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34. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (6e partie) » pp. 129-176

Il ne lui manqua rien d’un grand homme, excepté la vertu. […] Il connaissait les faiblesses et les vices des peuples, il ne connaissait pas leurs vertus. […] Faire de la liberté une vertu, voilà la vraie révolution. […] Là, vertu. […] La république fut le salut de ce peuple qui eut la vertu de l’acclamer à ma voix, et la vertu plus grande de la modérer.

35. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IX et dernier. Conclusion » pp. 586-601

Les vérités philosophiques ont sur l’esprit éclairé qui les admet le même empire que la vertu sur une âme honnête. […] Il ne faut point étouffer ces mouvements d’enthousiasme, il ne faut rabaisser aucun genre d’exaltation ; le législateur doit se proposer pour but de réunir ce qui est bien dans une carrière, à ce qui est bien encore dans une autre, de contenir la liberté par la vertu, l’ambition par la gloire. […] Ce que l’on admire dans les grands hommes, ce n’est jamais que la vertu sous la forme de la gloire. […] Enfin, qu’on se rappelle les noms illustres que les siècles nous ont transmis, et l’on verra qu’il n’en est aucun dont l’histoire n’enseigne au moins une vertu. […] Tels on nous peint les grands hommes de l’antiquité, ils ennoblissaient, ils élevaient la nation qui voulait suivre leurs pas, et leurs contemporains croyaient à la vertu ; c’est à ces signes qu’on peut reconnaître un esprit transcendant ; et pour former cet esprit, il faut la plus imposante des réunions, les lumières et la morale.

36. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Saint François de Sales. Son portrait littéraire au tome Ier de l’Histoire de la littérature française à l’étranger par M. Sayous. 1853. » pp. 266-286

Il sut conserver au milieu des écueils de cette vie universitaire sa fleur de pureté et de chasteté, se livrant dès ce temps-là à des méditations et à des préparations intérieures pour avancer dans la poursuite de la piété et de la vertu. […] Saint François de Sales veut qu’entre les vertus on préfère les meilleures, c’est-à-dire les plus réelles, les plus sincères, les plus voisines de la charité, et non pas toujours les plus estimées et les plus apparentes. […] Il est loin de favoriser, comme on le croirait, les excès d’oraison, les élévations et les ravissements extatiques : « Voyez-vous, Philothée, ces perfections ne sont pas vertus, ce sont plutôt des récompenses que Dieu donne pour les vertus. » Le mieux donc, selon lui, est de laisser ces perfections aux anges et de commencer simplement, humblement et humainement par les petites vertus : car il faut se garder des illusions, et il arrive quelquefois « que ceux qui pensent être des anges ne sont pas seulement bons hommes ». En conséquence, il ouvre sa liste et son cours de vertus par la patience, puis par l’humilité, la douceur, etc. […] Sur la réputation, par exemple, dans ses rapports avec l’humilité, il dira : La réputation n’est que comme une enseigne qui fait connaître où la vertu loge : la vertu doit donc être en tout et partout préférée.

37. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VII. De l’esprit de parti. »

Il n’est point de passion qui doive plus entraîner à tous les crimes par cela même, que celui qui l’éprouve est enivré de meilleure foi ; et que le but de cette passion n’étant pas personnel à l’individu qui s’y livre, il croit se dévouer, en faisant le mal, conserve le sentiment de la vertu, en commettant les plus grands crimes, et n’éprouve ni les craintes, ni les remords inséparables des passions égoïstes, des passions qui sont coupables aux yeux de celui même qui s’y abandonne. […] L’esprit de parti est la seule passion qui se fasse une vertu de la destruction de toutes les vertus, une gloire de toutes les actions qu’on chercherait à cacher, si l’intérêt personnel les faisait commettre ; et jamais l’homme n’a pu être jeté dans un état aussi redoutable, que lorsqu’un sentiment qu’il croit honnête, lui commande des crimes ; s’il est capable d’amitié, il est plus fier de la sacrifier ; s’il est sensible, il s’enorgueillit de dompter sa peine : enfin, la pitié, ce sentiment céleste, qui fait de la douleur un lien entre les hommes ; la pitié, cette vertu d’instinct, qui conserve l’espèce humaine, en préservant les individus de leurs propres fureurs, l’esprit de parti a trouvé le seul moyen de l’anéantir dans l’âme, en portant l’intérêt sur les nations entières, sur les races futures, pour le détacher des individus ; l’esprit de parti efface les traits de sympathie pour y substituer des rapports d’opinion, et présente enfin les malheurs actuels comme le moyen, comme la garantie d’un avenir immortel, d’un bonheur politique au-dessus de tous les sacrifices qu’on peut exiger pour l’obtenir. Si l’on s’était convaincu d’un principe simple, c’est que les hommes n’ont pas le droit de faire le mal pour arriver au bien, nous n’aurions pas vus tant de victimes humaines immolées sur l’autel même des vertus. […] Il manque encore un beau spectacle au monde, c’est un Sylla dans la route de la vertu, un homme dont le caractère démontre que le crime est une ressource de la faiblesse, et que c’est aux défauts des hommes de bien, mais non à leur moralité, qu’il faut attribuer leurs revers. […] Il en coûte de le dire, de peur de modifier l’horreur que doit inspirer le crime ; il y a, dans la révolution, des hommes dont la conduite publique est détestable, et qui, dans les relations privées, s’étaient montrés pleins de vertus.

38. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

Depuis un demi-siècle, il s’est fait parmi nous une espèce de révolution ; on apprécie mieux la gloire ; on juge mieux les hommes ; on distingue les talents des succès ; on sépare ce qui est utile de ce qui est éclatant et dangereux ; on ne pardonne pas le génie sans la vertu ; on respecte quelquefois la vertu sans la grandeur ; on perce enfin à travers les dignités pour aller jusqu’à l’homme. […] On ne voit plus ni prologues d’opéra sur les princes, ni odes pindariques sur les grandes vertus d’un héros que personne ne connaît. […] Elle crut qu’il valait mieux présenter la vertu en action, que des lieux communs de morale, souvent usés. […] C’est au petit nombre des hommes vraiment sensibles, et à qui la nature n’a pas refusé ce recueillement de l’âme qui porte aux grandes choses et les fait aimer, c’est à eux à célébrer la vertu, à honorer le génie. […] Voulez-vous me faire admirer les vertus, les travaux, les grands sacrifices ?

39. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (1re partie) » pp. 337-416

Elle mourut malheureusement avant de pouvoir lui donner ses vertus. […] C’est la ville qui fait les vices ; c’est la campagne qui fait les vertus. […] Vertu sublime d’avoir une telle âme, et de s’en glorifier à la face des hommes et de Dieu ! […] C’est par là qu’il vit : l’adoration est la vertu de l’intelligence. […] Ces phares vivants doivent être eux-mêmes pleins de lumières acquises par l’étude et la vertu : c’est là l’autorité de leur mission.

40. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la bienfaisance. »

La bonté est la vertu primitive, elle existe par un mouvement spontané ; et comme elle seule est véritablement nécessaire au bonheur général, elle seule est gravée dans le cœur ; tandis que les devoirs qu’elle n’inspire pas, sont consignés dans des codes, que la diversité des pays et des circonstances peut modifier ou présenter trop tard à la connaissance des peuples. […] La triste connaissance du cœur humain fait, dans le monde, de l’exercice de la bonté un plaisir plus vif ; on se sent plus nécessaire, en se voyant si peu de rivaux ; et cette pensée anime à l’accomplissement d’une vertu à laquelle le malheur et le crime offrent tant de maux à réparer. […] Toutes les passions, certainement, n’éloignent pas de la bonté ; il en est une surtout qui dispose le cœur à la pitié pour l’infortune ; mais ce n’est pas au milieu des orages qu’elle excite, que l’âme peut développer et sentir l’influence des vertus bienfaisantes. […] Aucune consolation partielle, aucun plaisir détaché ne peut donner du secours ; cependant, comme l’âme est toujours plus capable de vertus et de jouissances relevées, alors qu’elle a été trempée dans le feu des passions, alors que son triomphe a été précédé d’un combat, la bonté même n’est une source vive de bonheur que pour l’homme qui a porté dans son cœur le principe des passions. […] Toutes les véritables vertus dérivent de la bonté, et si l’on voulait faire un jour l’arbre de la morale, comme il en existe un des sciences, c’est à ce devoir, à ce sentiment, dans son acception la plus étendue, que remonterait tout ce qui inspire de l’admiration ou de l’estime.

41. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

Toute l’autorité de la vertu publique, toute la majesté du peuple romain, se levaient avec lui quand il se levait pour prendre la parole. […] Sa mère, Helvia, femme supérieure par le courage et la vertu, comme toutes les mères où se moulent les grands hommes, l’enfanta sans douleurs. […] Ses anxiétés usaient, non sa vertu, mais son caractère. […] Les hommes de génie sont jugés par les esprits médiocres : c’est le secret des accusations de la postérité contre la vertu civique de Cicéron. […] Brutus meurt dans un blasphème ironique sur l’inanité de la vertu.

42. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Les femmes de France : poètes et prosateurs  »

Jacquinet, après de longues années de vertu, a voulu se délasser des austères compagnies, et il est allé trouver..   […] II Voici la contemporaine de Jeanne d’Arc, l’excellente Christine de Pisan, si digne, si naïve, si pleine de vertu et de prud’homie, qui, raide comme un personnage de vitrail, s’applique, avec le grand sérieux des bonnes âmes du moyen âge, gauchement et gravement, à enserrer la langue balbutiante de son siècle dans la forme du style cicéronien comme dans un heaume lourd et trop large. […] Je crois la voir donner la main à Mme Dacier, cette autre Clorinde de la naïve érudition d’antan  Mlle de Montpensier est une héroïne de Corneille, très fière, très bizarre et très pure, sans nul sentiment du ridicule, préservée des souillures par le romanesque et par un immense orgueil de race ; qui nous raconte, tête haute, l’interminable histoire de ses mariages manqués ; touchante enfin dans son inaltérable et superbe ingénuité quand nous la voyons, à quarante-deux ans, aimer le jeune et beau Lauzun (telle Mandane aimant un officier du grand Cyrus) et lui faire la cour, et le vouloir, et le prendre, et le perdre  Le sourire discret de la prudente et loyale Mme de Motteville nous accueille au passage  Mais voici Mme de Sévigné, cette grosse blonde à la grande bouche et au nez tout rond, cette éternelle réjouie, d’esprit si net et si robuste, de tant de bon sens sous sa préciosité ou parmi les vigoureuses pétarades de son imagination, femme trop bien portante seulement, d’un équilibre trop imperturbable et mère un peu trop bavarde et trop extasiée devant sa désagréable fille (à moins que l’étrange emportement de cette affection n’ait été la rançon de sa belle santé morale et de son calme sur tout le reste)  A côté d’elle, son amie Mme de La Fayette, moins épanouie, moins débordante, plus fine, plus réfléchie, d’esprit plus libre, d’orthodoxie déjà plus douteuse, qui, tout en se jouant, crée le roman vrai, et dont le fauteuil de malade, flanqué assidûment de La Rochefoucauld vieilli, fait déjà un peu songer au fauteuil d’aveugle de Mme du Deffand  Et voyez-vous, tout près, la mine circonspecte de Mme de Maintenon, cette femme si sage, si sensée et l’on peut dire, je crois, de tant de vertu, et dont on ne saura jamais pourquoi elle est à ce point antipathique, à moins que ce ne soit simplement parce que le triomphe de la vertu adroite et ambitieuse et qui se glisse par des voies non pas injustes ni déloyales, mais cependant obliques et cachées, nous paraît une sorte d’offense à la vertu naïve et malchanceuse : type suprême, infiniment distingué et déplaisant, de la gouvernante avisée qui s’impose au veuf opulent, ou de l’institutrice bien élevée qui se fait épouser par le fils de la maison ! […] Voici Mme du Châtelet, l’amie de Voltaire, l’illustre Émilie, avec ses globes, ses compas, sa physique et sa métaphysique, esprit viril, n’ayant que des vertus d’homme, dépourvue de pudeur à un degré singulier si l’on en croit son valet de chambre Beauchamp  Puis, c’est Mme d’Épinay, l’amie de Jean-Jacques et de Grimm, bien femme celle-là, et bien de son temps ; très encline aux tendres faiblesses et parlant toujours de morale ; une brunette maigre et ardente gardant, avec sa philosophie et son esprit émancipé, on ne sait quelle candeur étonnée de petite fille ; bref, une de celles qui ont le plus drôlement et le plus gentiment confondu les « délicieux épanchements » de l’amour avec « l’exercice de la philosophie et de la vertu ». […] Jacquinet répond à la première de ces questions dans sa substantielle préface : Peut-être peut-on se demander si la beauté solide et constante de langage des vers, par tout ce qu’il faut au poète, dans l’espace étroit qui l’enserre, de feu, d’imagination, d’énergie de pensée et de vertu d’expression pour y atteindre, ne dépasse pas la mesure des puissances du génie féminin, et si véritablement la prose, par sa liberté d’expression et ses complaisances d’allure, n’est pas l’instrument le plus approprié, le mieux assorti à la trempe des organes intellectuels et au naturel mouvement de l’esprit chez la femme, qui pourtant, si l’on songe à tout ce qu’elle sent et à tout ce qu’elle inspire, est l’être poétique par excellence et la poésie même.

43. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXe Entretien. Souvenirs de jeunesse. La marquise de Raigecourt »

Tous ses sentiments n’étaient que des vertus. […] Elle savait que la jeunesse a besoin d’indulgence et que la discrétion est la vertu des mères. […] Mais l’amour prend tous les masques innocemment, même celui de la vertu : c’est toujours l’amour. […] Les Bourbons pardonnèrent tout à ce beau nom et à ce repentir attristé par tant de vertu. […] Ceux qui l’ont connu, comme moi, le regretteront et le respecteront doublement, car ses vertus et ses qualités privées dépassaient immensément ses qualités et ses vertus publiques.

44. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XI. Des éloges funèbres sous les empereurs, et de quelques éloges de particuliers. »

Nous avons vu que du temps de la république dans Rome, les éloges funèbres furent d’abord la récompense des vertus et le prix des services ; qu’ensuite ils furent accordés à presque tous les citoyens qui occupaient un rang dans l’État. […] On sait que ce prince voulut étouffer toutes les vertus, avec tous les talents ; sous lui on publia les éloges de deux grands hommes ; c’étaient Thraséas et Helvidius. Tous deux, dans des temps malheureux, avaient déployé de la hauteur d’âme et une rigueur inflexible de vertu. […] » Cependant l’usage de louer les empereurs après leur mort subsistait toujours ; jamais cette institution ne dut paraître plus noble, que lorsque l’éloge funèbre d’Antonin fut prononcé dans la tribune par Marc-Aurèle : c’était la vertu qui louait la vertu ; c’était le maître du monde qui faisait à l’univers le serment d’être humain et juste, en célébrant la justice et l’humanité sur la tombe d’un grand homme. […] Quoique guerrier il fut humain, et sur le trône du monde il fut modeste ; malgré ses vertus, il fut assassiné ; Sévère ne prononça son éloge qu’après avoir terminé les guerres civiles qui le mirent sur le trône.

45. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIIe entretien. Tacite (1re partie) » pp. 57-103

Son absolution est pire que le forfait lui-même : c’est le forfait rétrospectif, le forfait de sang-froid, le meurtre de la conscience publique, seul refuge que la fortune triomphante laisse ici-bas à la justice et à la vertu ! […] Rome entière, avec ses grandeurs et ses bassesses, avec sa liberté et sa servitude, avec ses noblesses et ses abjections, avec ses vertus et ses forfaits, s’est résumée dans ce seul homme. […] La brièveté est une vertu de la langue, car la langue n’est qu’un signe. […] Pison rappelait par ses vertus l’antique république. […] Qu’est-il besoin de parler de vertu quand il s’agit de se comparer à un Othon ?

46. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIe entretien. L’homme de lettres »

On sent que le désir de s’élever donnait des vertus à son âme, et de l’énergie à son caractère. […] Aussi les philosophes ne pardonnèrent à l’auteur ni sa vertu, ni son éloquence, ni sa gloire. […] Sans doute, la vertu et l’amour jouissent de ces plaisirs amers. […] « Sans doute, il est quelque part un lieu où la vertu reçoit sa récompense. […] J’ai été trouvée fidèle aux lois de la nature, de l’amour et de la vertu.

47. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre premier. » pp. 15-203

Exigerai-je de l’homme, même du sage, qu’il ne bronche pas une fois dans le chemin de la vertu ? […] N’y a-t-il aucune différence entre la vertu d’un siècle et celle d’un autre, entre la vertu de la cour et celle d’un cloître ? […] De ce que le censeur ne croit pas facilement aux vertus philosophiques. […] La vertu, la vertu, qui te restait, et dont le tyran ne pouvait te dépouiller ; le tyran, qui t’aurait peut-être laissé la vie, s’il eût été en son pouvoir de t’ôter la vertu. […] Vicieux, de quel front aurait-il prêché la vertu à son élève ?

48. (1813) Réflexions sur le suicide

Nous ne pouvons concevoir la vertu sans la liberté de l’homme, ni la vie éternelle sans la vertu ; cette chaîne, dont le premier anneau nous est tout à la fois incompréhensible et indispensable, doit être considérée comme la condition de notre être. […] C’est donc se soustraire à la vertu, que de se tuer parce qu’on est malheureux : c’est se soustraire aux jouissances, que cette vertu nous aurait données, quand nous aurions triomphé de nos peines par son secours. […] -C. est descendu sur la terre ; et ces trois vertus tendent toutes également à soulager les malheureux. […] La mort naturelle est adoucie presque toujours par l’affaiblissement des forces, et l’exaltation de la vertu nous soutient dans le sacrifice de la vie à ses devoirs. […] Il n’y a rien de vraiment grand sans le mélange d’une vertu quelconque.

49. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Ce qui importe, c’est de placer au-dessus d’elle les jouissances de la vertu, et de donner à tous les sentiments de l’âme une grande valeur, pour relever d’autant plus le sentiment suprême, l’amour du bien et des hommes. […] L’esprit républicain exige des vertus positives, des vertus connues. Beaucoup d’hommes vicieux n’ont d’autre ambition que d’échapper au ridicule ; il faut leur apprendre, il faut avoir le talent de leur prouver que le succès du vice prête plus à la moquerie que la maladresse de la vertu. […] Sous un gouvernement républicain, ce qu’il doit y avoir de plus imposant pour la pensée, c’est la vertu, et ce qui frappe le plus l’imagination, c’est le malheur. […] L’époque du retour à la vertu n’est pas éloignée, et déjà l’esprit est avide des sentiments honnêtes, si la raison ne les a pas encore fait triompher.

50. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre III. De l’émulation » pp. 443-462

Les furieux appellent aristocratie ce qu’il y a de plus républicain au monde, l’amour des lumières et de la vertu. […] Il ne faut pas prétendre, en apportant le vieil esprit des cours dans la république nouvelle, qu’il y ait en administration quelque chose de plus nécessaire que la pensée, de plus sûr que la raison, de plus énergique que la vertu. […] Vous ne pouvez attacher le peuple à l’idée même de la vertu, qu’en la lui faisant comprendre par les actions généreuses et le caractère moral de quelques hommes. […] Le principe d’une république où l’égalité politique est consacrée, doit être d’établir les distinctions les plus marquées entre les hommes, selon leurs talents et leurs vertus. […] Caton représentait sur la terre la puissance de la vertu.

51. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XII. L’antinomie morale » pp. 253-269

À tous ces gens-là la vie en troupeau est nécessaire parce qu’elle est le champ où prospèrent les vertus à leur portée et que ne peut pas ne pas mépriser une âme forte, ayant le sentiment de sa force et de sa grandeur. — Mais au-dessus de cette morale misérable, par-delà cette morale misérable, jalouse de toute force, de toute grandeur, de toute beauté individualisée et s’affirmant comme indépendante du troupeau, l’aristocrate conçoit une morale faite pour lui et pour quelques hommes, ses pareils : une morale de surhomme, morale que chaque surhomme concevra d’ailleurs à sa façon, à son image, et sous l’inspiration de son idéal personnel. […] Les vertus recommandées ou glorifiées par les grands aristocrates ne sont pas les vertus proprement morales, les vertus chrétiennes ou même stoïques (sauf parfois et en partie, chez Vigny) ; ce sont des vertus de force, des vertus conquérantes, des vertus amorales. L’individualisme aristocratique ne représente pas la supériorité de l’individu comme une supériorité morale (point de vue chrétien ou stoïcien, vertus de dévouement, de sacrifice, de renoncement) ; il la représente plutôt comme une supériorité de la force, de l’intelligence, de l’énergie indépendante, de toutes les facultés non proprement morales (point de vue de Gobineau, d’Ibsen, de Nietzsche).

52. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Michelet » pp. 259-274

Mais il se vengeait de l’ignorance et de l’incrédulité de leurs esprits en restant enfoncé dans leur cœur et en leur inspirant les vertus qui viennent de lui seul : la miséricorde, la générosité et la justice. […] C’est bien moins de leur génie militaire et de leurs hauts faits de bataille dont il se préoccupe que de ces vertus, qu’il croit humaines et qui sont chrétiennes ; car l’Antiquité, qui ne fut qu’humaine, n’a rien produit de comparable à de tels héros ! […] c’est la plus chrétienne de ces vertus, en ces hommes sublimes, que Michelet a le mieux sentie et qui a le mieux inspiré le génie chrétien qui était en lui d’origine, et qu’il a si horriblement profané. […] La vertu la plus rare, la plus étrange, et si étrange qu’on ne la conçoit même que surnaturelle, — parce que, dans l’ordre humain, elle n’existe pas, — l’humilité, est ici dans toute son incompréhensibilité, claire seulement pour Dieu et pour ceux qui y croient ! Les deux autres — Desaix et Hoche — n’atteignirent pas à cette profondeur de vertu surhumaine.

53. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Premiere partie. » pp. 12-34

Je ne dépendrai point du regard des hommes, je ne porterai point les fers qu’ils se forgent, & si ma mâle indépendance, offense le vice, qui veut être despote, elle plaira à la vertu qui fait l’homme, en ne s’assujettissant qu’aux Loix. […] Les vertus & les talens ne germent point dans des ames basses & rampantes, & quiconque a pû tendre les mains aux fers de la servitude, a dégradé son être & s’est avili d’avance aux yeux de la postérité (a). […] Je vous vois parcourir le vaste miroir des siécles écoulés, examiner les ressorts qui changent la face des Empires, pénétrer le jeu rapide des révolutions de la Fortune, percer les intrigues de l’Ambition, par les événemens passés prédire les événemens futurs, alors tout sert à vous affermir dans vos heureux principes ; vous les jugez, ces foibles humains, vous les jugez sans passion, vous les voyez tels qu’ils sont, composés de grandeur & de foiblesse, de vertus et de vices, mais qui doivent peut-être leurs crimes non à la Nature, qui a caché dans leurs cœurs le doux sentiment de la pitié, principe des vertus, mais à la Tyrannie, à l’affreuse Tyrannie, qui aggravant sur leur tête un joug humiliant les a fait gémir, haïr, détester leur existence & les a forcés d’être méchans en les rendant malheureux. […] Avouons-le cependant ; l’indigence est affreuse, un ancien Poëte nous la représente sous l’image d’une femme échevelée, abandonnée sur un rocher désert, qui tantôt lutte contre le désespoir, tantôt mesure l’abîme effroyable ou elle va se précipiter ; mais l’indigence n’a jamais surpris l’homme de Lettres laborieux, il pourra être pauvre, & ce sera là le gage de ses vertus, & de la noble fierté de son ame. […] Que la vertu est douce & riante dans sa bouche !

54. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre VI. Voltaire historien. »

Sa piété qui était celle d’un anachorète, ne lui ôta aucune vertu de roi. […] Prudent et ferme dans le conseil, intrépide dans les combats, sans être emporté, compatissant comme s’il n’avait jamais été que malheureux, il n’est pas donné à l’homme de pousser plus loin la vertu… Attaqué de la peste devant Tunis… il se fit étendre sur la cendre, et expira à l’âge de cinquante-cinq ans, avec la piété d’un religieux et le courage d’un grand homme. » Dans ce portrait, d’ailleurs si élégamment écrit, Voltaire, en parlant d’anachorète, a-t-il cherché à rabaisser son héros ? […] C’est précisément le contraste des vertus religieuses et des vertus guerrières, de l’humilité chrétienne et de la grandeur royale, qui fait ici le dramatique et la beauté du tableau.

55. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VIII. De l’invasion des peuples du Nord, de l’établissement de la religion chrétienne, et de la renaissance des lettres » pp. 188-214

Une autre nation, non moins éloignée des vrais principes de la vertu, vint conquérir cette nation avilie. […] La force, la loyauté guerrière, la vérité, comme attributs de la force, étaient les seules idées qu’ils eussent jamais conçues de la vertu. […] La corruption universelle avait effacé jusqu’au souvenir de la vertu : qui aurait voulu la rappeler n’aurait obtenu qu’un étonnement mêlé de blâme. […] Mais n’aurait-il pas mieux valu, dira-t-on, ramener à la vertu par la philosophie ? […] L’Évangile qui commande des vertus privées, une destinée obscure, une humilité pieuse, offrait aux femmes autant qu’aux hommes les moyens d’obtenir la palme de la religion.

56. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Plan, d’une université, pour, le gouvernement de Russie » pp. 433-452

Combien de vertus délicates que l’esclave et le sauvage ignorent ! Si l’on croyait que ces vertus, fruits du temps et des lumières, sont de convention, l’on se tromperait ; elles tiennent à la science des mœurs comme la feuille tient à l’arbre qu’elle embellit. […] Le chemin qui aboutit à la vertu et au bonheur est étroit et pénible. […] — La vertu ! — Oui, la vertu, parce qu’il faut plus de raison, plus de lumières et de force qu’on ne le suppose communément pour être vraiment homme de bien.

57. (1912) L’art de lire « Chapitre II. Les livres d’idées »

Nous nous apercevons qu’il ne croit à aucune vertu. […] Cela peut aussi nous paraître très facile à réfuter par une donnée immédiate de la conscience, par cette affirmation de notre être intime que, si nous sentons en nous bien des vices, nous nous saisissons aussi à tel moment comme capable d’une vertu et comme dans une sorte d’impuissance de ne pas céder à son appel. […] Il y a plus ; nous nous apercevrons bientôt, rien qu’en faisant mentalement une petite liste des vertus humaines, qu’il y a des vertus dont il ne parle pas et par conséquent des vertus qu’il ne nie point. […] Son procédé, par comparaison d’un nombre suffisant de ses maximes entre elles nous le surprendrons, est celui-ci : dissoudre en quelque sorte, diluer une vertu qu’il entreprend, dans tous les défauts qui l’avoisinent ; le courage, par exemple, dans le désir de briller, la générosité dans l’ostentation, la loyauté dans le désir d’inspirer une confiance dont on retirera des bénéfices, etc. Fort bien ; mais dès lors, si l’on peut dissoudre les vertus dans les défauts qui les avoisinent, on peut dissoudre aussi les défauts dans les vertus qui sont proches d’eux et dire : « Tel homme désire briller et pour cela se met toujours en avant ; mais au fond de cela, il y a du courage.

58. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXI. De Thémiste, orateur de Constantinople, et des panégyriques qu’il composa en l’honneur de six empereurs. »

Instruit de la grande réputation du philosophe Thémiste, j’ai cru qu’il était digne de l’empereur et de vous de récompenser sa vertu, en l’admettant dans ce conseil auguste : et je n’ai pas voulu seulement honorer Thémiste, j’ai voulu aussi honorer le sénat, que j’ai cru digne de posséder un si grand homme. […] Ce n’est pas même par le courage, par la patience, par la force ; ce n’est pas même par le mépris des voluptés ; aucunes de ces vertus de l’homme ne conviennent à Dieu : ces vertus tiennent à des faiblesses. […] « Le prince qui aime les hommes, dit-il ailleurs, aura toutes les vertus ; il domptera surtout la colère, mal sans bornes dans un pouvoir qui n’en a pas. […] » « L’influence de la vertu du prince, dit-il à Théodose, ne se borne point à la terre. […] La sagesse est la seule qui répande encore plus d’éclat sur ceux qui l’honorent que sur ceux qui sont honorés ; car admirer la vertu dans les autres, c’est déjà une preuve de vertu. » « Ô mes amis !

59. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIVe entretien. Cicéron (3e partie) » pp. 257-336

Une autre réflexion encore, c’est qu’il est moins aisé de guérir radicalement une passion que d’extirper ces vices de premier ordre qui combattent de front la vertu. […] ô toi qui enseignes la vertu et qui domptes le vice, que ferions-nous et que deviendrait le genre humain sans ton secours ? […] C’est Scipion qui parle, et qui, après avoir professé la politique de la vertu, chante les récompenses que le ciel réserve aux vrais politiques : lisez toujours. […] « Élève tes vœux au-dessus des récompenses humaines ; que la vertu seule te montre le chemin de la véritable gloire, et t’y attire pour elle-même. […] Machiavel a sa perspicacité politique, mais il n’a pas sa vertu.

60. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

L’observation de ces devoirs ainsi formulés constitue l’ordre social, le bon gouvernement, la vertu. La première de ces vertus, l’âme de ces rites ou devoirs, est l’humanité, sentiment inspiré par Dieu pour la conservation de la race. […] Cette obéissance d’instinct, de reconnaissance et de volonté donnait un caractère de moralité, de vertu, de divinité à la supériorité du père. […] Dans tout ce qui est honnête et bon il ne voit rien de petit ; les plus minutieuses pratiques tournent, chez lui, au profit de la vertu. […] Quelle délectation de remonter à de telles hauteurs de sagesse et de vertu à travers la nuit des temps !

61. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « L’abbé Monnin. Le Curé d’Ars » pp. 345-359

Ils ont bien d’autres affaires vraiment que de s’occuper des pauvres curés qui, de vertus humbles en vertus humbles, deviennent des saints ; et c’est pour cela que l’abbé Monnin a dédié spécialement à ceux-là, qui ne connaissaient pas le curé d’Ars, l’histoire qui le leur apprendra. […] La conscience, même à ce point de vue de la beauté, est aussi puissante que le génie, et, comme elle appartient à tous, il ne s’agit que d’y descendre pour en rapporter des choses qui équivalent à du génie et rétablissent l’égalité entre les hommes par la vertu… C’est là ce qui faisait du pauvre curé d’Ars (il faut bien le dire !) […] Il a l’impétuosité de la vertu héroïque. Ce paysan à la figure de faune, qui avait peut-être la racine de tous les vices contraires à ses vertus, a gardé son terrible tempérament dans l’accomplissement des plus purs dévouements et des plus touchants sacrifices. […] Ce qui m’étonne dans cette vie d’hier, qui probablement sera une légende demain, ce n’est pas ce qui se trouve dans la vie des autres Saints de tous les âges et qui leur est commun à tous : les vertus, les grandeurs, les miracles, les communications directes avec Dieu, les adorations des foules prosternées ; mais c’est ce qui est particulier au Saint que fut le Curé d’Ars.

62. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

il y eut toujours tant de vertu égarée ! […] On les appelle vertus, le plus souvent. […] Ce n’est plus une vertu très en usage. […] Oui, à la vertu ! […] Précisément, il transporte à l’État les vertus de l’homme privé, il veut mettre dans l’État les vertus de l’homme privé et il est absolument convaincu que les « vertus » d’homme privé doivent être des vertus d’État.

63. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

Les malheurs de Rousseau méritent-ils plus de ménagements que les vertus de Fénelon ? […] Après lui, ce que l’utopiste aime le plus, c’est la vertu. […] Les honnêtes gens se contentent d’aimer tout bonnement la vertu. […] L’honnête homme aime la vertu comme on aime son devoir ; l’utopiste l’adore. […] Rousseau sont comme les vertus de l’homme : ils s’étalent.

64. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque. Deuxième partie. » pp. 225-303

On examine si la justice, vertu de l’individu, n’est pas logiquement aussi vertu de l’État. […] Et le tout finit par une homélie vague en l’honneur de la vertu. […] la famille, que proscrit Platon, est donc l’opposé de la vertu ? […] La propriété héréditaire, qui seule porte et perpétue ce groupe humain, est donc un attentat à la vertu ? […] La mobilité et l’universalité, c’est à la fois son défaut et sa vertu.

65. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le marquis de la Fare, ou un paresseux. » pp. 389-408

Ce fut le siècle des grandes vertus et des grands vices, des grandes actions et des grands crimes. […] La Fare rend pourtant cette justice au cardinal de Richelieu « qu’avec cette jalousie qu’il avait de l’autorité royale et de la sienne qu’il en croyait inséparable, il aima et récompensa la vertu partout où elle ne lui fut pas contraire, et employa volontiers les gens de mérite ». […] Pour moi, par une longue et triste expérience, De cette illusion j’ai reconnu l’abus ; Je sais, sans me flatter d’une vaine apparence, Que c’est à mes défauts que je dois mes vertus. […] » — « La gloire est la preuve de la vertu », a dit Vauvenargues ; et dans un admirable Discours adressé à un jeune ami il expose toute une noble doctrine que je voudrais mettre en regard de cette lettre du chevalier de Bouillon à Chaulieu, et qui la réfute par une éloquence victorieuse : « Insensés que nous sommes, nous craignons toujours d’être dupes ou de l’activité, ou de la gloire, ou de la vertu ! […] [NdA] Il s’agit d’Hermias, un moment roi d’Atarnée en Mysie, disciple et ami d’Aristote, et qui, venu tard et resserré dans un cadre étroit, paraît avoir eu des vertus héroïques.

66. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

On y voit paraître et reluire, après quelques pages de lecture continue, l’image de la vie privée, des vertus domestiques, de la piété et de la pudeur de l’écrivain, ce qu’une de ses petites-filles a si excellemment appelé ses charmes intérieurs. […] Porté par son mérite, et par l’autorité que lui conférait la vertu paternelle, à la charge d’avocat général à vingt-deux ans, il fit, disent ses biographes, une révolution dans le palais par le caractère nouveau de son éloquence. […] Devenu chancelier de France et ministre en 1717, sous la Régence, d’Aguesseau laissa trop voir alors ce qui lui manquait comme homme politique, et sa vertu, égarée entre Law, Dubois et le Régent, rencontra plus d’un piège qu’elle ne sut point éviter. […] Moins encore en raison des difficultés qu’on rencontrait dans son genre d’esprit que par l’incommodité que causait sa vertu, d’Aguesseau fut exilé deux fois dans sa terre de Fresnes. […] Sa majesté paisible tenait à un ensemble de mérites et de vertus, difficiles à définir quand on ne veut pas excéder cette mesure qu’il observait si bien.

67. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Seconde partie. » pp. 35-56

Non : tu trouverois dans la poussiere des insectes ténébreux qui te tourmenteroient, & tu aurois de moins tes talens, tes vertus & ta renommée. […] L’image du beau, ainsi que celle de la vertu est gravée au fond de nos cœurs ; il n’appartient qu’à nous de la contempler sans cesse ; voilà la véritable jouissance de l’ame, & le plaisir inaltérable ; aussi les gens de Lettres sçavent trouver en eux-mêmes une satisfaction douce & continue, qui n’agite point le cœur, qui ne réfroidit point l’imagination, tandis que les autres hommes jamais détrompés, embrassent dans une volupté passagere un phosphore brillant qui se dissipe. […] Que ne puis-je placer ici les noms de ces Ecrivains non moins distingués par leurs vertus que par leurs talens ? […] Je prouverois par les écrits & les actions de ces hommes immortels combien leur cœur étoit pénétré de cette vertu douce dont ils se sont efforcés d’étendre l’empire. […] Ma voix est foible, mais du moins elle sera l’interpréte de l’honnêteté ; & je dirai : ô vous qui courez la carriere de l’immortalité, oubliez-vous qu’ayant l’honneur de parler aux hommes, ils ont droit d’attendre de vous une vertu mâle, severe, courageuse, qui sçache prononcer contre vous-même lorsque l’intérêt général le demandera.

68. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XX. De Libanius, et de tous les autres orateurs qui ont fait l’éloge de Julien. Jugement sur ce prince. »

Libanius, sous un gouvernement plus juste, put parler impunément des vertus et des crimes. […] Il s’égara dans la religion, voyons du moins ce qu’il fut comme prince ; en détestant son crime, discutons ses vertus : l’aveu que nous en ferons ne peut nous rendre complices de ses erreurs. […] Il apprit, dans la retraite, dans l’étude, dans l’éloignement des plaisirs, à se former et à commander aux hommes ; il est vrai que peut-être il fut forcé à la vertu par le malheur. […] Si on regarde les talents, il eut plus de génie ; si on regarde le caractère, il eut plus de fermeté peut-être, et fut plus loin de cette bonté dont on abuse, et qui, voisine de l’excès, peut devenir une vertu plus dangereuse qu’un vice. […] Un autre caractère du grand homme lui manqua, c’est cette vertu qui fait que l’âme, sans s’élever, sans s’abaisser, sans s’apercevoir même de ses mouvements, est ce qu’elle doit être, et l’est sans faste comme sans effort ; en cela il fut encore loin de Marc-Aurèle.

69. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XV. De l’imagination des Anglais dans leurs poésies et leurs romans » pp. 307-323

C’est que la liberté et la vertu, ces deux grands résultats de la raison humaine, exigent de la méditation : et la méditation conduit nécessairement à des objets sérieux. […] Elles seules choisissent leur genre de vie ; les autres sont forcées de se résigner à celui que la destinée leur impose ; et quand on est amené à l’exercice d’une vertu par la privation de quelques avantages personnels, ou par le joug des circonstances, on n’a jamais toutes les idées et tous les sentiments que peut faire naître cette vertu librement adoptée. […] Ce sont les Anglais enfin qui ont fait des romans des ouvrages de morale, où les vertus et les destinées obscures peuvent trouver des motifs d’exaltation, et se créer un genre d’héroïsme. […] La vertu du père et la beauté de la mère s’aperçoivent déjà dans les enfants : leur faible raison grandit à chaque moment ; elle réclame bientôt le secours des soins assidus. […] Le contentement de l’âme, le repos de la campagne, une fortune qui suffit à l’élégant nécessaire, l’amitié, des livres, la retraite, le travail et le loisir, une vie utile, une vertu progressive et le ciel approbateur !

70. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Ernest Renan, le Prêtre de Némi. »

Il est vrai qu’il faut les supposer habillés comme les personnages de Masaccio au Carmine de Florence, et que la sibylle Carmenta porte la robe des Vertus de François d’Assise dans le tableau de Sano di Pietro. […] Métius, qui représente l’aristocratie, tout en reconnaissant l’intelligence et la vertu d’Antistius, le blâme par esprit de conservation et par patriotisme, un noble étant intéressé plus qu’un autre au maintien des coutumes et au salut de la cité. […] Cethegus, chef des démagogues, le hait par bassesse de nature et « parce qu’un prêtre est un aristocrate comme un autre » et que « la morale, le bien, la vertu sont encore des restes de prêtrise ». […] La vertu n’a pas besoin de la justice des hommes ; mais elle ne peut se passer d’un témoin céleste qui lui dise : Courage ! […] C’est qu’il les connaît pour les avoir étudiées dans le passé et dans le présent et que, s’il est poète, il est historien  Ou bien parmi de magnifiques paroles sur la vertu, il nous avertit subitement qu’elle n’est que duperie, et cela nous scandalise ; mais ce n’est pourtant qu’une façon de dire que la vertu est à elle-même sa très réelle récompense.

71. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 190-194

Tous semblent s’opposer à l’ardeur qui le guide : Il veut armer son bras ; mais le sage Druide Arrête ce transport, & lui parle en ces mots : Apprends que la Vertu forme seule un Héros. Tu vois le fol Orgueil, la farouche Licence, La basse Flatterie & l’aveugle Vengeance ; Ici l’Ambition, mere des attentats, Semble exciter la guerre à courir sur ses pas ; Plus loin, l’Impiété de la Fraude est suivie ; L’Injustice & la Haine accompagnent l’Envie ; Tous les Monstres enfin, surveillans assidus, Qui des Palais des Rois écartent les vertus. […] C’est le cœur qui contre eux doit livrer des combats : L’homme porte par-tout ces monstres dans lui-même : Il faut, pour les dompter, une vertu suprême, C’est-là l’unique gloire ; un Prince généreux Doit, par de tels combats, rendre son Peuple heureux. […] Que ses hautes vertus font naître de Grands Hommes !

72. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Legkzinska »

Je ne relève le trait que pour faire voir qu’involontairement le divorce entre la vertu et les grâces se marquait dès le premier jour. […] Tout le monde est enchanté ici de sa vertu et de sa politesse. […] Elle pratiqua saintement cette vertu royale tous les jours de sa vie. […] Sa modestie, qui exprimait des vertus précieuses, accusait aussi cette défiance secrète. […] Pourquoi la vertu n’est-elle pas visitée aussi du génie ou du démon de plaire ?

73. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIII. Des éloges ou panégyriques adressés à Louis XIV. Jugement sur ce prince. »

On parlait à Louis XIV de ses devoirs, mais on lui parlait presque autant de ses vertus : on mêlait avec adresse, au langage de l’évangile, le langage des cours. […] La Mothe, avec sa prose harmonieuse et facile, prononça, dans l’Académie française, l’éloge funèbre de ce roi : toutes les chaires retentirent de ses vertus. […] Occupé de l’éclat de son règne, il confia l’espérance du règne suivant à la vertu et au génie. […] Ne lui reprochons pas des malheurs encore plus que des fautes ; mais la disgrâce de Fénelon et son exil ; mais la proscription de l’ouvrage le plus éloquent que la vertu ait jamais inspiré au génie : il est difficile, sans doute d’excuser cette erreur dans un roi aussi célèbre. […] qui, dans un pays et dans un siècle ingrat, où quelquefois, comme dans l’ancienne Rome, on punirait l’honnête homme de ses vertus, et l’homme de génie de ses talents, qui voudrait se livrer à des travaux pénibles et se donner la peine d’être grand ?

74. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (2e partie) » pp. 417-487

Voilà un beau principe social à établir pour base des vertus dans toute sociabilité en ce monde ! […] Ôtez la vertu du plan divin du Législateur suprême, à quoi bon avoir donné une âme à ce troupeau ? […] Selon nous, les meilleures lois sont celles qui contiennent le plus de vertus ! […] Leur crime n’est qu’ignorance, leur crime même n’est qu’utopie, c’est de la vertu en délire ; mais le délire de la vertu n’a pas des effets moins funestes que celui du crime. […] L’homme content de mourir de faim, pourvu qu’aucun de ses semblables n’ait de superflu ; constitution de la jalousie, vice détestable, au lieu de la constitution de la fraternité, heureuse de la félicité d’autrui, vertu des vertus !

75. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 14, qu’il est même des sujets specialement propres à certains genres de poësie et de peinture. Du sujet propre à la tragedie » pp. 108-114

Le respect pour les loix de la societé dont on est membre est une si grande vertu, qu’elle excuse sur la scene l’erreur qui nous fait violer la loi naturelle. […] Ce n’est point par reflexion et en resistant à la tentation qu’un homme à qui il reste encore quelque vertu ne les commet pas, c’est parce qu’il n’est pas en lui de mouvement qui le porte jamais à de pareils excès : il est en lui une horreur d’instinct, et si j’ose dire machinale, contre les actions dénaturées. S’il y pouvoit être porté par un premier mouvement de colere, un premier mouvement de vertu le retiendroit. Les vertus n’ont-elles pas leurs premiers mouvemens ainsi que les passions vicieuses ?

76. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre IV. Des éloges funèbres chez les Égyptiens. »

La loi t’interroge, la patrie t’écoute, la vérité te juge. » Alors il comparaissait sans titres et sans pouvoir, réduit à lui seul, et escorté seulement de ses vertus ou de ses vices. […] On assemblait la famille ; les enfants venaient recevoir des leçons de vertu en entendant louer leur père ; le peuple s’y rendait en foule : le magistrat y présidait. […] Leur institution ressemblait beaucoup à celle de nos oraisons funèbres : mais il y a une différence remarquable, c’est qu’ils étaient accordés à la vertu, non à la dignité ; le laboureur et l’artisan y avaient droit comme le souverain. Ce n’était donc point alors une cérémonie vaine, où un orateur que personne ne croyait, venait parler de vertus qu’il ne croyait pas davantage, tâchait de se passionner un instant pour ce qui était quelquefois l’objet du mépris public et du sien, et entassant avec harmonie des mensonges mercenaires, flattait longuement les morts, pour être loué lui-même ou récompensé par les vivants.

77. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIII. »

Donne la vertu et la richesse. Car, sans la vertu, la richesse ne saurait élever les hommes ; ni la vertu, sans la richesse. […] Sous le nom de Jupiter, c’est le Dieu des Juifs qui est adoré ici, ce Dieu qui donne la vertu et la richesse, et qui, même par les biens terrestres, anticipe sur les promesses éternelles, selon les images fréquentes dans les livres de l’ancienne loi. […] Mais c’est de Jupiter que j’attends la vertu. » Rien, ce semble, de plus élégant que le style de l’original, dans cet hymne de cour. […] Nulle vertu civile, nul souvenir de gloire et de liberté n’est rappelé, dans cette langue encore si pure, à ce peuple grec transplanté depuis moins d’un siècle.

78. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Je ne sache point que quelqu’un, jusqu’ici, se soit mis en peine de chercher dans le fond de son cœur ce qu’il avait de vertu, pour connaître ce qu’il méritait de liberté. […] Dites-lui qu’il n’abandonne pas la bonne cause et recommandez-le-lui, car il n’a point encore l’audace d’une vertu magnanime. […] Il n’était pas sans se rendre compte des difficultés : Tout le monde, disait-il, veut bien de la république, personne ne veut de la pauvreté ni de la vertu… Il s’agit de faire une république d’un peuple épars avec les débris et les crimes de sa monarchie ; il s’agit d’établir la confiance ; il s’agit d’instruire à la vertu les hommes durs qui ne vivent que pour eux. Ce qu’il y a d’étonnant dans cette révolution, c’est qu’on a fait une république avec des vices ; faites-en avec des vertus : la chose n’est pas impossible. […] Les notes qu’on a trouvées dans ses papiers ne parlent que de vertu, de justice et d’innocence.

79. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame Necker. » pp. 240-263

Elle fut élevée et nourrie dans cette vie de campagne et de presbytère où quelques poètes ont placé la scène de leurs plus charmantes idylles, et elle y puisa, avec les vertus du foyer, le principe des études sérieuses. […] Mieux informée, elle rétractera ce mot, et, après quelques années, elle dira : « Malgré le préjugé, j’ai trouvé au milieu de Paris des gens de la vertu la plus pure, et susceptibles de la plus tendre amitié. » Mais ce discernement demande plus d’un jour. […] Chez celle-ci c’était la prudence sociale, la convenance stricte qui régnait avant tout ; chez l’autre c’était la vertu et un fonds de bonté qui perçait jusque dans le désaccord et le blâme. […] Le premier ministère de son mari, qui dut l’exalter sans doute, fut aussi le moment où elle commença à se détromper : « Mon cœur et mes regrets, écrivait-elle à un ami en juillet 1779, cherchent sans cesse un univers où la bienfaisance soit la première des vertus. […] Le premier ministère de son mari, ou, comme elle disait moins familièrement, de son ami, lui fournit l’occasion de développer et de pratiquer en grand ses vertus.

80. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 92-99

Pour les former, il faut qu’elle réunisse tous les talens & toutes les vertus, un esprit capable de toutes les connoissances, un cœur rempli de tous les sentimens. […] Avoir reçu du Ciel une imagination vive & féconde, un jugement aussi exquis que solide ; allier à l’étendue du savoir une profonde sagesse ; aux charmes de l’éloquence l’empire de la vertu ; à l’élévation des dignités un amour aussi éclairé qu’intrépide pour le bien ; avoir ajouté à ces qualités une application infatigable à cultiver ses talens, une modestie sincere, la véritable parure du mérite : tel est le privilége heureux qui distingue ce Grand Homme, à qui les hommages ne peuvent être trop prodigués. […] Dans ses Mercuriales sur-tout, il est aisé de reconnoître une suite de tableaux où l’Homme de Loix est forcé de puiser la plus haute idée de sa profession & l’amour de ses devoirs, l’Homme d’Etat, les leçons de la saine politique & les moyens de la rendre utile & respectable ; le Philosophe, le modele de l’usage qu’il doit faire de ses lumieres & de la sagesse qui sait les contenir ; le Littérateur, les finesses de son art & les solides beautés qui peuvent l’embellir ; tous les hommes, le respect des Loix, les regles de la vertu & les charmes qui la font aimer. […] Nous n’ajoutons pas ici le détail de ses vertus ; la Postérité en chérira toujours le souvenir, autant que la Magistrature en fera sa gloire.

81. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

Surtout, ne posez pas en maxime qu’il y a de la vertu à se tuer, pour échapper aux suggestions du vice, car ce serait nier la vertu même qui consiste à les vaincre. […] Le plaisir est le but suprême : il est la vertu et la sainteté même. […] Sa misère et son opprobre donnent la mesure exacte de sa vertu. […] insensé, pourquoi ai-je compté sur la vertu ? […] Il n’y a plus que des vertus négatives. » Qui donc parle ainsi ?

82. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

La vraie union de l’âme avec Dieu se fait par la vérité et par la vertu. […] Le génie seul a la vertu de convertir ses conceptions en créations. […] Est-ce l’égoïsme habile ou la vertu désintéressée que les poètes célèbrent ? […] c’est la vertu ! […] Mais ma liberté ne peut pas grand-chose sur le bonheur, qui dépend de mille circonstances indépendantes de moi, tandis qu’elle peut tout sur la vertu, car la vertu n’est qu’un emploi de la liberté.

83. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 3665-7857

Quel fonds de philosophie ne faut-il point pour saisir ainsi le point fixe de la vertu ! […] Par la même raison un critique en Morale doit avoir en lui, sinon les vertus pratiques, du moins le germe de ces vertus. […] Sans la raison puis-je vertu connoître ? […] La vertu qui se suffit, est une vertu plus qu’humaine : il n’est donc ni prudent ni juste d’exiger que la vertu se suffise. […] Cette vertu, c’est d’aimer les hommes ; ce talent, c’est de les placer.

84. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque (1re partie) » pp. 145-224

Ôtez la logique, l’intelligence est folle ; ôtez la conscience, la moralité est morte ; le crime et la vertu deviennent des choses discutables et douteuses comme des problèmes ordinaires, susceptibles de oui ou de non ; ils ne sont crime et vertu que parce qu’ils sont au-dessus de toute discussion. […] Mais le peuple ne voit de vérité et de vertu que dans ses passions ; il devait donc haïr Socrate ; il demandait un châtiment exemplaire contre ce philosophe. […] Ce sont les idées innées, les révélations préexistantes à toute révélation des sens ; c’est eu vertu de ces idées typiques, coexistantes avec l’âme et préexistantes à nos sens, que nous portons en nous les notions innées du bien, du bon, du beau, des qualités, des vertus, des saintetés des choses. […] La récompense, après la mort, de ces vertus ; le châtiment, soit temporaire, soit éternel, des vices ou des crimes contraires, voilà ses destinées. […] Il faut une certaine mesure de vertu dans une âme, pour que cette âme puisse s’élever à une véritable philosophie.

85. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Gisors (1732-1758) : Étude historique, par M. Camille Rousset. »

Plus d’une personne de la famille offrait l’image des vertus chrétiennes. […] Ayant épousé en secondes noces une Béthune, veuve elle-même du marquis de Grancey, il avait trouvé en elle une compagne aimable, une auxiliaire active et habile autant que délicate, la grâce jointe à de la vertu. […] Vauvenargues nous a offert par lui-même, et dans la personne de son ami Hippolyte de Seytres, l’idéal d’un jeune militaire dévoué à son roi, à sa patrie, à ses devoirs, amoureux de la gloire dans l’âge des plaisirs, et sachant associer au culte moderne de l’honneur quelque chose de la vertu telle que l’entendaient les Anciens. […] On est fâché d’être obligé de dire que Mme de Gisors, en vieillissant, paya par de l’aigreur et du fanatisme la rançon de sa vertu. […] Voilà le revers de médaille de la vertu.

86. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

Ce n’est pas dans les mots que la vertu consiste. […] où des passions féroces usurpent le titre de vertus et subjuguent notre admiration ! […] Quelles vertus que la folie, la rage et l’assassinat ! […] S’il paraît romanesque, c’est qu’une vertu extraordinaire l’est toujours. […] La veuve d’Hector a peut-être plus besoin de vertu pour résister à l’amour de Pyrrhus, que la veuve de Pompée pour braver la victoire de César.

87. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 272-292

Il a ajouté à l’éclat des grands talens, le mérite des plus hautes vertus : c’est plus qu’il n’en faut pour consacrer son nom à l’amour & au respect, autant qu’à l’immortalité. […] Il est vrai que l’Epopée doit s’attacher au récit d’une action grande, merveilleuse, intéressante, propre à exciter l’admiration & à inspirer la vertu. […] S’il paroît quelquefois faillir & s’égarer, ce n’est qu’une adresse de l’Auteur, pour le rendre plus intéressant & donner un nouveau lustre à ses vertus. […] En cachant au jeune Télémaque l’assistance d’une Divinité toujours présente, il a l’art de ne rien dérober à sa gloire ; la vertu du jeune Grec en est plus vigilante & plus ferme, ses triomphes en sont plus glorieux & plus solides, ses dangers plus intéressans, ses succès plus flatteurs. […] Jamais la vertu n’emprunta, pour parler aux hommes, un langage plus enchanteur, & n’eut plus de droit à notre amour.

88. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Si j’avais une fille à marier ! » pp. 215-228

, et tous les privilèges sociaux de l’homme (p. 31) doivent disparaître et disparaissent devant la grandeur de la vertu de la femme ». […] Josse, passe tout le temps de son livre à faire reluire la beauté de cette vertu aux yeux de sa fille, comme celle d’un bijou dont il voudrait lui faire envie, et il a raison ! […] La femme toute seule, y est-il dit, voyant l’illimitation de sa convoitise, y invente « elle-même sa vertu » (textuel). Qu’a-t-elle besoin de Dieu, en effet, puisqu’elle peut inventer son bonheur et sa vertu à elle seule, et, le croirez-vous ! « de prime saut », vous qui pensez que la vertu est une lutte, ou du moins une difficulté ?

89. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIX. Panégyriques ou éloges composés par l’empereur Julien. »

Alexandre Sévère chanta les vertus qu’il avait dans son cœur, et célébra en vers les empereurs les plus humains qui l’avaient précédé sur le trône. […] Parmi les coupables, il en est qui peuvent se réconcilier avec la vertu et les lois : le prince peut les juger. […] Qu’il confie à chacun la place qui convient à son caractère ; les emplois militaires à l’âme forte et au courage mêlé de prudence ; les magistratures, à la justice tempérée par l’humanité ; les premières places de l’empire, à ceux dont le mérite, composé des deux autres, unit la vigueur du caractère aux vertus. Mais le choix est dangereux : la méchanceté adroite sait tromper ; et de tous les maux qu’elle fait, le plus funeste c’est qu’elle prend le masque des vertus, et abuse ainsi ou l’ignorance qui ne voit pas, ou la précipitation qui ne se donne pas le temps de voir. […] Outre ces deux éloges, nous en avons encore de lui un troisième, qui est un monument de reconnaissance et de vertu ; il est consacré à l’impératrice Eusébie, sa bienfaitrice.

90. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

C’est pour enseigner la vertu à tous, chefs et soldats, citoyens et cités, sujets et princes, que Xénophon écrit l’histoire. […] Tous les historiens latins, Salluste et Tacite comme Tite-Live, n’ont qu’un mot pour l’expliquer : la vertu républicaine perdue dans le luxe. […] Voilà le secret de leur force et de leur faiblesse, de leurs vertus et de leurs crimes. […] Ce n’est pas seulement tout intérêt esthétique que le fatalisme enlève à l’histoire, c’est encore toute vertu morale. […] On peut admirer le génie triomphant par la force ; heureuse ou malheureuse, la vertu au service de la justice a toujours droit à la même estime.

91. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

Victor Hugo est bien mal choisi ou bien mal imaginé pour en faire l’objet d’un intérêt si tendre, et le modèle de si patientes vertus à l’œil de ses lecteurs. […] Barbarie ne fut jamais vertu ! […] Hugo ; car, si la franchise est une vertu nécessaire, c’est envers Dieu et à cause de Dieu envers les hommes, et à cause de soi-même envers soi-même. […] Mais, si le prêtre n’a pas aussi un peu de superflu par son traitement, avec quoi fera-t-il la charité que tout le monde lui demande comme magistrat de la vertu ? La première vertu, aux yeux du pauvre peuple, n’est-elle pas la charité ?

92. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XI » pp. 89-99

Mais le moyen de faire jouer le rôle d’un céladon à l’homme de France le plus antipathique avec toute affectation, avec tout jargon, avec tout ce qui était hors de la voie droite et nette de la raison et de la vertu ? […] Tous y accouraient comme à une école de vertu. » C’est ainsi que s’exprimait Petit dans la Ve de Montausier 36. […] « Souvenez-vous, dit-il, de ces cabinets qu’on regarde encore avec tant de vénération, où la vertu était révérée sous le nom de l’incomparable Arthénice, où se rendaient tant de personnes de qualité et de mérite, qui composaient une cour choisie, nombreuse, sans confusion, modeste sans contrainte, savante sans orgueil, polie sans affectation. » La causticité du duc de Saint-Simon ne l’a pas empêché de rendre justice à la maison de Rambouillet. « L’hôtel de Rambouillet », dit-il dans une note sur Dangeau (10 mai 1690), « était dans Paris une espèce d’académie de beaux esprits, de galanterie (galanterie est là pour élégance), de vertu et de science, car toutes ces choses s’accordaient alors merveilleusement et le rendez-vous de tout ce qui était le plus distingué en condition et en mérite, un tribunal avec qui fallait compter et dont sa décision avait un grand poids dans le monde, sur la conduite et sur la réputation des personnes de la cour et du grand monde, au tant pour le moins que sur les ouvrages qui s’y portaient à l’examen37. » 35. […] Saint-Simon reconnaît en M. de Montausier une vertu hérissée et des mœurs antiques.

93. (1899) Le monde attend son évangile. À propos de « Fécondité » (La Plume) pp. 700-702

Je cherche à savoir si Zola a montré un sens du réel plus évident, s’il s’est fait du monde une conception vive, si son œuvre a plus de vertu et d’innocence. […] Le grand homme qui nous l’enseigne ne cherche point à nous embellir de vertus rares, il ne nous apprend pas le jeûne et l’abstinence ; il ne nous demande point des pensées supérieures, et il n’agit pas avec nous comme Jésus avec ses disciples dans le désert. […] La vertu que réclame Zola peut devenir aisément la nôtre. […] Il n’est pas un seul d’entre nous qui se sente incapable des vertus que j’indique. […] Il n’a point seulement cherché à écrire de splendides pages, il s’est préoccupé de leurs vertus.

94. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre V. Suite des précédents. — Héloïse et Abeilard. »

Je n’y dois mes vertus qu’à ta funeste absence ; Et j’ai maudit cent fois ma pénible innocence. […] Après le morceau que nous avons cité, on lit ces vers : Chères sœurs, de mes fers compagnes innocentes Sous ces portiques saints, colombes gémissantes, Vous qui ne connoissez que ces faibles vertus Que la religion donne… et que je n’ai plus ; Vous qui, dans les langueurs d’un esprit monastique, Ignorez de l’amour l’empire tyrannique ; Vous, enfin, qui, n’ayant que Dieu seul pour amant, Aimez par habitude, et non par sentiment, Que vos cœurs sont heureux, puisqu’ils sont insensibles ! […] Héloïse, philosophant sur les faibles vertus de la religion ne parle ni comme la vérité, ni comme son siècle, ni comme la femme, ni comme l’amour : on ne voit que le poète, et, ce qui est pis encore, l’âge des sophistes et de la déclamation. […] Revenons aux idées religieuses, si nous attachons quelque prix aux œuvres du génie : la religion est la vraie philosophie des beaux-arts, parce qu’elle ne sépare point, comme la sagesse humaine, la poésie de la morale, et la tendresse de la vertu.

95. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre VI. Premiers pas hors de Saint-Sulpice  (1882) »

Le monde se montrait à moi médiocre, pauvre en vertu. […] Carbon, la perfection de la vertu en M.  […] Je fis en quelque sorte le triage des vertus du sulpicien, laissant celles qui tiennent à une croyance positive, retenant celles qu’un philosophe peut approuver. […] J’aimerais à raconter toutes les aventures que mes vertus sulpiciennes m’amenèrent et les tours singuliers qu’elles m’ont joués. […]   1. — La pauvreté est celle des vertus de la cléricature que j’ai le mieux gardée.

96. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Voilà où il ne parviendra jamais par la vertu des règles. […] D’autres l’ont attaquée sur ses vices ; vous l’attaquez sur ses vertus. […] Que je sache donc, s’il vous plaît, ce que vous pensez de nos vertus en général. […] Non, mais aux gens qui se trompent si grossièrement que de prendre pour vertu l’absence même de la vertu. […] Passons maintenant aux vertus de l’autre sorte, aux vertus sociales, et commençons par le commencement, je veux dire par la justice.

97. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — II. (Fin.) » pp. 20-37

Approchez des grands ; jetez les yeux vous-même sur une de ces personnes qui ont vieilli dans les passions, et que le long usage des plaisirs a rendues également inhabiles et au vice et à la vertu. […] Notez en passant ce témoignage impartial du très peu indulgent Saint-Simon sur les mérites et sur la vertu établie de Massillon. C’est précisément à cause de cette vertu et de cette considération que l’abbé Dubois l’avait choisi. Ajoutez que, dans la pratique et dans l’usage de la vie, cette même vertu n’avait rien d’entêté ni de farouche : il y avait de l’Atticus chez Massillon. […] Cependant il pratiquait les vertus épiscopales, la charité, la tolérance très rare alors à cause des disputes si animées sur la Bulle.

98. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens. par M. Le Play, conseiller d’État. (Suite et fin.) »

Le Play s’en sépare nettement par sa manière d’entendre les rapports du Clergé avec l’État, par ses idées en matière de presse, par tant de vues neuves qui prouvent à quel point il se confie en la vertu et la fécondité du principe moderne, tout favorable à l’initiative individuelle. […] Notre avenir politique, comme nation, est sans doute lié et subordonné à l’apprentissage pratique que nous ferons, tous, de la tolérance, cette vertu la plus contraire à notre défaut. […] La tolérance, telle qu’elle convient à un régime jeune et vivant, est une vertu des plus vigilantes, des plus actives et des plus viriles. […] Peut-être même la tolérance n’est-elle jamais plus utile que lorsqu’elle autorise un talent supérieur à propager l’erreur et le vice : l’amour du bien et le sentiment du salut public excitent alors les cœurs généreux à faire effort sur eux-mêmes et à s’élever à la même hauteur pour faire prévaloir la vérité et la vertu. […] Mais savez-vous que ce sont là des vertus qu’on nous demande !

99. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIe entretien. Littérature latine. Horace (1re partie) » pp. 337-410

Horace, à cette époque, penchait par imagination vers les sceptiques, par vertu vers les stoïciens ; les derniers républicains étaient stoïciens ; c’est par vertu qu’ils voulaient mourir pour conserver l’ancienne liberté romaine, mère des vertus. […] C’est précisément parce qu’elle succombe que la vertu n’est pas un nom, mais la plus sainte des choses humaines. […] Telles furent les jeunes étrangères dans la société desquelles Horace chercha à vingt-cinq ans la liberté, la célébrité, l’amour, seuls devoirs et seules vertus d’Épicure. […] La liberté populaire est une vertu, mais ce n’est pas une muse ; le peuple juge très bien de l’éloquence et très mal de la poésie. […] Horace n’avait pas encore soixante ans ; le peuple le pleura ; son charme était l’amabilité, cette vertu du tempérament qui fait aimer toutes les autres.

100. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

Cela est si vrai que, quand nous voulons parler d’une chose supérieure en sagesse, en vertu, en force, en beauté matérielle ou morale, nous disons : Cela est antique. […] La pensée d’un seul est le levain d’une multitude, la vertu d’un seul sanctifie une foule, le sang d’un seul rachète une race ; le plus glorieux ou le plus humble dévouement sauve ou grandit tout un siècle. […] La poésie lyrique des prophètes hébreux est mille fois plus sublime d’expression, les hymnes des Védas ont plus d’enseignement de morale et de vertu dans leurs strophes. […] Peu importe l’événement, que tu sois vaincu ou vainqueur : la vertu est dans l’acte, et non dans ce qui résulte de l’acte. […] N’y sent-on pas, au contraire, ou la sagesse d’un âge déjà très-avancé en foi et en vertu, ou le reflet encore tiède et lumineux d’une révélation primitive mal effacée de la mémoire des hommes ?

101. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VIII. De Platon considéré comme panégyriste de Socrate. »

« Je ne ferai point un lutteur, dit-il ; la Grèce compte assez d’athlètes, et je préfère la vertu à la force ; je ne ferai point un guerrier ; ce mérite est commun : des milliers d’hommes tous les ans meurent pour leur patrie ; je ne ferai aucun de vos anciens tyrans, je briserais plutôt leurs images ; je pourrais représenter quelqu’un de vos dieux : mais vous en avez en foule dans vos temples ; et pour contempler la divinité, au défaut des statues, n’avez-vous pas les cieux ?  […] On ne pourra pas juger dans un extrait, du style et l’éloquence de Platon ; mais on connaîtra du moins le caractère moral de Socrate, un des plus beaux qu’il y ait jamais eu, depuis que chez les plus civilisés on parle de vertu en commettant des crimes. […] Regardez mon âge ; je ne tiens presque plus à la vie, et déjà je touchais à ma tombe. » Socrate continue ; il parle tranquillement à ses juges ; il peint le plaisir qu’il aura de converser, dans un autre univers, avec les grands hommes de tous les temps, avec ceux qui ont été, comme lui, les victimes d’un jugement injuste, et il fait des vœux pour que ses enfants meurent un jour comme leur père, s’ils ont le bonheur d’importuner aussi les Anitus par leur vertu. […] les dieux le savent, mais aucun homme ne le sait. » Tel est ce premier discours de Platon, où il a développé l’âme de Socrate ; il y règne une éloquence douce et noble, le courage de la vertu, le respect pour la divinité et pour soi-même. […] La mort d’un homme juste est un objet sublime par lui-même ; mais si ce juste est opprimé, si l’erreur traîne la vérité au supplice, si la vertu souffre la peine du crime, si en mourant elle n’a pour elle-même que Dieu et quelques amis qui l’entourent, si cependant elle pardonne à la haine, si de l’enceinte obscure de la prison où elle meurt, ses regards se tournent avec tranquillité vers le ciel, si, prête à abandonner les hommes, elle emploie encore ses derniers moments à les instruire, si enfin, au moment où elle n’est plus, ce soit le crime qui l’a condamnée qui paraisse malheureux et non pas elle, alors je ne connais point d’objet plus grand dans la nature : et tel est le spectacle que nous présente Platon, en décrivant la mort de Socrate ; il y joint tous ces détails qui donnent de l’intérêt à une mort célèbre et qui en reçoivent à leur tour.

102. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XIX. »

Comme elle avait donné jadis Lucain et Martial à la monstrueuse grandeur et aux vices de Rome, elle offrait aux vertus de l’Église sortant des catacombes un chantre harmonieux et pur. […] La mélancolie qu’elle inspire, sans être la vertu, fortifie du moins les âmes par la résignation. […] On craint presque d’associer tes idées de littérature et d’art à ces œuvres d’une vertu si fervente ; mais oublier ce mélange serait altérer la vérité. […] soit qu’elle rappelle un fait véritable, soit qu’elle atteste une croyance populaire que tant de vertu avait rendue vraisemblable. Mais empruntons d’abord quelques souvenirs d’imagination et d’harmonie à cette vertu chrétienne, digne de lutter contre l’invasion barbare.

103. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre IV. De l’amour. »

Dans quelque situation qu’une profonde passion nous place, jamais je ne croirai qu’elle éloigne de la véritable route de la vertu ; tout est sacrifice, tout est oubli de soi dans le dévouement exalté de l’amour, et la personnalité seule avilit ; tout est bonté, tout est pitié dans l’être qui sait aimer, et l’inhumanité seule bannit toute moralité du cœur de l’homme. […] À côté des malheurs, causés par le sentiment, c’est peu que les circonstances extérieures qui peuvent troubler l’union des cœurs ; quand on n’est séparé que par des obstacles étrangers au sentiment réciproque, on souffre, mais l’on peut et rêver et se plaindre : la douleur n’est point attachée à ce qu’il y a de plus intime dans la pensée, elle peut se prendre au-dehors de soi ; cependant des âmes d’une vertu sublime, ont trouvé dans elles-mêmes des combats insurmontables ; Clémentine peut se rencontrer dans la réalité, et mourir au lieu de triompher. […] Il peut exister des femmes dont le cœur ait perdu sa délicatesse ; elles sont aussi étrangères à l’amour qu’à la vertu, mais il est encore pour celles qui méritent seules d’être comptées parmi leur sexe, il est encore une inégalité profonde dans leurs rapports avec les hommes, les affections de leur cœur se renouvellent rarement ; égarées dans la vie, quand leur guide les a trahi, elles ne savent ni renoncer à un sentiment qui ne laisse après lui que l’abîme du néant, ni renaître à l’amour dont leur âme est épouvantée. […] vous vous exposez, avec des cœurs sans défense, à ces combats où les hommes se présentent entourés d’un triple airain ; restez dans la carrière de la vertu, restez sous sa noble garde ; là il est des lois pour vous, là votre destinée a des appuis indestructibles ; mais si vous vous abandonnez au besoin d’être aimée, les hommes sont maîtres de l’opinion ; les hommes ont de l’empire sur eux-mêmes ; les hommes renverseront votre existence pour quelques instants de la leur. […] Mais s’il est un exemple qui puisse donner à la vertu même des instants de mélancolie, quelle femme, toutefois, quand l’époque des passions est passée, ne s’applaudit pas de s’être détournée de leur route ?

104. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mademoiselle de Scudéry. » pp. 121-143

C’est une Genlis, en un mot, de la date de Louis XIII, pleine de force et de vertu, et restée vierge et vieille fille jusqu’à quatre-vingt-quatorze ans. […] On ne veut point qu’elles soient coquettes ni galantes, et on leur permet pourtant d’apprendre soigneusement tout ce qui est propre à la galanterie, sans leur permettre de savoir rien qui puisse fortifier leur vertu ni occuper leur esprit. […] Elle analyse tout, elle disserte sur tout, sur les parfums, sur les plaisirs, sur les désirs, sur les qualités et les vertus ; une fois même, elle fera des observations presque en physicienne et en naturaliste sur la couleur des ailes et le vol des papillons. […] Il y a des jours où elle est grammairien, académicien, où elle disserte sur la synonymie des mots et en démêle avec soin les acceptions ; en quoi diffèrent la joie et l’enjouement ; si la magnificence n’est pas plutôt une qualité héroïque et royale qu’une vertu, car la magnificence ne convient qu’à quelques personnes, tandis que les vertus doivent convenir à tout le monde ; comme quoi la magnanimité comprend plus de choses que la générosité, laquelle ordinairement a des bornes plus étroites, tellement qu’on peut être quelquefois très généreux sans être pourtant véritablement magnanime. […] Ce prix, à l’origine, consistait en une espèce de discours ou sermon sur une vertu chrétienne.

105. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Lambert et madame Necker. » pp. 217-239

Quand de concert la fortune et la vertu ont mis un homme en place, c’est un double empire, et qui exige une double soumission. » Mais que cette rencontre est rare ! […] À un endroit elle définira, par exemple, toutes les vertus d’après leur degré d’opposition avec l’amour-propre : « Tous les vices favorisent l’amour-propre, et toutes les vertus s’accordent à le combattre : la valeur l’expose, la modestie l’abaisse, la générosité le dépouille, la modération le mécontente, et le zèle du bien public l’immole. » C’est merveilleusement bien dit ; mais, du temps de Mme de Lambert, il ne fallait pas un grand nombre de ces phrases-là pour fatiguer quiconque n’était pas né à l’avance avec un esprit de forme psychologique et quelque peu doctrinaire. […] Elle se méfie de la partie sensible : « Rien n’est plus opposé au bonheur qu’une imagination délicate, vive et trop allumée. » Les vertus d’éclat ne sont point le partage des femmes : elle paraît en souffrir un peu en le remarquant, ainsi que du « néant, dit-elle, où les hommes ont voulu nous réduire ». Il faut donc que les femmes se résignent aux vertus paisibles, et ces vertus sont difficiles « parce que la gloire n’aide pas à les pratiquer ». […] Entre tant d’hommes d’esprit qui venaient chez elle, et parmi lesquels je citerai encore Mairan, l’abbé de Montgault, l’abbé de Choisy, l’abbé de Bragelonne, le père Buffier, le président Hénault, Mme de Lambert avait fait un second choix de préférence dans la personne de M. de Sacy, le traducteur élégant de Pline le Jeune, et en qui elle voyait la réunion de toutes les vertus et de tous les agréments, les mœurs et les grâces.

106. (1899) L’esthétique considérée comme science sacrée (La Revue naturiste) pp. 1-15

C’est pour le réaliser dans le sens de la vertu, de la justice, de la fraternité et de l’amour, que nous composerons des odes comme Pindare, des symphonies comme Beethoven, des théogonies comme Hésiode et comme le Dante. […] Ne nous découvrent-ils pas, sans cesse, des vertus qui, sans eux, nous resteraient inconnues ? […] Ils nous en démontrent la vertu. […] Toutes ces vertus ne sont possibles qu’au prix d’un travail constant, d’une épuration perpétuelle, d’études rigides et sévères, Les mathématiques qui expliquent les nombres, la physique qui règle les rapports des corps entre eux, la chimie qui expose leurs décompositions, l’astronomie qui enseigne les mouvements des astres, l’agriculture qui révèle les principes terrestres, la botanique et la médecine qui instruisent les hommes sur les choses du monde, telles sont les sciences nécessaires à la création des stances et des drames. […] Vertu, obstination, sacrifice, abstinence, immolation constante, effrénée et sévère, nous n’épargnerons rien pour y réussir.

107. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’Empire Chinois »

« Cultiver la vertu est la science des hommes, et renoncer à la science est la vertu des femmes. […] « On va à la gloire par le palais, à la fortune par le marché, et à la vertu par les déserts. […] « L’attention aux petites choses est l’économie de la vertu. […] « L’homme peut se courber vers la vertu, mais la vertu ne se courbe jamais vers l’homme. » Et tout est de ce style ou à peu près.

108. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 27, que les sujets ne sont pas épuisez pour les poëtes, qu’on peut encore trouver de nouveaux caracteres dans la comedie » pp. 227-236

Or les caracteres des hommes sont non-seulement composez differemment, mais ce ne sont pas toujours les mêmes parties, je veux dire les mêmes vices, les mêmes vertus, et les mêmes lumieres qui entrent dans la composition de leur caractere. […] Qui dit un caractere, dit un mêlange, dit un composé de plusieurs défauts et de plusieurs vertus, dans lequel mêlange certain vice domine si le caractere est vicieux ; c’est une vertu laquelle y domine si le caractere doit être vertueux. Ainsi les differens caracteres des hommes sont tellement variez par ce mêlange de défauts, de vices, de vertus et de lumieres diversement combiné, que deux caracteres parfaitement semblables sont encore plus rares dans la nature que deux visages entierement semblables.

109. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

On prétend qu’on n’a jamais trouvé la partie gauche du bois d’un cerf, et qu’il la cache comme ayant quelque vertu. […] N’est-ce pas là la vertu dans sa force et, par conséquent, dans son mérite ? […] Elle est d’abord la condition essentielle de la vertu, le prix dernier de la vie morale et son trésor. Sans combats, la vertu n’est point ; car il est par trop évident que, sans lutte, il n’y a point de triomphe. […] La vertu ne résulte que de l’accomplissement réel du devoir.

110. (1730) Discours sur la tragédie pp. 1-458

L’idée d’un bien qu’on desire réveille celle d’un malheur qu’on craint ; l’idée d’une vertu se présente à l’esprit avec celle du vice opposé. […] Seconde condition des caracteres : ils doivent être intéressans, et ils ne peuvent l’être que de trois manieres, ou par la vertu parfaite et sans mélange, ou par des qualités imposantes ausquelles le préjugé attache une idée de grandeur et de vertu, ou par un assemblage de vertus et de foiblesses reconnuës pour telles. […] Avoüons-le à notre honte, la vertu mesurée ne nous passionne gueres. […] Nous mettons souvent les préjugés à la place des vertus. […] Si les acteurs agissent par vertu, voilà nôtre raison contente ; s’ils agissent par passion, voilà nôtre sensibilité exercée : mais si la passion et la vertu sont d’accord, voilà tous nos besoins remplis ; et nos émotions et nos larmes sont d’autant plus douces, qu’elles nous donnent meilleure opinion de nous-mêmes.

111. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIe entretien. L’Imitation de Jésus-Christ » pp. 97-176

Elle est en même temps une consolation, comme toute vertu. […] Leur vertu se roidissait dans la satisfaction d’elle-même ; la vertu de l’humilité chrétienne s’anéantit devant l’homme pour n’être relevée que par Dieu. […] Après ce magnifique tableau de l’amour divin, il revient à la patience, qui est le sceau de cette vertu. […] Mais combattre les mouvements déréglés de l’âme, et mépriser les sollicitations du démon, c’est un grand sujet de mérite, et la marque d’une solide vertu. […] Est-ce la philosophie de Platon, qui rêve inutilement pour la vertu des idéalités à deux faces, l’une faite pour les anges, l’autre pour les démons ?

112. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

Après cette sublimité de vertu, qui fait trouver dans sa propre conscience le motif et le but de sa conduite, le plus beau des principes qui puisse mouvoir notre âme est l’amour de la gloire. […] En effet, une gloire véritable ne peut être acquise par une célébrité relative, on en appelle toujours à l’univers et à la postérité pour confirmer le don d’une si auguste couronne ; elle ne doit donc rester qu’au génie ou à la vertu. […] La vertu, j’en conviens, sait jouir d’elle-même ; moi, j’ai besoin de vous pour obtenir le prix qui m’est nécessaire, pour que la gloire de mon nom soit unie au mérite de mes actions. » Quelle franchise, quelle simplicité dans ce contrat ! […] Plus on laisse aller sa pensée dans la carrière future de la perfectibilité possible, plus on y voit les avantages de l’esprit dépassés par les connaissances positives, et le mobile de la vertu plus efficace que la passion de la gloire. […] D’abord, je crois que l’amour de l’éclat a rendu moins de service aux hommes, que la simple impulsion des vertus obscures ou des recherches persévérantes.

113. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IV. Des femmes qui cultivent les lettres » pp. 463-479

Certainement il vaut beaucoup mieux, en général, que les femmes se consacrent uniquement aux vertus domestiques ; mais ce qu’il y a de bizarre dans les jugements des hommes à leur égard, c’est qu’ils leur pardonnent plutôt de manquer à leurs devoirs que d’attirer l’attention par des talents distingués. […] À Sparte, on les accoutumait aux exercices de la guerre ; à Rome, on exigeait d’elles des vertus austères et patriotiques. […] Si les Français pouvaient donner à leurs femmes toutes les vertus des Anglaises, leurs mœurs retirées, leur goût pour la solitude, ils feraient très bien de préférer de telles qualités à tous les dons d’un esprit éclatant ; mais ce qu’ils pourraient obtenir de leurs femmes, ce serait de ne rien lire, de ne rien savoir, de n’avoir jamais dans la conversation ni une idée intéressante, ni une expression heureuse, ni un langage relevé ; loin que cette bienheureuse ignorance les fixât dans leur intérieur, leurs enfants leur deviendraient moins chers lorsqu’elles seraient hors d’état de diriger leur éducation. […] L’austère vertu condamne jusqu’à la célébrité de ce qui est bien en soi, comme portant une sorte d’atteinte à la perfection de la modestie. […] quelques vertus privées, quelques services obscurs, quelques sentiments renfermés dans le cercle étroit de sa destinée, quelques écrits qui la feront connaître dans les pays qu’elle n’habite pas, dans les années où elle n’existera plus.

114. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VII » pp. 56-69

Le premier discours est en partie le résumé, et en partie le développement d’une conversation sur la grandeur du caractère romain ; Balzac y peint, d’après Polybe et Tite-Live, l’âme d’un citoyen de la république ; après l’avoir montré impénétrable à la vanité, à la peur, à l’avarice, ensuite sensible à la faveur de l’étranger, ou d’un usurpateur, il le fait voir à la dernière épreuve de sa vertu ; c’est l’injustice de la république à son égard. « La république, madame, ne le peut perdre, quelque négligente qu’elle soit à le conserver ; il souffre non seulement avec patience, mais encore avec dignité, ses mépris et ses injustices. […] Tous ses mouvements sont accompagnés de quelque vertu qui le fait aimer. […] C’est une certaine lumière de gloire et un certain caractère de grandeur que la vertu héroïque imprimée sur le visage des à omet mes ; elles défendent la solitude et la nudité d’une personne exposée aux outrages de la fortune, accablée sous les ruines d’un parti détruit, abandonnée de ses propres vœux et de sa propre espérance. […] La politesse passa du sénat aux ordres inférieurs, voire au plus bas étage du menu peuple ; et si en leur cause, on doit croire leur témoignage, ils ont effacé ensuite toutes les grâces et toutes ces vertus de la Grèce, et ont laissé son atticisme bien loin derrière leur urbanité. » Ici Balzac nous apprend que de son temps ce mot d’urbanité n’était pas encore reçu en France : il pense que quand l’usage l’aura mûri, et aura corrigé l’amertume de la nouveauté, nous nous y accoutumerons , comme à d’autres que nous avons empruntés de la même langue. […] Vous croyez que la vertu se tient lieu de digne et de suffisante récompense, mais qu’elle accepte la gloire sans l’exiger ; que la gloire n’est pas tant une dette dont s’acquitte le public, qu’un aveu de ce qu’il doit, et tout ensemble une protestation qu’il est solvable. » Plusieurs trouveront les conversations rappelées par Balzac d’une gravité qui va jusqu’au ridicule ; les sujets qu’elles traitaient seraient ridicules, sans doute, dans la société d’une bourgeoise de petite fortune qui aurait à soigner elle-même son ménage et ses enfants.

115. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIII. Mme Swetchine »

Mme Swetchine, qui a écrit ce que nous avons d’elle sur de petits bouts de papier, non pas avec une plume, mais avec un crayon, parce que, écrire au crayon, c’est parler bas, a-t-elle dit avec une fine modestie ; Mme Swetchine, dont le mérite et même la vertu est de n’être jamais auteur en quatre points, à la manière des femmes publiques de lettres, qui se croient des fonctionnaires, n’avait pas besoin de tant de jour versé sur elle. […] Seulement le Pape, par égard pour ses vertus et ses bonnes œuvres, lui avait conféré le privilège d’avoir le Saint Sacrement chez elle, et cette distinction fait bien symbole à tout ce qu’elle fut… En littérature, elle ne voulut jamais être une femme qui aurait pris rang, de par son esprit, parmi les esprits littéraires. […] La plus chère vertu de Mme Swetchine, de cette femme si femme, c’est la résignation, cette force de la faiblesse. […] Il n’est donc pas étonnant que cette vertu nécessaire et bientôt préférée de la résignation ait porté à Mme Swetchine et à sa pensée le bonheur que porte toujours une vertu à qui la pratique et s’en parfume, et il n’est pas étonnant non plus que la charité de cette adorable femme, ait fait de ce parfum, employé longtemps, un baume sauveur pour les âmes éprouvées comme elle !

116. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XIX » pp. 76-83

— On a eu à l’Académie française la grande séance annuelle poétique et pathétique (20 juillet), prix de poésie, prix de vertu, etc. […] Si j’étais de l’Académie, je le proposerais l’année prochaine pour le prix de vertu ou de l’ouvrage le plus utile aux mœurs. Vous rappelez-vous comme dans Atar-Gull il s’est moqué de ce prix de vertu ? […] Il reçoit bien aussi d’autres petites lettres un peu plus lestes sur les mérites et les vertus précises de la Goualeuse et de Rigolette, auxquelles il répond confidentiellement sur un ton plus gai.

117. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « La Tolérance »

Et ainsi je suis conduit à vous recommander cette vertu discrète et admirable. […] La tolérance est une vertu excessivement difficile. […] Et, si Valmiki n’est pas encore un bon terrain de conciliation, si nous ne pouvons décidément pas communier dans le même beau, communions dans le même amour de la beauté, dans les plaisirs que cet amour donne et dans les vertus qu’il inspire. […] Acceptez ce qui est encore principe de vertu pour des millions de créatures humaines et, je puis sans doute le dire pour un certain nombre d’entre vous, acceptez l’âme de vos mères et de vos sœurs.

118. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLIXe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Côme Ier fut le plus modeste des hommes ; sa seule ambition fut de se confondre tellement avec la république, qu’on ne put le distinguer que par ses services et par ses vertus des meilleurs d’entre les Florentins. […] On peut dire qu’il reçut l’investiture de ses vertus, et n’exerça d’autre dictature que celle de ses bienfaits ; il n’employa sa puissance qu’à maintenir la paix partout en Italie. […] Quand il mourut, Florence était libre, la Toscane prospère, l’Italie pacifique, l’Europe édifiée de ses vertus ; il fallait ou reconnaître son ascendant ou se déclarer le peuple le plus ingrat de la terre. […] On n’a pas pu trouver un prétexte pour détrôner sa modération et sa vertu ; il aurait été le type d’un gouvernement fédéral en Italie. […] Il dévorait avec une incroyable vertu ses gémissements et ses pleurs, de peur d’ajouter, par sa douleur, à la maladie et aux sollicitudes de son père.

119. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre V. De la lecture. — Son importance pour le développement général des facultés intellectuelles. — Comment il faut lire »

Vous vous formerez ainsi un jugement personnel sur le Misanthrope, vous accorderez à Rousseau qu’Alceste est ridicule avec sa vertu, et par sa vertu. Mais vous nierez que Molière ait conçu le dessein immoral de ridiculiser en général la vertu. […] Vous conclurez alors que Molière n’a voulu en somme que montrer combien le monde s’accommode peu de la parfaite vertu, qui le gêne, et dont il se venge par le ridicule, et combien aussi l’humaine faiblesse en est peu susceptible, puisque dans la plus belle âme elle s’exagère, s’aigrit et s’attache à des riens. Est-ce donc là prêcher le mépris de la vertu ? […] Bossuet se fait-il l’avocat du vice, quand il défend à des religieuses la recherche de la perfection, et leur recommande le terre à terre des petites vertus et des devoirs journaliers ?

120. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Récamier »

Un miracle de beauté, de vertu, de bonté, de pitié, de pureté et de charme, et non pas seulement pour son temps, mais pour tous les temps ! […] Mais, quand on ne grasseye ou qu’on ne zézaie plus ces fadeurs et qu’on se mêle d’écrire, il faut dire quel était ce charme, quelle était cette vertu, quelle était cette grâce, qui faisaient de Madame Récamier : « Madame Récamier », parmi tous les charmes, toutes les grâces et toutes les vertus ! […] Fétides sous le Directoire, mais tonifiées et bonifiées par la gloire, ces mœurs étaient telles encore que Napoléon, ce génie romain, ce grand pater familias de son empire, avait besoin de toutes ses impériales sévérités pour ramener aux vertus de la famille ses généraux mal disciplinés à ces vertus, mais dont c’était la seule indiscipline… Eh bien, au plus brûlant et au plus entraînant de ces mœurs qui avaient en tout l’emportement de la mêlée et de la victoire, voilà qu’apparut cet être étrange et ravissant, et alors, comme depuis, si chastement inviolable, que, malgré toutes les qualités qui éveillent l’envie, jamais la calomnie n’eut le courage d’envoyer même sur ses pieds immaculés une gouttelette de boue. […] Enfin, toujours, toujours, elle approchait la grâce si près de la vertu, que son ami Mathieu de Montmorency, qui était un saint, lui, ne cessait de lui répéter : « Ah !

121. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 309-314

Nous touchons presque au temps d'une corruption générale, suite funeste de l'extinction des vertus & de ces mœurs si pures, dont la Religion est une source intarissable, & qui ont fait la gloire de nos Ancêtres…. […] Que deviendra l'espoir de la Nation, lorsque ses enfans, livrés de bonne heure à l'incrédulité & la licence, abjureront, du moins dans leur cœur, la foi & les vertus de leurs peres, & qu'ils n'auront désormais, pour la servir, d'autre motif & d'autre aiguillon, qu'un intérêt bassement personnel, aussi éloigné du Citoyen que du Héros, &c. » ? […] Qui ne connoît dès long-temps, Monsieur, vos vertus & vos talens !

122. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VII. Le Fils. — Gusman. »

Il ne cherche pas à détourner Gusman d’un crime particulier ; il lui conseille une vertu générale, la charité, sorte d’humanité céleste, que le Fils de l’Homme a fait descendre sur la terre, et qui n’y habitait point avant l’établissement du christianisme24. Enfin Alvarez, commandant à son fils comme père, et lui obéissant comme sujet, est un de ces traits de haute morale, aussi supérieure à la morale des anciens que les Évangiles surpassent les dialogues de Platon, pour l’enseignement des vertus. […] les vrais chrétiens auroient tant de vertus !

123. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Stendhal, son journal, 1801-1814, publié par MM. Casimir Stryienski et François de Nion. »

Ce « je ne sais quoi », c’est peut-être ce que j’y sens de trop éloigné de mes goûts, de mon idéal de vie, des vertus que je préfère et que je souhaiterais le plus être capable de pratiquer  ou tout simplement, si vous voulez, de mon tempérament. […] « … D’abord tout cela, et vingt pages de détails tous horriblement aggravants ; mon père est un vilain scélérat à mon égard, n’ayant ni vertu, ni pitié. […] « Si quelqu’un s’étonne de ce fragment, il n’a qu’à me le dire, et, parlant de la définition de la vertu, qu’il me donnera, je lui prouverai par écrit, aussi clairement que l’on prouve que toutes nos idées arrivent par nos sens, c’est-à-dire aussi évidemment qu’une vérité morale puisse être prouvée, que mon père à mon égard a eu la conduite d’un malhonnête homme et d’un exécrable père, en un mot d’un vilain scélérat. » Ce défi est assez bizarre. […] « Si, après cela, vous m’accusez d’être fils dénaturé, vous ne raisonnez pas, votre opinion n’est qu’un vain bruit et périra avec vous. » Et il y revient encore avec un acharnement maladif : « Ou vous niez la vertu, ou mon père a été un vilain scélérat à mon égard ; quelque faiblesse que j’aie encore pour cet homme, voilà la vérité, et je suis prêt à, vous le prouver par écrit à la première réquisition. » Or, il paraît bien que ce père était un homme assez rude et désagréable ; mais, si vous songez que ce tyran, n’ayant lui-même que dix mille francs de rente, faisait à son fils, alors âgé de vingt-deux ans, une pension de deux mille quatre cents francs qui en vaudraient plus de cinq mille aujourd’hui ; que Stendhal avait, en outre, une rente de mille francs qui lui venait de sa mère et que, si l’argent lui avait manqué pour se soigner, c’est qu’il en dépensait beaucoup pour ses habits et pour le théâtre, vous verrez peut-être autre chose que de l’indépendance d’esprit dans cette furieuse impiété filiale. […] Son idéal était celui de l’épicurien, non de celui que célèbrent les chansons du Caveau, mais de l’épicurien héroïque de l’antiquité ou de la Renaissance, pour qui l’action même et la « vertu » virile étaient le meilleur des plaisirs.

124. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Maynard »

Çà et là, il est vrai, saint Vincent de Paul avait eu parmi les écrivains religieux, plus ou moins touchés de ses vertus, les panégyristes de l’admiration et de l’amour. […] Il a l’amour de l’humilité, qui n’est pas la naïveté de la vertu, mais qui en est la simplicité, achetée souvent bien cher. […] Le génie de Vincent de Paul faisant équation avec ses vertus ! […] Le cœur qui palpitait en lui ne lui ôtait pas la fermeté de son génie, de ce génie que Richelieu sentit, à travers les vertus qu’il n’avait pas, frère du sien. […] Il savait mieux que qui que ce fût ce qu’un homme comme Vincent pouvait pour la gloire et la vertu d’un sacerdoce qui avait besoin d’être relevé dans la doctrine et dans les mœurs.

125. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVe entretien » pp. 317-396

On peignit tout l’extérieur de différentes figures, qui étaient autant d’emblèmes des différentes vertus qui l’avaient plus particulièrement distingué. […] Qui entreprend de changer les mœurs des hommes ne doit pas se flatter que le bon exemple seul persuade la vertu. […] Il est dit : Récompensez le mérite, punissez le crime ; si vous ne vous trompez ni dans l’un ni dans l’autre, espérez de voir croître les vertus et diminuer les vices. Il est dit dans Confucius : Le Tien ordonne de décerner les cinq honneurs et les cinq récompenses à la vertu. […] qu’il demande de sagesse et de vertu !

126. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

Il y a un excès insupportable à dire qu’il restitue à l’homme ses vertus. On ne peut pas, dans un même temps, restituer à l’homme ses vertus et le réconcilier avec ses passions. La vertu, c’est la force qui résiste à la passion. […] C’est par ses vertus mêmes qu’il est inconséquent. […] Clazomène, ou la Vertu malheureuse.

127. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Conduite de l’action dramatique. » pp. 110-232

Il faut toujours peindre les caractères dans un degré élevé : rien de médiocre, ni vertus, ni vices. Ce qui fait les grandes vertus, ce sont les grands obstacles qu’elles surmontent. […] Les caractères ne peuvent être attachants que de trois manières : ou par la vertu parfaite et sans mélange, ou par des qualités imposantes auxquelles le préjugé a lié des idées de grandeur et de vertu, ou par un assemblage de vertus et de faiblesses reconnues pour telles. […] Si les acteurs agissent par vertu, voilà notre sensibilité exercée ; mais si la passion et la vertu sont d’accord, voilà tous nos besoins remplis. […] que de vertus vous me faites haïr !

128. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XII] »

Les hommes en seront-ils plus vertueux, pour ne pas reconnaître un Dieu qui ordonne la vertu ? […] Son ministère consistait-il à consoler les malheureux par l’espoir d’une autre vie, à inviter le pauvre à la vertu, le riche à la charité ? […] » C’est par cette vertu divine que la simplicité de l’Apôtre a assujetti toutes choses. […] Deux Enfants accompagnés de la Vertu. […] La Vertu.

129. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VII. D’Isocrate et de ses éloges. »

Il paraît que le premier qui travailla dans ce genre fut Isocrate ; cet orateur, comme on sait, eut la plus grande réputation dans son siècle ; il était digne d’avoir des talents, car il eut des vertus. […] Après la mort de Socrate, dont il avait été le disciple, il osa paraître en deuil dans Athènes, aux yeux de ce même peuple assassin de son maître ; et des hommes qui parlaient de vertus et des lois en les outrageant, ne manquèrent pas de le nommer séditieux, lorsqu’il n’était que sensible. […] Les arts et les plaisirs d’Athènes, un peuple facile, un caractère brillant, les grâces jointes à la valeur, la volupté mêlée quelquefois à l’héroïsme, de grands hommes populaires, des lois qui dirigeaient plus la nature qu’elles ne la forçaient, enfin des vertus douces et des vices même tempérés par l’agrément, devaient plaire bien davantage à un genre d’esprit qui ordonnait tout, et préférait la grâce à la force. […] D’abord, un des principaux mérites d’Isocrate, était l’harmonie ; on sait combien les Grecs y étaient sensibles ; nés avec une prodigieuse délicatesse d’organes, leur âme s’ouvrait par tous les sens à des impressions vives et rapides ; la mélodie des sons excitait chez eux le même enthousiasme que la vue de la beauté ; la musique faisait partie de leurs institutions politiques et morales ; le courage même et la vertu s’inspiraient par les sons.

130. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

La prière du matin, celle de la troisième heure du jour, celle du soir, semblaient autant de degrés de cette vie laborieuse toujours aspirant à Dieu et à la vertu. […] et nous que tu as appelés à ton service, fais-nous, par la vertu de l’Esprit-Saint, des cœurs sans reproche et de toute et innocence, qui puissent t’invoquer en tout temps, en tout lieu, afin que, nous écoutant, tu nous favorises au gré de ton infinie bonté !  […] Sa parole se teignit davantage de l’empreinte des livres saints ; son âme s’attacha tout entière à son culte nouveau ; et le pur enthousiasme de la vertu chrétienne se réfléchit bientôt dans ses vers, en même temps que cette vertu pratiquée excitait son courage à braver les menaces d’un préteur romain, pour la défense de son Église et de son peuple. […] Mais, et ses chants l’attestent, il embrasse d’une foi vive les plus hauts mystères du christianisme, comme il en pratique les vertus secourables. […] maîtres de la lumineuse sagesse, écoutez-moi ; et, quand je me hâte vers la céleste route, révélez-moi les vertus et les mystères des paroles sacrées ! 

131. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

Le patriotisme était la seule vertu et la seule passion d’un bon citoyen romain. […] La vertu romaine, virtus romana, était contraire au développement de l’art dramatique, autant que la vertu grecque l’αρετή des héros y avait été favorable. […] À quoi bon mettre constamment en regard de la sottise la sagesse, et à côté du vice la vertu ? […] La satire, qui retrace avec d’énergiques couleurs le tableau du monde réel dans son opposition avec la vertu, nous en donne une preuve manifeste. […] Chez d’autres, la satire n’est qu’un parallèle entre le vice et la vertu.

132. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (2e partie) » pp. 305-367

Une histoire écrite dans cet esprit sera pour le peuple une haute leçon de moralité révolutionnaire, utile à l’instruire et à le contenir la veille d’une prochaine révolution. » Voilà le but moral que je me proposais en pensant d’avance à ce commentaire en action du crime et de la vertu dans la politique populaire. […] Dans ce but, je voulais que les classes laborieuses eussent, par un vote proportionné à leur droit de vivre, une part consultative dans la représentation trop privilégiée des classes propriétaires ou industrielles ; je voulais, comme en Angleterre, un impôt de bienfaisance sur le revenu, non pas un impôt progressif qui décime le travail en décimant le capital, mais un impôt proportionnel qui oblige la classe riche à une charité légale qui met du cœur et de la vertu dans les lois. […] On doit justice même à ce que l’on réprouve, et, s’il y a une vertu mêlée par hasard au crime dans un homme justement abhorré de ses ennemis ou de ses victimes, il ne faut point nier cet amalgame monstrueux, mais souvent réel ; il faut séparer, avec une sincérité loyale, cette vertu du crime, et dire à l’histoire : Ceci était vertu, ceci était crime ; et ceci, crime et vertu, était l’homme. […] J’en découvris une autre bien plus sûre, bien plus précise et bien plus originale dans Souberbielle, vieux et fidèle terroriste, resté jusqu’à quatre-vingts ans fanatique de Robespierre comme au jour de la proclamation de l’Être suprême, et ne cessant pas de déplorer le 9 thermidor et le supplice du tribun-pontife, comme l’holocauste de la vertu. […] Mais l’imagination des lecteurs voit toujours le crime ou la vertu d’une seule pièce ; elle s’irrite quand on lui montre dans un monstre une parcelle de vertu, et dans un homme de bien un atome de faiblesse.

133. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre VIII. Des romans. » pp. 244-264

Ses Romans firent perdre le goût des ouvrages de galanterie volumineux ; mais ils n’inspirerent pas celui de la vertu. […] Les gens de bien auroient désiré qu’il eût plus respecté la vertu dans son Sopha, dans son Tanzaï ; & les gens de goût voudroient plus d’action & de variété dans ses Romans. […] Il ne respire que la plus pure morale & la vertu la mieux raisonnée. […] Cet ouvrage unit à la vigueur singuliere des idées & des expressions tous les agrémens, dont des leçons de vertu sont susceptibles. […] C’est un Roman judicieux, moral, plein de sel & de ces agrémens qui égaient la vertu même.

134. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rigault » pp. 169-183

« Horace — dit Rigault — n’était pas stoïcien et ne désespérait pas de la vertu. » Je le crois bien ! […] Pour nous, chrétiens, la propreté, c’est la dernière de nos vertus. […] C’est encore le parent pauvre, mais honnête, de La Bruyère, de Boileau, de Molière, mais tempéré de raison, de malice, de gaieté, tempéré trois fois, de sorte qu’en l’aimant les gens de peu de tempérament semblent aimer la tempérance et font ainsi de leur pauvreté une vertu. […] Ainsi sa vertu (si on peut dire jamais vertu en parlant d’Horace) était faite de négation, comme son génie.

135. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Sévigné » pp. 243-257

Est-ce que les deux ou trois amoureux assez ridicules et assez méprisés que je trouve dans l’ouvrage d’Hippolyte Babou seraient, à ses yeux connaisseurs, une preuve de sa vertu, à elle ? […] Il a trouvé que Cousin adorait les coquines, et du coup il a adoré la vertu. […] Il est tombé, lui aussi, amoureux de cette créature si légère d’esprit, de conduite et de tout, qu’il n’a pas osé mettre, il est vrai, dans ses Femmes vertueuses du grand siècle, mais dont il a parlé comme si elle était une vertu, elle qui n’était qu’une coquetterie ! À la page 76 du présent volume, n’a-t-il pas écrit : « La vertu de cette âme enjouée… » ? […] Elle sauva sa réputation quand madame de Maintenon, une bien autre âme et une bien autre vertu qu’elle, perdait la sienne !

136. (1905) Pour qu’on lise Platon pp. 1-398

Si elle n’est pas cela, elle est sans vertu et sans force. […] Donc le vertueux c’est un homme qui sait la vertu. […] Son objet c’est la vertu. Mais en quoi consiste bien la vertu ? […] Le méchant est un ignorant de vertu.

137. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

Tout s’effondrait autour de lui et dans lui : les misères de la vie enfiellaient son cœur et abattaient sa vertu. […] Les positions relatives font dans la société l’estime, la considération, la vertu… Dans les accès du désespoir et dans les délires du succès tout sentiment de l’honnête s’éteint, avec cette différence que le parvenu conserve ses vices et l’homme tombé perd ses vertus. » (Essai, etc., p. 466 et 601.) […] Les romantiques se chargèrent de conserver dans leurs vers et leur prose les vertus dont on dépouillait le foyer familial. […] Chactas qui, en ces matières, a l’expérience d’un Almaviva, raconte qu’il la tenait palpitante dans ses bras, attendant le moment psychologique où « la passion, en abattant son corps, allait triompher de sa vertu ». […] Mais victorieuse, elle fut si épouvantée de son œuvre, qu’elle voulut qu’on en perdît le souvenir : elle posa l’homme bourgeois avec ses passions, ses vices et ses vertus, comme le type immuable de l’espèce humaine passée, présente et future.

138. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — I. » pp. 131-146

Pierre Jeannin, l’une des gloires de la Bourgogne, né à Autun, en 1540, d’un père tanneur qualifié citoyen et échevin de la ville, et qui, bien que sans lettres, était réputé homme de très grande vertu et de très grand sens, offre par son exemple une preuve de plus qu’avec du mérite, et tout en étant du tiers état, on s’élevait et on parvenait très haut dans l’ancienne monarchie ; même avant la Ligue, il était dans une belle voie d’honneur et de considération dans sa province. […] Aussi n’est-ce point une vaine pensée de croire que les corps des hommes illustres ne sont pas tout à fait mortels, et qu’il y a quelque esprit au-dehors qui ne se détache jamais des linéaments admirables dont la nature marque les gens de cette condition, en sorte que dans leurs portraits on connaît leurs génies, et qu’on y voit toujours je ne sais quoi de vif : ainsi qu’aux médailles antiques on dirait que ces têtes romaines respirent encore dans le métal quelque chose de leur vieille vertu. […] La statue du président Jeannin et celle de sa femme subsistent sur leur tombeau dans la cathédrale d’Aulun ; l’épitaphe d’Anne Gueniot la loue, en des termes expressifs et qui doivent être vrais, des vertus domestiques, simples et fortes, par lesquelles elle fut une digne compagne de son époux32. […] C’est un chef de parti qui n’était pas né pour l’être : il en avait les velléités sans en avoir toute l’étoffe, vices ou vertus, il se croyait tenu de venger ses frères, et poursuivait leur œuvre un peu par devoir, par ambition, par situation, quelquefois malgré lui, le plus souvent en se laissant volontiers aller aux circonstances qui le flattaient et l’entraînaient. […] J’appelle le moment où, sous un roi magnanime et brave qui sait distinguer les hommes, la carrière se rouvrira pour le président Jeannin, carrière d’honneur, d’utilité manifeste, de services publics non équivoques, et qui parleront d’eux-mêmes : on y verra enfin se dessiner tout entier le vieillard illustre et consommé, qui a en lui les talents d’un Forbin-Janson, et qui tient aussi des vertus de L’Hôpital.

139. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

Ses héroïques vertus défendent son mari contre toutes les haines et auraient dû fléchir l’empereur. […] Dans les triomphes et dans l’adversité, il fut toujours tranquille comme la sagesse, et simple comme la vertu. […] Il marquait la fin de sa vie par toutes les vertus domestiques et patriarcales, après l’avoir illustrée par toutes les vertus guerrières et politiques. […] Certes, le grand Ordonnateur n’abandonna point les vertus et la félicité de l’homme à la merci du hasard. […] Il se montra digne de les louer, par ses vertus comme par ses talents.

140. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre XI. Le Guerrier. — Définition du beau idéal. »

Quelle différence, en effet, entre les chevaliers si francs, si désintéressés, si humains, et des guerriers perfides, avares, cruels, insultant aux cadavres de leurs ennemis, poétiques, enfin, par leurs vices, comme les premiers le sont par leurs vertus ! Si, par héroïsme, on entend un effort contre les passions, en faveur de la vertu, c’est sans doute Godefroi, et non pas Agamemnon, qui est le véritable héros. […] Car si vous entreprenez de peindre les premiers âges de la Grèce, autant la simplicité des mœurs vous offrira des choses agréables, autant la barbarie des caractères vous choquera : le polythéisme ne fournit rien pour changer la nature sauvage et l’insuffisance des vertus primitives.

141. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Quelqu’un me dit, après avoir lu ce récit : « C’est le dévergondage de la vertu. » Je n’aime pas à prédire, et je désire me tromper ; mais soyez sûr que la page déshonnête, inutile, et qu’un coup de ciseau filial aurait bien fait de couper, va prendre désormais une place disproportionnée dans les Mémoires restaurés de Mme Roland. […] Ô Vertu, que tu es cruelle ! […] Une vertu plus brisée aurait eu plus d’adresse et moins de rudesse. […] Naturellement elle aurait dû le plaindre ; mais la passion de Mme Roland, doublée et cuirassée de cette vertu dont elle se montre si fière, et encore exaltée par les orages d’alentour, ne songe qu’à l’héroïsme et sort tout à fait de la gamme naturelle. […] toi que l’on connaîtra mieux un jour en plaignant nos communs malheurs, toi que la plus terrible des passions n’empêche pas de respecter les barrières de la vertu, t’affligerais-tu de me voir te précéder aux lieux où nous pourrons nous aimer sans crime, où rien ne nous empêchera d’être unis ?

142. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIII. »

Il passe ici pour un libre penseur, et ce qui est pis, à mon sens, pour un homme dont le cœur ne sent pas ce qu’il dit dans ses poëmes à la louange de la vertu et de la gloire. […] Noble soldat de la muse lyrique, poëte de la liberté, de la vertu courageuse et de l’amour, fils du génie grec et de la France, non, les louanges données à ton nom, dans notre âge récent de poésie, n’étaient ni vaines ni forcées ! […] » Je ne sais : mais cette poésie, même en lui rendant l’à-propos de la passion populaire, l’accent national, l’éclat de l’harmonie, ne devait pas avoir la vertu de la lyre antique. […] » Ce pieux élan et bien d’autres affections du même cœur n’étaient pas, comme on l’a dit quelquefois, le langage d’un politique servant de ses vertus la domination anglaise dans l’Inde. […] Puisse le pieux souvenir et la vertu chrétienne d’un tel homme, d’accord avec d’autres voix évangéliques, inspirer un peu de honte à ces barbares civilisés, qui fondent la liberté de quelques districts du Septentrion américain sur l’esclavage, et naguère maintenaient l’inviolabilité de l’esclavage par l’oppression et l’assassinat des contradicteurs !

143. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIV. Panégyrique de Trajan, par Pline le jeune. »

Que les bienfaits du prince soutiennent ceux que la confiance de ses vertus a fait naître ; négliger le peuple pour les grands, c’est croire que la tête peut subsister en affamant le corps ; c’est hâter la chute de l’État30. […] « Ce serait déjà bien assez que la vertu ne fût pas funeste à ceux qui l’ont : vous faites plus ; elle leur est utile33. « Vos prédécesseurs aimaient mieux voir autour d’eux le spectacle des vices que des vertus ; d’abord parce qu’on désire que les autres soient ce qu’on est soi-même ; ensuite parce qu’ils croyaient trouver plus de soumission à l’esclavage, dans ceux qui ne méritaient en effet que d’être esclaves34. […] « Du moment qu’on est prince, on est condamné à l’immortalité ; mais il y en a deux, celle des vertus et celle du crime ; le prince n’a que le choix36.

144. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

On en était déjà venu à se justifier de ses fautes, en prouvant qu’elles étaient des vertus. […] Il est possible qu’un calcul bien entendu de ce bien-être conduise à une sorte de vertu. […] Il avait dit que c’était la volupté qu’on devait chercher dans la vertu. Peu d’années après, les pourceaux d’Épicure s’autorisaient de son nom pour oublier la vertu dans la volupté. […] Elle fut remplie d’erreurs et de fautes ; et nul n’a professé la vertu avec plus de chaleur et d’enthousiasme.

145. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

Comment seront comptés ces vertus, ces héroïsmes auxquels a manqué le désintéressement chrétien ? […] Il ne voulait qu’être convaincu ; comme s’il était possible de convaincre un homme de bonne foi que trompent ses lumières et sa vertu ! […] Il y avait un autre motif que sa vertu lui dérobait. […] Croirait-on, par exemple, qu’un archevêque, un homme de cette vertu, un Fénelon, se défende d’avoir menti ? […] Le Saint-Siège même, en le frappant, laissa voir qu’il avait été sensible à ce grand art de plaire que relevait une vertu admirable.

146. (1856) Cours familier de littérature. II « XIIe entretien » pp. 429-507

Cela serait beau, mais cela ne serait pas saint, car la volonté seule est sainte ; autrement le miroir qui réfléchit la lumière aurait autant de vertu que le feu qui la produit. […] L’homme n’aurait plus eu sa part d’action propre dans sa propre destinée ; en cessant d’être libre il aurait cessé d’être homme ; sa vertu forcée l’aurait dégradé de sa vertu volontaire. […] Un véritable grand homme fait trop rougir son espèce ; il faut vite le retrancher du monde pour que sa vertu n’humilie pas le genre humain. […] L’adorer sans le comprendre encore, c’est notre devoir et notre vertu ! Si nous le comprenions, il n’y aurait plus de vertu, il y aurait évidence.

147. (1907) Jean-Jacques Rousseau pp. 1-357

Que lui restait-il de sa vertu première ? […] et que l’ivresse et la vertu vont mal ensemble ! […] (Sous-entendez : « Donc l’auteur ridiculise la vertu ».) […] Je veux être chaste, parce que c’est la première vertu qui nourrit toutes les autres. […] Et, Julie tombée, il recommençait à parler de vertu, et elle aussi

148. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

La véritable vertu est ridicule sur la scène. […] Zamore, qui doit la vie à la générosité du gouverneur, veut lui enlever sa femme, et, parce qu’il ne peut en venir à bout, il poignarde le mari voilà ses vertus. […] Rousseau ; l’esprit n’est rien en comparaison des mœurs et de la vertu. […] ô vertu qui m’animes ! […] Qu’est-ce qu’une belle tragédie auprès de la vertu et des mœurs, ou, pour me faire mieux entendre, auprès de la tranquillité publique et du bonheur de la société ?

149. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au dix-septième siècle. »

Votre vertu, votre valeur, votre esprit, votre savoir, votre éloquence, votre douceur, votre bonne mine, votre naissance, vous faisoient souhaiter de tout le monde. […] Il ne faut attendre que d’une vertu bien rare une faveur si extraordinaire. […] monsieur, m’écriai-je, il s’en faut bien garder ; ces termes sont si scandaleux, qu’ils feroient condamner la chose du monde la plus honnête et la plus sainte. — Aussi n’usé-je de ces mots, me dit-il, que pour m’accommoder au langage de certaines gens qui donnent souvent le nom de vice à la vertu, et celui de vertu au vice. Et parce que tout le monde veut être heureux, et que c’est le but où tendent toutes les actions de la vie, j’admire que ce qu’ils appellent vice soit ordinairement doux et commode, et que la vertu mal entendue soit âpre et pesante. […] … je ne sais comment dire : celui qu’il appelle le parfait modèle de toutes les vertus et qui n’est rien moins que le Sauveur du monde.

150. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

Que le patriotisme, la première vertu des nations, réponde. […] Ces considérations sont très belles ; les voici : à défaut de la vertu réelle qui descend de Dieu, et qui remonte à lui, l’honneur est un semblant de vertu, une échelle du néant posée contre le vide, et conduisant au vide et au néant. Mais l’ombre d’une si belle chose que la vertu est encore belle. La société ne pouvant vivre que de vertu, l’honneur lui en masque l’absence ; il faut la respecter comme l’illusion d’une chose divine ; c’est la vertu de l’armée, à qui on n’en enseigne pas d’autre. […] Elle connaissait toutes ses vertus, elle l’adorait : il l’aimait lui-même comme un enfant infirme.

151. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

Jamais la conscience du genre humain n’écrivit avec plus d’autorité et d’évidence ces lois inspirées de Dieu, qui sont le code inné de l’être créé pour vivre de justice, de dévouement et de vertu en société. […] Damayanti, de son côté, est sans cesse obsédée des récits que la renommée fait de la beauté, de l’héroïsme et de la vertu de Nala. […] Sa beauté est relevée par sa vertu. […] Son mauvais génie l’a transfiguré, son corps méconnaissable est devenu difforme ; mais il a conservé son héroïsme et recouvré sa vertu. […] Je mourrai, je le sens, si je ne vois dès aujourd’hui ce prince, plus resplendissant de vertu et de beauté que l’astre des nuits !

152. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

Il n’y a pas d’homme si malheureux ou si odieux sur la terre à qui le sort n’ait ainsi attaché une femme dans son œuvre, dans son supplice, dans son crime ou dans sa vertu. […] Tous les citoyens sont admissibles à toutes les fonctions, sans aucune autre distinction que celle des vertus et des talents. […] La difficulté jusqu’ici a été de concilier avec l’égalité des biens les inégalités de vertus, de facultés et de travail, qui différencient les hommes entre eux. […] Pour que cette communauté des biens soit juste, il faut supposer à tous les hommes la même conscience, la même application au travail, la même vertu. […] L’appréciation d’un tel acte place l’âme dans cette redoutable alternative de méconnaître la vertu ou de louer l’assassinat.

153. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

Montesquieu connaît les talents du peuple romain ; il connaît moins ses vertus. N’est-il pas étrange que ce soit un prêtre catholique qui note parmi ces vertus la religion ? […] Où le publiciste ne voit qu’un expédient politique, l’évêque reconnaît et admire une des vertus de la nature humaine. […] Ces vertus étaient dans son cœur ; elles étaient de son temps. […] Il met les Romains au-dessus de leurs dieux, et il fait de la fortune de leur ville le juste prix dont il a plu à Dieu de récompenser leurs vertus.

154. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

Il semble qu’ici l’auteur laisse un peu trop paraître son dédain pour les sociétés démocratiques, puisqu’il les juge complètement incapables d’entendre parler de la vertu d’une manière désintéressée. […] Il dit avec raison : « Éclairez les hommes à tout prix, car je vois approcher le temps où la liberté, la paix publique et l’ordre social lui-même ne pourront se passer de lumières. » Est-il donc contraire aux lumières de cultiver la vertu pour elle-même, et d’obéir au devoir, parce qu’il est le devoir ? Ce serait une triste chute pour l’humanité, et sans compensation, si, en passant des siècles aristocratiques aux siècles démocratiques, il fallait renoncer à voir dans la vertu autre chose qu’un égoïsme éclairé. […] Pourquoi, à mesure que les hommes devenaient individuellement plus humains, plus justes, plus tempérants, plus chastes, paraissaient-ils devenir chaque jour plus étrangers à toutes les vertus publiques ? […] Ce contraste, qui frappe dès les premiers temps du christianisme, entre les vertus chrétiennes et ce que j’ai appelé les vertus publiques, s’estsouvent reproduit depuis.

155. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — I. » pp. 134-154

Je ne parle pas de la vignette peinte en vert, de la branche d’amarante, symbole de la vertu qui ne se flétrit jamais, des trois V, qui sont le chiffre de la maison de Sully. L’ouvrage était censé se vendre à Amstelredam (Amsterdam), à l’enseigne des trois Vertus couronnées d’amaranthe (Foi, Espérance, Charité), chez deux imprimeurs désignés sous des noms grecs tels qu’aurait pu les forger Du Bartas ; voici ces noms bizarres : Aleithinosgraphe de Cléarétimélée, et Graphexechon de Pistariste ; comme qui dirait : Écrivain-véridique de la ville de Gloire-et-Vertu-Soin, et Secrétaire-émérite de la ville de Haute-Probité. […] Le père du jeune Rosny l’appela un jour qu’il avait onze ans dans la chambre de la haute tour, et là, en présence du seul La Durandière, son précepteur, il lui dit : Maximilian, puisque la coutume ne me permet pas de vous faire le principal héritier de mes biens, je veux en récompense essayer de vous enrichir de vertus, et par le moyen d’icelles, comme l’on m’a prédit, j’espère que vous serez un jour quelque chose. […] Ce que fit soigneusement Rosny : dans les diverses alternatives et boutades de cour qui suivirent cette sanglante catastrophe, lorsque Henri était traité avec plus d’égards et que ses domestiques avaient liberté de le venir servir, Rosny ne manquait pas à son devoir ; lorsque le prince était retenu en prison et séparé de ses serviteurs, le jeune homme se tenait à l’écart et dans l’attente : Mais, en quelque condition que vous fussiez, lui disent ses secrétaires ; vous preniez toujours le temps de continuer vos études, surtout de l’histoire (de laquelle vous faisiez déjà des extraits tant pour les mœurs que les choses naturelles), et des mathématiques, lesquelles occupations faisaient paraître votre inclination à la vertu. […] Il a entendu parler d’une autre personne plus convenable tant pour sa beauté modeste que pour sa vertu et haute extraction ; c’est Anne de Courtenay, fille de M. de Bontin : c’est cette dernière que la raison désigne à Rosny, et, même en telle matière qui a pour fin le mariage, il se rappelle cette maxime : « que celui qui veut acquérir de la gloire et de l’honneur, doit tâcher à dominer ses plaisirs et ne souffrir jamais qu’ils le dominent ».

156. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Au fait, je ne connais point deux nations plus antipathiques de génie, de mœurs, de vices et de vertus, que les Anglais et les Français, avec cette différence que les premiers reconnaissent généreusement plusieurs qualités dans les derniers, tandis que ceux-ci refusent toute vertu aux autres. […] L’orgueil est la vertu du malheur. […] Les positions relatives font dans la société l’estime, la considération, la vertu. […] Les uns nous proposent la lecture, les autres la vertu, le courage. […] Il était homme d’honneur, de talent et de vertu, mais non homme de lutte.

157. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

C’est la conviction qui crée la vertu. […] C’étaient des croisés, à leur manière ; ils héritaient, sans le savoir, de dix siècles de vertu ; ils dépensaient, en un jour, le capital accumulé par vingt générations de silencieuse obscurité. […] Si je vois la vertu songer trop à ses placements sur une vie éternelle, je suis tenté de lui insinuer discrètement la possibilité d’un mécompte. […] On ne trouve à reprendre en lui que des excès de vertu. […] La patrie, qu’il a tant aimée, la science, qu’il a préférée à lui-même, la vertu, dont il fit la règle de sa conduite, sont des choses éternelles.

158. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Il nous a exposé en détail sa méthode presque commerciale, son livret des treize vertus (tempérance, silence, ordre, résolution, économie, etc.), et le petit tableau synoptique sur lequel il pointait ses fautes chaque jour de la semaine, s’occupant chaque semaine plus spécialement d’une seule vertu, puis passant à une autre, de manière à en faire un cours complet en treize semaines, ce qui faisait juste quatre cours de vertu par an. Et de même, dit-il, que celui qui a un jardin à sarcler n’entreprend point d’arracher toutes les mauvaises herbes à la fois (ce qui excéderait sa portée et sa force), mais travaille sur un seul carré d’abord, et, ayant fini du premier, passe à un second, de même j’espérais bien avoir l’encourageant plaisir de voir sur mes pages le progrès fait dans une vertu, à mesure que je débarrasserais mes lignes de leurs mauvais points, jusqu’à ce qu’à la fin, après un certain nombre de tours, j’eusse le bonheur de voir mon livret clair et net. Il nous est difficile de ne pas sourire en voyant cet art de vertu, ainsi dressé par lui pour son usage individuel, et en l’entendant nous dire que de plus, à cette même époque, il avait conçu le plan de former, parmi les hommes de toutes les nations, un parti uni pour la vertu. […] La pauvreté prive souvent un homme de tout ressort et de toute vertu : il est difficile à un sac vide de se tenir debout.

159. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre II : La littérature du xviie  siècle »

Cet objet, c’est la lutte de la passion et du devoir, ou du vice et de la vertu. […] Nul peuple n’a conçu ce genre de drame, dont l’action est toute morale, qui néglige tous les accidents secondaires de la vie, tous les événements extérieurs, toutes les formes changeantes de l’humanité, pour peindre l’homme en général et surtout l’homme aux prises avec lui-même dans ce grand combat de la passion et de la vertu. Ce système dramatique pouvait donner naissance à deux formes différentes : dans l’une domine la vertu, dans l’autre la passion. Dans l’une, l’homme est décrit tel qu’il doit être, dans l’autre tel qu’il est ; mais ni les passions ne sont absentes dans Corneille, ni la vertu dans Racine. […] Boileau n’est pas, comme on l’a cru, un poëte de cour ou un poëte académique : c’est un poëte vrai, plus fort qu’élégant, plus mâle que délicat, c’est une raison vivante, un cœur sans molle tendresse, mais plein d’ardeur pour la vertu, c’est une âme d’honnête homme.

160. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XX. Le Dante, poëte lyrique. »

Voici venir ce génie, cependant ; et, sans avoir secoué tout à fait la poussière du temps, il réunira bien des vertus poétiques : il aura l’accent du drame et de la satire, comme celui de la poésie lyrique et de l’enthousiasme. […] Chaque étoile a versé dans mes yeux quelque chose de sa lumière et de sa vertu. […] On voit que tout leur manque à la fois, et que la noblesse, comme la vertu, leur est inutile. […] Elle flétrit Te vice, comme elle exaltait la vertu ; elle mit sur les actions des hommes le stigmate de la honte ou la lumière de la gloire, et fit elle-même, dans cette vie, les rétributions pénales qu’elle a décrites pour l’autre. […] Ce poëte, inexorable pour le vice, la cruauté, la bassesse, est un peintre sublime des plus douces vertus : il est, par moments, le moraliste mélodieux que charment l’innocence de la vie, la simplicité des champs, la pureté des mœurs antiques.

161. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet »

L’historien reconnaît, en effet, ses bonnes intentions, sa tendre pitié pour le peuple et toutes ses vertus chrétiennes, mais il marque en même temps les étroitesses et les limites d’esprit de ce vénérable enfant, et il trouve, pour peindre le contraste de cette manière d’être individuelle avec les vertus publiques et les lumières étendues si nécessaires à un souverain, des expressions qui se fixent dans la mémoire et des couleurs qui demeurent dans les yeux. […] Le prodige est qu’en très peu de temps la dévotion et la grâce en firent un autre homme, et changèrent tant et de si redoutables défauts en vertus parfaitement contraires… » Saint-Simon, en d’autres endroits, ajoute des détails encore plus significatifs sur les fougues et les passions du jeune prince, ses instincts précoces de libertinage, ses penchants effrénés pour toute espèce de volupté, son goût même pour le vin, son infatuation de lui-même et de ce qu’il était né, et son parfait mépris de tout ce qui l’entourait : — tout cet abîme enfin, d’où il sortit après des années un autre homme au moral, méconnaissable en bien et régénéré. […] Montausier qui, sous ses vertus de Caton et sous le manteau de duc et pair, avait un arrière-fond de pédant et une dureté de cuistre, eut beau déployer et briser sur son élève le fouet et la férule, — Bossuet, qui assistait aux coups sans mot dire, eut beau écrire pour lui les traités les plus relevés et les plus magnifiques discours, — au lieu de le stimuler par aucun moyen, on n’était parvenu qu’à l’assommer et à le rebuter, pour le reste de sa vie, de toute noble application de la pensée. […] Il est sensible à nos chansons ; il aime la poésie : elle adoucira son cœur, et le rendra aussi aimable qu’il est fier. » Alors Philomèle continua seule : «  Que ce jeune héros croisse en vertu, comme une fleur que le printemps fait éclore ! […] Que les Muses fassent naître en lui toutes les vertus ! 

162. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre III. Inconvénients de la vie de salon. »

Il s’agit de revenir à la nature, d’admirer la campagne, d’aimer la simplicité des mœurs rustiques, de s’intéresser aux villageois, d’être humain, d’avoir un cœur, de goûter les douceurs et les tendresses des affections naturelles, d’être époux et père, bien plus d’avoir une âme, des vertus, des émotions religieuses, de croire à la providence et à l’immortalité, d’être capable d’enthousiasme. […] Les amoureux de la Nouvelle Héloïse échangent, pendant quatre volumes, des morceaux de style, et là-dessus une personne, « non seulement mesurée, mais compassée », la comtesse de Blot, dans un cercle chez la duchesse de Chartres, s’écrie « qu’à moins d’une vertu supérieure une femme vraiment sensible ne pourrait rien refuser à la passion de Rousseau304 ». […] Pour y être admis, il faut deviner une énigme, répondre à une question morale, faire un discours sur une vertu. […] On interprète « les harmonies de la Nature » comme des attentions délicates de la Providence ; en instituant l’amour filial, le Créateur a « daigné nous choisir pour première vertu notre plus doux plaisir314 »  À l’idylle qu’on imagine au ciel, correspond l’idylle qu’on pratique sur la terre. […] Trait suprême du savoir-vivre qui, érigé en devoir unique et devenu pour cette aristocratie une seconde nature, se retrouve dans ses vertus comme dans ses vices, dans ses facultés comme dans ses impuissances, dans sa prospérité comme dans sa chute, et la pare jusque dans la mort où il la conduit.

163. (1914) Enquête : L’Académie française (Les Marges)

des actions — dispose de 44 prix littéraires et de 31 prix de vertu. Théoriquement, c’est logique : la vertu n’est qu’un mot dont le sens, réduit à l’échelle bourgeoise, devient : philanthropie, dévoûment, servilité. […] Tout cela rejoint les prix de vertu, et la vertu n’a rien à faire avec la littérature. […] Les prix qu’elle accorde, malgré tous les noms qu’ils sortent, ne sont jamais que des prix Montyon : il faut pour les mériter trop de vertu ou trop de servilité. […] Quant à son influence sur les lettres, elle est nulle, paraît-il, — mais Remy de Gourmont déclare qu’elle ne peut être qu’exécrable, ainsi que Jacques Morland, parce que, dit ce dernier, « les prix qu’accorde l’Académie, malgré tous les noms qu’ils portent, ne sont jamais que des prix Montyon : il faut, pour les mériter, trop de vertu ou trop de servilité ».

164. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VII. Du style des écrivains et de celui des magistrats » pp. 543-562

Il arrive sans cesse en société, lorsqu’on écoute des hommes qui ont le dessein de faire croire à leurs vertus ou à leur sensibilité, de remarquer combien ils ont mal observé la nature, dont ils veulent imiter les signes caractéristiques. […] L’expression calme d’un sentiment élevé, l’énonciation claire d’un fait, ce style de la raison qui ne convient qu’à la vertu, l’esprit ne peut le feindre : non seulement ce langage est le résultat des sentiments honnêtes, mais il les inspire encore avec plus de force. […] Que de vertus, en effet, l’amour d’une nation libre pour son premier magistrat ne suppose-t-il pas ! […] Tous les beaux discours, tous les mots célèbres des héros de l’antiquité, sont les modèles des grandes qualités du style : ce sont ces expressions inspirées par le génie ou la vertu que le talent s’efforce de recueillir ou d’imiter. […] L’âme, en se pénétrant des sentiments nobles et des pensées élevées, éprouve une sorte de fièvre qui lui donne des forces nouvelles pour le talent et la vertu.

165. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VII. Maurice Barrès et Paul Adam » pp. 72-89

Les idées sont « classées », ne nous émeuvent plus, mais la vertu de l’artiste se marque peut-être plus clairement aux yeux moins éblouis… Elle est faite (avec toutes les adresses du « dire ») de conviction et de sourire. […] Barrès n’est pas plus responsable de l’anarchie des personnages de ses romans que l’autre de la vertu de ses produits. […] Tout clairvoyant reconnaîtra la vertu de ses sensations, de ses associations, de ses formules. […] Outre que son lyrisme lui confère la vertu suggestive et enlevante des chants en vers, elle dépeint le réel avec la fidélité facile d’un cristal grossissant, et elle évoque le possible avec l’autorité d’une prédication. […] Elle ne saurait tenter de réaliser que des vertus d’état : l’ordre, l’harmonie, la justice.

166. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Police générale d’une Université et police, particulière d’un collège. » pp. 521-532

La fonction de ce chapelain, les jours de fêtes et les dimanches, après la célébration de l’office divin, serait d’encourager les étudiants à la science et aux vertus. […] C’est lui qui prononcerait la peine, c’est lui qui distribuerait les prix de science et de vertus. […] S’il y avait quelque acte de vertu à récompenser, il en ferait aussi l’éloge. […] Dans la législation des peuples et dans celle des écoles, on dirait que la vertu n’est rien. […] Si la place d’un maître est importante par son honoraire et par son rang distingué entre les conditions de la société, si cet honoraire est toute sa ressource, s’il se déshonore et se ruine en perdant son état, il en aura ou en simulera les vertus.

167. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre X. Des Romains ; de leurs éloges, du temps de la république ; de Cicéron. »

On voit par ces passages qu’il n’était pas permis de louer indistinctement tous les morts ; on célébrait les grandes actions ou les vertus et non pas les titres, et le patricien qui n’avait pour lui qu’un grand nom, n’avait à espérer que des mépris pendant sa vie, et l’oubli après sa mort. […] Ce paysan d’Arpinum, qui parvint sept fois à la première place du monde, n’était pas sans doute un modèle de vertus pour Cicéron ; mais un Romain devait louer en lui les talents et les victoires, et un républicain pouvait louer ce caractère altier qui osa braver tous les grands de Rome, qui leur reprochait avec audace leur corruption et leur mollesse, qui se vantait de son obscurité, comme les grands se vantaient de leurs aïeux ; qui, dans un siècle poli, consentait à passer pour ignorant, et avouait qu’il n’avait appris qu’à combattre et à vaincre ; qui opposait ses triomphes en Afrique, et les quatre cent mille Teutons ou Cimbres qu’il avait exterminés en Italie ou dans les Gaules, aux tables, aux cuisiniers et au faste des patriciens dans Rome ; il faut observer d’ailleurs que cet éloge fut composé avant les guerres civiles de Marius, et Cicéron était alors dans l’âge où l’énergie du caractère est ce qui frappe le plus, et où l’on mesure les hommes plus par les grands effets, que par les grands motifs. […] Ce combat littéraire partagea Rome ; chacun prenait parti pour ou contre, et les vertus de Caton, le plus grand homme de son siècle, n’étaient plus qu’un vain sujet de conversation dans une ville corrompue et esclave. […] L’un est consacré à un Sulpicius, jurisconsulte, orateur, républicain zélé, et vertueux dans un temps où les vertus se remarquaient à Rome. […] Ainsi les ennemis de la patrie, tombés sous vos coups, expieront encore leur parricide dans les enfers : mais vous qui êtes morts en vainqueurs et en citoyens, vos âmes habitent à jamais dans le séjour de la vertu.

168. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — I »

« Faisons en sorte, mon amie, que notre vie soit sans mensonge ; plus je vous estimerai, plus vous me serez chère ; plus je vous montrerai de vertus, plus vous m’aimerez… J’ai élevé dans mon cœur une statue que je ne voudrais jamais briser ; quelle douleur si je me rendais coupable d’une action qui m’avilît à ses yeux !  […] Il y a quatre ans que vous me parûtes belle ; aujourd’hui je vous trouve plus belle encore ; c’est la magie de la constance, la plus difficile et la plus rare de nos vertus… Mon amie, tout peut s’altérer au monde ; tout, sans vous excepter ; tout, excepté la passion que j’ai pour vous. » « Oh ! […] Ils me peignaient la vertu, et leurs images m’échauffaient ; mais j’aurais encore mieux aimé voir mon amie, la regarder en silence, et verser une larme que sa main aurait essuyée ou que ses lèvres auraient recueillie. […] Elle fait mon bonheur aujourd’hui, demain elle fera mon bonheur, et après-demain, et après-demain encore et toujours, parce qu’elle ne changera pas, parce que les dieux lui ont donné le bon esprit, la droiture, la sensibilité, la franchise, la vertu, la vérité qui ne change point.

169. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXII. Des panégyriques latins de Théodose ; d’Ausone, panégyriste de Gratien. »

Nous venons d’en voir un d’un orateur gaulois ; un autre Gaulois, né à Bordeaux, et disciple d’Ausone, qui à vingt-quatre ans commença par être consul, et qui, après avoir occupé au Capitole la place des Fabius et des Émile, entra dans l’église, fut prêtre, ensuite évêque, et obtint, après sa mort, l’apothéose que la religion accorde aux vertus. […] Presque tous les historiens de l’empire l’ont peint comme un grand homme, qui donna l’exemple du courage et des mœurs, se fit respecter des Barbares, soutint l’éclat des victoires par celui des vertus, et jamais n’avilit, dans le palais, l’empereur qui avait vaincu sur les champs de bataille. […] Comment concilier tant de vertus et de fureur ? […] Mais, depuis longtemps on est accoutumé à pardonner aux hommes leurs crimes, en faveur de leurs vertus.

170. (1874) Premiers lundis. Tome I « Œuvres de Rabaut-Saint-Étienne. précédées d’une notice sur sa vie, par M. Collin de Plancy. »

L’évêque de Nîmes, M. de Becdelièvre, digne successeur de Fléchier par ses vertus conciliantes, venait de mourir, regretté des protestants non moins que des catholiques. […] Tel est le mérite des Lettres sur l’histoire primitive de la Grèce, adressées à Bailly, qu’unissait dès lors à l’auteur une sympathie d’opinions et de vertus, présage d’une communauté prochaine de gloire et de malheurs. […] Quelques nuages se promènent encore sur le ciel de la France  ; mais la Constitution est faite, la masse de la France est assise … Illusion naïve du savoir et de la vertu, qui fait sourire en même temps qu’elle attriste, illusion de tous les temps, de tous les lieux, de tous les hommes, la nôtre aussi, toutes les fois qu’il nous arrive de juger le passé d’hier avec nos idées du réveil et de croire y lire l’éternel avenir !

171. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

Une royauté absolue, des sujets partagés en classes que distingue un habit différent, la vertu pour toute constitution, voilà l’idéal de Fénelon. […] De la vertu, dit Fénelon, de la modération, de la bonne foi dans les traités. […] Fénelon, qui, toute sa vie, désira d’entrer dans le gouvernement, avait-il, à l’insu de sa vertu, formé son élève pour ses secrètes espérances ? […] La dureté est l’inévitable conséquence de toute doctrine née du sens propre ; plus on a de vertu, moins on endure les infractions chez les autres. […] Sa vertu n’est pas une moindre gloire pour notre nation que son esprit.

172. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

C’est l’office des gens de bien, dit Montagne, de peindre la vertu la plus belle qui se puisse. […] Mais, comme il y a toujours des obstacles au bien, il faut, après l’ouvrage de la vertu, l’ouvrage encore du tems, parce que lui seul rend la vertu commune & familiere. […] Tout genre est bon, tout genre lui est ouvert, pourvù que, dans son but, on voye plus l’ami de la vertu que celui de la gloire. […] Fontenelle a dit de lui-même qu’il ne lui étoit jamais arrivé de jetter le moindre ridicule sur la plus petite vertu. […] Lisez Fenelon, lorsqu’il parle de la vertu ; il l’insinue dans notre âme, & il fait aimer l’homme encore plus que l’Ecrivain.

173. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (3e partie) » pp. 5-79

Valjean les emporte ; vous croyez qu’il est corrigé par tant de vertu de l’homme juste ? […] Voilà la vertu du manufacturier J. Valjean, la vertu estimable et utile de 1818 ! […] Mais, encore une fois, pourquoi cette sainteté dans ce scélérat de nature et dans ce sournois de vertu, ce Jean Valjean ? […] Est-ce qu’un paradoxe de plus était indispensable pour donner l’apparence du sophisme à la vertu même ?

174. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 44, que les poëmes dramatiques purgent les passions » pp. 435-443

Les poëtes dramatiques dignes d’écrire pour le théatre, ont toûjours regardé l’obligation d’inspirer la haine du vice et l’amour de la vertu, comme la premiere obligation de leur art. ce que je puis assurer, dit Monsieur Racine à ce sujet, c’est que je n’ai point fait de tragedie où la vertu soit plus mise au jour que dans celle-ci… etc. . […] Il est vrai qu’il est des poëtes dramatiques ignorans dans leur art, et qui sans connoissance des moeurs, représentent souvent le vice comme une grandeur d’ame, et la vertu comme une petitesse d’esprit et de coeur.

175. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

L’ordre subsiste dans l’univers, la vertu est donc la plus forte. […] Chacun de ces hommes séparément n’a-t-il pas presque toujours quelques qualités, quelques vertus ? […] Dans les premiers jours de septembre de cette année, une grande revue des troupes russes eut lieu, sous les yeux d’Alexandre, dans les plaines de Vertus en Champagne. […] L’espèce de triomphe de Mme de Krüdner au camp de Vertus marqua le plus haut point et, pour ainsi dire, le sommet lumineux de son influence. […] Dans ce château où elle fut, près du camp de Vertus, tout l’entourage de Mme de Krüdner, plus ou moins, prêchait à son exemple ; sa fille, son gendre prêchaient la famille du vieux gentilhomme qui les logeait ; la jeune femme de chambre elle-même prêchait le vieux domestique du château.

176. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IV. De la philosophie et de l’éloquence des Grecs » pp. 120-134

Les anciens sont plus forts en morale qu’en métaphysique ; l’étude des sciences exactes est nécessaire pour rectifier la métaphysique, tandis que la nature a placé dans le cœur de l’homme tout ce qui peut le conduire à la vertu. […] Pythagore paraît attacher la même importance à des proverbes, à des conseils de prudence et d’habileté, qu’aux préceptes de la vertu. […] Ils ne mettaient pas une grande importance aux vertus particulières. […] Les anciens prenaient souvent leur point d’appui dans les erreurs, souvent dans des idées factices ; mais enfin ils se sacrifiaient eux-mêmes à ce qu’ils reconnaissaient pour la vertu ; et ce qui nous manque aujourd’hui, c’est un levier pour soulever l’égoïsme : toutes les forces morales de chaque homme se trouvent concentrées dans l’intérêt personnel.

177. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la religion. »

Si ce siècle est l’époque où les raisonnements ont le plus ébranlé la possibilité d’une croyance implicite, c’est dans ce temps aussi que les plus grands exemples de la puissance de la religion ont existé ; on a sans cesse présent à sa pensée, ces victimes innocentes qui, sous un régime de sang, périssaient, entraînant après elles ce qu’elles avaient de plus cher ; jeunesse, beauté, vertus, talents, une puissance plus arbitraire que le destin, et non moins irrévocable, précipitait tout dans le tombeau. […] Par-delà ce qui est commandé, tout ce qu’on refuse, est légitime ; la justice dégage de la bienfaisance, la bienfaisance de la générosité, et contents de solder ce qu’ils croient leurs devoirs, s’il arrive une fois dans la vie où telle vertu clairement ordonnée exige un véritable sacrifice ; il est des biens, des services, des condescendances de tous les instants, qu’on n’obtient jamais de ceux qui ayant tout réduit en devoir, n’ont pu dessiner que les masses, ne savent obéir qu’à ce qui s’exprime. Les qualités naturelles, développées par les principes, par les sentiments de la moralité, sont de beaucoup supérieures aux vertus de la dévotion ; celui qui n’a jamais besoin de consulter ses devoirs, parce qu’il peut se fier à tous ses mouvements, celui qu’on pourrait trouver, pour ainsi dire, une créature moins rationnelle, tant il paraît agir involontairement et comme forcé par sa nature ; celui qui exerce toutes les vertus véritables, sans se les être nommées à l’avance, et se prise d’autant moins, que ne faisant jamais d’effort, il n’a pas l’idée d’un triomphe, celui-là est l’homme vraiment vertueux.

178. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le cardinal Ximénès »

» Et l’historien en question ajoute, textuellement : « Si des ecclésiastiques ont régi tant d’États militaires, c’est qu’ils étaient plus expérimentés, plus véritablement propres aux affaires, que des généraux et des courtisans. » Raison qui rappelle le mot des médecins de Molière : L’opium fait dormir parce qu’il a une vertu dormitive , et qui fait sourire venant d’un homme d’autant d’esprit que Voltaire ; car c’est Voltaire qui est cet historien ! […] Ils ont des mœurs plus sévères, plus détachées de ce globe, qu’ils foulent aux pieds les yeux au ciel, lorsqu’ils sont de vrais prêtres Même à part la vertu des sacrements, qui sont des efficacités et des puissances d’un ordre surnaturel, et dont nous n’avons pas à nous occuper ici, les prêtres ont plus d’obligations que nous et plus de tenue ; car la valeur humaine se mesure à l’étendue des devoirs. […] Nous ne parlerons pas de l’Innocent III de Hurter, car Hurter est devenu catholique par la vertu de l’histoire, mais, puisque le docteur Hefele, de l’université de Tubingue, a publié un livre sur Ximénès, — le bienheureux père Ximénès, comme l’appellent les églises d’Espagne, — il faut qu’à une certaine hauteur d’histoire tous les historiens soient catholiques, en plus ou en moins. […] Mais les qualités par lesquelles il calmait les ombrages de ses maîtres étaient mieux que des procédés, c’étaient des vertus.

179. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — E. — article » p. 249

En travaillant à son Livre des Faussetés des Vertus humaines, il n’a pas songé que le plus mauvais service qu’on puisse rendre à un Auteur substantiel & profond, c’est de le commenter. […] Les Maximes de la Rochefoucaut sont entre les mains de tout le monde, & la Fausseté des Vertus humaines est entiérement oubliée.

180. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Étienne de La Boétie. L’ami de Montaigne. » pp. 140-161

Les herbes ont chacune leur propriété, leur naturel et singularité ; mais toutefois le gel, le temps, le terroir, ou la main du jardinier y ajoutent ou diminuent beaucoup de leur vertu : la plante qu’on a vue en un endroit, on est ailleurs empêché de la reconnaître. […] Dans cette amitié entre deux âmes déjà si faites et si égales, il y a ceci pourtant à remarquer que si quelque supériorité semble, d’un côté, c’est plutôt de celui de La Boétie, en ce sens que c’est lui qui exhorte son ami et qui, l’aîné des deux, paraît aussi le plus ferme dans la voie de la vertu et de la pure morale. […] Les deux autres pièces en vers latins qu’il adresse à Montaigne sont pour l’exhorter et l’affermir dans son effort vers la vertu. […] Pour toi, ô Montaigne, ce qui t’a uni à moi pour jamais et à tout événement, c’est la force de nature, c’est le plus aimable attrait d’amour, la vertu. Et il définit cette vertu idéale à laquelle il faut tendre ; il n’ose se croire digne encore de l’atteindre, mais du moins il la recherche, il la poursuit, et partout où il lui est donné de la contempler, il l’aime et l’admire.

181. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — II » pp. 112-130

Une telle passion exclut la vertu et cet amour du bien public, qu’on doit adorer après son simple bonheur et bien avant sa propre grandeur… Il faut remarquer, ajoute-t-il (et l’on n’a que le choix entre vingt passages), que mon frère aime mieux une place qui lui vient par une brigue, par un parti et par une intrigue, que par la voie simple et noble de sa capacité reconnue et placée. […] On suit bien chez d’Argenson la maladie qui précéda cette venue de Rousseau, le persiflage par bel air ou l’affectation fausse de sensibilité de la part de ceux qui en manquaient le plus : « On ne voit, dit-il énergiquement, que de ces gens aujourd’hui dont le cœur est bête comme un cochon, car ce siècle est tourné à cette paralysie du cœur ; cependant ils entendent dire qu’il est beau d’être sensible à l’amitié, à la vertu, au malheur ; ils jouent la sensibilité presque comme s’ils la sentaient. » Le grand mérite de Rousseau fut de sentir avec vérité ce qu’il exprima avec force et quelquefois avec emphase : car par lui on passa brusquement de la presque paralysie du cœur à une sorte d’anévrisme soudain et de gonflement impétueux. […] Sorti du ministère, voyant son frère y rester et s’y ancrer plus que jamais, il a pu lui adresser cette parole qui résume admirablement quelques-unes de ses plus habituelles pensées : J’ai dit à mon frère (1748) : « Vous avez une belle charge, vous êtes chargé de faire valoir la seule vertu qui reste aux Français, qui est la valeur ; car l’esprit n’est pas une vertu : la franchise, la bonne foi, toutes les autres vertus se sont séparées de nous. » Et ce n’est pas la misanthropie qui a dicté cette parole. […] J’ai bien examiné les princes, ce qu’ils ont de vertu vient d’amour-propre ; si vous ne les aimez pas, ils vous haïssent. […] Il faut donc se battre les flancs pour leur trouver des qualités, les louer pour ce qu’ils ont, se taire sur ce qui leur manque : tels seront les flatteurs de probité et qui mèneront au bien par ce radoucissement, qui pareront la vertu des attraits de la volupté.

182. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre III. L’Histoire »

Il se raconte en racontant saint Louis ; il se peint, avec ses goûts, son humeur, ses vertus, ses faiblesses, ses saillies : mais en se peignant, il a peint l’homme, ou du moins l’homme du xiiie  siècle, en un de ses plus aimables exemplaires. […] Le voilà, avec ces vertus qui, en ce temps-là même, et jusque chez les infidèles, le firent plus fort que tous les talents et toutes les victoires : la piété d’un moine, le courage d’un soldat, mais surtout l’abnégation, la perpétuelle immolation du « moi », la charité fervente et la justice sévère. Toutes ces vertus. […] Il a assez de bien en lui, pour être à l’aise avec ce saint, et ne pas se sentir condamné par tant de vertu. […] Ce très honnête et délicat chevalier n’entend rien à la probité commerciale : c’est vertu de bourgeois.

183. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Il eut toujours un solide et fier mépris de l’argent : ne traitons pas trop facilement d’orgueil une assez rare vertu. […] Tous les deux font régner la vérité dans leur commerce : avec la vérité, la liberté, la vertu, le bonheur. […] Ainsi s’ajoute un dernier chef-d’œuvre à la liste déjà offerte : les Confessions, où l’homme de la nature s’expose en sa réalité, meilleur que tous par la vertu de la nature, plus malheureux que tous par le vice de la société. […] Tandis que toute la morale se réduisait pour les autres aux vertus de bienfaisance et d’humanité, Jean-Jacques eut le sentiment profond de la perfection ou de la dégradation intime de l’être : il prêcha les vertus personnelles, l’âpre poursuite de la pureté, de la bonté, de la beauté intérieures, indépendamment du service et de l’utilité d’autrui. […] L’essentiel est que cet idéal jamais atteint contienne assez de vérité et de vertu pour améliorer notre pauvre présent.

184. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

L’aperçu fin et juste du petit côté d’un grand caractère, des faiblesses d’un beau talent, trouble jusqu’à cette confiance en ses propres forces, dont le génie a souvent besoin ; et la plus légère piqûre d’une raillerie froide et indifférente peut faire mourir dans un cœur généreux la vive espérance qui l’encourageait à l’enthousiasme de la gloire et de la vertu. La nature a créé des remèdes aux grandes douleurs de l’homme ; le génie est de force avec l’adversité, l’ambition avec les périls ; la vertu avec la calomnie ; mais le ridicule peut s’insinuer dans la vie, s’attacher aux qualités même, et les miner sourdement à leur insu. […] Rien heureusement ne convient moins que ce talent aux vertus, comme à l’esprit que doivent avoir des républicains. […] Il y a des vertus qui vous attachent à votre famille, à vos amis, aux malheureux ; mais dans tous les rapports qui n’ont point pris encore le caractère d’un devoir, l’urbanité des mœurs prépare les affections, rend la conviction plus facile, et conserve à chaque homme le rang que son mérite doit lui obtenir dans le monde. […] Où prendrait-on le type des vertus, lorsque les femmes elles-mêmes, ces juges indépendants des combats de la vie, auraient laissé flétrir en elles le noble instinct des sentiments élevés ?

185. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Mais il y a peut-être une vertu supérieure : c’est celle de ne rien dire de soi, ou de n’en dire que des choses qui laissent chacun libre de son jugement. […] Le devoir n’y est peut-être pas au-dessus de notre vertu, ni la passion plus forte que notre cœur. […] Cette vérité, c’est celle d’une nature supérieure non à nos conceptions, mais peut-être à notre vertu : cet effet, c’est le devoir de l’imiter. […] Le plus souvent cet héroïsme n’est pas au-dessus des grandes âmes ; il n’excède pas ce qu’en fait de vertus nous concevons de possible par la comparaison et par l’expérience de nos vertus médiocres. […] A peine souffrons-nous qu’on nous veuille donner le goût de vertus moins sublimes, mais plus sûres.

186. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre premier. De la première époque de la littérature des Grecs » pp. 71-94

Mais l’origine de la poésie, mais le poëme le plus remarquable par l’imagination, celui d’Homère, est d’un temps renommé pour la simplicité des mœurs ; ce n’est ni la vertu ni la dépravation qui servent ou nuisent à la poésie ; mais elle doit beaucoup à la nouveauté de la nature, à l’enfance de la civilisation : la jeunesse du poète ne peut suppléer en tout à celle du genre humain ; il faut que ceux qui écoutent les chants poétiques soient avides de la nature entière, étonnés par ses merveilles, et flexibles à ses impressions ; les difficultés que présenterait une disposition plus philosophique dans les auditeurs, ne feraient pas que l’art des vers atteignit à de nouvelles beautés ; c’est au milieu des hommes qui s’émeuvent aisément, que l’inspiration sert mieux le véritable poète. […] On accordait, dans l’héroïsme antique, une grande estime à la force du corps ; la valeur se composait beaucoup moins de vertu morale que de puissance physique ; la délicatesse du point d’honneur, le respect pour la faiblesse, sont les idées plus nobles des siècles suivants. […] Socrate et Platon s’occupèrent uniquement des préceptes de la vertu. […] Le mot de vertu n’a point un sens positif dans les auteurs grecs d’alors. […] Il était permis au génie de se nommer, à la vertu de s’offrir, et tous les hommes qui se croyaient dignes de quelque renommée, pouvaient s’annoncer sans crainte comme les candidats de la gloire.

187. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Bossuet, et Fénélon. » pp. 265-289

On l’accusa d’avoir séduit sa pénitente, d’avoir profité de ses momens de folie pour attenter à sa vertu. […] Charmant dans un cercle de courtisans & de femmes, de sçavans & de beaux esprits, souhaité partout, & ne se livrant qu’à des amis intimes, aimant & rendant aimable la vertu, fait pour le peuple & le grand monde, la ville & la cour, il n’y parut que pour en être l’idole. […] » Que ces paroles devoient faire une impression profonde dans le cœur tendre & vertueux de l’auteur de Télémaque, lui dont l’imagination s’embrasoit par l’idée de la candeur & de la vertu, comme celle des autres s’enflamme par les passions ! […] Il ne pardonna point à Fénélon ses talens & ses vertus ; sa concurrence avec lui dans la charge de premier-aumônier de madame la duchesse de Bourgogne, & sa démission de l’abbaye de S. […] Partout la vertu s’y présente sous mille formes, suivie de la félicité.

188. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VIII. »

Il faut aussi louer l’homme qui, en buvant, ne décèle rien que d’honnête, dont la mémoire et la pensée s’entretiennent de vertu, et ne pas redire, d’ailleurs, les combats des Titans ou des Géants, ni l’histoire des Centaures, fictions des vieux temps, et toutes ces rixes où il n’y a rien d’utile, mais avoir toujours présente la providence des dieux. » Ce langage n’est-il pas d’un sage et religieux réformateur, plutôt que d’un panthéiste ou d’un sceptique ? […] Car l’un des deux plus grands poëtes, depuis le chantre de l’Iliade, Eschyle, était initié à la secte de Pythagore, partageait son horreur du sang des animaux, et alliait également aux spéculations sur le système de l’univers l’enthousiasme de la vertu. […] En même temps que, dans ses vers, il se donnait pour un être surnaturel, ou du moins pour un être humain rendu de nouveau à la terre, après avoir passé par les cieux, tout son langage recommandait le culte des dieux et le respect de la vertu. […] La morale en est haute, il est vrai, l’accent austère et simple95 : « Plus que devant tout autre, rougis devant toi-même. — Honore ton père et ta mère, tes parents les plus proches ; et, parmi tous les autres, choisis, dans l’ordre de la vertu, le meilleur pour ton ami. » Ce sont là des maximes belles dans tous les temps ; une part d’enthousiasme s’y mêle. […] Elle donne à la vertu l’intérêt propre pour principe ; elle prescrit à l’homme de ne pas se blesser lui-même, bien plus que de travailler au salut d’autrui.

189. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » p. 156

Il ne rougissoit point, dit Balzac, des vertus chrétiennes, & ne tiroit point vanité des vertus morales.

190. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Jean Lahor (Henri Cazalis). »

La conserver et l’accroître et affirmer que nous le devons — l’affirmer par un acte de foi (car vous vous rappelez que tout est vain), c’est là proprement la vertu… Ici il faudrait tout citer. […] Et cette exhortation à l’homme : Que les pouvoirs obscurs d’un monde élémentaire Connaissent grâce à toi le rythme harmonieux ; Et si, tous les dieux morts, tu restes solitaire, Garde au moins les vertus que tu prêtas aux dieux ! Et toute la dernière pièce, Vers dorés : Sois pur, le reste est vain, et la beauté suprême, Tu le sais maintenant, n’est pas celle des corps : La statue idéale, elle dort en toi-même ; L’œuvre d’art la plus haute est la vertu des forts.

191. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Des avantages attachés à la profession de révolutionnaire. » pp. 200-207

* * * Et voici la merveille : en retour de ces avantages, l’esprit dont je parle n’impose à ceux qui en sont animés aucune vertu ni aucun sacrifice particulièrement difficile. […] Je me souviens de l’avoir sentie très nettement, à Paris, pendant le premier mois de la Commune, à lire les affiches et les journaux enfiévrés, à voir flamber dans les rues le drapeau rouge, à me mêler, sous le grand soleil, aux cohues démentes de la place de l’Hôtel-de-Ville ; et pourtant j’étais un enfant très raisonnable. — Bref, je conçois, sans nul effort que cet homme, l’autre jour, soit monté sur cette table et qu’il y ait chanté cette chanson assassine contre une classe pleine de vices et d’égoïsme assurément (comme toutes les classes sociales sans exception), mais où il y a aussi de braves gens, et dont il se pourrait que la très modeste moyenne de vertu et de bonté ne fût pas trop inégale à la bonté et à la vertu de ceux qui réclament du plomb contre elle.

192. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — S’il est plus aisé, de faire une belle action, qu’une belle page. » pp. 539-539

Oui, malgré tout ce qu’on a fait pour corrompre l’homme, je pense que la bonté et la vertu sont moins rares encore que le génie, et je le prouve. […] Quand le moule d’un homme de génie est cassé, il l’est pour jamais ; je ne crois pas qu’on en puisse dire autant de l’homme vertueux, en prenant cette expression dans son sens le plus rigoureux et le plus raide : je parle de la vertu de Caton ou de celle de Régulus. […] On ne reproche point à l’homme d’avoir manqué de génie ; on reproche à tous d’avoir manqué de force et de vertu.

193. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

Il avait beaucoup d’amitié pour moi, parce que j’aimais à aller, à mes heures perdues, visiter son herbier et entendre les explications scientifiques et providentielles sur la vertu des plantes et sur les mœurs des insectes, toutes attestant, suivant lui, la grandeur et les desseins de la Providence. […] Là, j’avais l’honneur d’avoir avec le prince des entretiens confidentiels sur la politique, qui m’ont laissé, pour ses principes et pour ses vertus, une éternelle admiration. […] Possédé alors, comme tous les jeunes gens, et sentant, comme les jeunes Italiens avec lesquels j’avais été élevé, la forte haine de la tyrannie, j’adorais ce parodiste de Sénèque le tragique, et je me croyais d’autant plus initié à la vertu civique que j’avais plus d’enthousiasme pour lui. […] … La vertu ! […] Quand lord Byron faisait parler Manfred, le Corsaire ou Lara ; quand il mettait dans leur bouche les imprécations les plus affreuses contre l’homme, contre les institutions sociales, contre la Divinité ; quand ils riaient de la vertu et divinisaient le crime, a-t-on jamais confondu la pensée du poète et celle du brigand ?

194. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Discours prononcé à la société des visiteurs des pauvres. » pp. 230-304

Il a simplement transporté dans un décor d’à présent le conte éternellement aimable du roi qui épouse une bergère pour sa vertu. […] vous voulez de la vertu ? […] … La vertu ? […] Et puis, l’auteur de Catherine s’est si bien mis en règle avec la vertu qu’on lui peut passer quelques licences. […] Seulement, nos gens ont compté sans la vertu de Suzanne Tillier, la jeune fille séduite par Henri Tasselin.

195. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

D’ailleurs, une servitude aussi absolue que celle du matelot anglais ne peut émaner que d’une autorité civile : or, il serait à craindre qu’elle ne fût méprisée de nos marins ; car malheureusement le Français obéit plutôt à l’homme qu’à la loi ; et ses vertus sont plus des vertus privées que des vertus publiques. […] qui chantas les vertus des hameaux ; Morellet ! […] Peut-on jamais trop inspirer l’amour des devoirs et de la vertu aux princes d’où dépend le bonheur de tant d’hommes ? […] Dans ce grand siècle, la vertu et la raison donnaient au prince et au sujet un même langage. […] Déclarez-vous, en toute occasion, pour la vertu contre le vice.

196. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre V » pp. 48-49

le voici : L’hôtel de Rambouillet nous offre d’abord le spectacle d’une société qui, sous les auspices d’une femme jeune, belle, spirituelle, de naissance illustre, épouse et mère d’une vertu exemplaire, se distingue par la pureté, la décence, la délicatesse de ses mœurs, et se sépare de la cour et des gens du monde de la capitale, tous plus ou moins entraînés dans des habitudes de dissolution et effrontée. […] Nous voyons en quatrième lieu les nouvelles combinaisons de personnes y produire cette jouissance nouvelle si féconde en autres jouissances, si féconde surtout en talents et en vertus, cette jouissance enviée à la France par foules les nations civilisées, celle de la conversation.

197. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 275-276

Ces qualités, jointes à ses vertus sociales, lui mériterent l’estime, la bienveillance, & même la familiarité d’un grand Roi, qui a prouvé, à son égard, qu’il faisoit encore plus de cas des vertus que des talens.

198. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

Il veut que le poète cesse de dédaigner les vertus de famille, qui ont leur grandeur, peut-être plus propre à émouvoir que les vertus chevaleresques. […] À quoi bon cette soif de vertus extraordinaires ? […] Ce n’est point de cette vertu sans effet qu’Hermann se contente. […] Ce n’est plus une passion, c’est une partie essentielle de la vertu. […] Qu’il cesse de dédaigner les vertus de famille ; elles ont leur grandeur, peut-être plus propre à émouvoir que les vertus chevaleresques.

199. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (4e partie) » pp. 1-63

Le génie rêve un ordre de choses où les rangs seraient assignés par la nature et la vertu. […] Mais c’est là le comble de la vertu. […] Aussi tous les peuples en ont-ils fait une vertu. Si l’absence de toute pitié est un crime dans le despotisme, pourquoi donc serait-ce une vertu dans les républiques ? Le vice et la vertu changent-ils de nom en changeant de parti ?

200. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

« On n’hésite pas plus à dire de la vertu que de la divisibilité, qu’elle est une propriété de la matière. […] Ôter les mystères de ce Cosmos, c’est ôter Dieu du monde, c’est-à-dire la vérité et la vertu. […] La vertu est fille de la vérité ! […] Et sans conscience, qu’est le bien et le mal, l’honnête et le déshonnête, le vice et la vertu dans l’univers ? […] Avec rage, c’est la révolte et l’impiété ; Avec amour, c’est la raison et la vertu.

201. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — II. (Fin.) » pp. 281-300

Des femmes, des princesses considérables par leur crédit, leur esprit ou leur vertu, Mme de Longueville, la princesse de Conti, avaient pris hautement en main la cause des opposants et des vaincus, qui semblaient moins rentrés en grâce que réintégrés dans leurs droits. […] Ce grand orateur, le premier qui ait réduit parmi nous l’éloquence à n’être que ce qu’elle doit être, je veux dire à être l’organe de la raison et l’école de la vertu, n’avait pas seulement banni de la chaire les concetti, productions d’un esprit faux, mais encore les matières vagues et de pure spéculation, amusements d’un esprit oisif. […] « C’est dans les plus beaux fruits, dit saint Augustin, que les vers se forment, et c’est aux plus excellentes vertus que l’orgueil a coutume de s’attacher. » Bourdaloue partait de là pour montrer que, si la sévérité évangélique est le fruit le plus exquis et le plus divin que le christianisme ait produit dans le monde, « c’est aussi, il le faut confesser, le plus exposé à cette corruption de l’amour-propre, à cette tentation délicate de la propre estime, qui fait qu’après s’être préservé de tout le reste, on a tant de peine à se préserver de soi-même ». […] On a trouvé le moyen de consacrer la médisance, de la changer en vertu, et même dans une des plus saintes vertus, qui est le zèle de la gloire de Dieu… Il faut humilier ces gens-là, dit-on, et il est du bien de l’Église de flétrir leur réputation et de diminuer leur crédit. […] Je n’ai pas à entrer dans l’exposé du dogme et de la morale de Bourdaloue : qu’il me suffise de dire que son mérite et sa vertu comme son grand art est de professer un juste milieu en théologie.

202. (1889) Émile Augier (dossier nécrologique du Gaulois) pp. 1-2

Elle goûtait fort, au début, ces divertissements scéniques où l’auteur, avec des petits airs indépendants, la flattait jusque dans ses ridicules et lui rendait, par ses complaisances, la pratique de la vertu si facile. […] Comme les mourants qui aspirent après un cordial qui leur redonne l’illusion fugitive de la vie, fût-ce au prix d’une brûlure aux entrailles, la bourgeoisie chercha alors un poète dont le vers s’abattît, à la rigueur, sur ses reins épuisés, mais la forçât à se redresser ; un moraliste qui la rappelât à la pratique sévère de ses anciennes vertus, un historien capable de réveiller en elle, par ses fiers récits, le goût et la puissance des grands mouvements de l’âme. […] D’intelligence forte et saine, ayant au plus haut degré la volonté du bien, il a mis son grand, son très grand talent, son impeccable probité littéraire au service des vertus de la classe moyenne. […] Tout l’œuvre du poète qui vient de mourir est inspiré par cette double pensée : relever, à ses propres yeux, le bourgeois défaillant et décadent par l’exemple des hautes vertus bourgeoises ; flétrir, comme on flétrissait la forfaiture d’un gentilhomme, les défaillances des bourgeois indignes d’être inscrits au livre d’or de la bourgeoisie. […] Elle n’aura pas connu ceux dont le poète a voulu exalter les vertus, ranimer les courages et cravacher les vices.

203. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « [Errata] — Fautes à corriger dans le second Volume. » p. 366

 20, qu’ont immortalisée & ses vertus, lis. qu’ont immortalisé ses vertus.

204. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VI. De l’envie et de la vengeance. »

La gloire, la vertu, le génie viennent se briser contre cette force destructive ; elle met une borne aux efforts, aux élans de la nature humaine, son influence est souveraine ; car qui blâme, qui déjoue, qui s’oppose, qui renverse, qui se saisit enfin de la force destructive, finit toujours par triompher. […] Le même terme exprime l’assassinat de César, et celui d’Henri IV ; et les grands hommes qui se sont crus le droit de faire plier une loi de la moralité devant leurs intentions sublimes, ont fait plus de mal par la latitude qu’ils ont donné à l’idée de la vertu, que les scélérats méprisés dont les actions ont exaltés l’horreur qu’inspire le crime. […] Cette passion pourrait perpétuer le malheur depuis la première offense, jusqu’à la fin de la race humaine ; et dans les temps où les fureurs des partis ont emportés tous les hommes dans tous les sens au-delà des bornes de la vertu, de la raison, et d’eux-mêmes, les révolutions ne cessent que quand chacun n’est plus agité par le besoin de prévenir ou d’éviter les effets de la vengeance.

205. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIX » pp. 207-214

L’élite des courtisans se compose d’hommes puissants, au moins indépendants ou par leur fortune, ou par leur rang, ou par l’éminence de leurs talents, même par l’éminence de leurs vertus, l’élévation de leur caractère, et la grandeur de leurs desseins. […] Un de leurs artifices de courtisan fut de condamner les vices du roi par l’éloge de ses propres vertus. […] Racine était courtisan quand Titus, se séparant de Bérénice, retraçait à Louis XIV le courage qu’il avait montré, l’empire qu’il avait eu sur lui-même, en éloignant Marie Mancini, dont il était fort amoureux et qu’il avait en la fantaisie l’épouser ; mais par cet acte de courtisan, il remplissait habilement un devoir de citoyen, et concourait avec Bossuet à dégager le jeune prince des chaînes de madame de Montespan, et à l’armer de sa propre vertu contre une passion désordonnée.

206. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 283-284

Où a-t-il pris, entre autres choses, que la Morale n’a jamais été développée avec plus de vérité & plus de charmes que de nos jours ; que ce sont nos Ecrivains modernes qui ont réduit les Romans à être l’image de la Nature & l’Ecole de la Vertu ; que nos Tragédies modernes ont plus de pathétique & d’utilité que celles de Corneille & de Racine ; que les maximes des Tragédiens de nos jours sont plus vraies, & inspirent plus d’humanité ? M. de Méhégan n’avoit sans doute pas lu tous ces Ouvrages où la Morale est si fort défigurée sous le pinceau philosophique ; ces Romans où la vertu n’est rien moins que le but de ceux qui les ont composés ; ces Tragédies où le sentiment a beaucoup plus d’appareil & de machinisme, que de naturel & de réalité ; ces tirades aussi déplacées qu’audacieuses, qui ne peuvent plaire qu’à des esprits gâtés, qui ne peuvent être pardonnées que par des ignorans qui ne sentent pas combien elles sont hors de propos.

207. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la révolution française — I. La Convention après le 9 thermidor. »

Remercions-le d’avoir réhabilité dans nos souvenirs ces jours incertains, où l’orage grondait toujours, où la liberté luisait déjà, et d’avoir montré qu’après tout, s’ils ne manquèrent pas d’excès ni de fautes, ils ne manquèrent non plus ni de civisme, ni de vertus, ni de victoires, ni de rien de ce qui honore une nation. […] D’abord, les héros du jour, les thermidoriens, Tallien à leur tête, la plupart anciens amis de Danton, gens sans principes, sans considération personnelle, voulant au fond la république, mais capables de trop d’indulgence par faiblesse, de trop de rigueur par mauvaises passions ; en face d’eux, les Montagnards décidés, la plupart républicains convaincus, austères et fanatiques, les uns croyant encore à la vertu de Robespierre, les autres n’y croyant plus, mais n’en tenant pas moins au système qu’il avait fondé ; enfin, entre ces deux côtés ennemis, les hommes du Marais, qui commençaient à lever la tête, à demander des garanties et des amnisties, gens longtemps inertes et muets par peur, mais qu’on allait voir se ranimer, grandir de jour en jour, et expier leur nullité coupable par des services éminents, par du génie et même par de l’héroïsme : Sieyès et Boissy d’Anglas en étaient. […] On arrêta donc sur l’heure Ruhl, Romme, Bourbotte, Goujon, Duroy, Duquesnoy, Soubrany, et huit jours après, par un redoublement de sévérité, on les déféra à une Commission militaire ; il n’y eut d’excepté que le vieux Ruhl, dont plusieurs membres attestèrent la sagesse et les vertus. […] Si, dans l’enivrement de l’âge et du patriotisme, leur imagination s’exagéra les périls et se méprit sur les remèdes, le temps et l’expérience auraient fini par tempérer cette fougue généreuse, et la Révolution eût conservé en eux des vertus civiques d’autant plus utiles qu’elles allaient devenir plus rares, et qu’on touchait à une époque de tiédeur et de corruption.

208. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XX. Du dix-huitième siècle, jusqu’en 1789 » pp. 389-405

Il n’a rien découvert, mais il a tout enflammé ; et le sentiment de l’égalité, qui produit bien plus d’orages que l’amour de la liberté, et qui fait naître des questions d’un tout autre ordre et des événements d’une plus terrible nature, le sentiment de l’égalité, dans sa grandeur comme dans sa petitesse, se peint à chaque ligne des écrits de Rousseau, et s’empare de l’homme tout entier par les vertus comme par les vices de sa nature. […] Dans cet avenir incertain qui se présente confusément au-delà du terme de notre être, ceux qui nous ont aimés semblent devoir encore nous suivre ; mais si nous avions cessé d’estimer leurs vertus, de croire à leur tendresse ; si nous étions déjà seuls, où serait l’appui d’une espérance ? […] vertu, ne serais-tu qu’un fantôme ?  […] S’il plaide pour la victime devant l’assassin, pour la liberté devant les oppresseurs ; si les infortunés qu’il défend écoutent en tremblant le son de sa voix, pâlissent lorsqu’il hésite, perdent tout espoir si l’expression triomphante échappe à son esprit convaincu ; si les destinées de la patrie elle-même lui sont confiées, il doit essayer d’arracher les caractères égoïstes à leurs intérêts, à leurs terreurs, de faire naître dans ses auditeurs ce mouvement du sang, cette ivresse de la vertu qu’une certaine hauteur d’éloquence peut inspirer momentanément, même à des criminels.

209. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre II. Filles à soldats »

Dans la boue stendhalienne, je ramasse d’abord la fille qui a écrit cyniquement : « Sous un succès, il y a toujours une vertu » et qui a osé, raccrocheuse sans vergogne, l’appel au soldat. […] Ce vantard de raffinements pense, devant la réussite, aussi grossièrement que feu Sarcey et — selon le mot que je citais tout à l’heure, mais qu’on ne saurait trop répéter — il se garde bien de « méconnaître que, sous un succès, il y a toujours une vertu ». […] Barrès, sous un succès il y a rarement une vertu. […] Mais vous savez bien, vous, élève de tous les Renan, de tous les Taine, de tous les Maurras et de tous les Amouretti rencontrés, que votre pensée est empruntée ; vous n’avez d’autre esprit que « l’esprit de suite » et votre seule vertu intellectuelle se nomme docilité.

210. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIV. Des panégyriques depuis la fin du règne de Louis XIV jusqu’en 1748 ; d’un éloge funèbre des officiers morts dans la guerre de 1741. »

Ajoutez qu’il y a des caractères de princes qui, même avec des talents et des vertus, déconcertent pour ainsi dire l’éloge. […] Accablé de souffrances, privé de la vue, perdant chaque jour une partie de toi-même, ce n’était que par un excès de vertu que tu n’étais point malheureux ; et cette vertu ne te coûtait point d’effort. […] À peine en ai-je goûté les charmes, non pas de cette amitié vaine qui naît dans les vains plaisirs, qui s’envole avec eux, et dont on a toujours à se plaindre, mais de cette amitié solide et courageuse, la plus rare des vertus. » L’orateur nous apprend ensuite que c’est le dessein d’élever un monument à la cendre de son ami, qui lui a fait entreprendre cet ouvrage ; il finit par une réflexion triste mais vraie.

211. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

Rousseau ses fantaisies sans base du Contrat social ; à Fénelon ses utopies illogiques du Salluste ; il n’a point eu leurs erreurs, mais il n’a point eu leurs vertus. […] « C’est en cherchant à instruire les hommes que l’on peut pratiquer cette vertu générale, qui comprend l’amour de tous. […] Il donne pour base à cette démocratie la vertu ! […] La vertu n’est nullement le principe de la démocratie, puisque c’est le plus mobile et le plus vénal des régimes. — Où est la vertu dans le Vénitien ou dans le Polonais ? […] Vous trouverez dans les climats du Nord des peuples qui ont peu de vices, assez de vertus, beaucoup de sincérité et de franchise.

212. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

. —  Peinture de la vie bourgeoise, du bonheur honnête et de la vertu protestante. —  Le ministre de Wakefield. […] Ils se confinent tous deux dans la considération du vice et de la vertu, l’un avec une bienveillance sereine, l’autre avec une indignation farouche. […] Monsieur Square et monsieur Thwackum, vos tirades sur la vertu philosophique ou la vertu chrétienne sont des exercices de parole utiles pour digérer au dessert. La vertu est dans le tempérament et dans le sang ; l’éducation bavarde et le rigorisme monacal n’y ajoutent rien. […] La vertu protestante et anglaise n’a point formé un modèle plus éprouvé et plus aimable.

213. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

La vertu. […] la vertu mêlée de faiblesses qui l’exposent à des malheurs par une faute, et non par un crime ; ou le crime excusable, mais puni par les dieux ou par les hommes. […] Il démêle l’usage qu’en ont fait les chantres de l’héroïsme et de la vertu, de l’abus fatal qui le rendit l’interprète des passions dangereuses, et de la servile adulation. […] « Ce peintre, qui d’Alceste a tracé les vertus, « Ton Molière immortel admire mon Plutus. […] Du concours de tous les cœurs réunis dans un auditoire, se forme, pour ainsi dire, un seul grand cœur, qui ne croit qu’à la vertu, qui n’applaudit qu’à ses maximes.

214. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

« Outre ses enfants légitimes, Côme laissa aussi un fils naturel, Charles de Médicis, qu’il fit élever avec soin, et qui, par les vertus dont il donna l’exemple, effaça la tache de sa naissance. On pourrait excuser sur les mœurs de ce siècle une circonstance qui paraît démentir la gravité du caractère de Côme de Médicis : mais lui-même dédaigna une pareille apologie, et, reconnaissant les erreurs de sa jeunesse, il voulut réparer auprès de la société l’atteinte qu’il avait portée à des règlements salutaires, en s’occupant avec intérêt de donner à son fils illégitime des principes de vertu et une existence honorable. […] Valori nous apprend que Lucretia était de la noble famille des Donati, qu’elle était également distinguée par sa beauté et par sa vertu, et qu’elle descendait de ce Curtio Donato que ses hauts faits militaires avaient rendu célèbre dans toute l’Italie18. […] À en juger par les sonnets qu’il fit à cette occasion, il éprouva tous les degrés et toutes les vicissitudes de l’amour : il triomphe, il se désespère ; il brûle, et la crainte le glace ; il célèbre avec ravissement des jouissances ineffables, trop grandes, trop au-dessus d’un simple mortel, et il ne saurait s’empêcher d’applaudir à cette vertu sévère que ses plus ardentes sollicitations ne peuvent ébranler. […] Galéas Visconti gouvernait Milan, par ses vices plus que par ses vertus.

215. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

De saint Basile, à qui Ulysse abordant à l’île des Phéariens représentait la vertu toute nue, auguste et vénérable dans cette nudité même, de Fulgentius Planciades, à qui l’Enéide racontait les voyages de l’âme chrétienne, de Prudence, qui faisait battre les vertus et les vices dans sa Psychomachie de Martianus Capella, qui mariait en justes noces Mercure et la philologie, l’allégorie passa aux clercs scolastiques qui en firent leur instrument favori d’interprétation et de recherche, l’explication allégorique d’un texte fut légitime et nécessaire ainsi que l’explication littérale, et même au-dessus d’elle. […] La noblesse, dit Jean de Meung après Juvénal, la seule noblesse, c’est la vertu, c’est le mérite. […] Suivre la nature, c’est la raison, et c’est la vertu. […] Volontiers, comme ils feront souvent, il met toute l’orthodoxie dans la foi ; et toute la foi dans la charité, la bonne volonté, la vertu. […] Et notre poète a le droit en vérité d’ouvrir le ciel à ceux qui vécurent en ce monde selon son commandement : malgré le cynisme de son langage et parfois de ses idées, il prêche une haute et sévère morale ; il a su tirer toutes les vertus de son naturalisme.

216. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Ferdinand Fabre  »

Sans compter que sa fonction lui impose une vie à part, le fond de pensées habituelles que cette fonction implique doit non seulement réagir sur ses manières, sa parole et toute sa tenue, mais encore imprimer à tous ses sentiments, à ses passions, à ses vices comme à ses vertus, une marque énergiquement caractéristique. […] Ils sont, à l’ordinaire, infiniment polis ; car la politesse leur est recommandée dès le séminaire comme une vertu chrétienne et comme une arme défensive : elle est pour eux une des formes de la charité, une expression de leur respect pour les âmes, et un rempart où ils se retranchent contre les familiarités et les indiscrétions. […] Fabre a su peindre aussi les âmes, avec des vertus et des passions qui sont bien des passions et des vertus de prêtres. […] Quelques-uns même des sentiments dont est formée sa vertu sont réprouvés ou suspectés par l’Église : ainsi, dans certains cas, le souci de l’honneur, la tolérance pour les opinions, l’indulgence pour certaines faiblesses. […] L’abbé Jourfier, qui n’a que des vertus humaines, est placé par sa profession dans des circonstances telles qu’il s’aperçoit que ces vertus vont contre les fondements mêmes de la foi, car elles impliquent toutes la confiance aux lumières naturelles et, plus ou moins, l’orgueil de l’esprit (superbia mentis).

217. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Il n’y a pas vu ce qu’un si grand objet pouvait inspirer d’éloquence dans les écrits, de vertus dans la conduite, ni ce que l’histoire peut tirer de vérités sur l’esprit français et sur le cœur humain, de ces querelles où la théologie n’est que le champ clos temporaire de passions et de contradictions éternelles. […] C’est une société libre, non par les vertus de la nation, mais par la facilité de son gouvernement ; non par l’obéissance à des lois sévères, mais par des lois qui exigent peu des hommes. […] Il est très vrai que l’art de louer n’est pas une vertu héroïque ; mais c’est encore moins un vice. […] Il est poussé sur une pente si glissante, et s’y retenir demande tant de vertu ! Voltaire y réussit, et sa vertu ne sent pas la peine.

218. (1913) La Fontaine « III. Éducation de son esprit. Sa philosophie  Sa morale. »

Là-dessus Descartes est d’une précision à laquelle il n’y a rien à désirer, qui ne laisse certainement rien à désirer. « Au reste, je me suis étendu ici sur le sujet de l’âme à cause qu’il était plus important ; car après l’erreur de ceux qui nient Dieu, laquelle je pense avoir ci-dessus assez réfutée, il n’y en a point qui éloigne plus tôt les esprits faibles du droit chemin de la vertu que d’imaginer que l’âme des bêtes soit de même nature que la nôtre, et que, par conséquent, nous n’avons rien à craindre ni à espérer après cette vie, non plus que les mouches et les fourmis. […] Avec sa brutalité ordinaire, Nietzsche lui dirait : « Oui, vos vertus, travail, prudence, économie, résignation, tout cela ce sont des vertus ménagères, ce sont des vertus de bêtes de troupeau, ce ne sont pas des vertus nobles, ce ne sont pas des vertus élevées. […] Et la bonté initiale de la nature, et l’homme qui est né bon, et l’homme qui est né avec toutes les vertus mais que la société a dépravé, qu’en faites-vous de cette grande théorie qui est la vôtre ?

219. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

Mais le courage n’est après tout qu’une de nos vertus. […] Mais quelle profane méthode de revenir aux vertus oubliées ! […] Qui sait s’ils ne sont pas le préservatif de sa dignité et de ses vertus ? […] Cependant ces instincts terrestres ne pourraient-ils pas s’épanouir en vertus poétiques ? […] Mais ce retour à l’Église primitive prit une forme originale, et cette vieille vertu de la résignation devint une vertu toute nouvelle chez ces âmes rajeunies par un ravivement de ferveur religieuse.

220. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Et, quand il n’y a plus de respect nulle part, ni d’autorité, ni de vertus humbles, le devoir, la consigne, le métier, sont des choses qu’il faut tenir en défiance et qui déshonorent l’indépendance de la pensée. […] … Car telle est la faute de Léon X, que beaucoup de vertus d’ailleurs et tout l’art d’Audin ne sauraient effacer. […] Il s’est détourné pour ne pas être sévère, et il a regardé dans les vertus du prêtre et dans les lumières de l’homme, pour ne pas apercevoir les faiblesses du Pontife-Roi. […] … Les matérialistes des vieilles civilisations les magnifient parce qu’elles filent des suaires brodés d’or et de pourpre aux nations sur le bord de leur tombe ; — mais la moindre vertu morale les empêcherait de s’y coucher ! […] Figure de premier plan et nécessaire que cette fausse Vierge, mensonge de vertu et presque de génie, qui pensait par la tête de Burleigh et coagulait en vice froid les passions bouillantes de son père !

221. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 334-336

Quiconque voudra éprouver les impressions touchantes qui résultent de l’heureux accord de la Religion & de l’humanité, des talens & des vertus, n’a qu’à lire les Ouvrages de ce saint Prélat. […] Qu’on les lise, à l’exemple de l’illustre Archevêque de Cambrai, pour acquérir cet amour de la vertu, inséparable de celui de la Religion, ce naturel, ce ton de candeur, cet air de sérénité, si rares dans tous les Ecrits, & destinés cependant à en être le plus doux charme.

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