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47. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Biot » pp. 306-310

Ce n’est pas à eux, d’ailleurs, à ces hommes d’État qui ont senti à leur jour tout le poids du gouvernement, qu’il est besoin de rappeler la gravité et la mesure. […] Dans ce qu’il a dit de ses longs et patients travaux pour la mesure d’un arc du méridien, il a insisté sur les diversions littéraires que s’accordait le savant, et sur l’attention tout humaine qu’il ne cessait d’apporter à travers ses mesures et ses calculs, aux mœurs des populations parmi lesquelles il vivait.

48. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 septembre 1886. »

Le retour si surprenant d’une quarantaine de mesures du Scherzo au beau milieu du final de la symphonie en ut mineur arracha une exclamation d’admiration jalouse à Louis Spohr56, adversaire enragé de tout cet hymne triomphal. Et voici encore, au début du final de la symphonie avec chœurs, ce passage immortel où le prodigieux récitatif des basses est interrompu successivement par le retour inattendu et fugitif de quelques mesures du thème principal de chacune des trois parties précédentes. Ecoutez bien, entre autres, l’effet expressif et merveilleux de la tierce majeure des contrebasses, dont l’absence avait prêté un caractère si mystérieux aux premières mesures de la symphonie ! […] Ainsi on pourrait expliquer, en regard, l’écrasante splendeur des ouvertures71 : là, nulle règle cruelle, et le droit de ne point développer les émotions au-delà de leur mesure vécue. […] Le temps des naïves afféteries est enfui ; les âmes s’aggravent, à mesure que le siècle va.

49. (1707) Discours sur la poésie pp. 13-60

Cette mesure chez les grecs n’étoit pas uniforme ; elle varioit selon les chants sur lesquels on composoit : car toutes les odes se chantoient alors. […] Il y avoit aussi chez les latins plusieurs mesures ; mais il n’est pas certain que toutes les odes s’y chantassent. […] Cependant cette mesure ne remplit pas tout le caractére de l’ode. […] L’obscurité de ses pensées s’est accrüe à mesure que les circonstances qui y avoient rapport, se sont effacées, ou que sa langue est devenuë moins familiére. […] J’ai peine à croire que ce ne fût pas-là un vrai défaut ; car la mesure de chaque strophe avoit sans doute été ordonnée pour l’agrément, et cette mesure étoit violée, lorsqu’un sens suspendu obligeoit d’y ajouter de nouveaux nombres ; ou si l’on ne faisoit aucune violence à la mesure, ce devoit être une fatigue pour l’esprit de se sentir arrêté sur un sens interrompu.

50. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Virgile et Constantin le Grand par M. J.-P. Rossignol. »

« A mesure qu’on a plus d’esprit ; a dit Pascal, on trouve qu’il y a plus d’hommes originaux. » A mesure qu’on a plus de science et de sagacité dans l’érudition, on trouve qu’il y a plus de questions à se faire, et, là où un autre aurait passé outre sans se douter qu’il y a lieu à difficulté, on insiste, on creuse, et parfois on fait jaillir une source imprévue. […] Mais du moins, direz-vous, la mesure du grand vers qu’ils emploient leur est commune… Non pas. […] De même qu’on est disposé à mieux sentir Théocrite au sortir de ces pages, on mesure avec plus de certitude le degré précis dans lequel Virgile s’est approché du maître : car c’était bien un maître que Théocrite pour Virgile dans la poésie pastorale ; et M. 

51. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre premier. La solidarité sociale, principe de l’émotion esthétique la plus complexe »

L’agréable devient beau à mesure qu’il enveloppe plus de solidarité et de sociabilité entre toutes les parties de notre être et tous les éléments de notre conscience, à mesure qu’il est plus attribuable à ce nous qui est dans le moi. […] Selon nous, l’utilité peut constituer parfois dans les objets un premier degré de beauté très inférieure ; mais l’utilité n’est belle que dans la mesure où elle ne s’oppose pas à l’agréable, où elle est même pour ainsi dire de l’agréable fixé, de l’agréable pressenti : il faut que l’utile nous fasse jouir d’avance d’un effet qui charme. […] Cette sorte de beauté propre à l’utile peut aller s’accentuant à mesure que s’accentue la parfaite adaptation de l’objet à son usage. […] Le sentiment poétique n’est pas né de la nature, c’est la nature même qui en sort transformée en une certaine mesure. […] Vous regarderez, vous écouterez, et, dans la mesure du possible, vous-même vous aimerez.

52. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre VI. Science, histoire, mémoires »

Darwin surtout — plus mal compris à mesure qu’il était moins directement étudié — est devenu presque populaire. […] La valeur littéraire des œuvres d’érudition se mesure à deux caractères : la quantité de pensée philosophique impliquée ou suggérée ; l’intensité de vie concrète exprimée ou dégagée. […] Pour se faire scientifique, elle n’a eu qu’à se pénétrer d’érudition : à mesure que s’imposait le document, à mesure que la critique des sources et des témoignages se faisait plus rigoureuse, à mesure aussi que les ambitions se restreignaient, que se passait la mode des conceptions universelles et des symboles immenses, les historiens, ne prétendant qu’à faire fonction d’historiens, s’attachèrent à reproduire exactement, par une recherche minutieuse, l’enchaînement des faits, à en définir le caractère et la signification. […] Un doute me reste : dans quelle mesure ne lui font-ils pas expier ces dons littéraires par où il était si loin lui-même de chercher le succès ?

53. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

Il est de ce beau temps des lettres françaises par la mesure, les images modérées et justes, par l’éclat doux et égal, par les beautés antiques pensées et senties de nouveau, par le style, où il a la noblesse du grand siècle sans en avoir l’étiquette. […] Il faut lui faire une place à part, et ne pas le comparer à d’autres avec lesquels il n’a pas de commune mesure. […] Et même, à mesure que l’on s’éloigne de ces grands noms qui ont troublé et passionné nos pères, ils semblent eux-mêmes devenir à leur tour comme des classiques qui ont quelque besoin d’être protégés par la tradition contre les attaques irrespectueuses des nouvelles générations. […] Sommes-nous en mesure de juger de la part que la raison peut avoir dans des écrits que nous connaissons si mal, qui ne répondent pas à nos habitudes, à nos mœurs, à notre tournure d’esprit ? […] Peut-être notre poésie est-elle trop près de l’abstraction : habitués à cette mesure, peut-être sommes-nous disposés à croire que tout ce qui dépasse ce degré d’imagination est désordonné.

54. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Seconde partie. Des mœurs et des opinions » pp. 114-142

Ce bon goût dans les manières, cette fleur de la conversation, cette mesure en toutes choses, ce tact exquis des convenances, nous ne perdrons point tout cela tant que nous n’aurons pas renoncé à la société des femmes ; et il faut espérer que nous n’y renoncerons jamais, ou plutôt nous sommes dans cette heureuse nécessité. […] Un tel équilibre ne peut pas être le fruit d’un calcul, le résultat d’une combinaison ; car les passions, toujours irréfléchies et dépourvues de mesure, auraient bientôt franchi des barrières qui n’auraient été élevées qu’à force d’art. […] Un peuple léger, frondeur, impatient, sans prévoyance de ce que peut produire une démarche inconsidérée ; un peuple passionné, toujours disposé à vivre dans le présent, et à ne pas tenir compte des circonstances antérieures qui ont pu influer sur la conduite des hommes soumis à son éloge ou à sa critique ; un peuple enfin qui, avec un sentiment très vif de la justice, peut être si souvent entraîné à l’injustice par la violence et la spontanéité de ses passions, ou même par l’ascendant de ses caprices ; qui, avec le tact le plus exquis de la mesure et des convenances, est trop souvent jeté hors de toute mesure et de toute convenance par je ne sais quel besoin de plaisanterie, je ne sais quel attrait de frivolité : un tel peuple devrait plus qu’aucun autre être contenu dans les voies de la décence et de la modération, car il est toujours près d’en sortir. […] Quoi qu’on dise contre l’ordre de choses qui existait autrefois, il n’en est pas moins vrai qu’il résultera un grand inconvénient de cette ambition sans mesure, fruit de l’ordre de choses actuel. […] L’esprit de société, à mesure que le régime féodal s’affaiblissait parmi nous, créait une aristocratie factice et arbitraire, qui tend à son tour à devenir moins exclusive, et qui doit finir par s’éteindre, puisqu’elle n’est pas assise sur la force des choses.

55. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre IV »

. — La langue traditionnelle des poids et mesures. — La langue des métiers : la maréchalerie, le bâtiment, etc. — Beauté de la langue des métiers, dont l’étude pourrait remplacer celle du grec. […] En 1812, devant la répugnance bien naturelle du peuple, on dut permettre le retour des anciens mots proscrits qui s’adaptèrent désormais à des poids et à des mesures conformes à la loi nouvelle. […] Comme les Poids et Mesures, la plupart des métiers ont eu à subir l’assaut du gréco-français, mais la plupart ont assez bien résisté, opposant au pédantisme la richesse de leurs langues spéciales créées bien avant la vulgarisation du grec.

56. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre I. Définition des idées égalitaires »

Centres d’action et de passion, mesures de toutes valeurs et valeurs elles-mêmes absolues, nous posons les personnes humaines comme seules véritables causes et fins : à elles seules, par suite, les notions de devoir et de droit nous paraissent pouvoir s’appliquer, C’est pourquoi nous déclarons que les choses sont « utilisables », et les personnes « respectables » : la notion de à valeur des choses n’entraîne que celles de nos prétentions et de nos pouvoirs sur elles ; la notion de la valeur des personnes entraîne celles de nos devoirs envers elles. […] Reconnaître aux individus mêmes droits n’est pas demander qu’à leurs actions, pour inégales qu’elles soient, les mêmes sanctions soient réservées, mais seulement que ces sanctions soient départies à ces actions inégales suivant les mêmes poids et les mêmes mesures. […] De ce système nombre de prescriptions particulières pourraient être déduites ; si l’on voulait descendre dans le détail de l’organisation pratique, et indiquer, par exemple, les mesures qu’une société doit prendre pour ajuster, aux différentes espèces d’actions qui l’intéressent, les différentes espèces de sanctions dont elle dispose, Il faudrait déterminer et spécifier les principes que nous venons de poser.

57. (1875) Premiers lundis. Tome III « Sur le sénatus-consulte »

Une chose me frappe avant tout dans cette dernière mesure, à la différence d’autres mesures libérales plus ou moins analogues qui l’avaient précédée : c’est que celle-ci était nécessaire. […] Car figurez-vous bien, vous qui êtes des sages, une mesure commandée par l’opinion, votée par la Chambre élective, arrivant au Sénat, et le Sénat lui disant non, y opposant son vélo, un véto muet, sans vouloir donner ses raisons. […] La tentative qui va se faire, et à laquelle tous nous coopérons dans notre mesure, est grande en soi et par les intérêts qu’elle embrasse autant que délicate et difficile. […] Les vraies chances de succès n’existent que si la mesure est complète, suivie dans son véritable esprit, prévue et acceptée dans tout son développement.

58. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface du « Roi s’amuse » (1832) »

Si maintenant, après avoir établi que l’acte ministériel est odieux, inqualifiable, impossible en droit, nous voulons bien descendre pour un moment à le discuter comme fait matériel et à chercher de quels éléments ce fait semble devoir être composé, la première question qui se présente est celle — ci, et il n’est personne qui ne se la soit faite : ― Quel peut être le motif d’une pareille mesure ? […] Seulement, là où il fallait être franc, il a cru devoir l’être, à ses risques et périls, mais toujours avec gravité et mesure. […] C’est un poëte que cette même licence des théâtres révolterait et indignerait tout le premier, qui, il y a dix-huit mois, sur le bruit que l’inquisition des théâtres allait être illégalement rétablie, est allé de sa personne, en compagnie de plusieurs autres auteurs dramatiques, avertir le ministre qu’il eût à se garder d’une pareille mesure, et qui, là, a réclamé hautement une loi répressive des excès du théâtre, tout en protestant contre la censure avec des paroles sévères que le ministre, à coup sûr, n’a pas oubliées. […] À présent que la prétendue immoralité de ce drame est réduite a néant, à présent que tout l’échafaudage des mauvaises et honteuses raisons est la, gisant sous nos pieds, il serait temps de signaler le véritable motif de la mesure, le motif d’antichambre, le motif de cour, le motif secret, le motif qu’on ne dit pas, le motif qu’on n’ose s’avouer à soi-même, le motif qu’on avait si bien caché sous un prétexte. […] Sans doute, si l’on ne considère que le peu d’importance de l’ouvrage et de l’auteur dont il est ici question, la mesure ministérielle qui les frappe n’est pas grand’chose.

59. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre II. Les sensations totales de la vue, de l’odorat, du goût, du toucher et leurs éléments » pp. 189-236

Cela posé, considérons le rouge ; à mesure que l’on descend dans le spectre, la sensation du rouge diminue ; elle passe de son maximum à son minimum. Il y a donc une sensation élémentaire qui décroît à mesure que les ondes deviennent plus courtes et plus rapides. — Mais il y en a plus d’une ; car, s’il n’y en avait qu’une, à mesure qu’on avancerait vers le violet, elle faiblirait avec le raccourcissement et l’accélération croissante des ondes, et le spectre tout entier ne présenterait que les degrés d’intensité du rouge, tandis que, de fait, au minimum apparent du rouge nous voyons naître une seconde sensation distincte celle du jaune. […] Toutes les trois sont éveillées par chaque rayon du spectre ; mais chacune des trois est éveillée différemment par le même rayon. — La première est à son maximum à peu près au centre du rouge ; à mesure que l’on descend vers le violet et que les ondes deviennent plus courtes et plus rapides, son intensité diminue et approche du minimum. — La seconde est à son maximum à peu près au centre du violet ; à mesure qu’on remonte vers le rouge et que les ondes deviennent plus longues et plus lentes, son intensité diminue et approche du minimum. — La troisième est à son maximum à peu près au centre du vert ; à mesure que l’on remonte vers le rouge ou que l’on descend vers le violet, c’est-à-dire à mesure que les ondes deviennent d’abord plus longues et plus lentes, ensuite plus courtes et plus rapides, son intensité diminue et approche du minimum. — Ainsi, à mesure que, du rouge au violet, on descend tous les degrés du spectre, les trois sensations composantes varient d’un degré à chaque degré, mais chacune en un sens particulier, la première passant insensiblement du maximum au minimum, la seconde du minimum au maximum, la troisième allant d’abord du minimum au maximum, puis du maximum au minimum, ce qui explique à la fois le passage insensible par lequel, dans le spectre, chaque sensation composée se relie à la suivante, et la diversité des dix ou douze principales sensations composées78. […] Seulement nous savons que ces systèmes sont tous des ondes, et nous mesurons la vitesse de chaque onde et sa longueur ; à cause de cela, nous pouvons définir exactement le déplacement élémentaire dont la répétition forme chaque système, montrer que, d’un système à l’autre, les déplacements élémentaires ne diffèrent que par la quantité, les ramener tous à un type unique, désigner l’action élémentaire correspondante du nerf optique et du cerveau, conclure à l’existence d’une sensation optique élémentaire dont les répétitions prodigieusement rapides et multipliées constituent les sensations totales de couleur que nous remarquons en nous. — Par malheur, la chimie n’est pas aussi avancée que l’optique ; elle ne fait que constater ses systèmes de déplacements, tandis que l’autre définit et mesure les siens ; il faut attendre qu’elle puisse, comme sa rivale, figurer les événements prodigieusement petits dont elle ne sait que l’effet final. — Mais, visiblement, dans les deux cas le problème et la solution sont semblables. […] En général, un sens est un système d’écriture spontanée et de notation automatique, semblable à ces instruments de mesure dont on se sert en physique et en chimie.

60. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

Au contraire, le souvenir appris sortira du temps à mesure que la leçon sera mieux sue ; il deviendra de plus en plus impersonnel, de plus en plus étranger à notre vie passée. […] À mesure que l’impression se répète, la connexion se consolide. […] Où est en effet la commune mesure, où est le point de contact entre l’image sèche, inerte, isolée, et la réalité vivante du mot qui s’organise avec la phrase ? […] Le second, laissé à lui-même, tend à donner un souvenir actualisé, de plus en plus actuel à mesure que le courant s’accentuerait. […] Le souvenir pur, à mesure qu’il s’actualise, tend à provoquer dans le corps toutes les sensations correspondantes.

61. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

Le risque paraîtra d’ailleurs moins gros à mesure qu’on adoptera davantage le point de vue où nous nous plaçons. […] Ils renoncent à s’entrepénétrer à mesure qu’ils se figent davantage. […] Elle ne mesure pas, elle ne compte pas davantage. Pourtant la physique compte, mesure, rapporte les unes aux autres des variations « quantitatives » pour obtenir des lois, et elle réussit. […] Le premier est une loi quantitative, et par conséquent relative, en partie, à nos procédés de mesure.

62. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, le 8 décembre 1885. »

Le tableau ci-joint renferme les quatre-vingt-trois principaux motifs des Maîtres Chanteurs : j’ai relevé mesure à mesure, note à note, leur signification d’après la situation qu’ils soulignaient, le nombre de fois et la forme sous laquelle ils se montraient. […] Si l’on tient compte du nombre de mesures, de l’étendue moyenne de chaque forme musicale, du nombre de fois que cette forme se présente, on pourra voir que si l’on sectionnait tout l’opéra au moyen de coupes successives, comme au microtome, on rencontrerait ce motif au moins une fois dans une coupe de trois mesures, dix-huit centièmes d’épaisseur. […] Dans les seuls Maîtres Chanteurs, en éliminant les passages où la situation même exige le chant proprement dit, sur 4162 mesures pendant lesquelles on doit parler, la proportion des mesures où le langage est simplement noté selon la musique propre à la langue allemande n’est pas moindre de 96 %. […] David dit que pour être maître il faut trouver « un nouveau mode », et c’est ce mode que chante Eva dans le quintette, page 315, sixième mesure. […] » Il y a là en quelques mesures toute une fine psychologie musicale.

63. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 48, des estampes et des poëmes en prose » pp. 484-485

Ils sont des poëmes à la mesure et à la rime près. […] De même nous avons l’obligation à la poësie en prose, de quelques ouvrages remplis d’avantures vrai-semblables et merveilleuses à la fois, comme de préceptes sages et praticables en même-temps, qui n’auroient peut-être jamais vû le jour, s’il eut fallu que les auteurs eussent assujetti leur génie à la rime et à la mesure.

64. (1874) Premiers lundis. Tome II « Deux préfaces »

Dès qu’on cherche l’homme dans l’écrivain, le lien du moral au talent, on ne saurait étudier de trop près, de trop bonne heure, tandis et à mesure que l’objet vit. […] Mais dans ces charmants écrits de moyenne mesure, les renseignements critiques, précieux et fins sont mis en œuvre avec intérêt et art. […] Au milieu de tant de mesures glissantes que nous avions à garder, et de la séduction de l’art même, qui n’est pas le moindre écueil, le vrai est resté notre souci principal.

65. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Renou » pp. 301-307

Malgré ma prédilection pour le poëte grec, l’Amphitrite du poëte latin me paraît plus grande encore que sa Discorde, dont le grand critique ancien a dit qu’elle était moins la mesure de la déesse que celle de l’élévation du poëte. […] Il me donne la mesure des deux bras de son Amphitrite, par l’immensité des rivages qu’ils embrassent ; et, ces deux bras une fois imaginés d’après ce module, d’après le rythme énorme du poëte, d’après le cheminer de ce longo margine terrarum, ce porrexerat qui ne finit point, cet emphatique et majestueux spondaïque Amphitrite , sur lequel je me repose, le reste de l’image s’étend au-delà de la capacité de ma tête. […] Homère a dit : autant l’œil mesure d’espace dans le vague des airs, autant les célestes coursiers en franchissent d’un saut ; et c’est moins la force de la comparaison que la rapidité des syllabes en franchissent d’un saut, qui excite en moi l’idée de la célérité des coursiers. Lucrèce a dit que les mortels opprimés gémissaient sous l’aspect menaçant de la religion, quoe caput a coeli… etc. changez le vers spondaïque en un vers ordinaire ; rétrécissez le lieu de la scène, en substituant à regionibus une expression petite et légère ; au lieu de ostendebat qui étend sans fin la durée de la prononciation et avec elle la mesure de la tête du monstre, dites montrait ; au lieu d’une tête isolée peignez la figure entière, et il n’y aura plus d’effet.

66. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse sociologique »

Assurément les petits maîtres hollandais représentent assez exactement l’époque bourgeoise et gaillarde dans laquelle ils vivaient, comme nos classiques sont pour la plupart d’excellents résumés de l’élégance et de la mesure de la cour qu’ils fréquentaient. […] L’on pourrait aisément montrer que l’influence des circonstances ambiantes, notable mais non absolue au début des littératures et des sociétés, va décroissant à mesure que celles-ci se développent, et devient presque nulle à leur épanouissement. […] La vie est une résistance et une ségrégation, ou mieux encore une adaptation défensive, négative, antagoniste aux actions du dehors et tendant à le devenir de plus en plus à mesure qu’elle s’élève davantage. […] Encore une fois, l’influence de l’habitat est probable, bien que très faible et longue à se faire sentir ; mais quant au mode par lequel elle opère, quant à la mesure dans laquelle elle se marque, nous ne savons rien et nous ne pouvons rien déduire de ce facteur inconnu à ces effets problématiques. […] Simon, La Mesure du développement de l’intelligence chez les jeunes enfants, 1917).

67. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

Quand on nous peint un état d’âme avec l’intention de le rendre dramatique ou simplement de nous le faire prendre au sérieux, on l’achemine peu à peu vers des actions qui en donnent la mesure exacte. […] Et à l’efficacité de la leçon se mesure précisément la vérité de l’œuvre. […] La vanité inclinera d’ailleurs ici à devenir solennité à mesure que la profession exercée renfermera une plus haute dose de charlatanisme. […] Ces jeux d’esprit évoluent d’ailleurs vers le jeu de mots à mesure que les relations établies entre les idées deviennent plus superficielles : peu à peu nous arrivons à ne plus tenir compte du sens des mots entendus, mais seulement du son. […] Il n’est pas rare qu’on observe dans le rêve un crescendo particulier, une bizarrerie qui s’accentue à mesure qu’on avance.

68. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre III. Le cerveau chez l’homme »

Ici il n’est plus guère possible de peser directement des cerveaux, car on n’a pas facilement à sa disposition un cerveau de Chinois, de Nègre ou de Hottentot ; mais à défaut de cerveaux on a des crânes, et au lieu de peser les uns, ou prend la mesure des autres21. […] « D’autres, disait-il, emplissent des crânes de millet desséché qu’ils pèsent ensuite, et, comparant les poids obtenus, ils s’imaginent avoir découvert la mesure de la capacité intellectuelle des différentes races. […] Tels sont les faits favorables à l’hypothèse qui mesure la pensée au poids. […] Sans doute le poids exceptionnel du cerveau du Byron et de celui de Cuvier donne à réfléchir ; mais les exceptions sont trop importantes pour que l’on puisse trouver dans la mesure du crâne ou dans le poids du cerveau les éléments d’une loi positive. […] La troisième, qui est la méthode Morton, d’après le nom du naturaliste américain qui s’en est servi le premier, consiste à remplir le crâne de petit plomb de chasse à grains parfaitement égaux ; on vide ensuite le plomb dans un cylindre gradué, qui donne la mesure cherchée.

69. (1913) Le bovarysme « Avertissement »

Il semble que si telle décision était prise, que si telle mesure était exécutée, que si l’on voulait telle et telle chose, toute la suite des événements serait modifiée, et on oublie que les choses sont telles précisément parce que telle résolution ne peut plus être adoptée, parce que tel vouloir n’est plus possible. […] On trouvera donc, au cours de cet ouvrage, composé avec des mots, quelque trace de cette humeur où une volonté humaine, c’est-à-dire malléable, et sujette à changer sous l’empire de causes qu’elle ignore, se prend pour la mesure, des choses.

70. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre II. Les directions divergentes de l’évolution de la vie. Torpeur, intelligence, instinct. »

L’auteur qui commence un roman met dans son héros une foule de choses auxquelles il est obligé de renoncer à mesure qu’il avance. […] Si la vie réalise un plan, elle devra manifester une harmonie plus haute à mesure qu’elle avancera plus loin. […] C’est dire que l’organisme le plus humble est conscient dans la mesure où il se meut librement. […] Elle mesure l’écart entre la représentation et l’action. […] Elle mesure l’écart entre ce qui se fait et ce qui pourrait se faire.

71. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (3e partie) » pp. 365-427

Par la moyenne de 11 mesures, instituées à l’aide d’un appareil prismatique, sir John Herschel trouva que la pleine Lune est 27 408 fois plus brillante que α du Centaure. […] « Je me sens saisi devant tes œuvres, non-seulement de ce tressaillement sacré qui m’écrase d’enthousiasme devant tes immensités et tes perfections réunies, mais encore de la passion de te rendre gloire dans tes ouvrages, comme un insecte qui, ayant vu la trace du pied d’un géant imprimée sur le sable, s’arrête épouvanté d’admiration, la mesure, l’adore et la baise, comme une mesure de la grandeur de l’Être inconnu, — avant de la décrire pour lui et pour les autres. […] Puis naissent à droite et à gauche deux branches ou deux bras qui grandissent rapidement : on dirait des ruisseaux de séve qui coulent et durcissent à mesure. […] Ces anneaux s’élargissent à mesure que le parasite grandit, et vont soutenir jusque dans les airs sa couronne de feuillage mêlée à celle de la victime, qu’ils tuent à la longue en arrêtant le cours de la sève. […] On voit alors que ce sont les racines qui sont sorties de terre sur tout le périmètre de la base et qui ont monté peu à peu, à mesure que la hauteur croissante de l’arbre exigeait un point d’appui plus solide.

72. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre II : Rapports de l’histoire de la philosophie avec la philosophie même »

On peut donner de l’existence des systèmes en philosophie une explication plus scientifique et plus profonde en disant qu’ils ne sont que des hypothèses provisoires destinées à lier les phénomènes connus, à en rendre compte dans la mesure de notre expérience et de notre science, à susciter même la recherche de faits nouveaux et inconnus qui viennent soit vérifier, soit renverser l’hypothèse reçue. A mesure que les sciences font plus de progrès, il faut avoir recours à des hypothèses de plus en plus vastes qui sont renversées par d’autres, et ainsi de suite à l’infini. […] Jusqu’où l’est-elle, et dans quelle mesure ? […] Le philosophe, qui mesure ses forces à son ambition et à son désir, voudrait tout embrasser, tout observer, tout dévorer d’un seul coup ; mais, comme dit le spirituel Emerson, « la bouchée est trop grosse. » Il faut se résigner à en laisser. […] Plus scientifique quant à la forme, la philosophie moderne est moins vraie que la philosophie antique : car la vérité ne se mesure pas à la rigueur apparente de la méthode, mais au don naturel qui nous la fait sentir et goûter.

73. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre I. La demi-relativité »

Cette contraction, naturellement, atteint aussi bien la règle avec laquelle on mesure l’objet que l’objet lui-même. […] À vrai dire, dans toutes les mensurations terrestres de la vitesse de la lumière, c’est le double trajet du rayon que l’on mesure. […] Mais il en est de même alors du mètre que je porte sur elles ; et comme la mesure de ces longueurs, à l’intérieur de mon système, est leur rapport au mètre ainsi déplacé, cette mesure doit rester ce qu’elle était. […] Il y a pourtant un cas où je devrai tenir compte de tes indications et modifier mes mesures. […] Étant donné deux dispositifs quelconques, naturels ou artificiels, servant à la mesure du temps, étant donné par conséquent deux mouvements, on pourra appeler zéro n’importe quel point, arbitrairement choisi comme origine, de la trajectoire du premier mobile.

74. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre III. L’antinomie dans la vie affective » pp. 71-87

Dans la mesure où les différences sentimentales entre individus tiennent à des différences de culture, l’éducation peut assurément tenter de diminuer ces différences et d’uniformiser les sensibilités. […] Et dans la mesure où elle dépend de ces causes et conditions sociales, on peut admettre aussi que cette désharmonie peut être diminuée par une organisation sociale meilleure, par une intégration plus parfaite, par une éducation mieux comprise. […] Cet individualisme consiste à cultiver nos sentiments dans la mesure de notre richesse d’âme, à développer notre faculté de jouir et de souffrir sous ses formes les plus complexes et les plus élevées, à nous intéresser à la vie la plus riche et la plus belle. […] Ils sont, en partie, en communauté de sentiments avec leur groupe et ce n’est que dans la mesure où ils éprouvent un désir de sociabilité supérieur à celui de la foule qu’ils se séparent d’elle.

75. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 1. Éléments et développement de la langue. »

A mesure que la pensée et la science élargissent ces étroits cerveaux et en éveillent l’activité, à mesure aussi que les lettrés prennent l’habitude d’user de la langue vulgaire, la première provision de mots préparée par le peuple ne suffira plus. […] Puis de tous les côtés, sur toutes les frontières, à mesure que les rois rattachaient de nouveaux territoires à leur couronne, la langue française faisait, elle aussi, des conquêtes, disputant leur domaine avec plus ou moins de succès tantôt au celtique, tantôt à l’allemand, tantôt à l’italien, et tantôt au basque : de langue officielle et administrative, tendant partout à être langue de la littérature et des classes cultivées.

76. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre V. Que l’incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. »

Les ouvrages de Racine, devenant toujours plus purs à mesure que l’auteur devient plus religieux, se terminent enfin à Athalie. […] Pour garder aussi bien les convenances, pour n’être jamais ni trop haut ni trop bas, il faut avoir soi-même beaucoup de mesure dans l’esprit et dans la conduite. […] Aussi le dix-huitième siècle diminue-t-il chaque jour dans la perspective, tandis que le dix-septième semble s’élever, à mesure que nous nous en éloignons ; l’un s’affaisse, l’autre monte dans les cieux.

77. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Léon Bloy »

Transporté de honte pour le compte du genre humain, cet homme, qui était un écrivain du talent le plus élevé, résolut d’arracher, dans la mesure de ses forces, Christophe Colomb à la destinée de silence et d’ingratitude qui pesait depuis près de quatre siècles sur sa mémoire, et qui avait mis la grandeur de l’oubli en proportion avec la grandeur du service rendu par lui au monde tout entier. […] Et cette occasion éclatante fut la béatification de Christophe Colomb, dans laquelle il a montré, contre les vils chicaneurs de cette grande mesure, projetée par Pie IX, la toute-puissance des coups qu’il pouvait leur porter et qu’on lui connaissait, mais encore une autre toute-puissance qu’on ne lui connaissait pas ! […] Otez, en effet, par la pensée, la personnalité de Christophe Colomb de la synthèse du monde, que, seule, l’Église embrasse, et que seule elle explique, et il ne sera plus qu’un homme à la mesure de la grandeur humaine ; mais avec l’Église et faisant corps avec elle, il devient immédiatement le grand homme providentiel, le bras charnel et visible de Dieu, prévu dès l’origine du monde par les prophètes des premiers temps… Les raisons de cette situation miraculeuse dans l’économie de la création, irréfragables pour tout chrétien qui ne veut pas tomber dans l’abîme de l’inconséquence, ne peuvent pas, je le sais, être acceptées par les esprits qui chassent en ce moment systématiquement Dieu de partout ; mais l’expression de la vérité, qu’ils prennent pour une erreur, est si grande ici, qu’ils seront tenus de l’admirer.

78. (1903) La pensée et le mouvant

Les systèmes philosophiques ne sont pas taillés à la mesure de la réalité où nous vivons. […] Nous nous y essayâmes dans la mesure de nos forces. […] La superposition de partie à partie en vue de la mesure est donc impossible, inimaginable, inconcevable. […] La ligne qu’on mesure est immobile, le temps est mobilité. […] Mais on ne connaît, on ne comprend que ce qu’on peut en quelque mesure réinventer.

79. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Il n’est pas étonnant que de si hautes séductions agissent sur les intelligences d’élite et les attirent vers ces sujets nouveaux, si grands et toujours grandissants à mesure que l’on s’en approche, semblables à ces montagnes qui paraissent s’élever devant les yeux du voyageur, à mesure qu’elles s’abaissent sous ses pas. […] Aujourd’hui que ces tentatives se renouvellent parmi nous, il est intéressant de se demander dans quelle mesure et à quelles conditions la science moderne, si vaste et si complexe, peut devenir l’objet et la matière de la poésie. […] Ce désavantage d’une langue poétique trop limitée, trop générale et trop vague, est sensible même chez André Chénier. — La difficulté n’aurait fait que croître à mesure qu’il aurait avancé dans son Hermès et pénétré plus profondément dans l’exposition savante ; cette difficulté serait peut-être devenue insurmontable, au moins dans quelques-uns des sujets qui entraient dans son plan. […] Un succès, même incomplet, cherché et obtenu à cette hauteur, honore un talent, mesure un courage et provoque, avec la plus sérieuse sympathie, un examen approfondi. […] Mais nous sommes soumis à la loi de l’attraction qui nous fixe sur un sol déterminé ; les autres hommes nous disputent cette place ; il faut que chacun mesure à chacun l’espace qu’il occupera : Toujours d’un droit qui naît une liberté meurt.

80. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « J.-J. Weiss  »

En détournant un peu de son sens le vieil axiome que « l’homme est la mesure des choses », on pourrait dire que chaque critique est lui-même la mesure des œuvres qu’il apprécie ; car, quoi qu’on fasse, une œuvre est bonne ou mauvaise selon qu’elle plaît ou déplaît à celui qui la juge. […] Le critique, d’abord, doit avoir ou se donner les sentiments, la disposition d’esprit de la majorité des « honnêtes gens » et des lettrés — ou même de la foule dans certains cas où la foule est compétente  en sorte que sa mesure particulière ait des chances d’être aussi celle du grand nombre. Mais surtout, s’il est vrai qu’il ne puisse appliquer aux ouvrages de l’esprit une autre mesure que la sienne, il faut du moins qu’il n’en ait qu’une ; car, s’il en a plusieurs, il n’en a plus. […] Weiss, n’est point de subir ou de copier la réalité, mais de la dominer, de la pétrir, soit en des œuvres d’art, soit par l’action matérielle ; c’est de lui imposer, dans la mesure où on le peut, la forme de son rêve.

81. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IV : M. Cousin écrivain »

C’est le style qui, en donnant la mesure de sa force et de sa faiblesse, fait prévoir ses mérites et ses erreurs. […] Qui leur a montré, par-delà les limites et sous le voile de l’univers, un Dieu caché, mais partout présent, un Dieu qui a fait le monde avec poids et mesure, et qui ne cesse de veiller sur son ouvrage, un Dieu qui a fait l’homme parce qu’il n’a pas voulu retenir dans la solitude inaccessible de son être ses perfections les plus augustes, parce qu’il a voulu communiquer et répandre son intelligence, et, ce qui vaut mieux, sa justice, et, ce qui vaut mieux encore, sa bonté ? […] Or la netteté du style mesure la netteté des idées ; la netteté des idées mesure la justesse des raisonnements ; la justesse des raisonnements mesure l’autorité méritée par les doctrines.

82. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

Alors, Beethoven s’assit au piano et joua quelques mesures d’un de ses adagios. […] Sa décadence s’accentue à mesure que l’esprit, le génie de la Musique s’éloigne d’elle. […] Quinze mesures ! […] Combien de nos musiciens pratiquants sont capables de comprendre le rythme autrement que mesure par mesure ? […] Il suffît de savoir que suivant une tradition d’école, du temps de Bach la mesure à quatre temps, 4/4, était considérée comme la mesure normale, et que le mouvement de ce 4/4 correspondait aux battements du pouls.

83. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Rollin. » pp. 261-282

Entre ces diversités d’écoles et de méthodes, et en regard d’une société brillante, polie, éclairée, mais plus empressée chaque jour de jouir des plaisirs de l’esprit sans désormais les payer par trop de peine, il y avait évidemment pour l’Université à trouver une mesure d’innovation qui conciliât les mœurs, la discipline, la tradition classique, et j’oserai dire déjà, la promptitude et la facilité modernes. […] Pourtant ce fut lui qui, à la fin, rencontra cette mesure si délicate et si rare, qui l’introduisit, qui la montra possible par ses écrits, qui l’offrit vivante dans sa personne, et qui, sur la pente nouvelle où l’Université, bon gré mal gré, se trouvait conduite, l’inclina doucement aux réformes utiles, lui ménageant un dernier âge fécond encore et prospère. […] Les Histoires de Rollin ont été dans le temps un service et un bienfait du même genre ; à mesure qu’il les composait, l’auteur découvrait en lui et déployait aux yeux de tous un véritable talent d’ampleur, de développement et de récit, qui s’est soutenu jusqu’à la fin, et qui a charmé le public durant bien des années. […] C’est dans cette vue et dans cette mesure, et en les rapportant toujours au Suprême Auteur, qu’il conseillait les études physiques. […] Elle ne transmettra point ces traditions qui sont l’honneur des familles, ni ces bienséances qui défendent les mœurs publiques, ni ces usages qui sont le lien de la société ; elle marche vers un terme inconnu, entraînant avec elle nos souvenirs, nos bienséances, nos mœurs, nos usages ; et les vieillards ont gémi de se trouver plus étrangers, à mesure que leurs enfants se multipliaient sur la terre.

84. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — I »

Toutes les hymnes si vives et si ferventes dont nous venons de parler, déposeraient assez contre une telle interprétation, et le poète lui-même prend soin de réduire ses doutes et ses craintes à leur juste mesure, en disant quelque part : Ah ! […] s’accordent à reconnaître, jusqu’à un certain point, plus de doutes et de tentations à mesure qu’on est plus avancé, tandis qu’à un degré inférieur, l’âme encore faible et tout éblouie de son passage de la nuit au jour, ne sait plus, pendant quelque temps, distinguer les ombres. […] La foule qui s’ouvre à mesure La flatte encor d’un long coup d’œil, Et la poursuit d’un doux murmure Dont s’enivre son jeune orgueil  Et moi je souris et je passe !

85. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre III : Règles relatives à la distinction du normal et du pathologique »

Encore peut-on se demander si l’insuffisance pratique de cette dernière ne doit pas aller en diminuant, à mesure que les lois qu’elle établit exprimeront de plus en plus complètement la réalité individuelle. […] D’ailleurs, les événements qui se produisent au cours de la vie sociale et qui se répètent à peu près identiquement dans toutes les sociétés du même type, sont beaucoup trop variés pour qu’il soit possible de déterminer dans quelle mesure l’un d’eux peut avoir contribué à hâter le dénouement final. […] Rien n’est bon indéfiniment et sans mesure. […] Spencer, c’est notre centralisation administrative, c’est l’extension des pouvoirs gouvernementaux qui est le vice radical de nos sociétés, et cela quoique l’une et l’autre progressent de la manière la plus régulière et la plus universelle à mesure qu’on avance dans l’histoire. […] Il ne s’agit plus de poursuivre désespérément une fin qui fuit à mesure qu’on avance, mais de travailler avec une régulière persévérance à maintenir l’état normal, à le rétablir s’il est troublé, à en retrouver les conditions si elles viennent à changer.

86. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « I. Leçon d’ouverture du Cours d’éloquence française »

Ce qui me frappe le plus dans ces études, c’est le scrupule et la mesure dont elles font preuve. […] S’il est docile aux textes, il n’y est pas crédule ; il les sonde scrupuleusement, il les interprète avec mesure. Ce n’est pas cette mesure timide des gens de goût poli qui masquent ou nient volontiers les réalités laides, et qui aiment à voir en beau les écrivains dont ils s’occupent. La mesure de Larroumet dérive d’une méthode exacte, attentive à doser la quantité de certitude impliquée dans un texte.

87. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre IX. La pensée est-elle un mouvement ? »

Nous ne sommes pas en mesure de discuter ici cette séduisante et redoutable doctrine. […] Ce qui est n’est pas la mesure de ce qui peut être. […] Il est donc quelque chose d’essentiellement central qui recule à mesure qu’on s’en approche davantage, et qui échappe à toute division, à toute mesure, à toute destruction.

88. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VII. Les hommes partagés en deux classes, d’après la manière dont ils conçoivent que s’opère en eux le phénomène de la pensée » pp. 160-178

Dans le premier cas, l’invention du langage serait un résultat nécessaire de la forme même, si l’on peut parler ainsi, de notre intelligence : les langues seraient alors comme un ensemble de signes convenus, devenu graduellement plus ou moins complet, graduellement perfectionné, à mesure que de nouveaux besoins se seraient fait sentir. […] Il est très probable que la seconde classe s’est graduellement augmentée, à mesure que la musique s’est retirée de la poésie ; ensuite à mesure que la parole écrite s’est répandue : et maintenant cette seconde classe est devenue la plus nombreuse, sans aucune contestation. […] Mes conseils, au reste, pour parvenir à la réconciliation des partis, doivent plutôt s’adresser aux enthousiastes des idées nouvelles ; car je crois que la mesure et la modération sont nécessaires, surtout au parti vainqueur.

89. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « a propos de casanova de seingalt  » pp. 510-511

a propos de casanova de seingalt Il ne faut pas avoir beaucoup vécu et observé, pour savoir que, s’il est de nobles êtres en qui le sentiment moral domine aisément et règle la conduite, il y a une classe assez nombreuse d’individus qui en sont presque entièrement dénués et chez qui cette absence à peu près complète permet à toutes les facultés brillantes, rapides, entreprenantes, de se développer sans mesure et sans scrupule. […] Un certain nombre, qui ne possèdent ces hautes facultés qu’inégalement ou selon une mesure assez moyenne, sont favorisés dans leur honorable ténacité, par le peu de tentation que leur donnent à droite ou à gauche les facultés mobiles et divertissantes, presque nulles chez eux.

90. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 264-267

Mais c’étoit un fait dont j’avois été long-temps témoin oculaire ; & c’est ce que je suis en état de prouver par plusieurs lettres de Madame de la Fayette, & par l’original du manuscrit de Zaïde, dont elle m’envoyoit les feuilles à mesure qu’elle les composoit ». […] Huet, à mesure qu’on les composoit : Segrais étoit alors logé chez elle, & cette Dame n’avoit que la peine d’écrire ou de transcrire.

91. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre III. De la survivance des images. La mémoire et l’esprit »

Peu à peu il apparaît comme une nébulosité qui se condenserait ; de virtuel il passe à l’état actuel ; et à mesure que ses contours se dessinent et que sa surface se colore, il tend à imiter la perception. […] Le même instinct, en vertu duquel nous ouvrons indéfiniment devant nous l’espace, fait que nous refermons derrière nous le temps à mesure qu’il s’écoule. […] La diminution apparente de la mémoire, à mesure que l’intelligence se développe, tient donc à l’organisation croissante des souvenirs avec les actes. […] Nous tendons à nous éparpiller en AB à mesure que nous nous détachons davantage de notre état sensoriel et moteur pour vivre de la vie du rêve nous tendons à nous concentrer en S à mesure que nous nous attachons plus fermement à la réalité présente, répondant par des réactions motrices à des excitations sensorielles. […] Ces points brillants se multiplient à mesure que se dilate notre mémoire.

92. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « La princesse des Ursins. Ses Lettres inédites, recueillies et publiées par M. A Geffrot ; Essai sur sa vie et son caractère politique, par M. François Combes » pp. 260-278

Nouvelle provocation indirecte, nouvelle insinuation (29 mars 1701) : Je ne dois, madame, vous laisser ignorer aucune des mesures que je prends pour faire réussir mon projet, puisque vos conseils me sont si nécessaires et que j’attends de votre activité la meilleure partie du succès de cette affaire. […] Cet aimable cardinal croit, comme j’ai cru, que Sa Majesté (Louis XIV) doit décider de mon sort ; mais, malheureusement, je vois qu’il dépend d’un autre (le duc de Savoie) ; de quoi je n’ose rien me promettre, par les raisons que je vous ai déjà dites, à moins que du côté de la Cour on n’ait la liberté de prendre quelques mesures pour cela avec lui. […] Un moment elle craint que le peu de contentement où l’on est à la Cour de France de certains procédés équivoques habituels au duc de Savoie, ne fasse renoncer aux vues qu’on avait sur la princesse sa fille : « Si cette nouvelle est véritable, écrit Mme des Ursins, je vous supplie très humblement, madame, de m’informer sur ce qui pourra venir à votre connaissance, afin que je puisse prendre mes mesures de bonne heure. » Mais bientôt elle apprend que tout tient et achève de se conclure ; en attendant, elle ne s’en est pas fiée aux simples insinuations auprès de la cour de Turin ; elle a écrit, elle s’est décidément offerte. […] Je ne sais plus quelles autres mesures prendre pour assurer davantage la réussite de cette affaire : il ne me reste, ce me semble, qu’à supplier Mme de Maintenon de m’honorer de ses bons offices auprès de Sa Majesté, et c’est ce que je vous prie de vouloir bien faire. […] on mesure le chemin qu’avait parcouru dans l’intervalle cette femme capable, énergique, et qui, comme la plupart des grands ambitieux, avait eu beaucoup à user de sa souplesse dans l’intérêt de son orgueil.

93. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre I. François Rabelais »

Il y a quelque chose de lui peut-être dans le cinquième livre, qui parut seulement en 1562, à l’époque des polémiques sans mesure, quand déjà les passions s’armaient : mais dans l’ensemble, cette satire âpre, directe, lourde, si peu riante, est d’un autre homme et d’un autre temps. […] Car voilà le trait dominant et comme la source profonde de tout son génie : il a aimé la vie, plus largement, plus souverainement qu’aucun de ses ancêtres ou descendants intellectuels, comme on pouvait l’aimer seulement en ce siècle, et à cette époque du siècle, dans la première et magnifique expansion de l’humanité débridée, qui veut tout à la fois, et tout sans mesure, savoir, sentir, et agir. […] Non pas ce méticuleux réalisme, cette petite doctrine d’art qui prend les mesures de toutes choses, et croirait tout perdu si elle avait allongé ou raccourci d’une ligne les dimensions des choses. […] Non, mais Rabelais a conscience de la force infinie de la nature : telle qu’il la saisit en lui, puissante, active, voulante, telle il la sent partout ; à quoi bon chiffres et mesures ? […] L’action est la mesure de la vie.

94. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre quatrième. L’idée du temps, sa genèse et son action »

Mesure du temps. […] La mesure d’enveloppement détermine le sentiment de la durée occupée ». […] On la mesure en superposant directement une étendue à une étendue et en comparant l’étendue avec de l’étendue. […] En outre, si vous y regardez de plus près, vous voyez que, même dans cet essai intérieur de mesure grosso modo, pour pouvoir comparer deux durées, vous êtes obligé de vous représenter la durée prise pour mesure ; or, comment vous la représenterez-vous ? […] Réduit à une durée sans espace, vous ne pourriez arriver à aucune mesure.

95. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé au nom de l’Académie des inscriptions et belles-lettres aux funérailles de M. .Villemain »

L’étude de l’antiquité n’était pas pour lui une simple recherche de curiosité ; il demandait aux anciens des exemples et des leçons, des exemples de l’association intime du bien faire et du bien dire, des leçons de goût, de mesure, d’honnêteté, données avec l’autorité du génie. […] Villemain reçoit les feuilles savantes à mesure qu’elles sont imprimées, et en donne cette traduction où l’on trouve revêtues du plus beau style les plus profondes idées qu’on ait jamais émises sur la constitution de la société civile.

96. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VIII. Du crime. »

L’ambition, la soif du pouvoir, ou tout autre sentiment excessif, peut faire commettre des forfaits, mais lorsqu’ils sont arrivés à un certain excès, il n’est aucun but qu’ils ne dépassent ; l’action du lendemain est commandée par l’atrocité même de celle de la veille ; une force aveugle pousse les hommes dans cette pente une fois qu’ils s’y sont placés ; le terme, quel qu’il soit, recule à leurs yeux à mesure qu’ils avancent ; l’objet de toutes les autres passions est connu, et le moment de la possession promet du moins le calme de la satiété. Mais dans cette horrible ivresse, l’homme se sent condamné à un mouvement perpétuel ; il ne peut s’arrêter à aucun point limité, puisque la fin de tout est du repos, et que le repos est impossible pour lui ; il faut qu’il aille en avant, non qu’au-devant de lui l’espérance apparaisse, mais parce que l’abîme est derrière, et que, comme pour s’élever au sommet de la montagne Noire, décrite dans les Contes Persans, les degrés sont tombés à mesure qu’il les a montés. Le sentiment dominant de la plupart de ces hommes est sans doute la crainte d’être punis de leurs forfaits ; cependant il y a en eux une certaine fureur qui ne leur permettrait pas d’adopter les moyens les plus sûrs, s’ils étaient en même-temps les plus doux ; ce n’est que dans les crimes présents qu’ils cherchent la garantie des crimes passés ; car toute résolution qui tendrait à la paix, à la réconciliation, fut-elle réellement utile à leurs intérêts, ne serait jamais adoptée par eux ; il y aurait dans de telles mesures une sorte de relâchement, de calme incompatible avec l’agitation intérieure, avec l’âpreté convulsive de tels hommes.

97. (1927) Approximations. Deuxième série

Vous êtes bien la mesure du monde, dont mon âme ne me présente que le dehors. […] De retour en France, c’est Shakespeare encore que je retrouve avec Le Songe d’une Nuit d’été et Mesure pour mesure. […] Mesure pour mesure en revanche, si l’on excepte l’unique représentation qu’organisa naguère Lugné-Poë, affronte pour la première fois la scène française, et dans une version nouvelle due à Guy de Pourtalès. […] Dans quelle mesure est-ce un devoir de penser contre soi-même ? Dans quelle mesure en revanche convient-il de ne pas outrepasser à cet égard ?

98. (1906) L’anticléricalisme pp. 2-381

Ils brisent davantage à mesure qu’ils ont les mains plus faibles. […] On y parvint à très peu près, dans toute la mesure du possible. […] Elle a été une mesure de représailles et de vengeance. […] Ce qui est pour vous, ce qui est en soi le défaut de la mesure en est pour eux la raison d’être. […] Ici encore, ce qui est le défaut de la mesure en est le principe pour ceux qui la proposent.

99. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — De l’état de savant. » pp. 519-520

Si une nation n’est pas instruite, peut-être sera-t-elle nombreuse et puissante, mais elle sera barbare, et l’on ne me persuadera jamais que la barbarie soit l’état le plus heureux d’une nation, ni qu’un peuple s’achemine vers le malheur à mesure qu’il s’éclaire ou se civilise ou que les droits de la propriété lui sont plus sacrés. […] A peine l’Université fut-elle établie parmi nous que le nombre de ses collèges s’accrut sans mesure ; les grands seigneurs suivirent l’exemple du souverain et ils en fondèrent que nous détruisons aujourd’hui.

100. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 novembre 1886. »

En laissant de côté plusieurs exemples moins importants, nous trouvons dans les dernières mesures du cycle A l’amante absente de Beethoven et dans la merveilleuse Marguerite au rouet de Schubert des retours pleins de signification poétique. […] Les quelques mesures précédant le début de la fameuse scène d’amour dans Roméo (1839), ce spécimen si curieux d’un genre hybride, à moitié symphonie descriptive, à moitié oratorio, sont composées, dans un rhytme différent, des réminiscences du motif de l’Allégro de la Fête entonnées derrière la scène par les jeunes Capulets revenant du bal. […] Dans sa composition pour le Manfred de lord Byron (1848), Schumann a même introduit, dès le début de l’Ouverture, une phrase courte, sorte de motif d’Astarté, qui surgit dans les quelques mesures après la disparition du fantôme de la bien-aimée, et dans les dernières mesures de l’œuvre, pendant que les accents du Requiem se perdent dans le lointain. […] » et ensuite la modification des premières mesures du chant de Valentine : « Quoi, Raoul », lorsque celui-ci, vers la fin de l’acte, s’agenouille devant Valentine évanouie, pendant que le hautbois solo, soutenu par les violons et les altos en sourdine, reprend plaintivement les lambeaux de cette mélodie en un mouvement très ralenti. […] En somme vous êtes en mesure d’annoncer comme probable la visite de la troupe à Paris.

101. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

Ce sont les individus qui, dans le degré et la mesure où ils en jouissent, les font plus ou moins préférables et supérieures. […] Villemain, et paraissait s’entendre avec lui sur la mesure des renouvellements et le maintien de l’art. […] Travaillons donc, selon notre mesure, à approcher de ceux-là ; travaillons à en être, à garder l’art, le style, le bien-dire. […] Ces Portraits, dans lesquels je cherchais surtout la ressemblance et la fidélité par la mesure des dons naturels et du mérite, par le juste rapport des tons et des couleurs, étaient souvent une surprise pour le modèle lui-même qui avait posé sans s’en douter. […] Il faisait sentir l’éloquence dans la conversation, et cela sans excès, sans passer la mesure.

102. (1902) La métaphysique positiviste. Revue des Deux Mondes

Mais le positivisme, lui, ne s’est constitué qu’en commençant par faire, comme on dit, « table rase » de toute métaphysique ; son dessein principal et premier a été précisément de dissiper l’illusion métaphysique, d’en dissoudre, pour ainsi parler, et d’en faire évanouir l’inconsistance dans le passé brumeux d’une humanité lointaine et quasi primitive ; et quelle est enfin sa conclusion, sinon qu’il ne saurait y avoir de science, ou de certitude, que de ce qui compte, se mesure, et se pèse ? […] Le genre de certitude que comporte renonciation de la vérité mathématique ou physique devenait la mesure ou le type de toute certitude. […] On voit d’ailleurs assez clairement qu’à mesure que nous connaîtrons mieux ces « rapports » qui sont toute la science ; à mesure qu’ils seront plus nombreux, et surtout plus subtils ou plus déliés ; à mesure que l’enchaînement, qui n’en est souvent qu’approximatif, en deviendra plus rigoureux, à mesure donc aussi ces « actions » et ces « réactions », moins apparentes, et situées plus profondément, les modifieront eux-mêmes plus radicalement. […] est celle qui n’affirme l’absolu, — ou l’Inconnaissable — qu’autant qu’elle s’y est, pour ainsi dire, heurtée dans toutes les directions qu’elle a prises pour y échapper ; qui ne s’incline en quelque manière devant le mystère des choses qu’après avoir épuisé les moyens humains d’en éclairer la profondeur ; et qui ne se propose pas enfin, comme celle de Fichte, de créer de son fond, et vraiment du néant, ex nihilo, l’homme, et le monde, et Dieu, mais, plus modestement, de les reconnaître, et de les définir, dans la mesure de notre pouvoir.

103. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. NISARD. » pp. 328-357

Mais, à mesure qu’il avançait, l’esprit qui domine dans ce livre augmentait aussi d’influence, et y donnait une couleur qui n’a pas été assez remarquée des critiques : n’y voyant que la lettre, ou faisant semblant, ils l’ont traité comme un pur ouvrage de littérature ancienne. […] L’auteur devient plus sévère à mesure qu’il avance, et plus dégoûté dans son blâme. […] Venir reprocher outre mesure aux poëtes de la décadence ce qui tient à la date de leur venue, s’en prévaloir exorbitamment contre eux pour les déclarer chétifs et médiocres, non-seulement d’œuvres, mais aussi d’esprit et de talent (et M. […] Pourquoi, dans les littératures surtout, n’y aurait-il pas des livres, des hommes, un moment glorieux et surfaits, ensuite dépréciés outre mesure et rejetés, qu’une plus juste et tardive appréciation remettrait en une place inférieure à la première, mais honorable encore ? […] Mais cette Zénobie donna sa mesure comme poëte, et ce fut un échec au critique.

104. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VI. Le Bovarysme essentiel de l’humanité »

Le nombre de ses besoins s’accroît dans la mesure du nombre de ses richesses. […] Ce que l’on se propose de mettre ici en lumière, c’est la déviation subie par l’instinct métaphysique à mesure qu’il s’exerce avec plus de force et de perfection. […] La certitude du chrétien semble beaucoup moins forte que celle du sauvage et du primitif, si l’on prend pour mesure le fanatisme et les pratiques que ces religions différentes inspirent à leurs fidèles. Enfin, dès que l’on interroge les philosophies, et à mesure que l’on s’adresse aux plus récentes et aux plus hautes, on constate que leurs réponses impliquent des affirmations de plus en plus vagues pour venir jusqu’à n’en plus formuler aucune, ou jusqu’à nier la réalité de l’objet que le désir humain leur avait ordonné de découvrir. […] C’est là ce qui le distingue vraiment de toutes les autres espèces et c’est à cause de cette humeur spéciale qu’il change autour de lui les conditions du milieu auxquelles les autres animaux s’adaptent dans la mesure qu’ils peuvent et dans les limites permises par leur organisme.

105. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1859 » pp. 265-300

— Un pantalon bien chaud et foncé… On lui prend mesure. […] Mais la paresse du corps m’envahit tout à fait, la paresse du corps qui devient plus forte, à mesure que ma pensée s’active. » — Monsieur Guillaume ? […] C’est la mesure d’intelligence d’un homme du monde très intelligent, avec un rien de pion et un peu du bagout de faiseur. […] » C’est tout un renversement de la géométrie qu’il nous indique… Les géomètres ne sont que des arpenteurs qui mesurent à un cheveu près la distance de la terre au soleil ; mais ce cheveu, qui n’est rien pour nous, est énorme comparé par nous à l’acarus du bourdon… La géométrie mal baptisée : mesure de la terre : ce n’est pas de mesure qu’il s’agit, « c’est de faire connaître, c’est de donner la forme de la durée et de l’intensité des choses. » Et redescendant brusquement à terre, il termine la conversation par un charmant portrait en quatre mots de son vieil ami Chandellier, ce comique mélancolique aux cheveux blancs et tout plein au fond de vignettes de romances. […] Il me parle d’un travail qu’il lui a fallu faire d’abord, tout simplement pour se convaincre que cela était comme il le disait, puis il se plaint de l’absence de dictionnaire qui le force aux périphrases pour toutes les appellations, trouvant que les difficultés augmentent à mesure qu’il avance, et forcé d’allonger sa couleur locale, ainsi qu’une sauce.

106. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre I. La conscience et la vie »

Seulement, à mesure que le corps vivant se complique et se perfectionne, le travail se divise ; aux fonctions diverses sont affectés des organes différents ; et la faculté de digérer se localise dans l’estomac et plus généralement dans un appareil digestif qui s’en acquitte mieux, n’ayant que cela à faire. […] Or, à mesure que nous descendons le long de la série animale, nous trouvons une séparation de moins en moins nette entre les fonctions de la moelle et celles du cerveau. […] Bref, de haut en bas de la vie animale nous voyons s’exercer, quoique sous une forme de plus en plus vague à mesure que nous descendons davantage, la faculté de choisir, c’est-à-dire de répondre à une excitation déterminée par des mouvements plus ou moins imprévus. […] A mesure que végétaux et animaux se différenciaient, la vie se scindait en deux règnes, séparant ainsi l’une de l’autre les deux fonctions primitivement réunies. […] On tient à l’éloge et aux honneurs dans l’exacte mesure où l’on n’est pas sûr d’avoir réussi.

107. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Instruction générale sur l’exécution du plan d’études des lycées, adressée à MM. les recteurs, par M. Fortoul, ministre de l’Instruction publique » pp. 271-288

Il était fâcheux, il le devenait de plus en plus, que, sans déroger, sans déchoir, on ne pût à un certain moment, et tout en participant dans une juste mesure à la culture réputée la plus noble et la plus délicate, se diriger vers les connaissances précises dont on devait faire le principal de son fonds social et son instrument de travail et de vie. […] Peu à peu cependant, à mesure que la mode des perruques et celle des coiffures élégantes prévalut, les gens comme il faut perdirent l’habitude de mettre leur chapeau pour ne point déranger l’édifice artificiel ou la poudre de leur chevelure ; les parapluies commencèrent à faire l’office du chapeau ; cependant on a continué de considérer celui-ci comme une part si essentielle de la toilette, qu’un homme du monde n’est point censé habillé sans en avoir un ou quelque chose d’approchant, qu’il porte sous le bras ; si bien qu’il y a quantité de gens polis dans toutes les cours et les capitales d’Europe qui n’ont jamais, eux ni leurs pères, porté un chapeau autrement que sous le bras, quoique l’utilité d’une telle mode ne soit aucunement évidente, et que ce soit même très gênant. […] Parcourant dans le plus grand détail le cercle entier des études, depuis les classes les plus humbles jusqu’à celles de rhétorique et de logique, il s’attache à exposer dans quel esprit, dans quelle mesure chaque ordre d’enseignement doit être dirigé et distribué. […] Car c’est dans la nature, bien plus que dans les livres, qu’il faut chercher des inspirations pour un enseignement qui doit demeurer élémentaire, pratique et toujours approprié aux intelligences moyennes… À mesure que l’enseignement se fortifie, on peut donner aux exercices un caractère plus profitable ; poser aux élèves des problèmes numériques et en faire contrôler la solution de temps en temps… Par quelques exercices de ce genre, les jeunes gens apprennent bientôt à calculer, à peser, à mesurer, et on leur inspire le goût de l’expérience avec la confiance dans ses enseignements. […] En remerciant donc les lecteurs qui m’ont suivi jusqu’ici avec tant de bienveillance dans mes excursions toutes modernes, j’ai besoin de leur demander de me laisser pour quelque temps interrompre ces communications habituelles : le jour où je me sentirais en mesure de les reprendre, serait, on peut le croire, un jour heureux pour moi.

108. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Étienne Pasquier. (L’Interprétation des Institutes de Justinien, ouvrage inédit, 1847. — Œuvres choisies, 1849.) » pp. 249-269

Étienne Pasquier, né à Paris en 1529, d’une famille honorablement établie, mais qu’il devait le premier illustrer, se trouva, par la date de sa naissance, en mesure de profiter de toute la science et de l’érudition qui sont propres au xvie  siècle. […] C’est Ovide qui lui est tombé sous la main, et qu’il a lu en deux ou trois endroits ; et il interprète l’oracle gaiement, concluant de l’un de ces passages qu’il ne faut suivre, en matière de vertu et de maniement de fortune, ni la secte trop dissolue des épicuriens, ni celle, trop rigide et trop nue, des stoïques ou des cyniques, mais se rapporter tant qu’on peut, ici-bas, à la maxime du sage mondain Aristote, qui est de jouir de la vertu en affluence de biens : « Voilà comment, petit père, ajoute-t-il en parlant de lui-même, j’ai commencé à dorloter mon enfant. » Les Lettres de Pasquier, qu’il commença lui-même de publier en dix livres (1586), et qui ont été complétées après lui jusqu’au nombre de vingt-deux livres, sont d’une lecture très instructive, plus attachante à mesure qu’on s’y enfonce, et qui nous le rend tout entier avec son monde et son époque. […] » Il parle des principaux chefs et auteurs de ces maux avec mesure pourtant, et en parfaite connaissance de cause : jamais les Guise et Coligny n’ont été mieux jugés et mis en balance, vices et vertus, avec une plus impartiale équité. […] Pasquier, dans sa mesure, imita ces beaux exemples de vertueuse et féale liberté. […] Il est de la renaissance romaine avec force, mais avec mesure.

109. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Édelestand du Méril »

Mesure circonscrite d’une chose circonscrite, histoire de peu, qu’il devait écrire avec le sang-froid d’un homme calmé qui sait bien qu’il n’y a pas de quoi exciter le moindre enthousiasme dans cette besogne, car de toutes les histoires de l’esprit humain, toutes si tristes et si vite finies, la plus triste et la plus vite finie c’est encore celle-là ! […] Mais, après tout, l’art de l’homme se mesure à son âme, et cette âme s’agite dans des organes qui sont des bornes et qui l’étreignent comme dans un triangle de fer. C’est la mesure du fini humain. […] Mais croyez bien que, même dans les passages les plus ingénieux et les plus brillants du livre qu’il publie aujourd’hui à notre portée, il ne donne pas toute sa mesure et qu’elle est plus longue que ce qu’on en voit. […] Il nous avait donné la mesure de ce que seraient les autres et de ce que serait l’ouvrage intégral, qui, dit-on, sera de quatre à cinq volumes.

110. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre V. Subordination et proportion des parties. — Choix et succession des idées »

Chacune d’elles a sa mesure, relative à celle du tout et des parties voisines, que la logique et le goût indiquent. […] C’est une affaire d’importance que cette justesse des mesures. […] » Il continue sa harangue, répétant encore diverses fois que Brutus est un homme honorable ; mais à mesure qu’il se sent plus maître de la populace qui l’entend, à mesure qu’il peut louer César sans ameuter contre lui toutes les fureurs, il espace le retour de l’éloge donné à Brutus, jusqu’à ce qu’enfin cet éloge ne serve plus qu’à provoquer contre lui les mêmes injures dont le nom de César était couvert tout à l’heure.

111. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre V. L’antinomie esthétique » pp. 109-129

Dans quelle mesure ces deux sortes d’éléments se concilient-ils ? Dans quelle mesure la société tolère-t-elle, favorise-t-elle ou au contraire détruit-elle l’inspiration de l’artiste et l’originalité esthétique ? Dans quelle mesure l’altitude esthétique est-elle un principe d’isolement intellectuel et sentimental ou est-elle compatible au contraire avec la sociabilité générale ? […] « Elle se mesure à la largeur et à la profondeur de la sympathie qu’elle réalise et qu’elle excite48. » La beauté est un moyen de communion morale et de solidarité accrue. —  Avec Tolstoï, la thèse morale et sociale s’exagère jusqu’au mysticisme et produit toutes ses conséquences logiques : la négation de la beauté, la condamnation de la beauté, l’anathème contre la beauté.

112. (1842) Essai sur Adolphe

Comme il n’y a pas dans ce tableau mystérieux un seul trait dessiné au hasard ; comme tous les mouvements, toutes les attitudes des deux figures qui se partagent la toile sont étudiés avec une sévérité scrupuleuse et inflexible, d’année en année nous découvrons dans cette composition un sens nouveau et plus profond, un sens multiple et variable malgré son évidente unité, qui ne se révèle pas au premier regard, mais qui s’épanouit et s’éclaire à mesure que notre front se dépouille et que notre sang s’attiédit. […] Plus tard, elle s’éprend d’une mélodie élégante et simple qu’elle n’avait pas d’abord aperçue, et chaque jour elle fait de nouvelles découvertes ; elle s’étonne de sa première ignorance, et la curiosité se rajeunit à mesure que la pénétration se développe. […] « Permettez seulement que je lui sois présente à chaque heure du jour ; permettez qu’il ne souhaite rien au-delà de mon amour, et qu’il ne regarde pas en arrière ; faites qu’il vive tout en moi, comme je vis toute en lui. » Mais un jour la mesure du sacrifice était comblée : elle a douté de la reconnaissance qu’elle avait méritée ; l’inquiétude a rongé le fruit de son amour. […] Quand on est jeune, on croit à peine à la moitié de ces conseils ; à mesure qu’on vieillit, on s’aperçoit qu’il y en a beaucoup d’oubliés.

113. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre I : Des sens, des appétits et des instincts. »

. — La force qui anime l’organisme humain et entretient les courants du cerveau, a son origine dans la grande source première de force vivifiante, le soleil159. » Si nos moyens d’observation et de mesure étaient parfaits, nous pourrions voir comment se consomme la nourriture dans l’être humain, en attribuer une partie à la chaleur animale, une autre à l’action des viscères, une autre à l’activité du cerveau, et ainsi de suite. […] Liée à la condition organique des muscles, elle nous révèle les plaisirs et les peines venant de l’exercice, les divers modes de tension des organes en mouvement ; elle donne la mesure de l’effort. […] Ainsi le degré d’effort ou de force dépensée mesure non-seulement la résistance, mais l’inertie, le poids et les propriétés mécaniques de la matière. La continuation de l’action musculaire donne des idées de durée et d’étendue. « La différence entre six pouces et dix-huit pouces est représentée par les différents degrés de contraction de quelque groupe de muscles ; ceux, par exemple, qui fléchissent le bras, ou ceux qui en marchant fléchissent ou étendent le membre inférieur. » Enfin la connaissance que nous avons du degré de rapidité de nos mouvements, nous permet d’estimer la vitesse des autres corps en mouvement ; la mesure étant d’abord empruntée à nos propres mouvements.

114. (1730) Discours sur la tragédie pp. 1-458

Il en est ainsi de tout ; et on ne prend jamais bien ses mesures que sur le terrain même. […] Chaque acte en particulier devient toûjours plus vif, à mesure qu’il avance ; et chaque scene a encore la même gradation. […] Les beautés de théatre perdent toûjours de leur effet, à mesure que l’art en est trop sensible. […] Quoiqu’il en soit, les peuples se sont imposé différentes mesures. […] Nos plus grands poëtes dépoüillés de la rime et de la mesure, et réduits exactement à leurs pensées, ne pourroient plus se lire !

115. (1914) Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne pp. 59-331

Ni du système de pensée, ni du système de mesure. […] Le propre d’une unité de mesure est d’être fixe. […] Tout ce qui est de la mesure est rigide et raide. […] C’est toujours une opération de mesure. […] C’est le compte et c’est la mesure.

116. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

Il est donc intéressant d’examiner dans quelle mesure les principes peuvent s’infléchir et s’accommoder à notre goût actuel. […] Ce drame, pathétique et humain, rajeunira de lui-même à mesure que la société française vieillira. […] J’en profiterai pour agiter quelques questions générales à mesure qu’elles se présenteront. […] En suivant le développement historique du théâtre, qui se conforme aux révolutions sociales, on voit les types de théâtre se multiplier et se compliquer à mesure qu’on s’approche de l’époque actuelle, et au contraire diminuer et se simplifier à mesure qu’on remonte dans le passé. […] C’est pourquoi, à mesure que l’analyse descendra dans l’infiniment petit, l’intérêt du spectateur décroîtra dans la même proportion.

117. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLI » pp. 167-171

— Ce petit volume de Saint-Marc Girardin, agréable, mais bien mince, avec toutes ses conditions de mesure et d’assaisonnement, a fort réussi ; près de deux mille exemplaires, dit-on, se sont écoulés en un mois. […] Ce petit fait tout littéraire peut donner la mesure de la décision et de la hauteur de vue de nos hommes d’État dans les questions de conflit qui vont se présenter. — L'Académie française, par l’organe de M.

118. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre II. La parole intérieure comparée à la parole interieure »

L’enfant grandit et perfectionne son langage ; ce qu’il veut, c’est toujours se faire entendre ; il juge s’il a bien dit ce qu’il voulait d’après les sons qu’il émet et qu’il entend, et non d’après les tacta buccaux ; et ceux-ci lui deviennent de plus en plus indifférents à mesure que son langage devient plus facile et plus correct, c’est-à-dire à mesure que ses organes vocaux sont mieux assouplis, mieux adaptés à toutes les variétés du langage audible ; alors, en effet, il n’est aucunement besoin de réfléchir aux moyens, il lui suffit de vouloir le but. […] Comme d’ailleurs l’attention a pour effet de prolonger la sensation, je suis en droit de conclure que mes états me paraissent miens dans la mesure où leur situation dans la durée, leur temporalité m’apparaît. […] Parfois la reconnaissance, inutile, sans intérêt, cesse, à mesure qu’un même état est répété, d’être l’objet de l’attention, et peu à peu elle disparaît. […] Ce qui arrive aux mots arrive également aux locutions composées et aux phrases usuelles, consacrées, familières, et cela dans la mesure où elles sont familières, c’est-à-dire en proportion de leur fréquence. […] 2° La parole extérieure, à mesure qu’elle est produite ou entendue, est l’objet du jugement de perception externe, c’est-à-dire qu’elle est déclarée ne pas faire partie du moi.

119. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre III. De l’organisation des états de conscience. La liberté »

A mesure qu’il élève plus haut ses regards, le dynamiste croit apercevoir des faits qui se dérobent davantage à l’étreinte des lois : il érige donc le fait en réalité absolue, et la loi en expression plus ou moins symbolique de cette réalité. […] C’est d’ailleurs ce qu’on apercevra plus clairement à mesure que l’on considérera des états plus profonds et plus compréhensifs de l’âme. […] Mais à mesure que l’on creuse au-dessous de cette surface, à mesure que le moi redevient lui-même, à mesure aussi ses états de conscience cessent de se juxtaposer pour se pénétrer, se fondre ensemble, et se teindre chacun de la coloration de tous les autres. […] Il faut remarquer, comme nous le disions plus haut, que le moi grossit, s’enrichit et change, à mesure qu’il passe par les deux états contraires ; sinon, comment se déciderait-il jamais ? […] Il n’en est pas moins évident que notre croyance à la détermination nécessaire des phénomènes les uns par les autres se consolide à mesure que nous tenons la durée pour une forme plus subjective de notre conscience.

120. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Conclusion » pp. 355-370

et comme elle confirme bien cette vérité démontrée depuis longtemps par Aristote aux platoniciens, qu’à mesure qu’on remplace davantage les abstractions et les généralités par des notions particulières et concrètes, on augmente, avec l’intensité de la vie, l’intensité de l’intérêt ! […] La première de ces vérités, c’est qu’il n’y a point de canon unique de la beauté, de la perfection littéraire, et qu’il faut presque autant de mesures et de balances qu’il y a d’œuvres à mesurer et à peser, bien loin qu’une seule littérature puisse imposer son système à toutes les autres. […] L’élargissement du goût est facile à comprendre ; à mesure que nos préjugés tombent, beaucoup de nos répugnances doivent céder et disparaître.

121. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XV. La commedia dell’arte au temps de Molière et après lui (à partir de 1668) » pp. 293-309

Il est vraisemblable, avons-nous dit, qu’un canevas italien, intitulé Il Ritratto (le Portrait), très différent de celui des Gelosi qui porte le même titre, fut utile à Molière pour la composition du Cocu imaginaire, mais il est impossible de déterminer dans quelle mesure, le canevas primitif ne nous étant pas connu, et les Italiens ayant, à coup sûr, profité de ce qu’il y avait à leur convenance dans la pièce française. […] Si ces erreurs étaient déjà si aisées à commettre au dix-septième siècle, elles le devinrent bien plus encore à mesure qu’on s’éloigna. […] À cette date, la troupe française de la salle Guénégaud fut, par mesure administrative, réunie à la troupe de l’Hôtel de Bourgogne.

122. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre X. L’antinomie juridique » pp. 209-222

Inversement, l’idée du droit individuel n’est pas sans influence sur le droit social ; ce dernier devient moins rigide, moins brutal et moins autoritaire à mesure que l’idée du droit individuel gagne plus de terrain dans les consciences et relègue au second plan l’idée du droit social, sans toutefois la détruire entièrement. […] Car il n’y a rien d’utile et de convenable comme le droit, qui est la juste mesure des choses et il doit te plaire qu’on t’ait fait cette bonne mesure.

123. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « F.-A. Cazals » pp. 150-164

C’est cette légèreté, cette mesure dans l’attaque qui le sauvent des rancunes tenaces et qui désarment jusqu’à ses adversaires. […] Le poète Maurice du Plessys aurait-il raison de blasphémer les dieux et de dire qu’Apollon persécute les siens à la mesure de leur amour ? […] J’y déplorai la mort d’un familier, d’un probe écrivain qui n’a pas eu le temps de donner sa mesure pleine, mais que j’aimais : Léon Dequillebec, ancien secrétaire de rédaction de la Plume, et mon éminent ami Laurent Tailhade avait dû subir une cruelle épreuve, l’ablation de l’œil droit.

124. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Gérard de Nerval  »

Aujourd’hui, après tant d’années, quand ceux qui lui firent politesse et lui versèrent l’éloge sans doses, parce que peut-être ils ne le craignaient plus, sont endurcis, ou du moins endormis dans l’indifférence de la vieillesse, dans l’égoïsme des derniers jours, il nous sera permis, j’imagine, de juger froidement, sans faire crier et clabauder personne, ce surfait du compagnonnage et de la pitié, et d’en donner exactement la mesure pour que désormais l’opinion ne l’exagère plus. […] Ils l’ont aimé comme on aime un parent qui vous ressemble… Son originalité est de n’en avoir aucune… par lui-même, mais de réfléchir celle des autres avec des irisations, une mesure et une harmonie qui sont, à lui, son genre d’originalité. […] Que Gérard de Nerval ait été un aimable garçon ; qu’il ait offert à ses contemporains le phénomène que nous offre Monselet en ce moment de n’avoir pas eu un ennemi, — ce qui put lui être agréable pendant sa vie, et ce qui lui est, comme vous le voyez, utile encore après sa mort ; qu’il ait été bambin avec des célèbres et qu’il ait joué aux petits jeux de l’amour et de la poésie avec des gens qui ont fait là-dessus leurs Poésies de jeunesse et qui vont faire maintenant là-dessus leurs Poésies de vieillesse, — car les choses sont plus belles quand on se retourne, et les lointains, à mesure qu’ils s’éloignent, se veloutent d’un si joli bleu !

125. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre II : La psychologie »

D’ailleurs, pour que la correspondance soit possible entre l’être et son milieu, il est nécessaire qu’à mesure que l’organisme est exposé à des impressions plus nombreuses, ces impressions se coordonnent en lui, se centralisent et tendent constamment à l’unité. […] Mais l’instinct, à mesure qu’il croît en complexité, marche à sa fin ; car à mesure que les instincts deviennent plus élevés, les divers changements psychiques qui les composent deviennent moins cohérents, se coordonnent d’une manière de moins en moins parfaite ; et il doit venir un moment où leur coordination ne sera plus régulière. […] Et nous avons une perception de moins en moins complète de l’espace, à mesure qu’il s’éloigne de nous, parce que nous avons eu des expériences de moins en moins nombreuses, des positions relatives qu’il contient. […] S’il n’est pris aucune note des différents états, à mesure qu’ils se produisent, s’ils traversent la conscience simplement comme les images traversent un miroir, alors aucune intelligence n’est possible, si longtemps d’ailleurs que dure le processus. […] L’auteur, prenant la vie psychologique à son plus bas degré, l’amène par additions successives à sa plénitude ; son caractère fondamental, c’est d’être « ne correspondance, qui, à mesure qu’elle se complète, reproduit subjectivement la réalité objective du monde.

126. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

Or, ils n’y réussiront que dans la mesure où ils auront pris en considération la nature. […] Elle conserve d’ailleurs une réelle supériorité de force, grâce à la discipline qu’elle s’impose, et aux mesures qu’elle prend pour empêcher la classe inférieure de s’organiser à son tour. […] Ils se réduisent de plus en plus, à mesure que les guerres deviennent plus terribles. […] Elles s’accroîtront dans la mesure où elles obtiendront de la terre un meilleur rendement. […] Il semble que la sagesse conseillerait alors une coopération des deux tendances, la première intervenant quand les circonstances le demandent, l’autre la retenant au moment où elle va dépasser la mesure.

127. (1903) Le problème de l’avenir latin

A mesure que l’Empire se christianise, le christianisme s’impérialise. […] N’oublions pas qu’avant tout nous nous proposons ici une mesure de préservation. […] En période d’épidémie, ne prend-on pas des mesures spéciales ? […] Mais, auparavant, il faut des mesures radicales, il faut du sectarisme. […] Nous sommes donc en mesure d’indiquer brièvement par quelles voies s’opérera l’inévitable dissolution.

128. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.). Guerre des Barbets. — Horreurs. — Iniquités. — Impuissance. »

Catinat, il faut le dire, ne vit dans cette guerre si mauvaise qu’il allait faire à de pauvres montagnards pour leur religion, et dans la part principale qu’il y devait prendre, qu’une marque nouvelle de la confiance du roi et une occasion d’avancement : il était militaire avant tout, et chargé en chef, pour la première fois, d’une expédition difficile, il eut un mouvement de joie ; il ne raisonna point sur la légitimité de l’entreprise, il ne s’occupa que de prendre ses mesures pour la conduire le mieux possible et le plus vivement. […] Alors les ambassadeurs représentèrent avec énergie l’impossibilité où ils étaient de leur porter secours autrement que par des négociations : « Vos vallées sont enclavées dans les États de vos ennemis ; tous les passages sont gardés ; aucune nation n’est en mesure de faire la guerre à la France dans votre seul intérêt ; nulle armée ne pourrait même pénétrer jusqu’ici, et vous seuls, enfin, vous avez à peine trois mille combattants. […] Toute mesure paraissait clémente, en effet, et comme bienfaisante au prix de celles qu’inventait le génie des Louvois et des Bâville pour retenir et interner les honnêtes gens qu’on voulait convertir. […] Les mesures pour cerner et traquer ces petites bandes valeureuses étaient prises par un guerrier expérimenté et probe à qui pareille fonction ne donnait nul remords. […] « L’on ne peut leur faire un mal bien effectif ni décisif, et l’on peut, en les agaçant, disait-il, leur faire connaître le mal qu’ils nous pourraient faire et qu’ils ne nous font pas… Leur totale destruction est imaginaire… » En prenant exemple de ce qui se passait dans le même temps en Catalogne, Tessé ajoutait : « Les Espagnols étaient tranquilles et ne demandaient que paix et simplesse ; l’on y a porté une guerre qui leur a fait prendre des mesures auxquelles ils ne pensaient pas.

129. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre I : La loi d’évolution »

Une espèce vivante, animale ou végétale, à mesure qu’elle se répand et occupe une aire plus étendue, se trouve exposée à des conditions fort différentes de climat, de sol, de lumière, de chaleur ; aussi la voit-on donner naissance à des variétés nombreuses. […] Point de mesure possible pour nos sensations, point de science ; ainsi il n’y a point de science des goûts ni des odeurs. A mesure que nous passons de la prévision qualitative à la prévision quantative, nous passons de la science inductive à la science déductive. […] « De là ce fait que toute science exacte est réductible, en dernière analyse, à des résultats mesurés en unités égales d’étendue linéaire. » Quant à cette idée de mesure par juxtaposition, elle nous est suggérée par l’expérience. […] Les termes pied, pouce, doigt, coudée, pas, et autres semblables, usités à l’origine dans presque toutes les langues, ne sont-ils pas des faits à l’appui de l’origine empirique de l’idée de mesure, si elle rencontrait des sceptiques.

130. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

L’utile en tout est volontiers sa mesure. […] Il fera tout pendant des années, auprès de la mère patrie, pour éclairer l’opinion et conjurer les mesures extrêmes ; jusqu’au dernier moment, il s’efforcera d’atteindre à une réconciliation fondée sur l’équité ; un jour qu’un des hommes influents de l’Angleterre (lord Howe) lui en laissera entrevoir l’espérance à la veille même de la rupture, on verra une larme de joie humecter sa joue : mais, l’injustice s’endurcissant et l’orgueil obstiné se bouchant les oreilles, il sera transporté de la plus pure et de la plus invincible des passions ; et lui qui pense que toute paix est bonne, et que toute guerre est mauvaise, il sera pour la guerre alors, pour la sainte guerre d’une défense patriotique et légitime. […] Dans la première partie de sa vie, bien qu’il paraisse plein d’inventions et un grand promoteur en toute matière d’utilité publique, Franklin ne l’est jamais que dans la mesure immédiate qui est applicable ; il ne sort point du cadre ; il est avant tout pratique. […] Vers l’âge de vingt-quatre ans, il conçut le projet hardi et difficile de parvenir à la perfection morale, et, pour y atteindre, il s’y prit comme un physicien habile qui, moyennant des procédés très simples et de justes mesures qu’il combine, obtient souvent de très grands résultats. […] Et de même, dit-il, que celui qui a un jardin à sarcler n’entreprend point d’arracher toutes les mauvaises herbes à la fois (ce qui excéderait sa portée et sa force), mais travaille sur un seul carré d’abord, et, ayant fini du premier, passe à un second, de même j’espérais bien avoir l’encourageant plaisir de voir sur mes pages le progrès fait dans une vertu, à mesure que je débarrasserais mes lignes de leurs mauvais points, jusqu’à ce qu’à la fin, après un certain nombre de tours, j’eusse le bonheur de voir mon livret clair et net.

131. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Habitué à ne voir la pensée que noblement vêtue, peut-être lui arriva-t-il quelquefois de prendre le plaisir que faisait son style pour la mesure de ce que valaient ses idées. […] Le temps, qui nous ôte nos passions on qui rend ridicules celles qu’il nous laisse, qui nous apprend notre mesure par nos disgrâces, qui nous classe en dépit de notre prétention à rester déclassés pour continuer d’être ambitieux, le temps est pour beaucoup dans ce retour à l’honnêteté. […] C’est à cette lumière, si souvent voilée, mais qui ne cesse jamais de luire au fond de son âme, que Gil Blas juge sa vie à mesure qu’il la raconte. […] Il n’attend pas toujours qu’on le loue, il s’en charge lui-même ou il y aide les gens : le tout avec du tact, de la mesure, de charmants retours de vérité sur lui-même, où il se met à sa place, et rend de très bonne grâce ce qu’il a pris de trop. […] Se connaître soi-même pour savoir sa propre mesure, pour se subordonner, pour apprendre l’obéissance raisonnable, pour respecter ceux à qui l’on commande, tel doit être l’effet de la seconde.

132. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Mélanges scientifiques et littéraires, (suite et fin.) »

En-me permettant de parler ici avec quelque étendue d’un savant illustre, et autrement encore que pour lui rendre un pur et simple hommage, en essayant d’indiquer à l’aide de témoignages recueillis, et par le peu que j’ai pu moi-même observer, sa vraie portée et sa mesure, j’ai besoin qu’on ne se méprenne pas un instant sur ma pensée. […] Nous n’aurions qu’à rappeler qu’il lui est arrivé, à lui tout le premier, en deux occasions (1828 et 1835), de prendre l’initiative pour proposer les mesures qu’il estimait les plus avantageuses à l’approvisionnement de la capitale, tout comme l’aurait pu faire un membre du Conseil municipal de Paris. […] Bour ; mais il ne sera en mesure que dans trois ou quatre ans. » — « Allons, répondit M.  […] Il lui exprima son approbation, en ajoutant ces mots qui résument, ce me semble, à merveille le genre d’égards qui restent dus aux anciens noms historiques, dans la juste et stricte mesure des idées de 89 : « On vous doit, monsieur, les occasions de vous distinguer ; mais souvenez-vous bien toute votre vie qu’on ne vous doit que cela. » M. 

133. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Non pas qu’il ait rédigé ses Mémoires ou son Journal dans le moment même où il agissait et administrait : il paraît n’y avoir songé que tard et après sa retraite des intendances ; mais il a rédigé ses notes sur pièces, à mesure que, dans la révision qu’il faisait de ses papiers, chaque lettre, chaque copie ou minute lui tombait sous la main et fixait ses souvenirs. […] Quand un peu de jour arrivait à Louis XIV sur l’affreuse réalité que cachaient les beaux et spécieux rapports des intendants courtisant, comme il était loin d’être inhumain, il ordonnait de relâcher, de ralentir ou de suspendre les mesures. […] Non content d’écrire à Louvois pour réclamer des mesures de rigueur, et avant même d’avoir la réponse, Foucault s’adresse au Père de La Chaise pour lui suggérer d’autre part des moyens auxiliaires plus doux ; il propose non plus ici des cavaliers et des dragons, mais d’autoriser une conférence, par exemple, où les points controversés soient agités, disant que les ministres et les principaux religionnaires de ces contrées ne cherchaient qu’une porte honnête pour rentrer dans l’Église : « Ceux, ajoute-t-il, qui sont les plus considérés et les plus accrédités dans le parti m’ont assuré que c’était la seule voie qui pût faire réussir le grand projet des conversions ; que celles de rigueur, de privation des emplois, les pensions et les grâces seraient inutiles. » Dans un voyage qu’il fait à Paris, il en parle également au chancelier Le Tellier, lequel a d’ailleurs peu de goût pour Foucault, et qui ferme l’oreille à sa proposition : « Il la rejeta absolument, disant qu’une pareille assemblée aurait le même succès que le Colloque de Poissy ; que le pape trouverait mauvais que l’on fît une pareille conférence sans sa participation, et me défendit d’en parler au roi. […] Voilà un homme qui juge à ce point de vue le résultat de la révocation de l’Édit de Nantes, qui ne l’appelle pas autrement que « la perte en France du commerce et des arts industriels », et qui, au même moment, dans l’incertitude d’être accueilli pour ce qu’il propose de plus indulgent, provoque des mesures de rigueur en demandant à Louvois des troupes.

134. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre V : Règles relatives à l’explication des faits sociaux »

En effet, une tendance ne peut concourir, même dans cette mesure restreinte, à la production d’un phénomène nouveau que si elle est nouvelle elle-même, qu’elle se soit constituée de toutes pièces ou qu’elle soit due à quelque transformation d’une tendance antérieure. […] À mesure que les hommes sont obligés de fournir un travail plus intense, les produits de ce travail deviennent plus nombreux et de meilleure qualité ; mais ces produits plus abondants et meilleurs sont nécessaires pour réparer les dépenses qu’entraîne ce travail plus considérable64. […] Enfin, elle ne saurait avoir de valeur morale pour l’avenir, dans la mesure où il est inconnu. […] Car si chaque agrégat partiel forme un tout, une individualité distincte, séparée des autres par une barrière, c’est que l’action de ses membres, en général, y reste localisée ; si, au contraire, ces sociétés partielles sont toutes confondues au sein de la société totale ou tendent à s’y confondre, c’est que, dans la même mesure, le cercle de la vie sociale s’est étendu. […] En effet, pour les partisans de cette dernière doctrine, la vie collective n’est naturelle que dans la mesure où elle peut être déduite de la nature individuelle.

135. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VI. L’effort intellectuel »

Mais, à mesure que l’état de concentration intellectuelle se complique, il devient plus solidaire de l’effort qui l’accompagne. […] Dans le premier cas, les images sont homogènes entre elles, mais représentatives d’objets différents ; dans le second, c’est un seul et même objet qui est représenté à tous les moments de l’opération, mais il l’est différemment, par des états intellectuels hétérogènes entre eux, tantôt schémas et tantôt images, le schéma tendant vers l’image à mesure que le mouvement de descente s’accentue. […] À mesure que l’inventeur réalise les détails de sa machine, il renonce à une partie de ce qu’il en voulait obtenir, ou il en obtient autre chose. […] Il ne peut le faire qu’en évoquant une à une les représentations de ces sensations ou, pour parler comme Bastian, les « images kinesthésiques » des mouvements partiels, élémentaires, composant le mouvement total : ces souvenirs de sensations motrices, à mesure qu’ils se revivifient, se convertissent en sensations motrices réelles et par conséquent en mouvements exécutés. […] En général, le caoutchouc se rétrécit sur certains points à mesure qu’on l’allonge sur d’autres.

136. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — I. » pp. 166-193

A mesure qu’on s’éloigne, les dissidences dans la manière de l’envisager augmentent parmi les générations, d’abord unanimes à la reconnaître. […] Le type girondin, qui se reproduit dans la jeunesse à chaque génération survenante, est ardent, aventureux, ouvert à la sympathie populaire, confiant sans mesure aux réformes rapides, à la puissance de la seule liberté et à la simplicité des moyens, ombrageux pour ses adversaires, jamais pour ses alliés, prompt et franc à s’irriter contre ce qui sent la marche couverte et le tortillage, déniant vite aux habiles qui entravent sa route le sentiment et le cœur. […] Aux approches de la crise imminente du 10 août, elle ne réclamait déjà plus, comme après Varennes, des mesures brusques, absolues ; elle désirait que les sections réunies demandassent, non la déchéance, difficile à prononcer sans déchirer l’acte constitutionnel, mais la suspension provisoire, qu’il serait possible, quoique avec peine, écrivait-elle dix jours avant le 10 août à Brissot, d’accrocher, pour ainsi dire, à l’un des articles de la Constitution. […] Divisés entre eux sur les mesures les plus immédiates, palpitants et au dépourvu devant ces autres théories inflexibles qui s’avançaient droit contre leur regard comme un étroit et rigide acier, leur résistance fut toute d’instinct, d’humanité, de cœur. […] Il y avait lieu entre eux à des discussions sur l’étendue du droit, à des dissidences sur la mesure de la liberté ; mais l’incompatibilité radicale de principes, comme de mœurs, comme de tempérament, un abîme enfin, qui se déchira au 2 septembre sous les pas de la Gironde, les séparait eux tous d’avec les hommes une fois engagés dans les partis extrêmes et sanglants, dans les systèmes farouches.

137. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

Ce temps d’ivresse passé, quand chacun a trouvé enfin la mesure de sa taille en s’approchant d’un plus grand ; de ses forces, en luttant avec un plus fort ; de son intelligence, en voyant le prix remporté par un plus habile ; quand la maladie, la fatigue lui ont appris qu’il n’y a qu’une mesure de vie ; quand il en est arrivé à se défier même de ses espérances, alors revient le fabuliste qui savait tout cela, qui le lui dit et qui le console, non par d’autres illusions, mais en lui montrant son mal au vrai, et tout ce qu’on en peut ôter de pointes par la comparaison avec le mal d’autrui. […] La Fontaine y emploie des vers de toutes les mesures. […] A l’époque où La Fontaine composa ses premiers poèmes, l’usage était d’écrire chaque ouvrage en vers, petits ou grands, soit dans la même mesure, soit en strophes formées symétriquement de vers inégaux. […] Boileau, qui se fit le champion de l’aimable chambrière, loua dans la pièce, « outre ce je ne sais quoi qui nous charme, et sans lequel la beauté même n’aurait ni grâce ni beauté65 », la hardiesse de La Fontaine à rompre la mesure. […] La Fontaine n’a pas seulement connu notre fond, il a su de quelle manière et dans quelle mesure nous sommes attentifs.

138. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre deuxième. Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social »

Nous ne pouvons déterminer jusqu’à quel point et en quelle mesure le caractère de la race persiste chez les individus, en particulier chez les artistes. […] L’influence des circonstances et du milieu, qui est si notable, quoique non universelle, au début des littératures et des sociétés, va décroissant à mesure que celles-ci se développent, et elle devient presque nulle à leur épanouissement. […] A mesure que l’individu fera partie d’un ensemble social plus diversifié et plus étendu, dont l’organisation meilleure exigera moins de sacrifices moraux de la part des citoyens, ceux-ci pourront plus facilement conserver leurs facultés propres, sans qu’elles aient besoin d’acquérir une extrême intensité pour résister à une extrême pression sociale. […] C’est par le développement graduel de cette indépendance des esprits qu’il faut expliquer, dans le domaine de l’art, la persistance de moins en moins longue des écoles et leur multiplication, le caractère de moins en moins national des arts à mesure que la civilisation à laquelle ils appartiennent se développe et s’agrandit. […] L’histoire littéraire et artistique d’un peuple, pourvu qu’on ait soin d’en éliminer les œuvres dont le succès fut nul et d’y considérer chaque auteur dans la mesure de sa gloire nationale, présente donc « la série des organisations mentales types d’une nation, c’est-à-dire des évolutions psychologiques de cette nation ».

139. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre II. L’âme et le corps »

Il est d’ailleurs bien possible que, si la volonté est capable de créer de l’énergie, la quantité d’énergie créée soit trop faible pour affecter sensiblement nos instruments de mesure : l’effet pourra néanmoins en être énorme, comme celui de l’étincelle qui fait sauter une poudrière. […] À mesure qu’elle se rétrécit, elle s’infiltre davantage dans une physiologie qui, naturellement, y trouve une philosophie très propre à lui donner cette confiance en elle-même dont elle a besoin. […] Du moins la probabilité sera-t-elle susceptible d’aller en croissant, et la formule de devenir de plus en plus précise à mesure que la connaissance des faits s’étendra. […] D’abord, si les noms propres disparaissent avant les noms communs, ceux-ci avant les adjectifs, les adjectifs avant les verbes, c’est qu’il est plus difficile de se rappeler un nom propre qu’un nom commun, un nom commun qu’un adjectif, un adjectif qu’un verbe : la fonction de rappel, à laquelle le cerveau prête évidemment son concours, devra donc se limiter à des cas de plus en plus faciles à mesure que la lésion du cerveau s’aggravera. […] C’est le cerveau qui nous rend le service de maintenir notre attention fixée sur la vie ; et la vie, elle, regarde en avant ; elle ne se retourne en arrière que dans la mesure où le passé peut l’aider à éclairer et à préparer l’avenir.

140. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre II. Le Bovarysme comme fait de conscience son moyen : la notion »

Cette hérédité le constitue intégralement, impliquant jusqu’à l’élasticité qui lui permettra de prendre, avec plus ou moins d’aisance, un plus ou moins grand nombre de formes nouvelles, impliquant une tendance à varier dont elle détermine strictement la mesure. […] Entre l’image toutefois, telle qu’elle se forme en un premier cerveau, à l’occasion d’une perception et l’image évoquée par l’intermédiaire du mot en un autre cerveau, il y a un écart que mesure la différence plus ou moins grande entre deux sensibilités. […] Une telle richesse comporte divers périls, à mesure que s’accroît le trésor accumulé par les générations successives, et dont la faculté d’éducation saisit les dernière venus, la disproportion s’accroît aussi entre le pouvoir d’invention dont chaque individu est doué et la somme des connaissances qui lui sont livrées, entre sa valeur ’propre et la richesse multiple qui lui vient de l’éducation.

141. (1923) Les dates et les œuvres. Symbolisme et poésie scientifique

Elle deviendra plus vraie à mesure de l’Œuvre s’accentuant, de Viélé-Griffin  alors que nous verrons comme de détentes d’énergie musculaire, son Rythme. […] Evoluant à travers l’alexandrine mesure et à travers la période « Rythme-évoluant », les diverses énergies Rythmiques se scandent sur les diverses Mesures générées par les nombres deux et trois qui, additionnés ou multipliés entre eux, produisent les modes dissonants ou les Eurythmies. […] (Le Rythme avait désormais pour composantes : ses diverses énergies sous l’impulsion de l’idée et son émotion, la Mesure, et les valeurs vibratoires des Sons-timbraux modalisés par les consonnes.) […] Mais il en divergeait en supprimant la mesure de l’alexandrin que, tout en créant une évoluante Rythmique, nous l’avons vu, ma théorie gardait en tant que présence continue d’une mesure comme d’accompagnement sonnant les rimes. […] Très peu d’hommes ont pris cette direction »  Je pense qu’au contraire la plupart ont eu cette direction de poésie égotiste, de poésie du « Moi » exalté en norme anthropocentrique, mesure de l’Univers.

142. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

Il manque trop souvent de mesure et de justesse. […] Il suffira qu’il sache dans quelle mesure et à quelles conditions il peut en profiter. […] Puis, à mesure que vous avancez : Qu’ai-je fait pour mon pays ? […] Leur responsabilité est non supprimée, mais atténuée dans une mesure qui varie avec chacun des cas. […] À mesure que nous y sommes plus fortement attachés, nous devenons davantage des hommes.

143. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite et fin.) »

Raynal, emporté et hors de mesure, n’était plus qu’un prophète de malheur décontenancé et désappointé, s’agitant et déclamant comme toujours, bien qu’en sens contraire. […] Quelques mesures vigoureuses furent proposées : le roi les rejeta parce qu’il eût fallu s’allier aux constitutionnels, s’appuyer de la garde nationale et des départements. […] La justesse de son esprit lui faisait apercevoir tout ce qu’exigeait sa position ; mais la faiblesse de son caractère ne lui permettait aucune mesure forte et décisive ; et la reine entretenait son indécision par l’exagération de ses espérances dans l’influence et les plans de l’empereur son frère et du roi de Prusse, quoique Louis xvi eût de l’inquiétude sur le résultat de leur intervention et beaucoup de répugnance à mêler les étrangers aux affaires de la France. […] L’histoire de sa vie, en ces années de l’Empire, est dévolue à son digne petit-fils, qui saura s’acquitter de cette pieuse tâche dans un esprit de vérité et avec mesure. […] « Napoléon. » On ne s’explique une mesure de cette rigueur que par quelque rapport de police sur Malouet, par quelque extrait d’une lettre privée de lui qui aura été interceptée, mais, frappant un si sage et si honnête homme, cet acte du pouvoir absolu, empreint d’humeur et inexpliqué, est de nature à faire plus de tort devant l’histoire à celui qui en est l’auteur qu’à celui qui en a été victime.

144. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DE LA LITTÉRATURE INDUSTRIELLE. » pp. 444-471

Mais voilà qu’en littérature, comme en politique, à mesure que les causes extérieures de perturbation ont cessé, les symptômes intérieurs et de désorganisation profonde se sent mieux laissé voir. […] Ce qui la caractérise en ce moment cette littérature, et la rend un phénomène tout à fait propre à ce temps-ci, c’est la naïveté et souvent l’audace de sa requête, d’être nécessiteuse et de passer en demande toutes les bornes du nécessaire, de se mêler avec une passion effrénée de la gloire ou plutôt de la célébrité, de s’amalgamer intimement avec l’orgueil littéraire, de se donner à lui pour mesure et de le prendre pour mesure lui-même dans l’émulation de leurs exigences accumulées ; c’est de se rencontrer là où on la supposerait et où on l’excuse le moins, dans les branches les plus fleuries de l’imagination, dans celles qui sembleraient tenir aux parties les plus délicates et les plus fines du talent. […] On a vu dernièrement un auteur réclamer tout haut contre l’usage de quelques-uns de ces cabinets qui, pour ne pas se ruiner en doubles achats, découpent dans les journaux et font relier les romans qui paraissent en feuilletons ; l’auteur dénonçait avec indignation cette mesure économique : c’est heureux qu’il n’ait pas déféré le cas au procureur du roi. […] Le mal sans doute ne date pas d’aujourd’hui ; mais tout est dans la mesure, et aujourd’hui on la comble.

145. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre I. Roman de Renart et Fabliaux »

Mais on conçoit quelle délicatesse de goût, quelle légèreté de touche il faudrait pour ne point dépasser la mesure sous prétexte de rendre la peinture plus comique ou plus maligne par la précision des ressemblances. […] Je veux dire la mesure : la délicatesse et la sobriété dans la plaisanterie, l’art de conter, et de faire avec rien une œuvre exquise. […] Les défauts cependant s’accroissent ; et sans parler des obscénités, je ne retrouve plus, dans les morceaux que j’ai cités, ni dans le reste du roman, l’exquise mesure qui fait la valeur de l’épisode de Pinte et de Copée. […] Mais surtout la mesure manque dans l’assimilation des animaux aux hommes. […] Il y a ainsi dans la conception première du Roman de Renart, dans celle de l’action et des personnages, une immoralité foncière, qui n’a fait que s’épanouir et s’aggraver à mesure que les branches s’ajoutaient aux branches.

146. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7761-7767

La Poésie, la Peinture, la Sculpture, l’Architecture, la Musique, la Danse, les différentes sortes de jeux, enfin les ouvrages de la nature & de l’art, peuvent lui donner du plaisir : voyons pourquoi, comment & quand ils les lui donnent ; rendons raison de nos sentimens ; cela pourra contribuer à nous former le goût, qui n’est autre chose que l’avantage de découvrir avec finesse & avec promptitude la mesure du plaisir que chaque chose doit donner aux hommes. […] Il est bon de connoître la source des plaisirs dont le goût est la mesure : la connoissance des plaisirs naturels & acquis pourra nous servir à rectifier notre goût naturel & notre goût acquis. […] Notre maniere d’être est entierement arbitraire ; nous pouvions avoir été faits comme nous sommes ou autrement ; mais si nous avions été faits autrement, nous aurions senti autrement ; un organe de plus ou de moins dans notre machine, auroit sait une autre éloquence, une autre poésie ; une contexture différente des mêmes organes auroit fait encore une autre poésie : par exemple, si la constitution de nos organes nous avoit rendu capables d’une plus longue attention, toutes les regles qui proportionnent la disposition du sujet à la mesure de notre attention, ne seroient plus ; si nous avions été rendus capables de plus de pénétration, toutes les regles qui sont fondées sur la mesure de notre pénétration, tomberoient de même ; enfin toutes les lois établies sur ce que notre machine est d’une certaine façon, seroient différentes si notre machine n’étoit pas de cette façon. […] Mais à mesure que l’on examine, l’oeil la voit s’aggrandir, l’étonnement augmente.

147. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre premier »

Il est une qualité que tout le monde se flatte d’avoir, dans une bonne mesure ; qu’on donne et refuse aux gens un peu au hasard : le nom en est dans toutes les bouches, la chose est encore et sera toujours à définir : c’est l’esprit. […] Mais ne serait-ce point le don de sentir, d’imaginer et d’exprimer dans une mesure moindre que le génie, et dans un ordre de pensées qui ne demande ni la sensibilité la plus profonde, ni la plus grande vivacité de l’imagination, ni la raison la plus relevée ? […] La tristesse de Marot est sans pleurs, sa raillerie sans aigreur, sa gaieté sans ivresse ; rien ne dépasse une certaine mesure, qui est déjà le goût. […] Les grandes passions, soit romanesques et rêveuses, comme dans le Nord, soit furieuses et sensuelles, comme dans le Midi sont rares parmi nous : la galanterie, c’est-à-dire beaucoup d’esprit avec un peu d’amour, est la mesure du plus grand nombre. […] La langue, proportionnée aux idées, et toujours juste n’est ni forte, ni colorée ; et, comme langue poétique, elle ne diffère encore de la prose familière que par la rime et la mesure.

148. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

La royauté, pour la première fois acceptée de tous, avait fait connaître à chacun sa mesure. […] La Bruyère voyait les habitudes, et, au lieu de visages échauffés par la passion, agrandis ou rapetissés outre mesure par les événements, des figures au repos, où les passions, devenues des manières d’être de chaque jour, avaient laissé des traces et comme gravé des rides ineffaçables. […] C’est ainsi que, de la cinquième à la neuvième édition, chaque division du livre forma comme une salle particulière, où vinrent se ranger, à mesure que le siècle les faisait passer devant lui, les originaux les plus marquants de la même famille. La partie dogmatique du livre s’augmentait dans la même mesure ; toute observation de mœurs qui ne pouvait pas prendre un corps et un visage paraissait sous la forme d’une réflexion ou d’un aphorisme. […] Est-ce mobilité et caprice, et non pas plutôt la diversité de la vie, qui affecte un esprit bien fait en proportion de ce que vaut chaque chose, et qui lui donne tour à tour toutes les dispositions dans une juste mesure, sans qu’aucune prenne le dessus ?

149. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Introduction »

Ce préjugé qui mesure la liberté à la négation pourrait donc aller jusqu’à cette conséquence, que le plus haut degré de liberté d’esprit consiste à ne pas même croire à la liberté. […] Qui servira de mesure et de règle ? […] Chacun ne peut juger qu’avec son jugement, ne peut penser qu’avec sa pensée, cela est évident ; mais il ne suit point de là que la vérité soit individuelle et qu’il n’y ait pas en soi une vérité absolue que chacun atteint dans la mesure où il le peut, et qu’il transmet aux autres dans la mesure où ils sont capables de la recevoir. […] A mesure que les hommes se serviront plus de leur raison, ils s’en serviront mieux.

150. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre VI. Exordes. — Péroraisons. — Transitions. »

Ou bien l’on conte une anecdote, amusante ou singulière, et on ne s’aperçoit pas qu’on allonge outre mesure son début, et que, perdant son temps à ces bagatelles extérieures, l’on n’en aura plus guère pour le développement sérieux et essentiel. […] Pour enfermer son sens dans la borne prescrite, La mesure est toujours trop longue ou trop petite.

151. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre II. Du sens et de la valeur des mots »

Quand Pascal s’abîme dans la méditation de l’immensité des espaces, quand son imagination est lasse et sa pensée impuissante, la langue lui fournit encore des signes capables de représenter l’inconcevable : « C’est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. » Formule vide de sens littéral, mais évidente et substantielle pourtant : sorte d’expression algébrique qui soumet l’infini à la même notation que le fini, et qui, par une combinaison de termes positifs et négatifs, arrive à donner la mesure de l’incommensurable. […] Tout ce qui fait, à vrai dire, la physionomie individuelle du mot, vient de la place et de l’entourage : c’est là qu’il prend sa forme et sa mesure précises, s’étendant ou se ramassant selon l’espace accordé, grâce à son élasticité naturelle, et fixant dans un emploi unique sa multiple capacité.

152. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVII »

Albalat, dit le premier, donne de fort amusantes listes de clichés, mais sa critique est parfois sans mesure. […] En pratique, les opinions qu’on me reproche ne sont pas si extrêmes, et je crois, au contraire, avoir fait des concessions et montré de la mesure.

153. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

Un bon esprit, — et tout esprit est en quelque mesure un bon esprit, — comprend sans se l’expliquer l’harmonie naturelle qui relie les signes arbitraires aux idées générales ; à mesure qu’il prend mieux possession de son entendement, il se complaît davantage dans ce mode d’expression, et il contribue pour sa part à le développer dans la langue commune dont il fait usage. […] Que l’intensité moyenne des idées provoquées par la parole intérieure ou extérieure soit très faible, le fait suivant, que chacun de nous a pu observer sur lui-même le montre avec évidence : la parole intérieure et la pensée se trouvent alors, en quelque mesure, dissociées et, par suite, séparément observables. […] Ajoutons maintenant que les mêmes rapports créent pour chaque idée une spécificité indirecte, qui, s’ajoutant à la première, a pour effet d’en compenser en quelque mesure la faiblesse. […] Les esprits les mieux faits sont ceux chez lesquels les actions opposées de l’habitude et de l’attention sont dans une corrélation rigoureuse, chez lesquels la rareté des extinctions partielles dispense d’ordinaire l’attention d’efforts passagers et pénibles, fatalement suivis d’un certain sommeil de cette faculté, et lui permet de répandre avec mesure son action bienfaisante sur tous les moments de la pensée. […] Non seulement les idées, — concepts et jugements, — s’usent en nous par la répétition, mais aussi les concepts et les jugements nous arrivent en quelque mesure du dehors tout formés et déjà usés par une longue répétition ; l’habitude individuelle ne fait qu’aggraver un mal déjà réel et confirmer les effets de l’habitude collective du milieu qui nous entoure.

154. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre premier. La sensation, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. La sensation »

En un mot, la quantité du pâtir ne se révèle et surtout ne se mesure que par la quantité de l’agir. […] Tout cela se fait si vite et avec une habitude si invétérée que nous croyons sentir immédiatement l’intensité de l’objet, quand en réalité nous la mesurons à une mesure intérieure, comme quand nous croyons immédiatement voir une sphère. […] Son impuissance n’est pas la mesure de la puissance des choses. […] Je vois un éclair, j’entends un son ; entre les deux sensations je ne puis pas établir un lien, comme entre deux éclairs d’intensité différente, ou deux sons d’intensité différente : il n’y a pas là, dans la sensibilité même, de mesure immanente, parce qu’il y a discontinuité entre les deux sensations. […] Dans ce dernier cas, nous parcourons des degrés dans un même continuum ; dans l’autre cas, nous faisons un saut d’un domaine dans l’autre, sans mesure possible.

155. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

La même mesure de souffrance et de bien-être paraît être le partage des peuples ; seulement cette somme de bonheur est plus équitablement répartie depuis l’abolition de l’esclavage et de la féodalité. […] Si on le mesure à l’infini de l’espace qui l’entoure, il ne vaut pas la peine d’être calculé ; si on le mesure à l’infini des temps qui le précèdent et qui le suivent, il ne vaut pas la peine d’être supputé ; si on le mesure à sa brièveté, à son insignifiance, à son néant parmi les êtres, il ne vaut pas la peine d’être nommé. […] Non ; car Dieu étant infini, il n’y a pas de limite à l’expansion de vie, de grandeur, de félicité qui peut découler toujours de lui sans l’épuiser jamais ; il n’y a pas de mesure à ses dons, il peut donner sans s’appauvrir, il n’a besoin d’économiser ni l’être, ni la bonté, ni la puissance. […] À mesure que la route devient plus longue, plus pénible et plus glaciale, le héros est abandonné de lassitude par ceux qui l’ont le plus aimé sur terre, qui ont d’abord tenté de le suivre, mais qui, rebutés de ses infortunes, retournent en arrière, ou succombent à ses pieds sur les sommets de glace et de neige dans son ascension. […] J’admirai, j’adorai cette parenté universelle des êtres, cette fraternité de la vie entre tout ce qui respire, entre tout ce qui sent, entre tout ce qui aime ici-bas dans la mesure de son intelligence et de sa destinée.

156. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres de François Arago. Tome I, 1854. » pp. 1-18

J’aime ce titre donné à des fragments de mémoires : Histoire de ma jeunesse ; il me semble que ce n’est guère qu’ainsi et dans cette mesure que chacun devrait écrire les siens. […] L’incohérence et la disproportion des parties avaient dépassé toutes les mesures. […] Arago a introduites dans ses jugements des savants, qui n’y donnent une certaine vie, tant qu’elles n’excèdent pas la mesure. […] Pour moi, qui ne puis que rêver à ces choses, je me figurerais volontiers une double statue d’Arago : l’une de lui jeune, dans la beauté de son ardeur et dans son plus mâle essor, voué à la pure science, à la mesure du globe, à la découverte des espaces célestes et des lois de la lumière, tel qu’il pouvait être à vingt et un ans dans ses veilles sereines sur le plateau du Desierto de las Palmas.

157. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

Guillaume Guizot, a exposé et combattu en forme cette méthode dans deux articles très remarquables ; je ne m’engagerai pas ici dans la discussion générale de la doctrine, ce qui exigerait des développements hors de mesure : je me bornerai, dans le cas particulier de Tite-Live, à faire voir ce qu’elle a, selon moi, d’excessif, d’artificiel et de conjectural ; le genre et le degré d’objection que j’y fais se comprendront mieux : Que sait-on de Tite-Live, de sa personne et de sa vie ? […] Tite-Live usa de cette faveur avec mesure, avec décence ; il garda une honnête liberté de jugement dans les parties les plus récentes et presque contemporaines de son histoire. […] Les autres qualités, les mérites plus politiques qui auraient pu se révéler à mesure qu’il aurait avancé dans son histoire (car il avait en lui, selon la remarque de Quintilien, bien des perfections diverses), ces mérites de spectateur et de peintre, capable pourtant de saisir les effets et les causes de grandeur ou de décadence, ne les lui supposons pas sans preuve, mais ne les lui dénions pas. […] Il a écrit quelque part, à propos de Saint-Simon et de ses excès de passion, de fureur pittoresque et d’explosion parfois risible ou terrible dans l’intimité : « C’est à ce prix qu’est le génie ; uniquement et totalement englouti dans l’idée qui l’absorbe, il perd de vue la mesure, la décence et le respect.

158. (1903) Considérations sur quelques écoles poétiques contemporaines pp. 3-31

Le second (3 + 5 + 4) ayant une deuxième césure enjambante, voit sa mesure quelque peu rompue, à cause de la pose, après l’atone, qui fait tomber l’e muet sur Naïades. […] Mais venant après le 6 + 6 il change soudain la mesure, et comme on a le premier dans l’oreille, on scande involontairement : De la Thrace avec les | Naïades ses compagnes ce qui est horrible ! […] À mesure qu’on s’approche du xive  siècle, on prend l’habitude d’user des rimes alternées dans les pièces à chanter, comme on peut le voir en parcourant les poésies de Charles d’Orléans, ou celles, plus anciennes, de ce Colin Muset, dont M.  […] De ce qui précède, on peut donc inférer qu’à l’origine la loi de la succession des rimes a été dictée par la musique, et ce qui porte à croire cette assertion, c’est la phrase de Joachim du Bellay : « Il y en a qui fort superstitieusement entremeslent les vers masculins avec les vers féminins… afin que plus facilement on les peust chanter sans varier la musique pour la diversité des mesures qui se trouveroient en la fin des vers. » Ronsard, qu’on ne peut jamais trop consulter, s’exprime ainsi sur la rime dans son Art poétique : « La Ryme n’est autre chose qu’une consonance et cadance de syllabes, tombantes sur la fin des vers, laquelle je veulx que tu observes tant aux masculins qu’aux féminins, de deux entières et parfaictes syllabes, ou pour le moins d’une aux masculins pourveu qu’elle soit résonante et d’un son entier et parfaict. » Mais nulle part, il ne promulgue une règle à suivre sur l’alternance des rimes.

159. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — Les traductions. » pp. 125-144

« Quelle oreille, ajoute l’abbé Desfontaines, insatiable de musique, pourroit écouter, jusqu’au bout, un opéra tout entier sur la même mesure, & dont chaque mesure seroit constamment composée de quatre notes égales. » A l’égard des petites pièces, comme les églogues, les idylles, les élégies, les épigrammes, &c. il convient que cette raison n’est pas valable. […] Il dit qu’un poëte Grec ou Latin, dépouillé de son principal charme, la mesure & l’harmonie, n’est plus reconnoissable ; que les habillemens à la moderne, qu’on peut lui donner, peuvent être tous très-beaux, mais que ce ne seront jamais les siens ; qu’on l’imitera, mais qu’on ne le rendra jamais au naturel ; que notre poësie, avec ses rimes, ses hémistiches toujours semblables, l’uniformité de sa marche, &, si on ose le dire, sa monotonie, ne sçauroit représenter la cadence variée de la poësie des anciens ; qu’enfin il faut apprendre leurs langues, lorsqu’on veut connoître leurs poëtes.

160. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 45, de la musique proprement dite » pp. 444-463

Les anciens appelloient rithme en musique, ce que nous appellons mesure et mouvement. Or la mesure et le mouvement donnent l’ame, pour ainsi dire, à une composition musicale. La science du rithme, en montrant à varier à propos la mesure, ôte de la musique cette uniformité de cadence, qui seroit capable de la rendre bien-tôt ennuïeuse.

161. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 10, continuation des preuves qui montrent que les anciens écrivoient en notes la déclamation » pp. 154-173

Nous avons vû, dit-il, introduire sur la scéne, à la place de la musique simple et grave, des pieces de Noevius et de Livius Andronicus une musique si pétulante, que les acteurs, pour suivre la mesure, sont obligez de s’agiter, de faire des roulemens d’yeux et des contorsions de tête, en un mot, de se démener comme des forcenez. […] Nous avons déja vû que le geste des comédiens des anciens étoit aussi assujetti à la mesure que la récitation même. […] Premierement, le mouvement a été acceleré, et l’on se sert pour le regler de mesures dont on ne se servoit pas autrefois, ce qui a fait perdre à la récitation son ancienne gravité.

162. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme Desbordes-Valmore. Poésies inédites. »

Oui, laissons là pour un moment la personne et le talent de Mme Valmore, mais ce cri qui jaillit du fond du cœur frappé, comme le sang jaillit d’une veine ouverte, mais cette éloquence irrésistible de la blessure ou de la caresse, mais cette émotion qui doit être, en poésie, prépondérante même à la pensée, à plus forte raison à l’image, à la phrase, au rythme, à l’harmonie, enfin à tout ce qui entre nécessairement à n’importe quel degré dans la trame d’une poésie quelconque, cette émotion ne constitue-t-elle pas certainement et dans la mesure où elle existe la poésie la plus élevée et la plus profonde, et par la raison souveraine que l’homme mesure tout à lui-même et que c’est le battement de son cœur qui donne le branle à l’univers ! […] — annonçait, dans ces vers libres ou plutôt lâches, et où la langue s’effilochait comme un tissu usé dans chacun de ses fils, la femme qui, vingt ans plus tard, s’est essayée à se faire un rythme, et qui, en son coin solitaire, a participé, dans la mesure de ses forces de femme, à ce grand mouvement rénovateur du style poétique qui s’est produit avec tant de continuité et de fécondité parmi nous.

163. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. de Ségur : Mémoires, souvenirs et anecdotes. Tome III. »

A mesure qu’on approchait du terme, la gaieté et la verve redoublaient ; les réminiscences de la mythologie et de l’histoire se réveillaient en foule à l’aspect de l’antique Tauride. […] On perdit de la sorte quatre séances, c’est-à-dire quinze jours, et l’on finissait à peine d’arrêter les mesures, lorsqu’on apprit l’invasion du duc de Brunswick, la terreur des Hollandais, la défection du prince de Salm, qui les commandait, la prise de leurs villes et l’achèvement complet d’une révolution qui livrait cette république au stathouder et à l’Angleterre.

164. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre III. Des moyens de trouver la formule générale d’une époque » pp. 121-124

Le milieu terrestre et cosmique a déjà une importance plus considérable, quoiqu’elle aille en diminuant à mesure qu’on s’éloigne des temps primitifs. L’homme, en effet, s’affranchit de la nature et la soumet de plus en plus, à mesure que la civilisation progresse.

165. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre premier. Sensation et pensée »

Tels moyens de sentir, telles « mesures », telles connaissances. […] — L’antithèse de la variété et de l’unité, de la matière et de la forme, chère à Platon et à Kant, paraît de plus en plus factice à mesure que la psychologie contemporaine pénètre davantage dans l’étude des sensations et de leurs éléments organiques. […] Même la différence agréable est un état nouveau qui s’oppose à l’ancien et auquel l’ancien résiste en une certaine mesure ; seulement, comme il y a alors surcroît, aide, concours, le moment de l’opposition s’évanouit immédiatement en harmonie. […] Une sensation, selon nous, n’existe en elle-même qu’à la condition d’exister aussi pour soi à quelque degré, et il n’y a pas plus de sensation absolument inconsciente que de souffrance inconsciente ; or, par cela même qu’un état de conscience est senti, on peut dire aussi que, dans la même mesure, il est connu comme tel. […] La mesure de la vérité n’est pas la sensation seule, comme le disait Protagoras ; elle n’est pas non plus la pensée pure ; mais elle est la sensation jointe à faction.

166. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Jules Sandeau » pp. 322-326

Il a pourvu expressément, par la publication posthume qu’il avait préparée, à ce que la postérité n’en ignorât et à ce qu'elle prît sa mesure là-dessus : une trop exacte mesure !

167. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de Dampmartin, Maréchal de camp »

Des mesures impolitiques et iniques à la fois avaient déjà préparé sa défection du pouvoir à la cause publique ; elle aussi avait ses abus à détruire, ses franchises à réclamer, et une révolution à accomplir dans sa discipline. […] Chérin, généalogiste de la cour. » Cette mesure partait d’on maréchal de France, et ce fut ensuite un cardinal qui l’appliqua en toute rigueur.

168. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VI. Recherche des effets produits par une œuvre littéraire » pp. 76-80

On arrive sans trop de peine à savoir si elle a réussi auprès des contemporains et en quelle mesure, si elle a obtenu un succès lent ou rapide, disputé ou presque unanime, éphémère ou durable. […] Toute société, avant d’être réalisée, existe à l’état de rêve, de conception, de désir ; et cela devient de plus en plus vrai à mesure que les peuples prennent d’eux-mêmes et de leurs besoins une conscience plus claire.

169. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre premier. Que la Mythologie rapetissait la nature ; que les Anciens n’avaient point de Poésie proprement dite descriptive. »

La lune sort enfin de l’Orient ; à mesure que vous passez au pied des arbres, elle semble errer devant vous dans leur cime, et suivre tristement vos yeux. […] Il faut plaindre les anciens, qui n’avaient trouvé dans l’Océan que le palais de Neptune et la grotte de Protée ; il était dur de ne voir que les aventures des Tritons et des Néréides dans cette immensité des mers, qui semble nous donner une mesure confuse de la grandeur de notre âme, dans cette immensité qui fait naître en nous un vague désir de quitter la vie, pour embrasser la nature et nous confondre avec son Auteur.

170. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juillet 1886. »

Enfin les notes et les accords, qui valaient seulement par leurs relations et mesures, vêtent des significations propres, indépendantes de leur place dans la mélodie. […] A mesure que les âmes se développent, elles requièrent davantage, entre elles et l’âme de l’artiste, l’atténuation de tout intermédiaire. […] Enfin la Musique, de même que les autres arts, reçut des formes diverses à mesure que s’accrut le nombre des âmes « différentes ». […] Voici d’abord le motif, un air vif et léger, exposé, durant trois mesures, par la première voix. […] Parfois déjà, dans les sonates pour le clavecin, quelques mesures d’un adagio très subtilement poignant : ailleurs un emportement fougueux des rythmes.

171. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre III. De la logique poétique » pp. 125-167

La synecdoque fut employée ensuite, à mesure que l’on s’éleva des particularités aux généralités, ou que l’on réunit les parties pour composer leurs entiers. […] Mais, à mesure que l’esprit humain se développa, à mesure que l’on trouva les paroles qui signifient des formes abstraites, ou des genres comprenant leurs espèces, ou unissant les parties en leurs entiers, les expressions des premiers hommes devinrent des figures. […] Avant eux, c’est Cicéron lui-même qui le rapporte, on ne savait rendre le discours nombreux qu’en y mêlant certaines mesures poétiques. […] Nous trouvons partout des Sibylles chez les plus anciennes nations : or, on assure qu’elles chantaient leurs réponses en vers héroïques, et partout les oracles répondaient en vers de cette mesure. […] Puis le nom de vers saturnien passa aux vers iambiques de six pieds, peut-être parce que ces derniers vers firent employés naturellement dans le langage, comme auparavant les vers saturniens-héroïques. — Les savants modernes sont aujourd’hui divisés sur la question de savoir si la poésie hébraïque a une mesure, ou simplement une sorte de rythme61 ; mais Josèphe, Philon, Origène et Eusèbe, tiennent pour la première opinion ; et ce qui la favorise principalement, c’est que, selon saint Jérôme, le livre de Job, plus ancien que ceux de Moïse, serait écrit en vers héroïques depuis la fin du second chapitre jusqu’au commencement du quarante-deuxième. — Si nous en croyons l’auteur anonyme de l’Incertitude des sciences, les Arabes, qui ne connaissaient point l’écriture, conservèrent leur ancienne langue, en retenant leurs poèmes nationaux jusqu’au temps où ils inondèrent les provinces orientales de l’empire grec.

172. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil. — I »

Jeunes gens qui voulons nous retremper et nous affermir dans l’intégrité politique, qui voulons espérer en l’avenir sérieux dont l’aspect momentanément se dérobe, qui sommes résolus à ne nous immiscer d’ici là à aucun mensonge, à ne signer aucun bail avec les royautés astucieuses, à ne jamais donner dans les manèges hypocrites des tiers-partis, faisons donc, pour prendre patience et leçon, ce salutaire voyage d’Amérique ; faisons-le dans Jefferson du moins ; étudions-y le bon sens pratique, si différent de la rouerie gouvernementale ; apprenons-y la modération, la tolérance, qui sied si bien aux convictions invariables, la rectitude, la simplicité de vues, qui, si elle s’abstient maintes fois, a l’avantage de ne jamais s’embarquer dans les solutions ruineuses ; apprenons-y, quelle que soit la vivacité de nos préoccupations personnelles sur certains points de religion, de morale, d’économie ou de politique, à ne prétendre les établir, les organiser au dehors que dans la mesure compatible avec la majorité des esprits : car la liberté et la diversité des esprits humains sont le fait le plus inévitable à la fois et le plus respectable qu’on retrouve désormais dans le côté social de toutes les questions. […] « Notre gouvernement, dit-il, avait besoin d’un lien plus fort ; mais il faut bien nous garder de passer d’un extrême à l’autre et de resserrer le nœud outre mesure. » Il regrette l’absence d’une déclaration explicite de droits ; il craint aussi que l’abandon absolu du principe de rotation pour les fonctions de président et de sénateur ne dégénère en abus, et que ces magistrats, perpétuellement rééligibles, ne soient par là même réélus indéfiniment. à son retour d’Europe, en mars 1790, Jefferson, arrivant à New-York, et entrant, comme secrétaire d’État, dans le Conseil de Washington, trouva déjà d’étranges idées ébauchées sur la représentation et l’étiquette, sur la centralisation et la pondération des pouvoirs. […] Une comptabilité compliquée, force emprunts, de gros traitements, de lourds impôts, de perfides poursuites contre la presse sous prétexte de sédition, d’inhospitalières mesures contre les proscrits et les réfugiés de l’Europe, toutes les questions douteuses et indéterminées constamment résolues dans le sens d’un pouvoir central envahisseur ; tels étaient les points essentiels de ce programme monarchique, que l’intérêt populaire trouve partout à combattre, et que la République semblait avoir dérobé par avance à la quasi-légitimité, Voici une lettre de Jefferson, datée de 1796, et qui exprime trop exactement notre propre situation de 1833, pour que nous ne la transcrivions pas en entier : « L’aspect de notre pays est étonnamment changé depuis que vous nous avez quittés.

173. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVII. Romans d’histoire, d’aventures et de voyages : Gebhart, Lemaître, Radiot, Élémir Bourges, Loti » pp. 201-217

D’un scandaleux qui d’ailleurs ne me scandalise pas outre mesure. […] Malon, Hermann ne croit pas au droit divin, et veut essayer des mesures socialistes. […] C’est là un bon travail dans le genre qu’on peut dénommer roman ethnographique, dans une mesure encore roman historique, puisque narrateur de civilisation et de mœurs authentiques et autres que les nôtres.

174. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre premier. L’ubiquité de la conscience et l’apparente inconscience »

A mesure que, dans l’échelle des êtres, la centralisation va croissant, le cerveau devient de plus en plus-dominateur. […] Mais, si son moi social a disparu, l’animal conserve cependant, en une certaine mesure, son moi personnel, réduit au présent et renfermé comme Robinson dans son île. […] Au reste, si les centres de la moelle sont presque réduits chez l’homme à l’automatisme des actions réflexes, il n’en est plus de même à mesure qu’on descend l’échelle animale ; nous avons vu qu’alors les centres de la moelle manifestent non seulement une sensibilité rudimentaire, mais de la conscience et de la volonté, parfois même de l’intelligence.

175. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — La déclamation. » pp. 421-441

Il dit qu’il a consulté là-dessus des musiciens, & qu’ils l’ont tous assuré qu’il étoit très-facile d’en exprimer les inflexions avec les notes actuelles de la musique ; qu’il suffiroit de leur donner la moitié de la valeur qu’elles ont dans le chant, & de faire la même réduction à l’égard des mesures. […] Ils leur apprenoient la bonne prononciation, la durée des mesures & l’intonation des accens : ils faisoient, en un mot, ce que nous serions encore obligés de faire, si nous avions à former pour le théâtre un acteur Normand ou Provençal, quelque intelligence qu’il eût d’ailleurs : mais un cas particulier, ajoute M. […] On lui répondit que la déclamation tragique, quoique chargée, ne détruisoit point l’illusion nécessaire au spectacle ; que l’imagination des spectateurs se prêtoit à ce langage comme à la mesure, à la rime & au chant de nos opéra ; que cette supposition, une fois admise, est une source de plaisir, pourvu que l’auteur ne la pousse pas trop loin, & qu’en conservant « la sublimité du ton de la tragédie, il suive, autant qu’il est possible, la nature, & ne fasse que l’élever sans la guinder, l’aggrandir sans l’enfler, l’ennoblir sans la détruire ».

176. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre II. Mademoiselle Mars a été toute la comédie de son temps » pp. 93-102

Elle, cependant, à mesure qu’elle avançait vers la borne fatale, elle redoublait de zèle et d’ardeur. […] Il avait tant de hâte d’arriver au but, qu’il l’outrepassait, alors notre homme, comprenant sa faute, s’impatiente outre mesure. […] quelle mesure !

177. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les civilisations »

Aussi, pour prendre exactement la mesure d’une civilisation dans l’histoire, il n’est besoin que de se servir comme mesure de la civilisation chrétienne… Et c’est, malheureusement pour lui et pour nous, ce que l’auteur des Études sur les civilisations n’a pas fait. Il aurait alors, avec cette mesure, avec cette règle d’or de la civilisation chrétienne, vu à quoi se bornaient ces civilisations américaines qui lui font ouvrir les yeux si grands.

178. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « L’idolâtrie au théâtre »

Certainement, à elle seule elle n’a pas créé cet amour fiévreux du théâtre, naturel à l’homme, et qui devient la plus malsaine manie des peuples vieux, civilisés et corrompus ; mais elle l’a exaltée outre mesure, et elle en a fait à cette heure quelque chose d’inouï, — sans exemple et sans nom. […] Tout ce qui a en soi une force quelconque de pensée doit s’attacher à réprimer, dans la mesure de cette force, cet histrionisme envahisseur, qui va nous déborder demain et qui a fait toujours suivre, dans l’histoire du monde, les saltimbanques par les Barbares. […] L’occupation du loisir des peuples donne exactement leur mesure.

179. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rigault » pp. 169-183

souvent les goûts que nous avons sont une mesure. […] Poétiquement, Horace me fait l’effet d’une espèce de Ronsard romain, mais avec beaucoup plus de goût, de mesure, de tact que le Ronsard français, et avec une bien autre langue, une langue dans laquelle Virgile avait chanté ! […] « J’ai fait connaître au Latium — dit-il — les ïambes du chantre de Paros, imitant la mesure d’Archiloque.

180. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ernest Hello » pp. 389-403

J’ai voulu la faire ; j’ai voulu la penser ; j’ai voulu la parler ; j’ai voulu mettre à leur place les hommes et les choses ; j’ai voulu prendre leur mesure et la donner… J’ai promené la balance à travers le monde intellectuel, n’ayant qu’un poids et qu’une mesure, et j’ai laissé les plateaux monter et descendre comme ils voulaient, abandonnés aux lois de l’équilibré… Les chapitres de ce livre ne sont pas juxtaposés par une unité mécanique, mais ils sont liés, si je ne me trompe, par une unité organique, et cette unité, c’est la faim et la soif de la « Justice. » Et comme le mystique ne s’éteint jamais, ainsi que je Fai dit, dans M.  […] Ils ont aussi, eux sinon la faim et la soif, au moins le sentiment de la Justice, car on ne juge que pour faire justice, et tout moraliste est un juge ; mais pour la plupart, si ce n’est pour tous, l’arrêt une fois prononcé, le vice flétri, le faux démontré, la sottise livrée au ridicule, — son bourreau, — le moraliste, dans la mesure de son talent, a fait son œuvre.

181. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVI. Des éloges académiques ; des éloges des savants, par M. de Fontenelle, et de quelques autres. »

Tous les objets dont on s’y occupe sont grands, et en même temps sont utiles ; c’est l’empire des connaissances humaines ; c’est là que vous voyez paraître tour à tour la géométrie qui analyse les grandeurs, et ouvre à la physique les portes de la nature ; l’algèbre, espèce de langue qui représente, par un signe, une suite innombrable de pensées, espèce de guide, qui marche un bandeau sur les yeux, et qui, à travers les nuages, poursuit et atteint ce qu’il ne connaît pas ; l’astronomie, qui mesure le soleil, compte les mondes, et de cent soixante-cinq millions de lieues, tire des lignes de communication avec l’homme ; la géographie, qui connaît la terre par les cieux ; la navigation, qui demande sa route aux satellites de Jupiter, et que ces astres guident en s’éclipsant ; la manœuvre, qui, par le calcul des résistances et des forces, apprend à marcher sur les mers ; la science des eaux, qui mesure, sépare, unit, fait voyager, fait monter, fait descendre les fleuves, et les travaille, pour ainsi dire, de la main de l’homme ; le génie qui sert dans les combats ; la mécanique qui multiplie les forces par le mouvement, et les arts par l’industrie, et sous des mains stupides crée des prodiges ; l’optique qui donne à l’homme un nouveau sens, comme la mécanique lui donne de nouveaux bras ; enfin les sciences qui s’occupent uniquement de notre conservation ; l’anatomie par l’étude des corps organisés et sensibles ; la botanique par celle des végétaux ; la chimie par la décomposition des liqueurs, des minéraux et des plantes ; et la science, aussi dangereuse que sublime, qui naît des trois ensemble, et qui applique leurs lumières réunies aux maux physiques qui nous désolent. […] Un tact très fin, et pour lequel l’esprit ne suffit pas, a pu seul lui indiquer cette mesure.

182. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

Aussi l’adaptation mécanique au milieu se fait-elle avec plus de peine à mesure qu’on s’élève dans l’échelle des êtres : de là bien des anomalies. […] Plus tard, quand l’espèce s’élève encore, la race et l’individu se réconcilient en une certaine mesure. […] La première lueur du soleil excite votre œil et, à mesure que le soleil levant monte à l’horizon, il semble que le plaisir se lève aussi et monte à l’horizon de votre conscience ; mais quand la lumière est devenue trop vive, votre œil est blessé, aveuglé. […] La mesure dans l’activité devient donc un moyen d’en assurer le développement le plus intense et le plus efficace. […] Au moment précis et dans la mesure où nous jouissons de notre action, — par exemple, dans la contemplation d’une scène de la nature, — nous cessons de désirer le changement, comme le soutiennent Rolph et Leslie ; mais aucune jouissance et aucune action ne peut demeurer longtemps au même niveau d’intensité.

183. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — III. (Fin.) » pp. 479-496

Ce rêve qu’il décrit en détail et dont il nous donne toute la sensation et l’image, ce serait de passer tout un hiver seul cantonné sur ce haut mont, d’y avoir, sous un rocher capable de résister aux avalanches, une hutte assez solide et assez bien approvisionnée pour y vivre, et, là, spectateur curieux, observateur attentif, d’assister à des phénomènes qui n’ont jamais eu de témoin, de soumettre à des calculs, d’assujettir à des mesures le combat des éléments, la vitesse des vents, la puissance des neiges déplacées, les convulsions de l’air et de la terre : Non, s’écrie-t-il en se voyant à la place de l’observateur favorisé, non, ses jours ne seraient point livrés à l’ennui. […] Il n’avait que dédain pour ceux qui rapportaient l’origine d’une si grande secousse à tel objet particulier de leur dépit ou de leur aversion : L’heure des révolutions sonne, messieurs, disait-il (et c’est dans un discours qu’il eut à prononcer comme préfet à l’ouverture du lycée de Clermont sous l’Empire), — l’heure des révolutions sonne quand la succession des temps a changé la valeur des forces qui concourent au maintien de l’ordre social, quand les modifications que ces forces ont subies sont de telle nature qu’elles portent atteinte à l’équilibre des pouvoirs ; quand les changements, imperceptiblement survenus dans les mœurs des peuples et la direction des esprits, sont arrivés à tel point qu’il y a contradiction inconciliable et manifeste entre le but et les moyens de la société, entre les institutions et les habitudes, entre la loi et l’opinion, entre les intérêts de chacun et les intérêts de tous ; quand enfin tous les éléments sont parvenus à un tel état de discorde qu’il n’y a plus qu’un conflit général qui, en les soumettant à une nouvelle épreuve, puisse assigner à chaque force sa mesure, à chaque puissance sa place, à chaque prétention ses bornes… Cette manière élevée de considérer les choses contemporaines comme si elles étaient déjà de l’histoire, dispense de bien des regrets dans le passé et de bien des récriminations en arrière. […] Dans ce pays d’Auvergne, du pied de cette montagne illustrée par les expériences de Pascal, Ramond nota les variations du baromètre, multiplia les observations et les mesures en tous sens, et perfectionna cette branche de la physique avec une patience et un besoin d’exactitude rigoureuse qui s’alliait en lui à l’imagination la plus brillante. […] Faisant allusion à certains termes assez impératifs de la lettre de nomination et qui laissaient peu la liberté du refus, Ramond aurait dit en riant : « Je suis préfet par lettre de cachet. » Cuvier n’a pas dédaigné d’égayer sa Notice de ces traits malins et de quelques autres qu’il faudrait avoir été contemporain pour accueillir et présenter dans leur juste mesure, sans rien exagérer ni forcer en les rapportant. — Cuvier et Ramond n’étaient pas au mieux ensemble ; ils avaient été en compétition pour la place de secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences.

184. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Lammenais » pp. 22-43

En effet, dans cette Correspondance, à mesure qu’on avance, Lamennais ne cesse pas d’être en colère. […] Ses invectives se partagent entre l’opposition qui contrarie les mesures et projets du ministère Villèle et ce ministère lui-même, qui, à son gré, ne va pas assez vite ni assez loin. […] Seulement, à un moment de l’impression, un passage du chapitre XXXIII, où est décrite une vision, me parut passer toute mesure en ce qui était du Pape en particulier et du catholicisme. […] insensé bien souvent, hors de toute mesure, mais avec ce profond sentiment des infirmités sociales et des souffrances populaires, en faveur duquel il lui sera beaucoup pardonné.

185. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. »

La prudence est encore plus nécessaire aux princes qu’aux simples particuliers… » Et il parlait avec sensibilité de la prochaine réunion des États Généraux, exhortant chacun de ceux qui y étalent appelés à faire effort pour le bien dans sa ligne et dans sa mesure, à concourir au règlement de la chose publique, au rétablissement de l’ordre dans les diverses parties de l’administration, « afin de redonner à notre bon roi, disait-il, la tranquillité et le bonheur qu’il a perdus et dont il est si digne. » Celui qui lui aurait prédit alors, et ce jour-là, que trois ans et demi après, nommé membre d’une Convention avec mandat de juger ce même roi, il aurait hâte d’en finir au plus tôt avec lui et de faire le plus sommairement tomber sa tête, — celui qui lui aurait prédit que son premier discours à cette Convention nationale serait non plus pour louer ce bon roi, mais pour célébrer « le bon peuple » qui l’y avait porté et qui venait de lui conférer à ses collègues et à lui une mission terrible, souveraine, une mission de nivellement estimée par lui légitime, irrésistible et régénératrice, l’aurait certainement bien étonné. […] Après cela, peut-on s’étonner que Jean-Bon Saint-André, menacé à cette date par la rage des réactionnaires, forcé de quitter Montauban et se trouvant à Toulouse, nous soit signalé comme agitateur, comme excitant par ses prédications les gardes nationaux de cette ville, et qu’il lui soit échappé de dire à Mathieu Dumas, en le sommant de prendre quelques mesures dans un intérêt patriotique : « C’est le jour de la vengeance, et nous l’attendons depuis plus de cent ans ?  […] La mesure qu’on voudrait leur appliquer serait fausse autant qu’injuste. […] Il souffrait (ce qui vaut mieux) des débats irritants, des récriminations violentes qui remettaient toujours en avant les noms de Marat et de Robespierre ; il accusait les Girondins et surtout le ministre Roland d’avoir perdu bien du temps à des querelles jalouses : il avait hâte qu’on prît les grandes et décisives mesures pour la défense du territoire.

186. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Affaires de Rome »

J’ai désormais des devoirs plus simples et plus clairs ; le reste de ma vie sera, je l’espère, consacré à les remplir, selon la mesure de mes forces… Qu’on ne s’y trompe pas, le monde a changé : il est las des querelles dogmatiques. » Telle est la déclaration formelle que M. de La Mennais exprime aux dernières pages de ce livre ; les termes seuls dans lesquels elle est conçue montrent assez que, si le nouvel écrit est destiné à clore la série de ceux que l’auteur a publiés à partir des Réflexions sur l’État de l’Église, datant de 1808, il ne leur ressemble ni par les principes ni par le ton, et que, sinon pour le sujet et la matière, du moins dans les pensées et les conclusions, il se rattache déjà à cette série d’écrits futurs que nous promet l’illustre auteur. […] L’illustre auteur, dans sa marche infatigable, peut se comparer à une comète ardente qui a successivement apparu à l’horizon de plusieurs mondes d’esprits, salué d’eux avec transport à cause de son éclat, à mesure qu’il se découvrait pour la première fois dans leur ciel. […] Le talent, ce don, cet instrument un peu particulier et qui ne suit pas nécessairement la loi de la vérité intérieure, a gagné chez M. de La Mennais en souplesse, en variété, en grâce et en coloris, sans perdre en force, à mesure que sa rigueur de foi a été davantage ébranlée. […] Cette pensée ardente ne mesure pas le temps à la manière des autres hommes ; elle a son rhythmepresque fébrile : l’horloge intérieure, qui dans cette tête n’obéit qu’à la mécanique rationnelle, n’est pas d’accord avec l’horloge extérieure du monde, qui, bien qu’il aille vite, a pourtant ses frottements et ses retards.

187. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Recueillements poétiques (1839) »

À mesure que chacun des grands esprits qu’on a vus débuter avec éclat s’avance dans la vie, il rompt ses unités, multiplie ses bigarrures et ses aventures : cela, chez quelques-uns, peut s’appeler progrès ; car toute chose a deux noms. […] La Lettre à M. de Cazalès sur la Politique rationnelle était encore dans cette première mesure. […] Quel est l’endroit, la mesure indécise où le lac tant aimé n’est plus lui-même, et s’affaisse et se noie indéfiniment, et n’offre plus que flaque immense de poésie ? […] Il avait de tout temps ses défauts, ses inadvertances ; il faisait rimer ciel et soleil, il disait l’une après l’une ; on ne lui demandait qu’à peine de s’en corriger ; la grammaire souffrait plus que l’esprit ; il y avait encore une certaine mesure et comme une harmonie dans ses négligences.

188. (1892) Boileau « Chapitre VII. L’influence de Boileau » pp. 182-206

La satire fait comme un accompagnement railleur aux préceptes didactiques : mais cela même, et certains dénis de justice, certaines duretés, font du poème une œuvre de polémique autant que de théorie : c’est le langage d’un homme qui ne sent pas encore son autorité très affermie ; un maître qui enseigne à plus de mesure et d’impartialité. […] Ailleurs il se déclare nettement moderne, avec infiniment de sens et de mesure, il est vrai, en se gardant très adroitement. […] L’étranger n’a donc adopté Boileau que comme expression du goût français, qui faisait prime et loi, et dans la mesure même où il a été l’expression de ce goût. […] Et la forme de sa pensée est dépouillée aussi de tout élément sensitif ou imaginatif : jamais forme ne fut plus abstraite, plus immatérielle, plus affranchie du nombre et de la mesure, qui sont les lois de la substance étendue : pure notation algébrique où l’intelligence seule trouve son compte.

189. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires de Philippe de Commynes, nouvelle édition publiée par Mlle Dupont. (3 vol. in-8º.) » pp. 241-259

Ce sont des hommes qui ont nos idées et qui les ont dans la mesure et dans le sens où il nous serait bon de les avoir, qui entendent le monde, la société, particulièrement l’art d’y vivre et de s’y conduire, comme nous serions trop heureux de l’entendre encore aujourd’hui ; des têtes saines, judicieuses, munies d’un sens fin et sûr, riches d’une expérience moins amère que profitable et consolante, et comme savoureuse. […] Commynes loue fort son maître de l’unité qu’il voulait établir dans son royaume, de l’unité dans les poids et mesures, de l’unité dans les coutumes et de l’espèce de Code civil qu’il projetait ; ajoutez-y encore le projet d’abolir les péages à l’intérieur, et d’établir pour le commerce la libre circulation, en rejetant les douanes à la frontière. […] Ces idées de Commynes purent ne lui venir à lui-même qu’après la mort de son maître, quand il eut connu à son tour l’adversité, l’oppression, et qu’il eut pu vérifier par expérience sa maxime : « Les plus grands maux viennent volontiers des plus forts ; car les faibles ne cherchent que patience. » Mais, quelle que soit leur date dans la vie de Commynes, les idées qu’on vient de voir donnent la mesure de l’étendue de son horizon. […] Des poètes, des romanciers en ont tiré des sujets ; mais ni le roman de Walter Scott, ni la chanson de Béranger, ne rendent la réalité dans toute sa justesse, et avec la parfaite mesure qu’elle nous offre sous cette plume de Commynes, curieuse, attentive, fidèle, et si étrangère à un but littéraire, à un effet dramatique.

190. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — I. » pp. 441-459

C’était (sauf des différences qu’il serait trop long ici d’expliquer), c’était en somme une tentative de réorganisation de la justice en France sur un plan uniforme et d’après l’idée d’une législation homogène ; mais les auteurs de ce plan avaient bien moins songé à l’ordre judiciaire et à la justice en elle-même qu’aux conséquences politiques de cette mesure dans les difficultés extrêmes où ils se trouvaient. […] Portalis, en entrant dans les Conseils avec Siméon, dont il avait épousé la sœur, vit tout d’abord Thibaudeau, qui s’était honoré dans les derniers temps de la Convention par sa résistance aux mesures exceptionnelles et révolutionnaires trop prolongées : « Nous vous prenons pour chef de file, lui dirent-ils, nous voulons marcher sur votre ligne. » Cette ligne était celle aussi qui aurait fait marcher la Constitution sans violence, sans infraction aux lois, et en y faisant entrer le plus possible les idées de régularité et de justice. « Toute révolution est une conquête, pensait Portalis ; la Constitution, dans laquelle on se repose, devient un véritable traité de paix. » C’est cette paix qu’il avait hâte de pratiquer et de féconder, en substituant graduellement aux mesures hostiles, partiales, éversives, l’action bienfaisante et concertée des lois. […] C’est ainsi que, dans son célèbre discours en faveur des prêtres non assermentés qu’on s’obstinait encore à persécuter et à proscrire, il faisait voir l’impuissance définitive de ces mesures extrêmes en même temps que leur odieuse rigueur, et rappelait que la Convention elle-même, au plus fort de sa domination souveraine, y avait échoué : Il n’y a point de puissance absolue dans ce monde, il n’y en aura jamais.

191. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome II

Il continue d’être le mainteneur de la mesure en Europe, politiquement. […] Pour qui l’a connu, ce sacrifice mesure le degré de son dévouement à la chose publique. […] Mais l’attrait des idées sur la sensibilité n’est, dans aucun ordre, la mesure de leur vérité. […] Leur stock s’épuiserait à mesure et se reconstituerait mal. […] On a ainsi substitué, dans la mesure du possible, des Universités aux Facultés.

192. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Les legs de l’exposition philosophie de la danse »

Car tous ces ventres algériens, tunisiens, égyptiens et marocains, ces ventres d’almées et d’odalisques, de Zoras et de Fatmas, qui déplaçaient en mesure leurs paquets d’entrailles à l’Esplanade et dans la rue du Caire, ces ventres nous sont restés. […] Allez sur le boulevard extérieur, dans un éden que signale aux passants un moulin lumineux aux ailes de pourpre flamboyante : vous y verrez valser une aimable fille dont le sobriquet exprime un appétit sans mesure, et un homme d’aspect sévère qui porte le même nom que le frère infortuné de Marguerite.

193. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Prémunis par là contre bien des agitations insensées, sachons nous tenir à un calme grave, à une habitude réfléchie et naturelle, qui nous fasse tout goûter selon la mesure, nous permette une justice clairvoyante, dégagée des préoccupations superbes, et, en sauvant nos productions sincères des changeantes saillies du jour et des jargons bigarrés qui passent, nous établisse dans la situation intime la meilleure pour y épancher le plus de ces vérités réelles, de ces beautés simples, de ces sentiments humains bien ménagés, dont, sous des formes plus ou moins neuves et durables, les âges futurs verront se confirmer à chaque épreuve l’éternelle jeunesse. […] Une fois engagé dans des liens indissolubles, il tâcha que toute image trop émouvante et trop propice aux désirs fût soigneusement bannie de ce plan un peu chimérique, où le devoir était la mesure de la volupté. […] Mais au fond c’était une nature soumise, non raisonneuse, altérée des sources supérieures, encline à la spiritualité, largement crédule à l’invisible ; une intelligence de la famille de Malebranche en métaphysique ; une de ces âmes qui, ainsi qu’il l’a dit de sa Cécile, se portent d’une ardeur étonnante de sentiments vers un objet qui leur est incertain pour elles-mêmes ; qui aspirent au bonheur d’aimer sans bornes et sans mesure, et s’en croient empêchées par les ténèbres des sens et le poids de la chair. […] Les ouvrages, alors récents, de Le Sage, de madame de Tencin, de Crébillon fils, de Marivaux, sont critiqués par leur rival, à mesure qu’ils paraissent, avec une sûreté de goût qui repose toujours sur un fonds de bienveillance ; on sent quelle préférence secrète il accordait aux anciens, à D’Urfé, même à mademoiselle de Scudéry, et quel regret il nourrissait de ces romans étendus, de ces composés enchanteurs ; mais il n’y a trace nulle part de susceptibilité littéraire ni de jalousie de métier. […] Ce n’est partout que peintures et sentiments, mais des peintures vraies et des sentiments naturels99. » Une ou deux fois Prévost fut appelé sur le terrain de la défense personnelle, et il s’en tira toujours avec dignité et mesure.

194. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

« Cette farcissure est un peu hors de mon thème, disait-il joliment un jour qu’il avait fait un écart un peu fort : je m’égare, mais plutôt par licence que par mégarde ; mes fantaisies se suivent, mais parfois c’est de loin, et se regardent, mais d’une vue oblique… J’aime l’allure poétique, à sauts et à gambades… Mon esprit et mon style vont vagabondant de même230… Je n’ai point d’autre sergent de bande à ranger mes pièces que la fortune : à mesure que mes rêveries se présentent, je les entasse ; tantôt elles se pressent en foule, tantôt elles se traînent à la file231. » Il se couvrait de Plutarque, coutumier aussi de ces « gaillardes escapades », et il avait fini par trouver que ce désordre, qui ne lui donnait pas de peine, était l’ordre même de son sujet. […] Je ne garantis pas du tout dans quelle mesure ce grand douteur de Montaigne savait douter d’un texte. […] « Notre grande et puissante mère nature » nous enseigne à fuir la douleur et à chercher le plaisir : elle nous fournit les outils à cette besogne, nos instincts, nos organes, nos facultés ; elle nous prescrit le choix et la mesure. […] Au sacrifice près, qui, en quelque mesure que ce soit, n’est pas la pente de sa nature, c’est un excellent et aimable homme, de charmant commerce, ami exquis et vrai, d’autant que le libre choix, dans l’amitié, assure son ombrageuse indépendance : on sait sa liaison de quatre années avec La Boétie, et la chaleur qui lui en resta toujours au cœur. […] Le chapitre de l’Institution des Enfants240 suffirait pour marquer la mesure du scepticisme de Montaigne.

195. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

La théorie de votre jugement sera celle de vos magistratures ; et la mesure de votre philosophie dans ce jugement sera aussi la mesure de votre liberté dans la Constitution. […] Venant proposer une mesure qui a pour but de diminuer la misère des patriotes indigents, il dira : Que l’Europe apprenne que vous ne voulez plus un malheureux ni un oppresseur sur le territoire français ; que cet exemple fructifie sur la terre ; qu’il y propage l’amour des vertus et le bonheur : le bonheur est une idée neuve en Europe ! […] Un grand coup que vous frappez retentit sur le trône et sur le cœur de tous les rois ; les lois et les mesures de détail sont les piqûres que l’aveuglement endurci ne sent pas… On trompe les peuples de l’Europe sur ce qui se passe chez nous ; on travestit vos discussions, mais on ne travestit point les lois fortes : elles pénètrent tout à coup les pays étrangers comme l’éclair inextinguible. […] Certes, il est des natures violentes et dures qui peuvent vigoureusement s’appliquer aux grandes mesures d’ordre et d’administration militaire ; témoin Louvois et Davout, qui, à ce que j’ai ouï dire, n’étaient pas tendres.

196. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Résumé et conclusion »

Entre la chose en soi, c’est-à-dire le réel, et la diversité sensible avec laquelle nous construisons notre connaissance, on ne trouve aucun rapport concevable, aucune commune mesure. […] Et nous voyons réalisme et idéalisme tout près de coïncider ensemble, à mesure que nous écartons le postulat, accepté sans discussion par l’un et par l’autre, qui leur servait de limite commune. […] Toutefois, lorsqu’il s’agit des corps environnants, ils sont, par hypothèse, séparés du nôtre par un espace plus ou moins considérable, qui mesure l’éloignement de leurs promesses ou de leurs menaces dans le temps : c’est pourquoi notre perception de ces corps ne dessine que des actions possibles. […] Mais à mesure qu’on passe des mouvements aux images, et des images plus pauvres aux images plus riches, ressemblance et contiguïté se dissocient : elles finissent par s’opposer sur cet autre plan extrême où aucune action n’adhère plus aux images. […] Mais justement parce que nous avons éliminé les éléments, atomes ou autres, que ces mouvements auraient pour siège, il ne peut plus être question ici du mouvement qui est l’accident d’un mobile, du mouvement abstrait que la mécanique étudie et qui n’est, au fond, que la commune mesure des mouvements concrets.

197. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre III. La complication des sociétés »

Qu’on mesure seulement d’un coup d’œil le développement irrésistible des Trade-Unions en Angleterre, des Gewerk-Vereine en Allemagne, des Syndicats en France, et l’on se rendra compte que la multiplication des groupements est un des traits caractéristiques de notre âge. […] Et ainsi, au lieu qu’il soit enfermé dans une seule association exclusive et jalouse qui, en satisfaisant tous ses besoins, accaparerait toute son activité, une multitude de sociétés s’ouvrent à l’homme : à chacune d’elles il ne prête son activité que dans la mesure de ses besoins. […] Toutes ses idées sont déterminées comme toutes ses actions sont commandées par la collectivité ; sa personnalité reste fondue dans la masse, et on ne mesure l’estime qu’on lui accorde qu’à la valeur du groupe auquel il est inféodé. […] Et c’est ce qui devient de plus en plus probable à mesure qu’avec leur nombre augmente la variété des sociétés enchevêtrées ; lorsqu’elles diffèrent réellement par leur nature et leurs fins, conséquemment par ce qu’elles demandent à l’individu, il est rare que les premiers dans l’une soient aussi les premiers dans l’autre. […] Leurs distances, dirait-on, semblent se raccourcir à mesure qu’elles sont plus souvent franchies.

198. (1856) Cours familier de littérature. II « XIe entretien. Job lu dans le désert » pp. 329-408

Sans t’épuiser jamais, sur toute la nature Tu pouvais à longs flots répandre sans mesure             Un bonheur absolu. […] XV Encore, si le jour et l’heure de cette mort étaient connus et fixés d’avance, quelque courte que fût la vie, on pourrait prendre ses mesures, on proportionnerait ses pas à l’espace qui reste, on pourrait régler ses pensées sur son horizon ; on n’aurait pas de longues espérances pour un jour de durée, ni de courtes vues pour de longues années ; on pourrait aimer, travailler, construire à l’heure ; on pourrait resserrer ou élargir son sort à la mesure de son temps. […] pour arpenter ta face, Lent comme un jour qui vient après un jour qui passe, Patient comme un but qui ne s’approche pas, Long comme un infini traversé pas à pas, Prudent comme la soif quarante jours trompée, Qui mesure la goutte à sa langue trempée ; Nu comme l’indigent, sobre comme la faim, Ensanglantant sa bouche aux ronces du chemin ; Sûr comme un serviteur, humble comme un esclave, Déposant son fardeau pour chausser son entrave, Trouvant le poids léger, l’homme bon, le frein doux, Et pour grandir l’enfant pliant ses deux genoux ! […] « Qui ne devient petit quand c’est toi qui mesure ? […] « À cette obscurité notre foi se mesure, « Plus l’objet est divin, plus l’image est obscure.

199. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIV : Récapitulation et conclusion »

Comme la sélection naturelle agit au moyen de la concurrence, elle n’adapte l’organisation des habitants d’une contrée que dans la mesure du degré de perfectionnement de leurs associés ; nous ne pouvons donc être surpris de ce que les habitants d’une région quelconque, que, selon l’opinion commune, on suppose avoir été spécialement créés pour elle et adaptés aux conditions locales, soient vaincus et supplantés par les produits naturalisés d’un autre pays. […] Cependant un certain nombre d’espèces, se maintenant en corps, pourraient se perpétuer sans changements pendant de longues périodes, tandis que, pendant le même temps, plusieurs de ces espèces, venant à émigrer en d’autres contrées et à entrer en concurrence avec des associés étrangers, se seraient modifiées ; de sorte qu’il ne nous faut pas surfaire la valeur du mouvement de transformation organique considéré comme exacte mesure du temps. […] Cependant, faire sortir le monde organisé tout entier d’une seule cellule primitive, ce serait retourner à l’ancien mythe de l’œuf cosmique, couvé par la colombe divine, en substituant, toutefois, à l’ancien sens symbolique, large et figuré, un sens absolu, étroit et en tous points indigne des largesses créatrices de la nature, qui mesure et limite le nombre des adultes à la quantité de vie qu’elle peut leur distribuer, mais qui n’épargne jamais les germes. […] À mesure que les races se sont fixées et perfectionnées, leur nombre a diminué, en même temps que chacune d’elles voyait se multiplier ses représentants : c’est-à-dire que la postérité croissante d’un certain nombre de souches primitives devait successivement prendre la place des races qui succombaient dans la concurrence universelle, par suite d’une infériorité relative d’organisation. […] Seulement il faut reconnaître, d’un autre côté, qu’à mesure que les variations purement physiologiques diminuent de vitesse et d’intensité, les variations psychologiques, c’est-à-dire les modifications instinctives et mentales, semblent accroître leur mouvement en raison contraire, comme on l’observe chez toutes les espèces sociales que forment généralement les degrés les plus élevés des principales classes du règne animal.

200. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

On garda de la nouvelle méthode historique ce qu’elle a de bon et de fécond ; on continua d’expliquer les faits en faisant la part des causes indépendantes de la volonté et de la personnalité humaine, mais sans vouloir les justifier en leur appliquant la mesure du succès. […] Si bien instruit qu’il soit des faits, on peut lui reprocher de juger les personnes et les choses en homme d’école plutôt qu’en historien ; mais on lui rendra cette justice, que sa mesure de jugement n’a rien de commun ni avec la morale du succès, ni même avec la morale de l’utile. […] Avec leur loi de l’évolution progressive d’une part, de l’autre avec leur méthode tout expérimentale de procéder, il leur était difficile de ne point arriver à faire de l’expérience historique la mesure de la nécessité, trop souvent même de la légitimité de tous les faits qui ont pour caractère propre la puissance et la durée. […] Pour aimer l’action, pour s’y mettre tout entier, l’homme a besoin de croire à un résultat de cette action ; il entend faire une œuvre efficace dans la mesure de ses facultés et de ses forces ; il lui répugne d’imiter ces moines du désert qui, travaillant pour obéir à la règle, arrosaient tout le jour un bâton planté dans le sable. […] Aussi le droit et le fait ne peuvent-ils avoir une commune mesure.

201. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 3665-7857

Les premieres sont comme l’air qui occupe un espace immense lorsqu’il est libre de s’étendre, & qui n’acquiert de la consistance qu’à mesure qu’il est pressé. […] Mesure, […] Qu’un être avec des ressorts fragiles, des organes foibles & bornés, calcule les tems, mesure le Ciel, fonde la Nature ; c’est un prodige. […] Ainsi le mêlange des syllabes breves & longues détruit dans nos vers la régularité de la mesure : or point de vers harmonieux sans ce mêlange ; d’où il suit que l’harmonie & la mesure sont incompatibles dans nos vers. […] ainsi par degré la perfidie est plus atroce, à mesure que la confiance violée étoit mieux établie.

202. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Delavigne, Casimir (1793-1843) »

L’homme de talent est propre, bien rasé, charmant, accessible à tous ; il prend chaque jour la mesure du public et lui fait des habits à sa taille ; tandis que le poète forge de gigantesques armures que les Titans seuls peuvent revêtir. […] Sainte-Beuve Byron, Walter Scott, Shakespeare, il ne s’inspirait d’eux tous que dans sa mesure.

203. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

La brise de mer, qui s’est levée vers dix heures et qui a fraîchi à mesure que le soleil devenait plus fort, tombe et meurt. […] X C’est le soir ; nous sommes dans la capitale du monde occidental ; le Colisée, théâtre bâti par Vespasien à la mesure du peuple-roi et bourreau de l’univers alors connu, s’élève à des centaines de pieds au-dessus des édifices publics et des palais des citoyens de Rome. […] « Dans l’autre cas, les destinées, ou plutôt les prédestinations de l’homme, rarement réalisées, sont celles du principe supérieur supporté par la matière ; dans la mesure même où l’homme entre en possession de ce principe supérieur, il en partage la nature et les destinées, et par les responsabilités d’ici-bas, et par les espérances immortelles. […] — Oui, le mystère mesure toute la distance incommensurable qui existe et qui doit exister entre le mode d’action de Dieu sur les mondes et l’ignorance de l’homme. […] Il l’a soumise au temps, qui lui mesure la durée de l’être ; À la dissolution et à la mort, qui la décomposent et la transforment.

204. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

« On versera dans votre sein une bonne mesure qui sera pressée, entassée, comblée. » Cette parole de l’Évangéliste, qu’il cite dès son premier sermon, lui est applicable. […] En lisant ce sermon Sur la pensée de la mort et à mesure que j’avançais, je sentais s’évanouir ces vagues idées d’un dieu non chrétien, d’un dieu des bonnes gens, qui se sont aujourd’hui glissées insensiblement presque dans toutes les âmes. […] — « Je n’ai qu’à l’adresser, cet arrêt, à tout ce qu’il y a dans cet auditoire d’âmes passionnées, pour les obliger à n’avoir plus ces désirs vastes et sans mesure qui les tourmentent toujours et qu’on ne remplit jamais… » Supposez en cet auditoire un Louvois, un Colbert, comme ils y étaient sans doute, et ressentez l’effet. […] Ce fut le 10 décembre 1683, dans la maison professe des Jésuites, que Bourdaloue prononça cette première oraison funèbre : il y parlait de l’hérésie, contre laquelle on n’avait pas pris encore les dernières mesures violentes, avec modération et avec une charité réelle : À Dieu ne plaise que j’aie la pensée de faire ici aucun reproche à ceux que l’erreur ni le schisme ne m’empêchent point de regarder comme mes frères, et pour le salut desquels je voudrais, au sens de saint Paul, être moi-même anathème !

205. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre premier. Les sensations totales de l’ouïe et leurs éléments » pp. 165-188

. — Ce nombre croît à mesure que le son devient plus aigu. — En ce cas, les sensations élémentaires cessent d’être démêlées par la conscience. — Aspect que doit prendre la sensation totale. — Elle le prend en effet. — Les caractères de grave, d’aigu, de haut, de bas, de large, d’effilé, d’uni, de vibrant, que nous trouvons dans la sensation totale, s’expliquent par l’arrangement des sensations élémentaires. […] Il est clair que chacune d’elles dure de moins en moins longtemps et que son maximum est de plus en plus voisin du maximum de la suivante ; c’est pourquoi elle doit être de moins en moins distincte, et on finira par ne plus apercevoir en elle de maximum ni de minimum ; ce qui arrive : à mesure que le son devient plus aigu, le nombre et la pluralité qui apparaissaient encore, quoique voilés, dans le son grave, disparaissent et s’évanouissent tout à fait. […] Cela établi, on est en mesure d’expliquer les sensations de bruit, et leurs diversités innombrables ; sans entrer dans le détail de chacune d’elles, l’acoustique montre leur mode général de formation. […] Étant données deux sensations élémentaires continues, l’une précédente, l’autre suivante, toutes deux réunies forment pour la conscience une sensation totale unique que nous nommons sensation du son. — Si toutes deux sont semblables, le son est musical ; si elles sont dissemblables, le son est un bruit. — Si, dans le couple ainsi formé, les éléments sont de durée plus longue, le son est plus grave ; s’ils sont de durée plus courte, le son est plus aigu. — Dans chaque sensation élémentaire, il y a un maximum ; et à mesure que les deux maxima se rapprochent dans le temps, le son est plus uni. — Si les maxima d’un couple sont plus grands que ceux d’un autre, le son total du premier couple est plus intense que le son total du second. — Si au son total s’ajoutent des sons complémentaires moins intenses et deux, trois, quatre ou plusieurs fois plus aigus, les timbres varient avec la variation des complémentaires. — Concevez deux données, d’une part la sensation élémentaire, d’autre part cette quantité qu’on appelle le temps ; vous avez les matériaux nécessaires pour construire les sensations de son. — Deux sensations élémentaires sont discontinues ou continues, c’est-à-dire séparées par une portion appréciable ou non de cette quantité ; alors le son est nul ou appréciable. — Elles occupent des portions égales ou inégales de cette quantité ; alors le son est musical ou non musical. — Les portions ainsi occupées sont plus grandes ou plus petites ; le son est plus grave ou plus aigu. — Concevez maintenant la grandeur ou intensité de la sensation élémentaire elle-même ; avec cette nouvelle donnée, la construction s’achève. — La sensation élémentaire ayant un maximum de grandeur, les maxima de deux sensations élémentaires peuvent être discontinus ou continus, c’est-à-dire séparés par une portion de temps appréciable ou non ; alors le son est composé de portions appréciables ou uni. — Les maxima de deux sensations élémentaires sont plus ou moins grands que les maxima de deux autres ; alors le son est plus ou moins intense. — Au même son s’ajoutent divers groupes de sons moins intenses, mais dont l’acuité est un multiple de la sienne ; alors le son a tel ou tel timbre. — En sorte que toutes les différences de son, en apparence irréductibles, se réduisent à des différences de grandeur introduites dans la même sensation élémentaire, ces différences étant fournies tantôt par la grandeur ou intensité de la sensation elle-même, tantôt par cette grandeur particulière que nous nommons le temps.

206. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — I » pp. 93-106

Le mélange, la combinaison de ce qui était observé et de ce qui était pensé était continuel et se corrigeait, se complétait dans une juste mesure. […] Dans ses lettres à M. de Kergorlay on le voit de bonne heure tracer le plan de sa vie, s’assigner un but élevé et se confirmer dans la voie dont il n’a jamais dévié : « À mesure que j’avance dans la vie, écrivait-il (6 juillet 1835) âgé de trente ans, je l’aperçois de plus en plus sous le point de vue que je croyais tenir à l’enthousiasme de la première jeunesse : une chose de médiocre valeur, qui ne vaut qu’autant qu’on l’emploie à faire son devoir, à servir les hommes et prendre rang parmi eux. » Il est déjà en plein dans l’œuvre politique, au moins comme observateur et comme écrivain, et malgré tout, en présence du monde réel, il maintient son monde idéal ; il se réserve quelque part un monde à la Platon, « où le désintéressement, le courage, la vertu, en un mot, puissent respirer à l’aise. » Il faut pour cela un effort, et on le sent dans cette suite de lettres un peu tendues, un peu solennelles. […] De nos jours, d’ailleurs, je ne vois pas d’emploi plus honorable et plus agréable de la vie que d’écrire des choses vraies et honnêtes qui peuvent signaler le nom de l’écrivain à l’attention du monde civilisé, et servir, quoique dans une petite mesure, la bonne cause.

207. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. »

Traversez un moment leur sphère, mais pour rentrer bientôt dans la vôtre ; restez la muse du foyer toujours, avec ce je ne sais quoi de raisonnable et de modéré jusque dans l’essor, avec la mesure du cadre qui donne un fond solide aux couleurs. […] A mesure qu’il avancera dans la vie, que le nuage doré s’abaissera et qu’il verra plus clair en lui-même, il lui faudra pourtant choisir. — Je mettrais dans le même groupe, si j’avais le temps de m’y arrêter, Albert Glatigny, un osé et un téméraire, qui, après les Vignes folles, est venu lancer les Flèches d’or 38 : quelques-unes portent loin. […] Dans ces nombreux recueils que j’ai sous les yeux, il y en a qui, à mesure que j’y entre davantage, me font entrevoir tout un monde, un ordre de sentiments, d’amitiés, d’idées, dans lequel le poëte habite, où il a vécu, et qui mériterait sans doute d’être étudié d’un peu plus près ; car il n’y a rien de plus distinct et de moins fait pour être confondu avec un autre qu’un talent, même secondaire, de vrai poëte.

208. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « M. Viguier »

Nature d’ailleurs indulgente et bénigne s’il en fut, exempte de tout sentiment d’envie, lorsque tant de demi-habiles et de demi-savants se pavanent et triomphent, content de son sort et oubliant de se comparer, il n’éprouvait aucune amertume de n’avoir point donné au public toute sa mesure. […] Je donnerai encore comme un parfait exemple de son indépendance et de son étendue d’esprit, comme aussi de son indulgence et de sa mesure, une lettre de lui écrite à M.  […] Toutefois, si j’avais beaucoup l’occasion de vous voir, indépendamment du goût que j’aurais à causer après la pièce de ce que j’aime mieux penser comme vérité, — je m’attacherais dans votre intérêt au point de vue de la prudence qui, sans exiger de vous le sacrifice de vos opinions, doit vous conseiller beaucoup de mesure, en proportion même des applaudissements que recevez.

209. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre I. Publicistes et orateurs »

Sans élargir outre mesure le cadre de cette étude, nous pouvons, comme pour la période précédente, tâcher de définir en deux mots le milieu social où se produit le naturalisme. […] Elle reparut peu à peu au Corps Législatif et au Sénat, à mesure que le droit de discussion, le droit d’interpellation, la publicité des débats furent rétablis. […] Ce qui maintient et produit la grande, la retentissante éloquence, ce sont les luttes de principes, les questions universelles : à mesure que les intérêts deviennent plus nombreux et plus pressants, l’orateur est sollicité à devenir un homme d’affaires, capable surtout d’exposer clairement, de discuter précisément, sans bruyants éclats, sans gestes violents, qui troublent l’intelligence et distraient l’attention.

210. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le capitaine d’Arpentigny »

Ainsi la lumière s’accroît dans la crypte à mesure qu’une lampe de plus est allumée sous ses voûtes. […] Prouvons que la forme de son livre mérite qu’on s’y arrête, et prenons sur elle la mesure d’un esprit que le fond de son ouvrage ne donne pas. […] Comme le principe de la vitalité est dans les nerfs, Chopin est mort jeune. » Dans l’impossibilité de citer tout ce qui peut donner l’idée de ce talent inconnu qui a bien le droit d’une place au soleil, nous avons choisi ces lignes pénétrantes sur Chopin ; mais ceux qui liront, après nos citations, le capitaine d’Arpentigny, auront seuls la mesure de ce talent, qui peint Chopin avec cette profondeur nuancée et qui, du même pinceau, nous peint si différemment des natures différentes, — par exemple le général Rapp et le prince Jules de Polignac.

211. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Conclusion »

Et de ce que la conscience ne mesure pas la quantité intensive, il ne suit pas que la science n’y puisse indirectement parvenir, si c’est une grandeur. […] La science a pour principal objet de prévoir et de mesurer : or on ne prévoit les phénomènes physiques qu’à la condition de supposer qu’ils ne durent pas comme nous, et on ne mesure que de l’espace. […] Nous atteignons le premier par une réflexion approfondie, qui nous fait saisir nos états internes comme des êtres vivants, sans cesse en voie de formation, comme des états réfractaires à la mesure, qui se pénètrent les uns les autres, et dont la succession dans la durée n’a rien de commun avec une juxtaposition dans l’espace homogène.

212. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Bilan des dernières divulgations littéraires. » pp. 191-199

Cela nous rassure, en outre, sur le cas de ceux qui, ayant eu cette aventure, en ont su tirer à mesure cette prose et ces vers. […] et s’il fut plus coupable que nous ne souhaiterions, dans quelle mesure fut-il excusé par l’agacement si naturel que donne un homme de génie à un homme extrêmement intelligent, et par l’impossibilité où étaient les deux amis de se comprendre et de se pénétrer, impossibilité que leur intimité même devait rendre plus irritante ?

213. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 124-134

L’immortel Fénélon n’a pas eu besoin de s’assujettir aux regles de la mesure & de la rime pour être Poëte, & ce n’est que parce qu’il est Poëte, qu’il se fait lire avec intérêt, & que tout ce qu’il dit s’insinue profondément dans le cœur. […] On ne doit cependant pas condamner cette réserve : il auroit pu faire comme beaucoup d’autres Philosophes, ses subalternes, ne garder aucune mesure, déclamer à outrance, insulter sans égard, prodiguer des épithetes dures, traiter de style de laquais les Ecrits anti-philosophiques, qualifier de libelles les Ouvrages où l’on venge l’honneur outragé de quelques Gens de Lettres, &c.

214. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre V. La Henriade »

Malheureusement la mesure de ce que nous pouvons n’est pas toujours la mesure de ce que nous faisons.

215. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 46, quelques refléxions sur la musique des italiens, que les italiens n’ont cultivé cet art qu’après les françois et les flamands » pp. 464-478

Les étrangers trouvent que nous entendons mieux que les italiens, le mouvement et la mesure, et qu’ainsi nous réussissons mieux que les italiens dans cette partie de la musique, que les anciens nommoient le rithme. […] Quoique les italiens étudient beaucoup la mesure, il semble néanmoins qu’il ne connoissent pas le rithme, et qu’ils ne sçachent pas s’en servir pour l’expression, ni l’adapter au sujet de l’imitation, aussi bien que nous.

216. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Conclusion »

C’est ainsi que la sociologie, à mesure qu’elle se spécialisera, fournira des matériaux plus originaux à la réflexion philosophique. […] Du moins, si elle s’y intéresse, c’est dans la mesure où elle y voit des faits sociaux qui peuvent l’aider à comprendre la réalité sociale en manifestant les besoins qui travaillent la société.

217. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

Le vrai réalisme ou, pour mieux dire, la sincérité dans l’art, doit donc aller croissant à mesure qu’augmente chez le public de l’artiste la capacité de réfléchir, de raisonner, de vérifier enfin la cohérence et l’enchaînement des images fournies. […] Cette sincérité de leur émotion doit se retrouver dans leurs œuvres, et, pour compenser ce qu’il y a d’insuffisant dans la représentation du réel, ils sont obligés, dans une juste mesure, d’augmenter l’intensité de cette représentation. […] Le progrès de l’art se mesure en partie à l’intérêt sympathique qu’il porte aux côtés misérables de la vie, à tous les êtres infimes, aux petitesses et aux difformités. […] Pour rester dans la juste mesure, celui qui a réagi contre autrui devrait ensuite prendre à tâche de réagir contre soi-même. […] Or, en une certaine mesure, chacun de nous est tout le monde, aussi longtemps du moins qu’il demeure en l’état de calme ; et le personnage d’un drame aussi est tout le monde à moins de personnalité par trop marquée.

218. (1904) Essai sur le symbolisme pp. -

À mesure que son autorité diminue, augmentent ses exigences. […] Le mot litigieux est pour Boileau synonyme d’ordre et de mesure ; Jean-Jacques s’en inspire pour affranchir l’homme des liens sociaux. […] Ou plutôt, à mesure que nos sens s’affinent, que notre intelligence s’élargit, plus cosmopolite, plus compréhensive, le prisme à travers lequel se réfracte le réel change de couleur. […] À mesure que je pénètre sous le dôme feuillu, les impressions tout à l’heure éprouvées de mon balcon se transforment en s’amplifiant. […] Ceci admis, il n’est pas défendu de chercher, — et c’est là le problème, — en quelle mesure nos idées d’art évoluent en même temps que notre concept de nature.

219. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Appendice. »

J’en excepte les noms de monnaie, de mesure et de mois que le sens de la phrase indique. […] La colère du suffète va en augmentant à mesure qu’il aperçoit les déprédations commises dans sa maison. […] Mais, Monsieur et Révérend Père, je m’aperçois que j’outrepasse la mesure et que j’en dis plus que vous ne m’avez fait l’honneur de m’en demander. […] « Cela n’empêche pas qu’en vous lisant et en me reportant à mes souvenirs, je ne me sois fait quelques objections çà et là sur la mesure exacte selon laquelle vous jugez certains hommes. […] Cet homme jeune encore, mais mûr, très-instruit, judicieux, me permit de marcher d’un pas plus ferme et plus assuré dans mes excursions historiques, dans cet ordre de considérations sérieuses que j’affectionne de plus en plus, à mesure que j’avance dans la vie.

220. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre VI. Premiers pas hors de Saint-Sulpice  (1882) »

Notre amitié me rappelle celle de François de Sales et du président Favre : « Elles passent donc ces années temporelles, monsieur mon frère ; leurs mois se réduisent en semaines, les semaines en jours, les jours en heures et les heures en moments, qui sont ceux-là seuls que nous possédons ; mais nous ne les possédons qu’à mesure qu’ils périssent… » La conviction de l’existence d’un objet éternel, embrassée quand on est jeune, donne à la vie une assiette particulière de solidité. […] Dans mes Origines du Christianisme, au contraire, cette réserve m’a bien guidé ; car, dans ce travail, je me suis trouvé en présence d’une école exagérée, celle des protestants de Tubingue, esprits sans tact littéraire et sans mesure, auxquels, par la faute des catholiques, les études sur Jésus et l’âge apostolique se sont trouvées presque exclusivement abandonnées. […] En m’obstinant à conserver dans le monde des vertus de désintéressement, de politesse, de modestie qui n’y sont pas applicables, j’ai donné la mesure de ma naïveté. […] La personne à qui vous écrivez vous rapetisse ; vous êtes obligé de prendre sa mesure. […] Mon expérience de la vie a donc été fort douce, et je ne crois pas qu’il y ait eu, dans la mesure de conscience que comporte maintenant notre planète, beaucoup d’êtres plus heureux que moi.

221. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre V. Le Bovarysme des collectivités : sa forme idéologique »

Il est à remarquer, en effet, qu’à l’époque que l’on vient de considérer et où les sociétés occidentales se forment, chacune d’elles a le pouvoir de distinguer dans quelle mesure le poison chrétien lui est utile. […] Dans tous ces cas, chaque physiologie sociale semble bien vouloir se modeler sur une idée générale, détachée d’une attitude d’utilité autre que la sienne propre ; chacune de ces sociétés en se concevant chrétienne, se conçoit bien autre qu’elle n’est, mais elle ne parvient à réaliser cette fausse conception d’elle-même que dans la mesure où elle en tire un bénéfice. […] Ils apportent dans ces carrières une activité qui peut être un gain pour la collectivité ; mais s’ils viennent à prévaloir dans les divers domaines qui touchent à la haute direction, du pays, le pays de ce fait va courir un risque : celui de se voir appliqué, d’une, façon plus ou moins sensible, un ensemble de mesures où se trahira une conception morale et politique empruntée à une autre hérédité sociale, où se trahira tout au moins l’ignorance de la coutume nationale. […] Non pas, mais que les mesures destinées à régler ces questions vitales doivent être débattues, non sous le jour d’une idée abstraite dont on a dit l’artifice, mais au nom même des intérêts du groupe. […] Le lien qui rattache le passé au présent et forme avec ces deux fragments de la durée une même réalité avait été jusque-là allongé par les hommes à mesure que les temps nouveaux, s’éloignant des périodes anciennes, en différaient insensiblement.

222. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Les lettres nous donnent la mesure des forces morales ; et de plus, elles les produisent et les augmentent. […] « On remarqua d’abord que, pour rendre le discours harmonieux, il fallait lui donner une mesure et rendre cette mesure sensible à l’oreille. […] Il ne fut pas, si aisé de fixer la mesure : il fallait la régler ou sur le nombre, ou sur la valeur des syllabes. […] L’oreille est choquée de la mesure du vers, quand elle la trouve dans la prose. […] Mesure de l’action tragique.

223. (1911) Études pp. 9-261

Rien ne saurait le contenir ; il dépasse doucement la mesure, mais c’est pour l’imposer. […] mesure, comprends l’espace compris entre ces feux solitaires ! […] À mesure qu’elle monte, elle rend celui qu’elle possède de plus en plus solitaire. […] À chaque mesure et dès la première, le désir. […] Il n’a même pas la pudeur de dépouiller franchement son passé à mesure qu’il l’use.

224. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — II. (Fin.) » pp. 452-472

C’est l’histoire la plus compréhensive qui se puisse voir ; le fleuve, à mesure qu’il diminue et va se perdre dans les sables, reçoit quelque nouveau torrent désastreux qui achève de détruire sa rive, mais qui aussi le continue quelque temps et l’alimente. Le paisible et calme historien note, accepte et mesure tout cela. […] Voici un petit bulletin suivi qui donne la mesure et le degré de l’amabilité de Gibbon pendant ce séjour à Paris ; je le tire des Lettres de Mme Du Deffand à Horace Walpole : (18 mai 1777). […] » Il reconnaissait trop tard cette vérité, « qu’à mesure que nous descendons la vallée de la vie, nos infirmités demandent quelques-uns des soins et la société intérieure d’une femme ».

225. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

Soumet et Guiraud appartiennent purement à cette phase de notre poésie, et en représentent, dans une espèce de mesure moyenne, les mérites passagers et les inconvénients. […] J’en veux indiquer deux ou trois exemples frappants pour ceux qui savent comprendre : Ulric, nul œil des mers n’a mesure l’abîme, Ni les hérons plongeurs ni les vieux matelots ; Le soleil vient briser ses rayons sur leur cime, Comme un guerrier vaincu brise ses javelots ! […] A chaque heure, de plus jeunes étoiles lèvent le front ; d’autres, qui n’étaient que pâles et douteuses encore, grossissent, se dégagent ; et, à mesure que l’importance de chacun diminue, la gloire et l’ornement du pays s’augmentent. […] Quand on a soi-même des portions de l’artiste, qu’on l’a été un moment, ou du moins qu’on a désiré de le devenir à quelque degré, la vigilance sur les créations naissantes est extrême ; le clin d’œil est rapide et peu trompeur ; on reconnaît avec un instinct vif, presque jaloux, ces lumières qui pointent à l’horizon et vont à mesure éteindre les anciennes.

226. (1894) Propos de littérature « Chapitre II » pp. 23-49

La Philosophie étudie les conditions de l’être ; elle scrute sans répit le rapport du sujet à l’objet et tâche à trouver la raison de ce rapport, le générateur et la commune mesure de ses deux termes. […] Cette précision est souvent plus fâcheuse encore ; employée sans mesure, elle enfante des monstres absurdes. […] Le beau plastique est produit, — dans l’attitude d’un travailleur, par exemple, — par l’équilibre d’un rythme, par l’adaptation parfaite de ce rythme à son but, par un minimum d’effort pour un résultat à obtenir ; chaque muscle tendu prête aux autres son appui dans la stricte mesure de la force qu’il faut déployer. […] On découvrirait malaisément en ses œuvres une seule allégorie, mais il ne répugne pas à la forme didactique, dont il s’efforce de sauver la sécheresse par des images diverses, sans pouvoir lui enlever ce défaut : qu’elle limite l’idée et la glace en la précisant outre mesure.

227. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Montesquieu fit en conscience pendant dix années son métier de magistrat ; mais, s’y trouvant plus resserré à mesure que ses études s’étendaient davantage, il vendit sa charge en 1726. […] On a dans ces paroles la mesure de la croyance de Montesquieu et de son noble désir : jusque dans l’expression de ce désir, il se glisse toujours cette supposition que, même quand la chose n’existerait pas, il serait mieux d’y croire. […] Montesquieu, à mesure qu’il se dégagera de l’ironie des Lettres persanes, entrera de plus en plus dans cette voie respectueuse pour les objets de la conscience et de la vénération humaine : je ne crois pas qu’il y soit entré pour cela plus intimement. […] L’amour de l’étude est presque en nous la seule passion éternelle ; toutes les autres nous quittent à mesure que cette misérable machine qui nous les donne s’approche de sa ruine… Il faut se faire un bonheur qui nous suive dans tous les âges : la vie est si courte, que l’on doit compter pour rien une félicité qui ne dure pas autant que nous ».

228. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Quand la réputation des auteurs est établie, il est aisé d’en parler convenablement, on n’a qu’à se régler sur l’opinion commune ; mais à leurs débuts, au moment où ils s’essayent et où ils s’ignorent en partie eux-mêmes, et à mesure qu’ils se développent, les juger avec tact, avec précision, ne pas s’exagérer leur portée, prédire leur essor ou deviner leurs limites, leur faire les objections sensées à travers la vogue, c’est là le propre du critique né pour l’être. […] Grimm n’a jamais fait étalage d’érudition, mais toutes les fois qu’il s’est agi de juger ce qui avait rapport aux anciens, il s’est trouvé plus en mesure que la plupart des hommes de lettres français : il avait un premier fonds de solidité classique, à l’allemande. […] Ainsi maître de la langue, lancé dans les meilleures compagnies, armé d’un bon esprit et muni de points de comparaison très divers, il se trouvait aussitôt plus en mesure que personne pour bien juger de la France. […] Il dut à cette justesse d’esprit et à cette modération de rencontrer surtout des bienfaiteurs, et il se les attacha non moins par son mérite que par la mesure et la dignité de ses sentiments.

229. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Émile Zola » pp. 70-104

Zola sont, en effet, plus complexes que les préceptes de ses articles, et le romancier diffère dans une mesure inattendue du polémiste. […] De même, mais dans une plus faible mesure, les descriptions de M.  […] Ces réserves diminuent déjà dans une faible mesure l’aptitude de M.  […] Zola veut dire qu’il ne faut jamais oublier dans une œuvre d’imagination que les personnages, sont des êtres physiques en chair et en os et qu’en une certaine mesure et sauf de nombreuses exceptions (Louis Lambert, Spinoza) le fonctionnement de leurs cerveaux s’influe du cours du sang et de l’activité des viscères, personne n’y contredira.

230. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre I. Shakespeare — Sa vie »

En 1604, pendant que Philippe III achevait de perdre les Pays-Bas, il fit Jules César et Mesure pour mesure. […] La date du Henri VI est fixée, pour la première partie du moins, par une allusion que fait à ce drame Nashe dans Pierce Pennilesse, L’année 1604 est indiquée pour Mesure pour mesure, en ce que cette pièce y fut représentée le jour de la Saint-Etienne, dont Hemynge tint note spéciale, et l’année 1611 pour Henri VIII, en ce que Henri VIII fut joué lors de l’incendie du Globe.

231. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre III : Concurrence vitale »

Nous apercevons celle de ses faces qui brille de bonheur, nous y voyons souvent un surcroît d’abondance ; nous oublions que, parmi tant d’oiseaux qui chantent à loisir autour de nous, la plupart ne vivent que d’insectes ou de graines, et par conséquent ne vivent que par une constante destruction d’êtres vivants ; nous ne voyons pas dans quelle effrayante mesure ces chanteurs, leurs œufs ou leur couvée sont détruits par des oiseaux ou des bêtes de proie ; et nous ne pensons pas toujours que, s’ils ont en certains moments une surabondance de nourriture, il n’en est pas de même en toutes les saisons de chaque année. […] Lorsqu’on observe la nature, il est de la dernière nécessité d’avoir toujours présent à l’esprit que chaque être organisé qui vit autour de nous doit être regardé comme s’efforçant dans toute la mesure de son pouvoir de multiplier son espèce ; que chaque individu ne vit qu’en raison d’un combat livré à quelque période de sa vie et dont il est sorti vainqueur ; et qu’une loi de destruction inévitable décime, soit les jeunes, soit les vieux, à chaque génération successive, ou seulement à des intervalles périodiques. […] Ces plantules ont aussi à redouter de nombreux ennemis : ainsi, sur une surface de sol de trois pieds de long et de deux de large, bien bêchée et sarclée, de manière qu’aucune plante ne pût leur faire obstacle, j’observais tous les germes de nos herbes locales à mesure qu’ils levaient, et sur les 357 que je comptais, il n’y en eut pas moins de 295 qui furent détruits, principalement par les Limaces et les insectes. […] Mesure anglaise équivalente à 90 centimètres environ.

232. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Réception à l’Académie Française »

Cuvier, se levant aussitôt, a répondu que l’Académie n’avait jamais fait autre chose que d’accueillir tous les génies, toutes les illustrations, et il a énuméré à l’appui nos grands écrivains académiciens, depuis Racine jusqu’à Buffon, en omettant, je ne sais pourquoi, Molière, Diderot et Jean-Jacques ; il a prétendu qu’aucun novateur de vrai talent, aucun nova leur raisonnable n’avait été exclu de l’Académie et qu’en nommant M. de Lamartine, c’était précisément l’alliance du goût et du génie, la juste mesure de la nouveautés de la correction qu’on avait voulu reconnaître et couronner. On voit que la mesure académique a varié depuis six ans ; elle n’avait déjà pas mal varié depuis Atala ; espérons qu’elle se modifiera encore.

233. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « George Sand. »

Car, à mesure que ce siècle s’achemine tristement vers sa fin, je me sens plus d’amour pour les génies amples, magnifiques et féconds qui en ont illustré les cinquante premières années. […] Puis, à mesure que le temps passe, ces personnages deviennent moins déplaisants.

234. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Guy de Maupassant »

Son observation s’attriste  et s’affine aussi, à mesure qu’elle s’étend. Et, à mesure que son coeur s’amollit et que s’y ouvre la divine fontaine des larmes, il apprend aussi la pudeur.

235. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre II. Des Orateurs. — Les Pères de l’Église. »

Nous nous écrivons souvent, mon cher Héliodore ; nos lettres passent les mers, et à mesure que le vaisseau fuit, notre vie s’écoule : chaque flot en emporte un moment185. » De même que saint Ambroise est le Fénélon des Pères, Tertullien en est le Bossuet. […] Comment un moine, renfermé dans son cloître, a-t-il trouvé cette mesure d’expression, a-t-il acquis cette fine connaissance de l’homme, au milieu d’un siècle où les passions étaient grossières, et le goût plus grossier encore ?

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