peur qu’un mot bas ou familier ne vînt à leur échapper ou que la symétrie de leurs périodes ne fût rompue.
Un jour pourtant (elle venait d’avoir trente-cinq ans), elle laisse échapper comme une plainte légère : J’ai bien de la peine, écrit-elle à une amie, à m’habituer à tous changements ; l’âge, qui vient si lentement en apparence, m’a surprise précisément par cette marche sans bruit ; je crois être dans un monde nouveau, et je ne sais si l’instant de ma jeunesse fut un songe, ou si c’est à présent que le rêve commence. […] La fille de Mme Necker, celle qui allait être la célèbre Mme de Staël, grandissait déjà et lui échappait. […] Ainsi, loin de regretter le monde qui nous fuit, nous le fuyons à notre tour ; nous échappons à des intérêts qui ne nous atteignent déjà plus ; nos pensées s’agrandissent comme les ombres à l’approche de la nuit, et un dernier rayon d’amour, qui n’est plus qu’an rayon divin, semble former la nuance et le passage des plus purs sentiments que nous puissions éprouver sur la terre à ceux qui nous pénétreront dans le ciel.
Cette parole aux mains d’un seul semble bientôt une usurpation, et Rivarol, tranchant, abondant dans son sens, imposant silence aux autres, n’a rien fait pour échapper au reproche de fatuité qui se mêle inévitablement jusque dans l’éloge de ses qualités les plus belles. […] En émigrant, j’ai échappé à quelques jacobins de mon Almanach des grands hommes. » Rivarol, dès 1782, s’était attaqué à l’abbé Delille, alors dans tout son succès. […] Mais aussi ce qui honore en Rivarol l’intelligence et l’homme, c’est qu’il s’élève du milieu de tout cela comme un cri de la civilisation perdue, l’angoisse d’un puissant et noble esprit qui croit sentir échapper toute la conquête sociale : « Malgré tous les efforts d’un siècle philosophique, dit-il, les empires les plus civilisés seront toujours aussi près de la barbarie que le fer le plus poli l’est de la rouille ; les nations comme les métaux n’ont de brillant que les surfaces. » Il y a des moments où, porté par le mouvement de son sujet et par l’impulsion de la pensée sociale, il va si haut, qu’on se demande si c’est bien Rivarol qui écrit, le Rivarol né voluptueux avant tout et délicat, et si ce n’est pas plutôt franchement un homme de l’école religieuse : Le vice radical de la philosophie, c’est de ne pouvoir parler au cœur.
Heine se mêla de trop d’aventures et vibra de tant de passions que l’inanité même de ce qu’il s’était indigné de ressentir ne put lui échapper. […] Il est plutôt probable que celui-ci s’était aperçu des avanies que le judaïsme lui valait et désirait échapper à la carrière commerciale que cette confession lui imposait. […] L’impertinence de sa jeunesse, l’aptitude à jouir, la liberté de toute souffrance, cette vie heureuse et libre dont son paganisme était le symbole, lui échappaient.
Malgré ces exemples imposants, mais trop rares, trop éloignés, trop peu décisifs, le préjugé subsista longtemps, et dure encore, que la matière vivante, par sa complexité infinie, par les causes mystérieuses qui s’y manifestent, échappe à l’analyse artificielle de l’expérimentateur. […] Ne dites pas qu’il en est de même des fonctions physiologiques, dont le comment échappe à nos sens : je répondrais que le comment de la pensée nous échappe également, mais que le phénomène de la pensée nous est parfaitement connu et qu’il ne nous est connu qu’intérieurement ; bien plus, qu’il ne peut être en aucune façon représenté sous une forme objective.
Mauclair échappe au cadre de cette étude. […] Il y a, toutefois de bons critiques d’art, parmi lesquels, certains pour échapper à ce reproche et conserver leur franc-parler, refusent les « souvenirs » et les « cadeaux. » Georges Lecomte, Charles Morice, Frantz Jourdain, Camille Mauclair, Gabriel Mourey, Marius-Ary Leblond, Tristan Leclère (Klingsor), Pierre Hepp, J. […] « Soyons simples, soyons clairs, ne raffinons ni notre esprit ni notre sensibilité ; ne nous appliquons jamais à éprouver ce que les autres n’éprouvent point, car nos ouvrages échapperaient à la compréhension, et une œuvre d’art est destinée à être saisie pour être aimée.
La valeur de semblable guérison ne peut échapper à personne. […] Car l’étau formidable d’un dilemme auquel il ne peut échapper, s’il demeure à sa place, resserre à chaque minute plus étroitement ses deux mâchoires. […] Il ne peut échapper à l’un de ces deux jugements : insincère et par conséquent malhonnête, profondément méprisable ; ou imbécile, et dès lors discrédité, profondément pitoyable.
Cela est inévitable, puisqu’elle ignore tout un coté de la nature humaine et que les choses de l’esprit lui échappent entièrement. […] Amiel, auquel n’échappait aucun sentiment dont l’homme est susceptible, les a ressenties comme eux et les a souvent décrites. […] Nous remuons la matière, nous fouillons le globe, nous le parcourons en tous sens, rien ne nous échappe, hors nous-mêmes. […] Mais cet héritage allait lui échapper comme tous les autres, car la notion du progrès est dépendante de celle du bien. […] En même temps que la distinction du bien et du mal, l’interprétation de l’univers échappe à l’homme.
Karr n’échappent pas à l’épigraphe de Martial Sunt bona, sunt quædam mediocria, etc. ; il suffit qu’il y en ait de fort piquantes, en effet, et que l’auteur y fasse ; preuve en courant d’une grande science ironique des choses.
Les Elémens de l’Histoire de France en sont dignes sur-tout, parce qu’ils réunissent le mérite de l’abrégé, à l’attention de ne laisser échapper aucun fait intéressant, comme à l’art de les bien présenter.
Bien qu’elle soit divisée en octaves, l’imitation du style de la Divine Comédie n’échappera sans doute à personne. […] Entre le roi ; c’est une nouvelle et magnifique occasion de haranguer ; le marquis devenu moine n’a garde de la laisser échapper. […] S’il y a entre ce personnage et Marie de Neubourg la moindre analogie, nous avouons sincèrement qu’elle échappe à notre pénétration. […] Pour échapper aux railleries de ses laquais que Beauséant a détrompés, Claude emmène Pauline chez sa mère. […] La première partie n’est pas exacte ; quant à la seconde, elle est tellement vague, qu’elle échappe à toute discussion.
Rien n’échappe à M. de Caumartin des ridicules et de la morgue de ses dignes collègues, de même que rien n’échappe à Mme de Caumartin la jeune des différents travers et des airs guindés ou évaporés de ces dames, de celles même venues de Paris, et qui ne sont pas tout à fait de son monde. […] Après plusieurs jours de mauvais temps, et lorsqu’un rayon de soleil permet la promenade, il s’échappe volontiers et va chercher, ne fût-ce que dans quelque cloître, un lieu propice à la réflexion et à un paisible entretien. […] Un exemplaire, unique peut-être, a échappé, et l’on en a tiré une ou deux corrections utiles pour la présente édition.
Il ne leur est jamais échappé un sourire. […] Au-delà, tout m’échappe : c’est le bégayement de la folie ; c’est la nuit noire ; c’est, comme dit Baudelaire, le vent de l’imbécillité qui passe sur nos fronts. […] Aimer Dieu, c’est aimer l’âme humaine agrandie avec la joie de l’agrandir toujours et de mesurer notre propre valeur à cet accroissement — et aussi avec l’angoisse de voir cette création de notre pensée s’évanouir dans le mystère et nous échapper. […] On croit comprendre ; puis le sens échappe.