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1784. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Anatole France »

Les hommes de génie ne sont jamais tout à fait conscients d’eux-mêmes et de leur œuvre ; ils ont presque toujours des naïvetés, des ignorances, des ridicules ; ils ont une facilité, une spontanéité grossière ; ils ne savent pas tout ce qu’ils font, et ils ne le font pas assez exprès. Surtout en ce temps de réflexion et de conscience croissante, il y a, à côté des hommes de génie, des artistes qui sans eux n’existeraient pas, qui jouissent d’eux et en profitent, mais qui, beaucoup moins puissants, se trouvent être en somme plus intelligents que ces monstres divins, ont une science et une sagesse plus complètes, une conception plus raffinée de l’art et de la vie. […] Et ce sont tous ceux qui rappellent le plus, chez nous, l’inconscience et la vanité des bons nègres : les bohèmes graves et grotesques, les ratés sublimes, les quarts d’homme de génie, les imaginatifs et les maniaques.

1785. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Huet, évêque d’Avranches, par M. Christian Bartholmèss. (1850.) » pp. 163-186

On avait peu de secours à attendre autour de soi ; il fallait de grands efforts et une rare vigueur d’esprit pour surmonter les obstacles, pour conquérir la science ; il fallait jusqu’à un certain point être inventeur, avoir le zèle et le génie de la découverte, pour devenir savant : Dans ces premiers temps d’obscurité et de ténèbres, ces grandes âmes (comme Huet appelle les savants de cette date primitive) n’étaient aidées que de la force de leur esprit et de l’assiduité de leur travail… Je trouve, disait-il spirituellement, la même différence entre un savant d’alors et un savant d’aujourd’hui, qu’entre Christophe Colomb découvrant le Nouveau Monde et le maître d’un paquebot qui passe journellement de Calais à Douvres. […] Chapelain, le Chapelain tant moqué de Boileau, tant estimé de Huet, et qui était, somme toute, et sur bien des matières, un sensé et savant homme11, écrivait sérieusement à ce même Huet, à propos d’une ode et d’une épître latines de celui-ci : « C’est dommage que notre cour ne soit aussi fine dans la bonne latinité que celle d’Auguste, vous y tiendriez la place d’Horace, non seulement pour le génie lyrique, mais encore pour l’épistolaire !  […] Ce goût-là le peint aussi au moral dans l’ensemble de son humeur comme de son génie.

1786. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

Il joint à un coup d’œil lumineux et profond une vaste et solide érudition, aux vues d’un homme de génie l’enjouement et les agréments d’un homme qui ne cherche qu’à amuser et à plaire. […] Si Français qu’il fût et qu’il voulût être, il ne cessa jamais d’être Italien, d’être Napolitain, ce qu’il ne faut jamais oublier en le jugeant ; il avait le génie propre du cru, le facétieux, le plaisant, le goût de la parodie. […] Les deux contemporains avec qui il était le plus en intimité, le plus en rapport de cœur et d’intelligence, Grimm et Diderot l’ont jugé tout à fait avec admiration, avec enthousiasme, et ils parlent de lui comme d’un vrai génie.

1787. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame Necker. » pp. 240-263

En matière de goût, Mme Necker, peu sûre d’elle-même et ne jugeant que par réflexion, ainsi qu’il est ordinaire aux personnes qui ont passé leur jeunesse loin de Paris, crut, en y arrivant, qu’il n’y avait sur ce point qu’à prendre des leçons comme pour tout le reste : « Le seul avantage de ce pays, écrivait-elle après un an de séjour, est de former le goût, mais c’est aux dépens du génie ; on tourne une phrase en mille manières, on compare l’idée par tous ses rapports… » Et elle crut atteindre elle-même au goût en faisant subir à ses idées cette sorte d’épreuve et presque de tourment. […] Ainsi elle dira : « Vouloir contenir le génie dans les bornes du goût n’est pas une chose impossible. […] Aussi vive et aussi impétueuse que sa mère était contenue et prudente, s’agitant à tous les souffles du siècle, et possédée d’un génie qui allait s’aventurer dans bien des voies, elle étonnait, elle inquiétait cette mère si sage, et elle lui suggérait cette pensée involontaire : « Les enfants nous savent ordinairement peu de gré de nos sollicitudes : ce sont de jeunes branches qui s’impatientent contre la tige qui les enchaîne, sans penser qu’elles se flétriraient si elles en étaient détachées. » M. 

1788. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — II. (Suite.) Janvier 1830-mars 1831. » pp. 105-127

Là où il est sur son terrain, dans l’ordre de sa vocation, et véritablement maître, c’est quand, à propos du Manuscrit de 1814 du baron Fain (25 avril 1830), il parle des choses de la guerre, de l’art et du génie qui y président : Dans une belle opération de guerre, il y a une partie de savoir et de calcul qui n’est pénétrée que par quelques esprits ; mais il y en a une autre qui produit dans toutes les imaginations l’émotion du beau, et qui est toute en spectacle. C’est cette rapidité d’exécution, cette puissance, et pour ainsi dire cette inspiration de mouvement, qui partent de l’instinct supérieur à l’art et presque divin qu’on appelle génie. […] C’est par ce côté visible de son génie que Bonaparte, en tout ce qu’il a fait, s’est donné le peuple même pour juge… Il trouve particulièrement tous ces caractères de beauté soudaine et manifeste à la campagne de 1814.

1789. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — I. » pp. 389-410

Volney n’est pas un peintre, c’est un grand dessinateur ; dans ses descriptions de l’Égypte à laquelle il se montre sévère, il lui refuse absolument d’être pittoresque ; après l’avoir tant étudiée, il l’aime peu ; il l’exprime dans tous ses contours et dans sa réalité visible, sans en embrasser la grandeur profonde et sans en pénétrer peut-être le génie ; il n’a pas l’amour de son sujet. […] Quoique par la forme ce livre n’eût rien de séduisant, et qu’il rompît par le ton avec la mollesse des écrits en vogue sous Louis XVI, quoiqu’il ne fût pas possible, pour tout dire, de moins ressembler à Bernardin de Saint-Pierre que Volney, celui-ci trouvait, à certains égards, un public préparé : c’était l’heure où Laplace physicien, Lavoisier chimiste, Monge géomètre, et d’autres encore dans cet ordre supérieur, donnaient des témoignages de leur génie. […] Ou mieux, figurez-vous un traité de Condillac, de Tracy ou de Condorcet mis à l’orientale par un Génie qui n’en est pas un.

1790. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Histoire » pp. 179-240

Les siècles qui ont précédé notre siècle ne demandaient à l’historien que le personnage de l’homme, et le portrait de son génie. […] Elle l’embrassera dans son ensemble et dans ses détails, dans la généralité de son génie aussi bien que dans la particularité de ses manifestations. […] Ses traditions circulent, ses idées vivent, ses aspirations s’agitent, son génie lutte dans le monde contemporain.

1791. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Henri Heine »

L’ironie de Heine est assurément la partie la plus singulière et la plus saisissante de son génie. […] Dans ce point morbide de son organisation intellectuelle est la cause des disparates de son œuvre et de chacune de ses œuvres, la raison aussi pour laquelle ce sont les femmes et les jeunes gens qui sont le plus touchés par son génie, la cause de ses douleurs amoureuses si vite oubliées et si variables qu’on n’en connaît pas les objets, de ses gaietés subites, des hauts et des bas de son style, des sujets auxquels il s’est appliqué, de son originalité, qui se résume en l’alliage de tous les contraires. […] Par une décadence de ce genre, il est probable qu’en Henri Heine, le spéculatif, mort en 1856, était tout pareil au judaïsant de 1823, tandis que le poète, par un effet inverse du même principe de psychologie, conservait intact et vivace son génie, jusqu’aux portes du tombeau.

1792. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Loutherbourg » pp. 258-274

C’est de ce côté que les langues anciennes avaient un avantage infini sur les langues modernes ; c’était un instrument à mille cordes, sous les doigts du génie, et ces anciens savaient bien ce qu’ils disaient, lorsqu’au grand scandale de nos froids penseurs du jour, ils assuraient que l’homme vraiment éloquent s’occupait moins de la propriété rigoureuse que du lieu de l’expression. […] C’est un spectacle d’incidens divers qui n’impliquent aucune contradiction ; l’artiste est donc obligé d’y montrer d’autant plus de poésie, de verve, d’invention, de génie qu’il est moins gêné par les règles. […] Je préfère cette manière ; elle demande plus de fécondité, elle fournit plus au génie, tout se déploie et se fait valoir, c’est un instant d’une action générale, c’est un poëme, les trois unités y sont ; au lieu qu’à la manière de Loutherbourg, deux ou trois objets principaux, un ou deux énormes chevaux couvrent le reste.

1793. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre III. L’Âge moderne (1801-1875) » pp. 388-524

Et quand Chateaubriand n’aurait pas hérité de sa race et de son éducation son sentimentalisme religieux, c’est dans la même Profession de foi qu’il eût encore trouvé la thèse essentielle de son Génie du christianisme. […] Mais il n’en a pas moins fait tout ce que lui permettait son génie essentiellement lyrique pour devenir épique, impersonnel et objectif ; et il y a quelquefois réussi. […] Mais, sous l’action et dans le conflit apparent de tant d’influences du dehors, ceux qui ont craint que le génie français n’y perdît quelques-unes de ses qualités et la conscience même de son pouvoir, comment les ont-ils combattues ? […] En second lieu, ce qu’une littérature « sociale » a pour elle — dans le pays de George Sand et de Lamennais, de Voltaire et de Montesquieu, de Bossuet et de Racine, de Montaigne même et de Rabelais, — c’est d’être conforme à la tradition quatre ou cinq fois séculaire du génie français. […] Parigot, Le Théâtre d’hier, Paris, 1893, et Génie et métier, Paris, 1894.

1794. (1922) Gustave Flaubert

Ces groupes d’esprits forment des blocs indivisibles de génie. […] Il est remarquable que l’homme de talent ait eu sur l’homme de génie une influence incomparablement plus grande que l’homme de génie sur l’homme de talent. […] Il est douteux que Flaubert ait été passionné pour le génie littéraire de Louise Colet. […] « Le génie politique manquait à Carthage. […] Il fallait quelque chose de plus profond et de plus pathétique, un coup de génie divin plus inventif.

1795. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XX » pp. 84-86

de l’élément même qui la fit la première fois, du cœur et du sang de l’homme, des libres mouvements de l’âme qui ont remué ces pierres, et sous ces masses où l’autorité pèse impérieusement sur nous, je montrai quelque chose de plus ancien, de plus vivant, qui nia l’autorité même, je veux dire la liberté… » J'ai suivi la même marche, porté la même préoccupation des causes morales, du libre génie humain dans la littérature, dans le droit, dans toutes les formes de l’activité.

1796. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Angellier, Auguste (1848-1911) »

Angellier, qui s’est tout particulièrement imprégné du génie de nos voisins, une fraîche et mouvante campagne britannique, une de celles qu’emplit le clair de lune du Songe d’une nuit d’été, une de celles qui chantent dans les poètes pénétrants et subtils dont la voix nous arrive d’outre-mer.

1797. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre premier. La question de fait et la question de goût » pp. 30-31

Voltaire, suivant Gœthe, a été un génie multiple pour lequel il déroule une longue litanie d’éloges ; suivant Joseph de Maistre, ce fut un petit esprit et un grand corrupteur, auquel il consent qu’on élève une statue, à condition que ce soit par la main du bourreau.

1798. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 163-165

d’Arnaud, des teintes un peu lugubres, & une abondance d’accessoires dont le génie sut toujours se passer.

1799. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 241-244

Jusqu’à ce qu’il s’éleve parmi nous un Génie vraiment comique, qui guérisse Thalie de ses vapeurs, & lui rende sa premiere gaieté.

1800. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 150-153

Les Génies les plus distingués peuvent-ils se croire irréprochables ?

1801. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « MÉLEAGRE. » pp. 407-444

Si, par quelques traits profonds, naturels, par quelques élancements de passion, ces deux grandes poésies se peuvent rapprocher comme dans un éclair, elles sont séparées par toutes les différences de race, de civilisation, par un abîme : elles n’ont pu être violemment rapprochées et confondues que par des esprits inexpérimentés et sans goût, qui n’avaient pénétré le génie de l’une ni de l’autre. […] Il est arrivé ainsi, au grand regret et déplaisir déjà de Fénelon en son temps, que la langue française poétique s’est vue graduellement appauvrir, dessécher et gêner à l’excès, qu’elle n’a jamais osé procéder que suivant la méthode la plus scrupuleuse et la plus uniforme de la grammaire 118, que tout ce qui est droit, licence et gaieté concédée aux autres poésies, a été interdit à la nôtre, et qu’on n’a fait presque nul usage, en cette voie, des conformités naturelles premières qu’on se trouvait avoir par un singulier bonheur avec la plus belle et la plus riche des langues, conformités que, deux siècles et demi après Henri Estienne, Joseph de Maistre retrouvait, proclamait hautement à son tour119, et qui tiennent en bien des points à la conformité même du caractère et du génie social des deux nations. […] les petites mauves, lorsqu’elles ont comme péri dans le jardin, et le vert persil, et le frais fenouil tout velu, revivent par la suite et repoussent à l’autre année ; mais nous autres hommes, les grands, les puissants ou les génies, une fois que nous sommes morts, insensibles dans le creux de la terre, nous dormons à jamais le long, l’interminable, l’inéveillable sommeil. » — Ce passage fait souvenir de l’ode d’Horace : Diffugere nives, dans laquelle le poëte exprime la mobilité des saisons, le printemps qui renaît et qui sollicite à jouir de l’heure rapide, car l’hiver n’est jamais loin : « Mais, ajoute-t-il en s’attristant également de la supériorité de la nature sur l’homme, les lunes légères ne tardent guère à réparer leurs pertes dans le ciel, tandis que nous, une fois descendus là où l’on rejoint le pieux Énée, le puissant Tullus et Ancus, nous ne sommes que poussière et ombre. » La pensée d’Horace est belle, elle est philosophique et d’une mélancolie réfléchie ; mais je ne sais quoi de plus vif et de plus pénétrant respire dans la plainte de Moschus. […] On y sent respirer à chaque mot ce quelque chose de vif, de court, d’imprévu, qui est proprement le génie de l’épigramme.

1802. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Charles Labitte »

La poésie est proprement le génie de la jeunesse ; la critique est le produit de l’âge mûr. […] Si de nos jours, à propos d’un autre pamphlet royaliste bien différent, qui n’exprimait que l’étincelante colère et les représailles d’un écrivain de génie, un moment homme de parti avant d’être l’homme de la France, — si Louis XVIII pourtant a pu dire de la brochure intitulée De Buonaparte et des Bourbons, apparue sur la fin de mars 1814, qu’ elle lui avait valu une armée , Henri IV n’aurait-il pas pu dire plus justement la même chose de sa bonne Satyre nationale ? […] Le génie romain en particulier, grave et sobre, était bien propre, par son commerce, à perfectionner cette heureuse nature, à l’affermir et à la contenir, à lui communiquer quelque chose de sa trempe, et à lui imprimer de sa discipline. […] Il voyait dans le poète romain, non pas un aride représentant de l’épicuréisme, mais une victime superbe de l’anxiété : « Fièvre du génie, disait-il, désordonnée, mais géométrique ; ne vous y fiez pas : sous ces lignes sévères, il y a du trouble. » Il disait encore : « C’est le dernier cri de la poésie du passé.

1803. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

Au temps de La Fontaine, il n’y avait je crois, qu’une ressource, le génie pour la frayer. […] Il a élevé le vol à la dignité du génie, et ses ruses sont si heureuses, qu’elles arrachent un sourire de complaisance au grave Buffon. Tant d’esprit et de courage, une si bonne tournure et une physionomie si expressive, ce génie inventif et ces inclinations de gourmet, le destinaient à vivre aux dépens d’autrui, à se cantonner dans le pays des riches aubaines, la cour, et à venir puiser le plus près possible à la source des grâces. […] Et remarquez que, pour abréger ainsi tout un animal, il faut autant de génie que pour le décrire tout au long.

1804. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (4e partie) » pp. 1-63

Leur Égérie est flattée, cela est vrai ; j’ai glissé sur le mélange d’intrigue et d’emphase qui composait le génie à la fois féminin et romain de cette femme. […] De là la haine du génie contre la puissance. Le génie rêve un ordre de choses où les rangs seraient assignés par la nature et la vertu. […] Il prit le crime pour du génie.

1805. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (1re partie). Littérature scientifique » pp. 221-288

Le groupe des îles Canaries était devenu pour lui un livre instructif d’une richesse infinie, dont la variété, quoique dans un cercle étroit, devait conduire un génie comme celui de Humboldt à l’intelligence de choses plus étendues, plus générales. […] La naissance de l’auteur, sa richesse, ses relations de famille avec les principaux représentants des différentes branches de la science dans les pays de l’ancien continent, et un certain appareil scientifique propre à appuyer auprès du vulgaire les pompes fastueuses de son style pour simuler le génie absent, en faisaient et en font encore tout le mérite. Nous avons plusieurs fois essayé de lire ce voyage tant vanté, sans pouvoir y découvrir autre chose que des prétentions pénibles : l’effort d’un savant réel pour atteindre le génie, et la volonté constante, infatigable, acharnée, de mériter, à force de flatteries, des flatteurs. […] Mais, à propos de Humboldt, toutes les manifestations extérieures sont ce dont on s’occupe le moins, car l’éclat de son génie et de sa renommée surpasse celui de toutes les décorations, que l’on ne voit que très rarement briller sur sa poitrine.

1806. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

Bramante, Raphaël, Michel-Ange, les plus grands artistes furent prodigués aux plus grands pontifes pour concevoir et gouverner la construction de ce prodige de la puissance, de la richesse et du génie. […] Tous les pas que vous faites en parcourant l’enceinte démesurée sont marqués par le nom d’un homme de génie que les siècles ont conservé comme une relique. […] De plus grands hommes dans tous les arts ne sont pas nés et ne renaîtront jamais : architectes, artistes, pontifes, poètes, tailleurs de marbre, peintres, sculpteurs, mosaïstes, ont été réunis en faisceau de foi, de puissance, de conception, de richesse, de génie, de volonté, d’inspiration, d’enthousiasme pour enfanter ce miracle ! […] Et enfin le génie humain de toutes les époques se couronnait lui-même en face de l’Éternel, et, son diadème sur le front, disait à la religion et au pouvoir politique : « Tu n’iras pas plus loin ! 

1807. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

Baudelaire qui, de génie, semble le frère puîné de son cher Edgar Poe, avait déjà éparpillé, çà et là, quelques-unes des poésies qu’il réunit et qu’il publie. […] Elle n’a pas le merveilleux épique qui enlève si haut l’imagination et calme ses terreurs dans la sérénité dont les génies, tout à fait exceptionnels, savent revêtir leurs œuvres les plus passionnées. […] Il est le misanthrope de la vie coupable, et souvent on s’imagine, en le lisant, que si Timon d’Athènes avait eu le génie d’Archiloque, il aurait pu écrire ainsi sur la nature humaine et l’insulter en la racontant ! […] Quel profit Voltaire, eût-il eu tout le génie poétique qui lui manquait, pouvait-il attendre de sa Henriade alors que les mémoires sur la Ligue étaient déjà dans toutes les mains ?

1808. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

Oui, c’est un très bel éloge de Descartes, et c’est le geste d’un avocat qui rend hommage, tout d’abord, à celui qui le contredit, et qui lui fait honneur de son talent et de son génie. […] D’autre part, et pour descendre un peu plus bas, il a été admiré par des hommes de génie, c’est-à-dire par La Rochefoucauld, par Fénelon, par La Bruyère… et par Boileau. […] Vous savez que les gens de génie ont quelquefois le flair critique, encore que ce soit assez rare. […] Il a eu un talent supérieur dans tous les genres, excepté dans la tragédie, abandonnée du reste si vite par lui ; et il a eu du génie dans les genres qui sont le conte et la fable.

1809. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Poésies complètes de Théodore de Banville » pp. 69-85

Ils évoquaient les génies et les sylphes, les fantômes et les gnomes ; ils refaisaient présent le Moyen Âge, — notre Moyen Âge mythologique et fabuleux. […] Il paraît généralement accordé aujourd’hui que l’école moderne a étendu ou renouvelé la poésie dans les divers modes et genres de l’inspiration libre et personnelle ; et, quelque belle part qu’on fasse en cela au génie instinctif de M. de Lamartine, il en reste une très grande aux maîtres plus réfléchis, qui ont donné l’exemple multiplié des formes, des rythmes, des images, de la couleur et du relief, et qui ont su transmettre à d’autres quelque chose de cette science.

1810. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Appendice. »

Que manquait-il donc à ce brillant esprit, à cet esprit de haut vol, si plein de vues et même d’éclairs de bon sens sur toutes choses, pour être un vrai génie et pour mériter d’être salué de ce nom ? […] Ainsi, dans la note qui est à la page 123 du tome VIII, et dans laquelle je remarquais que depuis quelque temps on en est venu en littérature à faire de l’exagération une vertu et à instituer une théorie en l’honneur des génies outrés, une des phrases doit être rectifiée comme il suit : « C’était aussi la théorie déclarée de Balzac, qui n’admettait pas que Pascal pût demander à l’âme des grands hommes l’équilibre et l’entre-deux entre deux vertus ou qualités extrêmes et contraires.

1811. (1892) Boileau « Chapitre III. La critique de Boileau. La polémique des « Satires » » pp. 73-88

C’est ce que fit Boileau, quand, en 1683, ayant en somme gagné le fond du procès, il accorda de bonne grâce à Chapelain d’avoir fait « une assez belle ode » ; à Quinault, beaucoup d’esprit et d’agrément ; à Saint-Amant, à Brébeuf, à Scudéry, du génie. Et en 1701, le privilège du génie est étendu à Cotin même : c’est plus cette fois que nous ne demandons.

1812. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Banville, Théodore de (1823-1891) »

Camille Mauclair Le génie féerique et fantaisiste de ce prince de lettres a de secrètes affinités avec celui de Villiers, le dédain paradoxal du réel et de l’utile les faisait fraternels, et l’on reviendra un jour sur cette parité de deux grands esprits. […] L’art poétique, universel, idéal, qu’il grava sur les tables de marbre de son temple à Théophile Gautier, peut être considéré comme une manifestation essentielle du génie de Banville.

1813. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre IV. Cause immédiate d’une œuvre littéraire. L’auteur. Moyens de le connaître » pp. 57-67

Pourtant, fût-on à même de dire avec une certitude parfaite à quelle mystérieuse combinaison de libres nerveuses celui-ci doit d’avoir été plutôt que celui-là doué du génie créateur ; est-on en état de déclarer à coup sûr : cet homme a eu telles aptitudes, parce que telle était la conformation ou la composition chimique de son cerveau ; ce serait sans doute une conquête inappréciable pour le psychologue, mais j’ose soutenir que l’historien n’en serait guère plus avancé. […] Supposez, en effet, qu’en présence d’une tragédie de Racine on se borne à dire pour toute explication : — Le génie du poète, telle est la cause unique des caractères qui distinguent son ouvrage.

1814. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — IV »

La vie se montre le support et le moyen indispensable de la connaissance, son intensité détermine strictement l’horizon de la connaissance future : on a déjà précédemment touché la même conclusion en montrant le Génie de l’Espèce serviteur et moyeu du Génie do la Connaissance.

1815. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre IV. Suite du parallèle de la Bible et d’Homère. — Exemples. »

Quand Démodocus recommençait ses chants, et que les anciens l’excitaient à continuer (car ils étaient charmés de ses paroles), Ulysse s’enveloppait la tête de nouveau, et recommençait à pleurer. » Ce sont des beautés de cette nature qui, de siècle en siècle, ont assuré à Homère la première place entre les plus grands génies. […] » Elle dit : et comme, lorsque le violent zéphyr amène une pluie tiède du côté de l’occident, les laboureurs préparent le froment et l’orge, et font des corbeilles de jonc très proprement entrelacées, car ils prévoient que cette ondée va amollir la glèbe, et la rendre propre à recevoir les dons précieux de Cérès, ainsi les paroles de Ruth, comme une pluie féconde, attendrirent le cœur de Noëmi. » Autant que nos faibles talents nous ont permis d’imiter Homère, voilà peut-être l’ombre du style de cet immortel génie.

1816. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 35, de l’idée que ceux qui n’entendent point les écrits des anciens dans les originaux, s’en doivent former » pp. 512-533

Voilà un grand déchet quand même, ce qui n’arrive gueres, le traducteur auroit autant d’esprit et de génie que l’auteur qu’il traduit. […] Ils se laissent abbatre enfin au génie de notre langue, et ils se soumettent à la destinée des traductions après avoir lutté contre durant un temps.

1817. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Léon XIII et le Vatican »

Seulement, la malheureuse renie maintenant son origine et son génie, et Louis Teste n’écrit pas une ligne sans les lui rappeler. […] Il est un coup de baguette miraculeux qu’une grande situation frappe sur les hommes et qui éveille le genre de génie qu’il faut pour cette situation même, et ce coup de baguette doit être encore plus puissant sur les papes que sur les autres hommes, puisque, dans l’opinion catholique, leur situation est plus qu’humaine.

1818. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’architecture nouvelle »

Nourri du dix-septième siècle français, cet âge de froide étiquette et de servilisme intellectuel, Voltaire et son temps, au nom de Corneille, excommunient Shakespeare, qui écrase cependant le tragique français de toute la souveraineté de son génie. […] Qu’on ne s’y méprenne pas : je n’ai nullement, l’intention de prouver par là que le génie progresse de siècle en siècle, car ce serait une étrange et absurde erreur, le grand art étant, comme l’a défini l’auteur de William Shakespeare, « la région des Égaux ».

1819. (1908) Jean Racine pp. 1-325

Vauvenargues l’appelle : « le plus beau génie que la France ait eu ». […] Racine est le « classique » par excellence, si cette expression de « classique » emporte ensemble l’idée de la perfection et celle d’une fusion intime du génie français avec le génie de l’antiquité grecque et de la romaine, nos deux saintes nourrices. […] Il paraît même que, dans ses campagnes des Gaules, il a eu plus de chance encore que de génie stratégique. […] Les Plaideurs, que Racine avait destinés d’abord au Théâtre-Italien, ne sont qu’un amusement, oui, mais d’un génie charmant, et au moment où ce génie était dans toute l’ivresse de sa jeune force. […] Il avait la gloire ; il était dans toute la force de son génie.

1820. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

C’est là un lieu commun, auquel le ferme génie de M.  […] Ce n’est point nécessairement une marque de génie ni même de grand talent que d’inventer une forme d’art. […] Il y a de doux jeunes gens qui ont du génie. […] Tous les personnages y ont du génie, jusqu’aux femmes de chambre et aux notaires. […] Elle pourra avoir du talent, à la condition de ne pas se croire déjà du génie.

1821. (1907) Propos littéraires. Quatrième série

Je ne vois ni le génie de Jules Ferry à trouver des choses de cette force, ni sa supériorité sur Gambetta, consistant à les trouver. […] J’ai souvent marqué quelque défiance — les droits du génie étant toujours réservés ; car le génie se moque des règles, c’est-à-dire des conditions ordinaires de l’art — à l’égard du « théâtre d’idées ». […] Et je dis de plus que c’est précisément celui qui s’y soustrait qui a du génie et qu’on a d’autant plus de génie qu’on est capable et s’y soustraire, si même l’essence, au moins, du génie n’est pas précisément la capacité d’y échapper. […] Son génie ne s’explique pas du tout par cela ; mais le choix de ses sujets s’explique un peu par cela. […] Et c’est très bien, sans doute : mais il y a la différence du talent au génie, et rien ne montre mieux qu’il y a plus loin de zéro à un que de un à cent, et que le talent à côté du génie, c’est un pur rien à côté de quelque chose.

1822. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Wagner, après Beethoven, l’exerça dans la maîtrise de son fort génie. […] Plus tard, un non moindre génie, Pierre-Paul Rubens, créa les plus intenses symphonies de la couleur. […] Par l’admirable génie de Platon ils l’obtinrent ; et nous avons gardé l’éblouissement de cet art divin. […] Edgar Poe, malgré son incontestable génie, avait été un Américain et un bourgeois. […] Car il est absurde de considérer le génie comme quelque perfection supérieure, et de classer les œuvres en œuvres de talent et œuvres de génie comme les professeurs graduent les devoirs de leurs élèves sous les mentions : passable, assez bien et très bien.

1823. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « IX » pp. 33-36

Le hasard du génie y pourvoira… Un bel âge littéraire complet, ou du moins une vraie gloire de poëte du premier ordre, serait un bonheur et un coup de fortune pour tous ceux de valeur qui l’auraient précédé.

1824. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « a propos de casanova de seingalt  » pp. 510-511

Or, l’homme habile, à expédients, le génie à métamorphoses, le Mercure politique, financier ou galant, l’aventurier en un mot, ne dit jamais non aux choses ; il s’y accommode, il les prend de biais, il a l’air parfois de les dominer, et elles le portent parce qu’il s’y livre et qu’il les suit ; elles le mènent où elles peuvent ; pourvu qu’il s’en tire et qu’il en tire parti, que lui importe le but ?

1825. (1875) Premiers lundis. Tome III « Senac de Meilhan »

M. de Meilhan paraît craindre que l’imprimerie et tout ce qu’elle amène avec elle sous un régime d’entière publicité et de liberté ne serve bien moins à favoriser le génie et les grandes œuvres qu’à exciter le goût de la malignité, de la raillerie, de la chronique satirique, à propager les productions du genre de celles dont il était déjà témoin en 1790, à cette seconde année de la Révolution.

1826. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Ackermann, Louise (1813-1890) »

Elle appartient à cette école des grands désespérés, Chateaubriand, lord Byron, Shelley, Leopardi, à ces génies éternellement tristes et souffrant du mal de vivre qui ont pris pour inspiratrice la mélancolie.

1827. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hugues, Clovis (1851-1907) »

Il est bien probable que si Corneille revenait au monde, il aurait le même génie, et que, tout de même, il ferait ses drames autrement.

1828. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 358-361

La Lecture des Saints Peres avoit enrichi son esprit de cette abondance de preuves qu’il développe avec supériorité, & auxquelles son génie ajoute une nouvelle force, qui les met dans un jour nouveau, & plus frappant que dans leur source même.

1829. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 2-5

Tout est peint avec un feu, un génie & une fraîcheur d’expression qui étonnent.

1830. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — J. — article » pp. 540-543

Bossuet, qu’ils avoient une façon de penser toute philosophique, & que s’ils étoient nés à Londres, ils auroient donné l’essor à leur génie, & déployé leurs principes, que personne n’a bien connus, s’il n’avoit voulu grossir la Liste philosophique de deux noms, qui en seront toujours le fléau ?

1831. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 451-455

Tous ses Ouvrages, en effet, respirent une délicatesse & une naïveté qui le rapprochent beaucoup du génie de notre Esope François.

1832. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 555-559

Tous ces divers caracteres se trouvent éminemment réunis dans celui des Ouvrages de cet Auteur, qui annonce le plus de génie & le moins de sagesse.

1833. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre V. Suite du Père. — Lusignan. »

À la vérité, les deux scènes ne se peuvent comparer, ni pour la composition, ni pour la force du dessin, ni pour la beauté de la poésie ; mais le triomphe du christianisme n’en sera que plus grand, puisque lui seul, par le charme de ses souvenirs, peut lutter contre tout le génie d’Homère.

1834. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre IX. Du vague des passions. »

Ici se trouvait l’épisode de René, formant le quatrième livre de la seconde partie du Génie du Christianisme.

1835. (1767) Salon de 1767 « Dessin. Gravure — Cochin » p. 332

Il faudrait un génie rare, un talent extraordinaire, une force d’expression peu commune, une grande manière de traiter de plats vêtemens, pour conserver aux actions de la dignité.

1836. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIe entretien. Ossian fils de Fingal, (suite) »

XII Malvina, veuve d’Oscar, fils d’Ossian, reste auprès de son beau-père ; elle y gémit… Elle y chante parfois ses peines ; voici un de ses poëmes ; elle y réveille le génie engourdi d’Ossian. […] Les hommes qui croient que l’esprit de déception et de supercherie est capable de ces prodiges sont dans l’erreur, ils méconnaissent la portée du génie humain ; les vraies beautés d’Ossian sont dans les mœurs plus que dans l’intelligence. […] Enfin, est-il prouvé que cette découverte authentique ait trompé pendant un siècle entier l’Écosse, l’Irlande, l’Angleterre et le monde, pour accréditer une supercherie sans fondement, et que les chants véritablement magnifiques du barde Ossian n’aient pas fait une révolution dans l’univers lettré et n’aient point passionné le monde autant que les premières œuvres épiques et poétiques des plus grands génies antiques ou modernes l’aient jamais fait ? […] que le feu de mon génie brille à ta place. […] Je ne récuse donc pas le génie d’imagination du premier Napoléon en matière de goût poétique.

1837. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

Pour un homme de génie ou de talent : se montrer, c’est se diminuer. […] les mots du peuple, l’homme, même de génie, ne les trouvera jamais. […] * * * — La politesse est à la fois la fille de la grâce française et du génie jésuite. […] Elle s’est élevée contre les grands exemples de domination de ces femmes, honorées de la fréquentation des philosophes, des hommes de lettres ; des savants, des penseurs, contre la puissance de ces fillasses n’ayant point pour excuse un art, un talent, un nom, le génie d’une Rachel, et chez qui les plus purs vont manger les truffes de la courtisane. […] j’espère, tu as fait sur Ponsard un article… C’est un homme de génie maintenant.

1838. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre III. Le roman » pp. 135-201

Nulle œuvre ne saurait mieux exalter notre patriotisme : car c’est une des formes les plus belles du génie français que cet instinct colonisateur qui fut toujours chez nous une qualité non seulement essentielle, mais primordiale. […] L’œuvre colonisatrice ne devient-elle pas admirable lorsqu’elle s’efforce à faire pénétrer le génie français dans les pays indigènes ? Ce génie, le plus large et le plus complexe, n’est-il pas le plus adaptable ? […] Caruchet, dont l’Ensemencée prouvait une observation aiguë et nerveuse, de Mme Danielle d’Athez qui écrivit d’aimables romans, que de femmes oubliées au cours de cette étude qui ont peut-être du talent et certainement du génie. […] « J’ai beaucoup réfléchi sur le Beau et j’ai cru pouvoir conclure que toute beauté se codifie sous la forme d’un rythme : nous avons du génie si nous avons, à quelque moment, créé un rythme, en art, en littérature, en morale, en tout. — Et si ce rythme est en harmonie avec le rythme des mondes qui s’évitent, c’est-à-dire avec l’ordre éternel.

1839. (1898) Impressions de théâtre. Dixième série

Mais alors c’est dans l’Orient que son génie eût rayonné et que son influence se fût exercée, et plus profondément et plus durablement que par la rapide promenade d’Alexandre. […] Car c’est entre dix-huit et vingt-cinq ans qu’il eut du génie : c’est donc là qu’il le faut considérer et c’est là qu’il vous emplit de stupeur. […] Je ne sais plus qui écrivit naguère je ne sais plus où que « Wagner, Tolstoï, Ibsen, voilà les trois génies du siècle ». […] Ce n’est pas nécessairement un signe de génie que d’écrire une pièce qui soit une date, grande ou petite. […] Et comme il est facile d’être juste envers un génie si peu encombrant !

1840. (1895) La vie et les livres. Deuxième série pp. -364

En somme, ce règne où l’on s’amuse « est la part du sourire dans le grand opéra sombre qu’a créé le génie hébreu. […] Il le remaniait sans cesse, avec cette conscience et ce scrupule, qui étaient les vertus de son génie. […] Prudhomme ou le génie de Napoléon, a qu’il cherche avant tout, ce qu’il veut trouver et vérifier, c’est la loi des créations humaines. […] « Le génie d’un homme ressemble à une horloge : il a sa structure, et, parmi toutes ses pièces, un grand ressort. […] Le génie n’est qu’une réussite très belle et très rare, qui résulte du concours de certaines conditions.

1841. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Malherbe »

Tout cela semble promettre une suite ; on pouvait croire que cette poésie encore bien humble, bien peu élevée, qui avait rompu avec les sources supérieures et avec la forte sève historique du Moyen Âge, qui n’en avait recueilli, pour aucune part, le génie héroïque et sévère, allait grandir, se fortifier de nouveau, produire enfin des œuvres plus généreuses, sans pourtant se priver des avantages acquis et de ses heureuses qualités secondaires. […] C’est que je voudrais qu’à tous ses mérites intrinsèques reposés et refroidis, elle joignît celui de s’appliquer à une nation, à une société, de la saisir à l’instant, à l’endroit qui l’intéresse, de prendre et de mordre sur elle, d’avoir le tact délicat, le génie de l’occasion, et de s’en servir ; en un mot, je voudrais qu’elle se sentît vivre, ne fût-ce qu’en naissant. […] Un écrivain normand qui, bien que d’une très moderne école, sait rendre à Malherbe ce qu’on lui doit, a très bien dit de lui : « Malherbe fut d’un génie qui sentait vraiment cette noblesse dont il tirait vanité si grande. […] On y verrait l’action heureuse, salutaire, d’un seul homme qui est un vrai maître, le pouvoir et le bienfait d’une juste et ferme discipline venue à temps, et ce que des talents distingués, mais secondaires, des génies faciles, mais négligents, gagnent à être mis dans une bonne voie, à y faire les premiers pas sous un œil vigilant et avec un guide sûr. […] Il faudrait : au Génie de la France ; le mot Démon, pris en bonne part et opposé à des âmes d’Enfer, à des Démons pris dans le sens ordinaire, fait une légère confusion.

1842. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Tout ce qui a vécu d’une vie sociale un peu compliquée à son esprit à soi, son génie léger, qui disparaît avec les groupes qu’il anime. […] Chaque fois qu’un génie favorisé trouve ainsi à point une de ces inspirations fécondes qui doivent pénétrer et remuer une époque, il arrive d’ordinaire, qu’au début plus d’un esprit distingué se reconnaît en lui, et s’écrie, et le salue aussitôt comme un frère aîné qui ouvre à ses puînés l’héritage. Ce génie heureux ne fait qu’achever le premier et devancer avec éclat ce que plusieurs autres cherchaient tout bas et soupçonnaient à leur manière. […] Cette explication que je crois vraie, si elle intéresse jusqu’à un certain point les admirateurs dans la gloire du poète admiré, n’ôte pourtant rien, ce me semble, à la beauté du sentiment, et elle ramène le génie humain à ce qu’il devrait être toujours, à une condition de fraternité généreuse et de partage. […] Quelle plus fine et plus piquante raillerie que celle qu’il fait de ces honnêtes bourgeois de la république des lettres, gens à idées rangées, bornés d’ambition et de désirs, satisfaits du fonds acquis, et trouvant d’avance téméraire qu’on prétende y rien ajouter : « Ce sont, dit-il en demandant pardon de l’expression, des esprits retirés, qui ne produisent et n’acquièrent plus ; mais ils ont cela de remarquable qu’ils ne peuvent souffrir que d’autres fassent fortune. » Relevant le besoin de nouveauté qui partout se faisait sourdement sentir, et qui s’annonçait par le dégoût du factice et du commun, ces deux grands défauts de notre scène  : « Qu’il paraisse, s’écriait-il, une imagination indépendante et féconde, dont la puissance corresponde à ce besoin et qui trouve en elle-même les moyens de le satisfaire, et les obstacles, les opinions, les habitudes ne pourront l’arrêter. » Bien des années se sont écoulées depuis, non pas sans toutes sortes de tentatives, et le génie, le génie complet, évoqué par la critique, n’a point répondu : de guerre lasse, un jour de loisir, M. de Rémusat s’est mis, vers 1836, à faire un drame d’Abélard, qui, lorsqu’il sera publié (car il le sera, nous l’espérons bien), paraîtra probablement ce que la tentative moderne, à la lecture, aura produit de plus considérable, de plus vrai et de plus attachant.

1843. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIIe entretien. Cicéron (2e partie) » pp. 161-256

IV Celle de Cicéron était répandue dans tout l’univers romain et décimée par tout le monde, en sorte que ce n’est pas seulement le génie qu’il faut admirer dans Cicéron, c’est la volonté. […] « Tant que la vie de Crassus avait été occupée dans les travaux du forum, il était distingué par les services qu’il rendait aux particuliers et par la supériorité de son génie, et non pas encore par les avantages et les honneurs attachés aux grandes places ; et l’année qui suivit son consulat, lorsque, d’un consentement universel, il allait jouir du premier crédit dans le gouvernement de l’État, la mort lui ravit tout à coup le fruit du passé et l’espérance de l’avenir ! […] Le génie et le civisme éclatent sous l’enseignement du maître de paroles. […] Il me semble que je le vois (car ses traits me sont bien connus) ; il me semble même que sa chaire, demeurée pour ainsi dire veuve d’un si grand génie, regrette à toute heure de ne plus l’entendre. […] « Aristote, ce rare génie qui savait tout, jaloux de la gloire de l’orateur Isocrate, entreprit, à son exemple, d’enseigner l’art de la parole, et voulut allier la philosophie à l’éloquence.

1844. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

Des autres formes du génie on en dirait d’ailleurs autant : toutes sont également rares. […] Un professeur médiocre, par l’enseignement machinal d’une science que créèrent des hommes de génie, éveillera chez tel de ses élèves la vocation qu’il n’a pas eue lui-même, et le convertira inconsciemment en émule de ces grands hommes, invisibles et présents dans le message qu’il transmet. […] La grande majorité des hommes pourra rester à peu près étrangère aux mathématiques, par exemple, tout en saluant le génie d’un Descartes ou d’un Newton. […] Il ne faut donc pas s’étonner si des troubles nerveux accompagnent parfois le mysticisme ; on en rencontre aussi bien dans d’autres formes du génie, notamment chez des musiciens. […] Les grands mystiques, qui sont les seuls dont nous nous occupions, ont généralement été des hommes ou des femmes d’action, d’un bon sens supérieur : peu importe qu’ils aient eu pour imitateurs des déséquilibrés, ou que tel d’entre eux se soit ressenti, à certains moments, d’une tension extrême et prolongée de l’intelligence et de la volonté ; beaucoup d’hommes de génie ont été dans le même cas.

1845. (1882) Essais de critique et d’histoire (4e éd.)

Nulle philosophie n’est plus conforme à son génie. […] Le colibri, l’oiseau-mouche, sont la vivante image de son génie. […] Les beautés les rachètent, et sans eux elles ne seraient pas ; sa passion fait son génie. […] Il nous semblait voir les grands portraits de Versailles descendre de leurs cadres, avec l’air de génie qu’ils ont reçu du génie des peintres. […] Chaque peuple a son génie distinct ; c’est pourquoi chaque peuple a son histoire distincte.

1846. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Autran, Joseph (1813-1877) »

Ponsard, de la vogue de Mademoiselle Rachel, de cette vieille route longtemps abandonnée, qui semblait tout à coup se rouvrir, et dont le poteau indicateur était glorieusement relevé par un poète de talent et une actrice de génie, il m’avoua qu’il venait d’écrire, sous cette impression nouvelle, une tragédie, moins que cela, une étude empruntée à un autre temps et à un autre ordre d’idées que Lucrèce, mais également inspirée par ce retour aux sources antiques, un moment taries ou troublées sous le souffle du romantisme.

1847. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Pioch, Georges (1874-1953) »

C’est le Génie qui se fait Verbe, et dans son vers l’on sent une force d’airain, l’on sent le glaive qu’accompagne une lyre d’or, son flamboiement qui s’écarlate, qui devient rouge de sang, rouge de Vie, et le poète passe, la tête altière, la gloire dans les yeux, splendide, à la conquête des Paradis futurs où viendront se rafraîchir de pureté et se baigner de beauté les souffrants, les esclaves, ceux qui demain seront les Hommes !

1848. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 234-238

On conviendra volontiers qu’en se garantissant du Pyrrhonisme qu’il affecte & veut établir sur toutes les questions, il auroit pu passer pour un Génie rare, & se rendre très-utile dans le développement des connoissances humaines.

1849. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 104-107

Nous lui dirons encore qu’il est essentiel à un Génie, comme le sien, de ne pas employer les mensonges, les injures, les traits de mauvaise foi ; d’éviter les tudieu !

1850. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 121-125

Il n’a pas fait attention que chaque Langue a son génie particulier, ses tours, ses licences, & que prétendre les faire passer littéralement dans une autre Langue, c’est dénaturer également & l’Original & la Langue dans laquelle on traduit.

1851. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 285-289

Ce n’est pas à son génie, ni à son esprit qui étoit médiocre, qu’il doit sa réputation : quelques Ouvrages utiles sur la Langue Françoise, ses querelles avec des Gens de Lettres de toutes les classes, ont donné à son nom la célébrité dont il jouit encore.

1852. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 236-239

Son enthousiasme, dont la vivacité se communiquoit à toute sa personne, annonçoit en lui le vrai génie de la Poésie.

1853. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre II. De l’Allégorie. »

Mais, au reste, cette sorte de petite allégorie matérielle, quoiqu’un peu moins mauvaise que la grande allégorie physique, est toujours d’un genre médiocre, froid et incomplet ; elle ressemble tout au plus aux Fées des Arabes, et aux Génies des Orientaux.

1854. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Pierre » pp. 200-201

Ils ne vous donneront pas le génie, parce qu’on l’apporte en naissant ; mais ils vous remueront, ils élèveront votre esprit, ils dégourdiront un peu votre imagination ; vous y trouverez des idées et vous vous en servirez.

1855. (1763) Salon de 1763 « Sculptures et gravures — Falconet » pp. 250-251

Toute belle que soit la figure du Pigmalion, on pouvait la trouver avec du talent ; mais on n’imagine point la tête de la statue sans génie.

1856. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

Pour nous, nous n’essayerons pas de le mêler plus qu’il ne convient à ces querelles, qu’il surmonte de toute la hauteur de sa venue précoce et de son génie. […] La double position (outre le génie) était nécessaire. […] Il est donné au génie de beaucoup prévoir et deviner ; rien toutefois n’est tel que de voir et d’observer en même temps. […] Nourri de l’antiquité, abreuvé à ses hautes sources et à ses sacrés réservoirs, il comprend la force et nous révèle le génie inhérent des législateurs primitifs, des Lycurgue, des Pythagore. […] Mais attendez que l’AFFINITÉ NATURELLE DE LA RELIGION ET DE LA SCIENCE les réunisse dans la tête d’un seul homme de génie.

1857. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre III. La Déformation de l’Idéal classique (1720-1801) » pp. 278-387

Et l’Esprit des lois n’en demeure pas moins un livre manqué ; mais on ne le trouve plus indigne de sa haute fortune ; on comprend que l’influence en ait passé le mérite ; et on se l’explique en considérant que le génie de Montesquieu a sans doute été supérieur à son œuvre. […] Si elles n’ont pas vu plus clair que Diderot dans la confusion de son propre génie, et si surtout elles n’ont pas mesuré la portée de la doctrine dont elles se faisaient les zélatrices, elles ne leur ont pas moins donné la consécration du monde et de la mode. […] Lettre sur les spectacles et rapprochez Nouvelle Héloïse, partie II, lettres 14, 17, 21], Ou, en d’autres termes, dites-nous combien votre art, en exigeant de vous des concessions que votre nature lui eût certainement refusées, a rabaissé votre génie. […] Comme Ronsard, il a cru que toute beauté, toute perfection était « enclose » dans les chefs-d’œuvre des anciens, et par suite, comme Ronsard, il a donc cru que toute invention, tout génie même ne consistait qu’à vêtir sa pensée de ces formes immortelles. […] C’est à peu près ainsi que le génie des grands maîtres de la peinture italienne n’avait pu préserver leur art d’aboutir à la rhétorique des Carrache, et, dans un monde tout nouveau, le naturalisme hollandais de succéder à leur humanisme.

1858. (1891) Lettres de Marie Bashkirtseff

Il a bien fait de faire de la philosophie et de causer avec son génie, il ne pouvait pas faire autre chose ! […] Où est l’écrivain de génie qui ait présenté à la masse cette œuvre étonnante ? […] C’est la plus haute expression du génie spirituel et satirique. […] Du reste tout gagne à être bien encadré, la beauté, le génie et même la foi. […] J’ai l’audace de la partager ; n’est-ce pas une audace que d’oser partager quelque chose avec un grand génie comme vous.

1859. (1874) Premiers lundis. Tome II « Sextus. Par Madame H. Allart. »

L’éternelle pensée de ce qu’il y a encore au fond du génie romain, exalte et dévore Sextus.

1860. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Cros, Charles (1842-1888) »

Paul Verlaine Génie, le mot ne semblera pas trop fort à ceux assez nombreux qui ont lu ses pages impressionnantes à tant de titres, et ces lecteurs, je les traite d’assez nombreux en vertu de la clarté, même un peu nette, un peu brutale, et du bon sens parfois aigu, paradoxalement dur, toujours à l’action, qui caractérise sa manière si originale d’ailleurs.

1861. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 120-124

Il l’égale quelquefois, & on voit qu’il eût pu l’égaler plus souvent, si le génie de notre langue n’étoit point inférieur à celui de la langue de Virgile.

1862. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 424-428

Quoi-qu’il eût reçu de la nature une imagination vive & brillante, un caractere tendre & enjoué, & un génie véritablement poétique, nous doutons qu’il eût également réussi, s’il avoit écrit en François, Langue pauvre & timide en comparaison de celle qu’on parle en Languedoc.

1863. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préfaces de « Han d’Islande » (1823-1833) — Préface de 1833 »

Ce sont là les suprêmes génies.

1864. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre X. Machines poétiques. — Vénus dans les bois de Carthage, Raphaël au berceau d’Éden. »

 » Raphaël est l’ange extérieur ; Éloa l’ange intérieur : les Mercure et les Apollon de la mythologie nous semblent moins divins que ces Génies du christianisme.

1865. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre II. Causes générales qui ont empêché les écrivains modernes de réussir dans l’histoire. — Première cause : beautés des sujets antiques. »

Il se présente ici une objection : si le christianisme est favorable au génie de l’histoire, pourquoi donc les écrivains modernes sont-ils généralement inférieurs aux anciens dans cette profonde et importante partie des lettres ?

1866. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XVII. La flûte d’ybilis »

ÉCLAIRCISSEMENTS Le travestissement d’un génie, ou d’un animal, en femme pour se venger de quelqu’un est un procédé fréquent dans les contes de tous les pays.

1867. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre IV. Pourquoi le génie d’Homère dans la poésie héroïque ne peut jamais être égalé. Observations sur la comédie et la tragédie » pp. 264-267

Pourquoi le génie d’Homère dans la poésie héroïque ne peut jamais être égalé.

1868. (1932) Les idées politiques de la France

Concevons-le comme un plafond du Parlement réel, un plafond posé là-haut par le peintre immanent au génie de la France. […] Il y a là un fossé qui ne peut être franchi que par le coup d’aile et le coup de génie. […] Et pourtant Lamennais, comme tous les génies réformateurs de cette grande époque, voyait loin. […] Nous avons eu en Barrès et Maurras deux beaux génies traditionalistes. […] Contre Charles Martin et Bouteiller, Barrès défendait tout de même quelque chose du génie de la culture.

1869. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Première série

Mais ils deviennent rares : l’inconscience décroît, et une certaine naïveté qui entre dans la composition du génie. […] L’hellénisme était le tranquille développement de l’esprit de la race aryenne : le christianisme, ça a été la perversion de ce génie lumineux par le sombre génie des Sémites. […] Rien n’est plus noble, rien ne fait un tout plus imposant ni plus harmonieux que le génie, l’œuvre et la vie de Bossuet. […] Renan jouit de son génie et de son esprit. […] Elles lui avaient donné le génie, l’imagination, la finesse, la persévérance, la gaieté, la bonté.

1870. (1876) Romanciers contemporains

Dans ce milieu où elle a vécu tour à tour avec ses héros, nul ne pénètre qu’elle ; nul ne domine que son génie. […] Mais c’était aussi un talent médiocre, entrant en lice avec le génie. […] N’y a-t-il d’autres bornes pour l’artiste créateur que celles de son génie ? […] Un génie puissant a inspiré George Sand dans beaucoup de ses livres. […] Imiter ainsi, c’est imiter de génie.

1871. (1874) Premiers lundis. Tome II « L. Aimé Martin. De l’éducation des mères de famille, ou de la civilisation du genre humain par les femmes. »

Jean-Jacques, venu dans un siècle et dans un monde énervé et de mœurs factices, s’est épris, par contre-coup de génie, du culte de la nature ; il s’est créé sous ce nom un idéal romanesque qu’il a constamment opposé aux raffinements de la société d’alors.

1872. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 260-264

Il est constant que le Jésuite n’a pas des traits assez sublimes, pour lui donner quelque conformité avec le génie du Poëte : il n’a pas non plus l’enflure, l’incorrection & l’inégalité nécessaire pour justifier le parallele.

1873. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Préface »

Il ne s’agit que de frapper juste toute pierre, si roulée et même si salie qu’elle soit dans les ornières de la vie, pour en faire jaillir le feu sacré ; seulement, pour frapper ce coup juste, il faut la suprême adresse de l’instinct qui est le génie, ou l’adresse de seconde main de l’expérience, qui est du talent plus ou moins cultivé.

1874. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — II » pp. 57-80

On serait presque tenté de croire que ce qui suit est un petit apologue de son invention, qu’il débite à l’usage du ministre : Vous ne serez pas fâché, écrivait-il de Vienne à Chamillart, de connaître quelque chose du caractère de messieurs les princes de Bade et de Savoie, et vous en jugerez sur ce que je leur ai ouï dire de celui des autres généraux : — Les uns, disent-ils, parvenus aux dignités à force d’années et de patience, se trouvant un commandement inespéré, et qu’ils doivent plutôt à leur bonne constitution qu’à leur génie ou à leurs actions, sont plus que contents de ne rien faire de mal. — D’autres, plus heureux par des succès qu’ils doivent uniquement à la valeur des troupes, aux fautes de leurs ennemis, enfin à leur seule fortune, ne veulent plus la commettre, quelque avantage qu’on leur fasse voir dans des mouvements qui pourraient détruire un ennemi déjà en désordre, sans les trop engager. — Mais une troisième espèce d’hommes, assez rare à la vérité, compte de n’avoir rien fait tant qu’il reste quelque chose à faire, profitant de la terreur qui aveugle presque toujours le vaincu, à tel point que les plus grosses rivières, les meilleurs bastions ne lui paraissent plus un rempart. […] Cet homme-là était trop philosophe pour être longtemps un général selon le génie de la nation. […] On ne suivit pas exactement la méthode de l’art dans l’attaque, et, sentant de la mollesse dans les assiégés, Villars passa sur quelques règles que le corps du génie a coutume d’observer.

1875. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

C’est ainsi qu’il eut la bonne fortune d’encourager les débuts laborieux du plus beau génie que l’art se soit choisi pour interprète dans les contrées scandinaves, de celui qui devait tenir le sceptre de la sculpture après Canova, Thorwaldsen. […] Les organes matériels ne sont que des excitants ; comment créeraient-ils l’admirable ensemble de la pensée qui constitue le génie et la raison de l’homme ? […] Quand le génie frappe, il touche au but comme la foudre, tandis que l’ignorance tombe en tous lieux comme une grêle malfaisante.

1876. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure  »

À la mort du célèbre critique et à son intention, il se lia fort avec une bonne et docte dame, Mme de Mérigniac, qui avait le même culte, et les lettres qu’il lui adresse (1707-1712) sont des plus intéressantes pour les curieux et pour ceux qui aiment à entrer dans la familiarité des génies. […] Voyez plutôt ce qu’il dit du savant et pesant Le Duchat, qui a tant travaillé sur la Satyre Ménippée, sur Rabelais et même sur Bayle : « Il lui manque, dit-il, un certain esprit qui fait entrer dans le sens et le génie d’un auteur, et qui découvre des traits fins et ingénieux. […] Par malheur, cette vignette, gravée par Picard, avait été faite au moment où le Système était florissant : on y voyait, à gauche, la France triste et affligée portant une corne d’abondance vide, d’où sortaient de maigres et secs billets ; mais, à droite, on avait figuré la Banque royale assiégée de la foule, avec une France triomphante et des Génies tenant une corne d’abondance d’où sortaient des espèces en quantité, des flots d’or et d’argent.

1877. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Appendice. Discours sur les prix de vertu »

C’était le temps, il est vrai, où la philanthropie dans toute sa confiance et son ingénuité se donnait carrière, où le sentiment exalté d’humanité qu’aucun échec n’avait encore averti se passait toutes ses espérances et tous ses rêves, où des zélés en venaient jusqu’à proposer de créer des espions du mérite et de la vertu pour dénoncer les beaux génies inconnus et modestes, pour découvrir les belles actions cachées, avec la même vigilance et la même adresse qu’on met à découvrir les mauvaises. […] Elle réunit et ceux d’entre vous, Messieurs, qui, animés d’une certaine flamme, dont se préservent malaisément les esprits qu’a une fois touchés le génie des lettres, ne se contentent pas de vouloir le bien, et qui aspirent au mieux ; qui sans doute auraient tenu à réaliser d’un coup leur idéal de propriété intellectuelle, qui continuent d’y croire et de le contempler dans le lointain, mais qui en même temps ne sont pas assez excessifs pour dire : Tout ou rien, pour renoncer à ce qui est offert, à ce qui est possible, pour ne pas s’en tenir satisfaits d’ici à un assez long temps. […] La nature qui crée un génie, un talent, le laisse libre, jusqu’à un certain point, de produire plus ou moins activement, plus ou moins fructueusement.

1878. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [IV] »

On a beau être un homme de génie, on ne concilie point les autres hommes par la hauteur et par l’injure. […] Au lieu d’un coup de main vigoureux, qui avait toute chance de réussir, on eut un premier combat sans résultat, engagé par une sorte de malentendu, et suivi le lendemain de l’immense bataille où le génie de Napoléon ressaisit toute sa supériorité. […] Monnard, « l’opinion de ce prince s’était fortifiée encore dans des entretiens avec un Vaudois, toujours patriote loin de sa patrie, son aide de camp, le baron de Jomini dont il appréciait non seulement le génie militaire, mais aussi la haute intelligence politique et le franc-parler. » — Nous avons eu, de ce franc-parler, assez de preuves en toute rencontre pour n’en pas douter.

1879. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Aussi, quand l’Avenir parut après Juillet, beaucoup d’honnêtes gens s’étonnèrent, comme d’une volte-face, de ce qui n’était que la conséquence naturelle d’une doctrine déjà manifeste, une évolution conforme aux circonstances nouvelles qu’avait dès longtemps prévues l’œil du génie[…] Il l’avait conclu à l’avance, il l’avait déterminé du dehors, pour les points essentiels, avec cette géométrie transcendante d’une doctrine sainte aux mains du génie ; il en avait induit les diversités d’erreurs et de vices avec les propres données de son cœur, moyennant cette double corruption qui se remue ici-bas en tout esprit et en toute chair, orgueil et volupté. […] Tous les deux, hommes d’avenir, prêtres selon l’esprit, sentant à leur face le souffle nouveau du catholicisme, ils ont, conformément à l’ordre de leur venue et à la tournure particulière de leur génie, exprimé diversement les mêmes vœux, les mêmes remontrances touchant la conduite temporelle des peuples.

1880. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre II. Les romans bretons »

Mais rien d’éminent, en somme, et qui dépasse les qualités moyennes d’une narration vive et limpide : le génie manque et cette forme impérieuse, qui détermine une littérature pour longtemps. […] Elle recevait tout l’univers en son âme et le renvoyait en formes idéales : vraie antithèse du génie dur et pratique de Rome, dont le rôle est de façonner la réalité par l’épée et par la loi. […] Son positivisme lucide vide les merveilleux symboles du génie celtique de leur contenu, de leur sens profond extra-rationnel, et les réduit à de sèches réalités d’un net et capricieux dessin.

1881. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Le malheur fut que le génie manqua aux faiseurs de mystères. […] Le principe générateur de la sottie pouvait être fécond : mais il eût fallu plus que le génie dramatique, il eût fallu le génie de la poésie symbolique et lyrique pour en tirer des chefs-d’œuvre.

1882. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

Calvin, Rabelais même organisent leur phrase plus artistement à la fois et plus conformément au génie de la langue. […] Charron, Balzac, d’autres ouvriers de la première heure du génie classique s’y appliqueront. […] Mais si nous trouvons une étroite correspondance entre le génie de Montaigne et le genre classique, il faut bien songer que Montaigne, qui déborde encore un peu des cadres classiques, correspond à ce qu’il y a eu de plus large, de plus compréhensif dans le goût du siècle suivant : il en a tout le positif, mais point le négatif.

1883. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Un des besoins impérieux de Voltaire, et qui tient aux racines mêmes de son génie, c’est le besoin de dire tout ce qu’il pense. […] Par ce dernier côté, il rattache sa curiosité scientifique à ses tendances épicuriennes ; et c’est encore un aspect très original, très moderne de ce complexe génie. […] Avec un peu de sympathie, il aurait fait un chef-d’œuvre et une œuvre définitive : il n’a fait, malgré sa conscience de travailleur et son génie lucide d’écrivain, qu’une œuvre de parti, fausse et dure.

1884. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

Rien n’égale cette magnifique conquête du monde physique accomplie par le génie de l’homme. […] Le génie n’est souvent qu’une seule grande idée, qui se produit dans plusieurs épreuves successives, jusqu’à ce qu’elle arrive à sa forme définitive et parfaite. […] La précipitation du travail, l’avantage matériel de la prolixité, la séduction des entreprises rapides, tout contribuera à énerver l’esprit de l’écrivain ; tout fera avorter le génie en talent, le talent en misérables frivolités.

1885. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

La morale, fondée clairement sur le principe nouveau du « refus de parvenir », fait de chacun de ces Français un citoyen méprisant de jouir, désireux de servir, préoccupé de son travail, désintéressé de lui-même, digne de l’amour…‌ Pourquoi la censure a-t-elle zébré, déchiqueté ce testament d’un génie innocent ? […] » La guerre a réveillé chez nous les vertus de la race : son héroïsme, sa générosité, son désintéressement, ses qualités guerrières et son génie inventif. […] » Notre devoir est tout tracé : veiller à ce que se rallume chez nous le double flambeau de la culture classique latine et de la foi catholique, qui s’adaptent merveilleusement au génie de notre race…‌ » Arthur gervais, Instituteur en retraite.‌

1886. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre x »

Et puis parfaits dans les autres (car, n’est-ce pas, nous croyons à la communion des saints), ce qui veut dire prier pour eux, pour qu’ils sachent plier leurs consciences et leurs volontés à la volonté royale de Dieu. »‌ Voilà ses pensées premières, voilà d’où part cet enfant plein du génie religieux de sa maison familiale, et, jour par jour, durant sa courte année d’apprentissage à la vie, il s’occupe passionnément à recevoir la leçon des faits.‌ […] Où puise-t-il ce génie de générosité ? […] Quel génie religieux dans cette jeune génération !

1887. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

Que dirait, qu’écrirait, — je le répète, — en face de phénomènes insolites, un de ces modernes professeurs-jurés d’esthétique, comme les appelle Henri Heine, ce charmant esprit, qui serait un génie s’il se tournait plus souvent vers le divin ? […] On raconte que Balzac (qui n’écouterait avec respect toutes les anecdotes, si petites qu’elles soient, qui se rapportent à ce grand génie ?) […] Ingres peut être considéré comme un homme doué de hautes qualités, un amateur éloquent de la beauté, mais dénué de ce tempérament énergique qui fait la fatalité du génie.

1888. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Appendice aux articles sur Roederer. (Voir page 393.) » pp. 533-543

Mais ces essais, à moins du génie d’un Shakespeare qui devine et qui crée, sont nécessairement faibles, traînants et infidèles à distance ; tout l’esprit, d’ailleurs, qu’on y peut mettre et tous les procédés d’étude ne réussissent jamais à y donner le cachet authentique. […] Il a péri vingt-neuf officiers du génie français dans le siège de Saragosse et trois officiers d’artillerie.

1889. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

Comme le solitaire de Bethléem, il avait assisté aux révolutions des empires ; il avait vu tomber Versailles et persécuter le Christianisme ; comme lui, victime d’une mélancolie native que les événements du monde avaient nourrie, il avait cherché dans de lointains exils le remède de ses douloureuses contemplations ; la foi lui était venue de ses larmes, et, purifiant tout à coup son génie jusque-là sans règle, elle lui avait inspiré, sur les ruines de l’Église et de la monarchie, les premières pages qui eussent consolé le sang des martyrs et les tombes de Saint-Denis. […] Cela le mène à dire, par exemple, à un jeune homme qui lui parlait de l’Allemagne où il avait voyagé : « Parmi les hommes que vous me nommez comme les gloires récentes de l’Allemagne, il en est au moins deux, Kant et Goethe, qui ont été de mauvais génies.

1890. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre II. Diderot »

Diderot n’est point un génie créateur, apte à tirer un monde de soi ; il est loin de Descartes, loin même de Rousseau. […] C’est alors que le génie prend sa lampe et l’allume, et que l’oiseau solitaire, sauvage, inapprivoisable, brun et triste de plumage, ouvre son gosier, commence son chant, fait retentir le bocage et rompt mélodieusement le silence et les ténèbres de la nuit542. » Ne voilà-t-il pas déjà du Chateaubriand ?

1891. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre II. La critique »

Elle ne tient pas compte de la nature individuelle : non pas du caractère, qui est résolu en influences composées de la race, du milieu et du moment ; mais du génie, de la précision de la vocation, et de l’intensité de la création. […] L’auteur dit ses surprises, ses découvertes, ses dépits, ses ravissements devant des tableaux : c’est un peintre qui saisit la facture, les procédés, et qui, dans la technique, atteint le génie des maîtres.

1892. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens II) Henry Fouquier »

En somme, il y a trois vies dignes d’être vécues (en dehors de celle du parfait bouddhiste, qui ne demande rien) : la vie de l’homme qui domine les autres hommes par la sainteté ou par le génie politique et militaire (François d’Assise ou Napoléon) ; la vie du grand poète qui donne, de la réalité, des représentations plus belles que la réalité même et aussi intéressantes (Shakespeare ou Balzac), et la vie de l’homme qui dompte et asservit toutes les femmes qui se trouvent sur son chemin (Richelieu ou don Juan). […] Un amour de femme est au fond de presque toutes les vies humaines : à certains moments le conquérant même ou le grand poète donnerait tout son génie pour l’amour d’une femme.

1893. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Deux tragédies chrétiennes : Blandine, drame en cinq actes, en vers, de M. Jules Barbier ; l’Incendie de Rome, drame en cinq actes et huit tableaux, de M. Armand Éphraïm et Jean La Rode. » pp. 317-337

Pour trouver autre chose, pour concevoir avec émotion et avec profondeur et pour exprimer sans banalité une âme chrétienne des premiers temps, l’âme et le génie d’un Tolstoï ne seraient sans doute pas de trop. Du moins y faudrait-il, à défaut de génie, une longue méditation et plus de « vie intérieure » que n’en a le commun de nos dramaturges.

1894. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXI. Dernier voyage de Jésus à Jérusalem. »

Son harmonieux génie s’exténue en des argumentations insipides sur la Loi et les prophètes 970, où nous aimerions mieux ne pas le voir quelquefois jouer le rôle d’agresseur 971. […] Son doux et pénétrant génie lui inspirait, quand il était seul avec ses disciples, des accents pleins de charme : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n’entre pas par la porte dans la bergerie est un voleur.

1895. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre II : Partie critique du spiritualisme »

C’est ce que firent à la fois en Allemagne et en France deux grands penseurs, Fichte et Biran, le premier plus porté au spéculatif suivant le goût et le génie de sa nation, le second plus psychologue, plus observateur, — le premier liant la métaphysique à la politique, passionné pour les idées du xviiie  siècle et de la révolution, le second royaliste dans la pratique, assez indifférent pour ces sortes de recherches et occupé d’une manière tout abstraite à l’étude de la vie intérieure, — tous deux enfin, par une rencontre singulière et selon toute apparence par des raisons analogues, ayant terminé leur carrière par le mysticisme, mais le premier par un mysticisme inclinant au panthéisme, le second par le mysticisme chrétien. Le spiritualisme français, sans méconnaître le génie de Fichte et les éclatants services que cet éloquent et profond philosophe a rendus à la cause de la personnalité humaine, se rattache plutôt par un lien historique naturel à Maine de Biran.

1896. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame Paul de Molènes »

C’est délicieux et au fond poignant ; c’est du pathétique et du génie là où il n’y en a presque jamais : c’est du pathétique et du génie dans la finesse… IV Il faut lire… Mais à cela près des connaisseurs, qui font pour moi le seul succès dont on puisse avoir la fatuité, la supériorité d’un talent comme celui de madame de Molènes sera-t-elle sentie ?

1897. (1915) La philosophie française « I »

C’est l’œuvre d’un physiologiste de génie qui s’interroge sur la méthode qu’il a suivie, et qui tire de sa propre expérience des règles générales d’expérimentation et de découverte. […] * *   * Entre la philosophie biologique et la philosophie sociale, dont la création est due pour une si large part, au génie français, vient se placer un ordre de recherches qui, lui aussi, appartient surtout au XIXe siècle : nous voulons parler de la psychologie.

1898. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VIII. »

Quoiqu’il n’eût pas été disciple de Pythagore, il reçut la tradition récente encore de ses leçons : il y joignit les voyages en Orient, dont profita de bonne heure le génie grec, à part la supériorité que ses lois et ses arts lui donnaient sur les peuples que la Grèce appelait barbares. […] Si par égarement quelque génie a souillé de sang sa substance, parmi ceux-là même qui ont en partage la vie céleste, il est, pendant trois mille saisons, banni loin des bienheureux.

1899. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Barbey d’Aurevilly, Jules (1808-1889) »

C’est une des intelligences les plus profondes, les plus complètes et les plus complexes de ce temps-ci, que cet homme qui aurait pu être, à son gré, un condottiere comme Carmagnola, un politique comme César Borgia, un rêveur à la Machiavel, un corsaire comme Lara, et qui s’est contenté d’être un solitaire, écrivant des histoires pour lui-même et pour ses amis, faisant bon marché de l’argent et de la gloire, et, prodigue éperdu, semant à tous les vents assez de génie pour laisser croire qu’il en a le mépris… En M. 

1900. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mikhaël, Éphraïm (1866-1890) »

Remy de Gourmont Puisqu’il ne nous laissa que de trop brèves pages, l’œuvre seulement de quelques années ; puisqu’il est mort à l’âge où plus d’un beau génie dormait encore, parfum inconnu, dans le calice fermé de la fleur, Mikhaël ne devrait pas être jugé, mais seulement aimé… Parallèlement à ses poèmes, Mikhaël avait écrit des contes en prose ; ils tiennent dans le petit volume des Œuvres, juste autant, juste aussi peu de place que les vers… Il suffit d’avoir écrit ce peu de vers et ce peu de prose : la postérité n’en demanderait pas davantage, s’il y avait encore place pour les préférés des dieux dans le-musée que nous enrichissons vainement pour elle et que les barbares futurs n’auront peut-être jamais la curiosité d’ouvrir.

1901. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Montesquiou, Robert de (1855-1921) »

Et ce sera certainement un de ses titres à la reconnaissance du siècle que d’avoir, par ses écrits, par ses conférences et par sa participation aux fêtes de Douai, contribué à la résurrection littéraire de cette femme de génie.

1902. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tailhède (Raymond de la) = La Tailhède, Raymond de (1867-1938) »

Charles Maurras Je crois qu’on sentira dans ce livre profond et clair : De la métamorphose des fontaines, les deux traits essentiels du génie de M. de La Tailhède : c’est la force lyrique, d’une part, et, d’autre part, un sentiment d’admiration et d’étonnement religieux devant le secret de la nature des choses.

1903. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 521-526

M. de Montmercy n’a pas plutôt loué le génie poétique de M.

1904. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 453-457

Les Productions de l’esprit ont toujours eu une influence marquée sur le génie des Nations, sur leurs mœurs, sur les révolutions qu’elles ont éprouvées, & peuvent même être la source de ces révolutions.

1905. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 387-391

Palissot a réparé depuis cette injustice, en convenant, dans la derniere édition de ses Œuvres, que M. l’Abbé Trublet ne manquoit ni d’esprit ni même d’une certaine finesse ; & que, si au lieu de marquer du respect pour la Religion & les mœurs, il se fût jeté dans le parti de la nouvelle Philosophie, il eût eu son Brevet de célébrité comme tant d’autres ; peut-être même, ajoute-t-il, en eût-on fait un homme de génie.

1906. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VII. Le Fils. — Gusman. »

Ajoutons tant de génie.

1907. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XII. Suite des machines poétiques. — Voyages des dieux homériques. Satan allant à la découverte de la création. »

Quoi qu’il en soit du génie d’Homère et de la majesté de ses dieux, son merveilleux et sa grandeur vont encore s’éclipser devant le merveilleux du christianisme.

1908. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre III. Partie historique de la Peinture chez les Modernes. »

Depuis ce temps, les arts, entre diverses mains et par divers génies, parvinrent jusqu’à ce siècle de Léon X, où éclatèrent, comme des soleils, Raphaël et Michel-Ange.

1909. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre premier. Du Christianisme dans l’éloquence. »

Les modernes doivent à la religion catholique cet art du discours qui, en manquant à notre littérature, eût donné au génie antique une supériorité décidée sur le nôtre.

1910. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre IX. Des Epistolaires ou Ecrivains de Lettres. » pp. 265-269

M. de Fontenelle, qui en est l’auteur, les chérissoit d’autant plus que le public lui paroissoit injuste à l’égard de cet enfant de son génie.

1911. (1761) Salon de 1761 « Peinture — Vien » pp. 131-133

Il a plusieurs qualités de ce grand maître ; mais il lui manque sa force et son génie.

1912. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Loutherbourg » pp. 224-226

Et puis, comment soutenir son génie, conserver sa chaleur, pendant le cours d’un travail aussi long ?

1913. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — V. L’avare et l’étranger »

Etre de la brousse, génie.

1914. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7172-17709

Chaque langue a son génie & ses ressources. […] (Gramm.) c’est une façon de parler éloignée des usages ordinaires, ou des lois générales du langage, adaptée au génie propre d’une langue particuliere. […] Quand je dis qu’un idiotisme est une façon de parler adaptée au génie propre d’un langue particuliere, c’est pour faire comprendre que c’est plutôt un effet marqué du génie caractéristique de cette langue, qu’une locution incommunicable à tout autre idiome, comme on a coutume de le faire entendre. […] L’attribut n’est qu’une maniere particuliere d’être ; & c’est aux adverbes à exprimer simplement les manieres d’être, & conséquemment les attributs : voilà le génie allemand. […] Elles auront chacune en particulier, disoit-il un peu plus haut, quelque perfection qui ne se trouvera pas dans les autres, parce qu’elles tiennent toutes des moeurs & du génie des peuples qui les parlent : elles auront chacune des termes & des façons de parler qui leur seront propres, & qui seront comme le caractere de ce génie ».

1915. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Et c’est parce que, ayant du génie, il est resté un enfant, qu’il a été un si grand poète. […] Seul, un poète de pur sentiment (et, par suite, complètement sincère) pouvait être un écrivain de génie à vingt ans. […] À chacun son génie et son don particulier. […] Même quand sa vie n’est point régulière (désordre et génie comme Kean !) […] Puis voici quelques « grands de l’esprit », ceux de l’espèce utile, les génies pratiques.

1916. (1866) Nouveaux essais de critique et d’histoire (2e éd.)

Si un sot, se comparant à un homme de génie, peut conclure de sa sottise qu’il a préexisté, un bœuf se comparant à l’homme peut conclure de sa stupidité qu’il a vécu avant de naître. […] Le premier et le plus contagieux de ces exemples fut le Génie du christianisme. […] Il les entame quelquefois, et se détourne ensuite sur de petites choses qu’il relève par la beauté de son génie et de son style ». […] Pour publier en vingt ans quatre-vingt-dix-sept ouvrages si obstinément remaniés qu’il raturait chaque fois dix ou douze épreuves, il fallait un tempérament aussi puissant que son génie. […] Voilà les féeries et les croyances auxquelles aboutit son génie.

1917. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Notes et pensées » pp. 441-535

Mais peste soit, dans la vie, de ces colosses manqués qui ne sont ni du premier ordre de génies, ni du second ! […] J’ai bien osé écrire la vérité sur l’auteur du Génie du christianisme : pourquoi ne la dirais-je pas sur l’auteur du Beau, du Bien et du Vrai ? […] Il recommence chaque matin d’être grand homme, mais son génie fait fausse couche en dormant. […] CLXXIV Flourens me disait en parlant de Biot : « Il manquait de génie et de bonté. […] On n’est pas impoli parce qu’on ferme sa porte le matin et que l’on ne peut recevoir une personne qui se présente à l’improviste : l’indiscrétion est de vouloir forcer la porte et de dire au domestique : « Sachez que, quand on verra que c’est moi, j’entrerai. » Je n’ai jamais conçu la nécessité que l’esprit, le talent, même le génie, fussent revêtus et comme enduits d’une légère couche luisante de sottise.

1918. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

Son regard ne pénètre pas plus profondément que sa pensée ; l’un et l’autre s’arrêtent aux surfaces et son génie se complaît dans les apparences. […] Génie essentiellement lyrique, bien plutôt que dramatique, qui jamais n’abstrait son œuvre de lui-même, et qui se sent à l’étroit sur les planches et entre les coulisses d’un théâtre. […] Il me semblait que par moments l’action ne marchait pas et je n’étais pas loin d’en accuser le génie dramatique du poète. […] Le vaudeville a vécu ; et il ne ressuscitera pas plus que le génie dramatique de Scribe. […] Le génie français, fait essentiellement de clarté, n’a pas suivi le génie allemand qui lui avait peut-être suggéré cette tentative, et pour lui la puissance dramatique de la musique ne réside que dans la propriété qu’elle possède d’éveiller, de propager et d’exalter les sentiments.

1919. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXIX » pp. 316-320

Je ne puis mieux comparer la critique d’alors qu’à ces ingénieurs et à ces officiers du génie qu’on envoie d’avance pour frayer le chemin, établir une chaussée à une armée qui les suit et qui fait une halte forcée.

1920. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet. (suite et fin.) »

Le duc d’Orléans, le Régent, cette riche et vigoureuse contre-partie du duc de Bourgogne, cette revanche effrénée du pur génie et de la nature, est bien vu, indulgemment senti, largement crayonné.

1921. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « de la littérature de ce temps-ci, a propos du « népenthès » de m. loève-veimars (1833). » pp. 506-509

Je crois pouvoir affirmer que tout écrivain qui a ce qu’on appelle du succès, c’est-à-dire qui réunit des lecteurs autour de son œuvre ; que tout homme qui est assez heureux, assez malheureux veux-je dire, pour être en butte à l’admiration, aux éloges, à la haine et aux critiques, n’a pas un moment laissé reposer sa plume sur ses compositions… Dans mon enfance on m’a montré, comme un glorieux témoignage du génie de Bernardin de Saint-Pierre, la première page de Paul et Virginie, écrite quatorze fois de sa main.

1922. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Theuriet, André (1833-1907) »

Adolphe Brisson On pourrait, à ce qu’il me semble, rapprocher le talent descriptif d’André Theuriet du génie limpide, gracieux et tendre de Jules Breton.

1923. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface d’« Angelo, tyran de Padoue » (1835) »

Le drame, comme l’auteur de cet ouvrage le voudrait faire, et comme le pourrait faire un homme de génie, doit donner à la foule une philosophie, aux idées une explication désintéressée, aux âmes altérées un breuvage, aux plaies secrètes un baume, à chacun un conseil, à tous une loi.

1924. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre premier. Que le Christianisme a changé les rapports des passions en changeant les bases du vice et de la vertu. »

Pour que deux hommes soient parfaits amis, ils doivent s’attirer et se repousser sans cesse, par quelque endroit ; il faut qu’ils aient des génies d’une même force, mais d’une différente espèce ; des opinions opposées, des principes semblables ; des haines et des amours diverses, mais au fond la même sensibilité ; des humeurs tranchantes, et pourtant des goûts pareils ; en un mot, de grands contrastes de caractère et de grandes harmonies du cœur.

1925. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre VII. Des Saints. »

Les premiers apôtres, prêchant l’Évangile aux premiers fidèles dans les catacombes ou sous le dattier de Béthanie, n’ont pas paru à Michel-Ange et à Raphaël des sujets si peu favorables au génie.

1926. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre IX. Application des principes établis dans les chapitres précédents. Caractère de Satan. »

Lorsque, avec la grandeur du sujet, la beauté de la poésie, l’élévation naturelle des personnages, on montre une connaissance aussi profonde des passions, il ne faut rien demander de plus au génie.

1927. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 43, que le plaisir que nous avons au théatre n’est point produit par l’illusion » pp. 429-434

Une tragedie touche ceux qui connoissent le plus distinctement tous les ressorts que le génie du poëte et le talent du comédien mettent en oeuvre pour les émouvoir.

1928. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « L’abbé Noirot »

Comme tous les hommes qui ont le génie pratique de l’enseignement, comme ces admirables natures de maîtres, mêlées de prêtres, qui préparent eux-mêmes, de leurs saintes mains paternelles, la tête et le cœur destinés à recevoir la vérité, l’abbé Noirot se soucie peu d’écrire et n’écrit point.

1929. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre X. De la chronologie poétique » pp. 235-238

Voilà pourquoi l’histoire universelle a tiré si peu d’avantages pour éclairer son origine et sa suite du génie admirable et de l’étonnante érudition de Pétau et de Joseph Scaliger.

1930. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Appendice. Histoire raisonnée des poètes dramatiques et lyriques » pp. 284-285

Grâces au génie d’Eschyle, la tragédie antique fit place à la tragédie moyenne, et les chœurs de satyre aux chœurs d’hommes.

1931. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre III. Coup d’œil sur le monde politique, ancien et moderne, considéré relativement au but de la science nouvelle » pp. 371-375

Enfin Numance commençait à peine son âge héroïque, lorsqu’elle fut accablée par la puissance romaine, par le génie du vainqueur de Carthage, et par toutes les forces du monde.

1932. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1866 » pp. 3-95

C’est une horrible dissection de génie, faite avec un cynisme qui ne laisse rien d’une société sans y toucher, et qui ferait frémir, si elle ne violait le rire. […] Les gens d’esprit, de génie, se tuant toute leur vie pour cette grosse bête de public, tout en méprisant, au fond de leur cœur, chaque imbécile qui le compose. […] Le génie qui, dans ce moment-ci, déteint sur tout et sur tous : Il y a de La Mer de Michelet dans Les Travailleurs d’Hugo. […] Et Sainte-Beuve assure, qu’en 1817, lorsqu’un mandat d’amener fut lancé contre lui, on trouva, à six heures du matin, l’auteur du Génie du christianisme, couché entre deux filles. […] Et Renan, l’imaginative échauffée, et cherchant l’esquisse colorée d’un tout vivant, après de profondes fouilles dans son cerveau, et à la suite d’un long silence prometteur d’un accouchement de génie ; Renan, le plus sérieusement et le plus religieusement du monde, arrive à comparer, devant la table béante son Dieu à lui… deviner à quoi… à une huître et à son existence végétative… Oh !

1933. (1894) Études littéraires : seizième siècle

Gœthe est le type même de l’humaniste de génie. […] Quelle idée de génie ! […] Mais le vrai moyen d’enrichir une langue, c’est d’avoir un beau génie. Un beau génie ne s’acquiert pas ; mais ri se confirme et s’assure, comme une bonne constitution, par un bon régime. […] Mais c’est une question de mesure, et rien au monde n’est plus difficile que de déterminer cette mesure selon le génie de chaque peuple.

1934. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

Jupiter symbolisa l’ordre public et l’autorité de l’État ; Cérès, l’agriculture, c’est-à-dire la propriété laborieuse du sol, avec ses conséquences et ses garanties, les lois civiles, le mariage, la paix et tous les principes de la civilisation ; Junon figura le lien conjugal ; Vénus et son fils, les passions de l’amour physique ; Minerve, la valeur militaire et la sagesse des tribunaux, et elle apparut en même temps comme la divine et vivante image du génie de la ville d’Athènes. […] Apollon oppose à ce rapport purement naturel le droit moral de l’époux, et ici la gravité du génie d’Eschyle est digne d’être éternellement admirée. […] IX Shakespeare est trop grand pour que l’on puisse définir son génie par un trait. Mais, s’il est un trait de son génie qui soit plus remarquable que les autres, n’est-ce pas la libéralité avec laquelle il prodigue à ses moindres personnages mille dons naturels, dont la profusion éclatante les rend très supérieurs au rôle spécial qu’ils ont à remplir ? […] Goethe, avec ce grand sens qu’il a porté dans tonies les créations de son ferme génie, a choisi pour l’essai poétique de sa jeunesse la lutte du moyen âge expirant contre les premiers efforts d’organisation de la société moderne.

1935. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VII. Les poëtes. » pp. 172-231

C’est cet esprit, qui, commun à ce moment à l’Angleterre et à la France, imprime son image dans la diversité infinie des œuvres littéraires, en sorte que dans son ascendant partout visible on ne peut s’empêcher de reconnaître la présence d’une de ces forces intérieures qui ploient et règlent le cours du génie humain. […] Cette sorte de poésie ressemble à la cuisine ; il ne faut ni cœur ni génie pour la faire, mais une main légère, un œil attentif et un goût exercé. […] Un plébéien génevois, protestant et solitaire, que sa religion, son éducation, sa pauvreté et son génie avaient mené plus vite et plus avant que les autres, vint dire tout haut le secret du public, et l’on jugea qu’il avait découvert ou retrouvé la campagne, la conscience, la religion, les droits de l’homme et les sentiments naturels. […] Les anges et les autres machines célestes fonctionnent depuis longtemps en Angleterre avant d’aller infester le Génie du christianisme et les Martyrs. […] Enfin paraît un paysan d’Écosse1134 malheureux, révolté et amoureux, avec les aspirations, les concupiscences, la grandeur et la déraison d’un génie moderne.

1936. (1864) Cours familier de littérature. XVII « Ce entretien. Benvenuto Cellini (2e partie) » pp. 233-311

Il est vrai que le proverbe dit qu’à force d’aller on rencontre le mauvais pas, mais les malheurs n’arrivent jamais de la même manière. » VI Benvenuto se livra alors tout entier à son génie et à sa verve. […] Il était évident que son génie aspirait à s’égaler à la fortune de son protecteur, et que les lauriers grandioses de Michel-Ange l’empêchaient de dormir. […] Combien de fois, avant de connaître la vie et les procédés de Benvenuto Cellini, ne nous sommes-nous pas arrêté à Florence devant la Logia dei Servi pour contempler ce miracle du génie humain ! […] Ils peignent avec exactitude l’enthousiasme pour tous les arts de la main qui renaissaient sous Léon X, le culte du génie, la liberté des passions individuelles, à qui les crimes même étaient pardonnés en faveur d’un chef-d’œuvre de peinture et de sculpture, et enfin ce mélange bizarre de dévotion sincère et d’attentats atroces que l’absolution du pontife effaçait de la main même de l’assassin. […] Le génie était la vertu, la bravoure était la gloire.

1937. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

Mais, pour le reste, Wagner a eu le génie de prendre ce poème tel qu’il était, et de construire dessus la symphonie la plus grandiose — peut-être — que jamais il ait écrite. […] Ce propos d’ailleurs était indispensable avant la scène qui finit l’opéra, et qui se range parmi les plus étonnantes productions du génie de Wagner. […] Encore ces fleurs, un peu maladives, du génie grec, les tragédies d’Euripide : « Vos dieux sont en vos âmes : ils sont les cruelles passions, détruisant l’équilibre salutaire des besoins : voyez les effets de ces maux ; tenez Hermione et Phèdre pour les images de vos passions. »   Mais à cette race exemplaire de dialecticiens ni le récit ni le drame ne pouvaient suffire longtemps : ils exigeaient une vie toute de notions pures, bellement enchaînées : ils exigeaient la forme du roman dialectique. Par l’admirable génie de Platon ils l’obtinrent, et nous avons gardé l’éblouissement de cet art divin. […] Claude, le héros, est un peintre falot ; l’auteur nous répète qu’il a du génie, mais n’a jamais songé à nous le prouver par l’analyse des idées.

1938. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

En art, il faut un immense génie pour reproduire simplement et sincèrement ce qu’on a sous les yeux, depuis une terrine jusqu’à la face du plus auguste des rois. […] Vacquerie, il doit être content, il est maintenant un génie persécuté. […] Lamartine a bien raison de dire que le style naturel est le génie des ignorants ! […] Le réalisme existe depuis que la littérature existe, il a éclairé de quelques-unes de ses lueurs les livres de bien des génies qui se sont succédé, et il a fait leur fortune. […] Vacquerie, il doit être content, il est maintenant un génie persécuté.

1939. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIe entretien. Le Lépreux de la cité d’Aoste, par M. Xavier de Maistre » pp. 5-79

Quand un homme de talent est malheureux, ruiné ou exilé par l’infortune, loin des montagnes ou des ravins qui l’ont vu naître ; quand les lieux, le temps, les personnes se représentent à lui comme des angoisses ou des remords, et qu’il ne les apaise qu’en les exprimant, sa douleur devient du génie, et il sort alors de son âme des cris qui sont l’apogée des tristesses humaines. […] En tout, c’était la figure de Werther, amoureux, pensif, désespéré, tel que le capricieux génie de Goethe venait de le jeter dans l’imagination de l’Europe pour y vivre longtemps de ses larmes et de son sang. […] Ses maîtres s’en défiaient ; ils le regardaient comme un redoutable génie qui tournerait en bien ou en mal suivant la passion qui le saisirait au passage. […] Mais nous ne connaissions pas autre chose de ce génie caché.

1940. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — II. (Fin.) » pp. 398-412

passons à d’autres », dit la Fortune ; et le Génie de la civilisation, se voilant un moment et la suivant à regret, parle bientôt comme elle. […] La différence est à la vue comme dans les noms. » Quelques années après, le même Courier, de retour en France, empruntait à ses paysans de Touraine, et à notre vocabulaire gaulois du xvie  siècle, des locutions et des formes pour mieux traduire Hérodote selon son vrai génie.

1941. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — I » pp. 56-70

Il y a des âmes nées guerrières ; elles le sont par l’instinct qui les pousse aux périls, par les ressources de génie qu’elles y trouvent, et les talents, chaque fois imprévus, qu’elles y déploient, comme par l’ardeur croissante dont elles s’y enflamment ; elles le sont aussi, pendant et après l’action, par l’expression et par la parole. […] E. de La Barre Duparcq, capitaine du génie (1848).

1942. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Lettres de Madame de Sévigné »

Décidément, elle est plus forte que lui, elle a le génie naturel ; il n’est qu’un homme d’infiniment d’esprit, — et de plus elle a raison. […] Le génie de la langue et de l’expression ne va pas plus loin.

1943. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. » pp. 31-51

A vrai dire, on ne s’intéresse plus guère à l’antique Carthage que par deux choses diversement immortelles, l’une vraie et l’autre mensongère : Hannibal et Didon ; celle-ci, la création la plus touchante que nous ait laissée la poésie des Anciens ; celui-là, à cause des obstacles de toute nature qu’il rencontrait sur sa route glorieuse et du génie qu’il mit à les vaincre, offrant « le plus beau spectacle que nous ait fourni l’Antiquité » : c’est encore Montesquieu qui dit cela. […] Elle menace, si le désordre continue, d’emporter avec elle le Génie de la maison, le serpent noir qui dort là-haut sur des feuilles de lotus : « Je sifflerai, il me suivra, et, si je monte en galère, il courra dans le sillage de mon navire, sur l’écume des flots. » Tout ce qu’elle chante est harmonieux ; elle s’exprime dans un vieil idiome chananéen que n’entendent pas les Barbares ; ils n’en sont que plus étonnés.

1944. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis de Belloy »

Dire comme un de nos jeunes et spirituels critiques très au fait de l’Antiquité84 que Térence n’a que du talent tandis que Ménandre avait du génie, c’est sans doute marquer les degrés probables et faire la part de l’invention ; mais n’est-il pas juste aussi de considérer que, dans ce naufrage de l’Antiquité (j’y reviens toujours), une équité indulgente doit tenir compte à ceux qui ont survécu de ce qui a disparu à côté d’eux, derrière eux ? […] Il y a entre eux quelque conformité de destinée comme de génie.

1945. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. BRIZEUX (Les Ternaires, livre lyrique.) » pp. 256-275

Brizeux me fait l’effet de ces officiers supérieurs dans une arme spéciale, savante, qui, voués au noble génie de leur art, s’y tiennent, sans vouloir jamais d’avancement ailleurs. […] Plus d’une fois, quand les génies régnants, trop généreux, brassaient autour de nous leur poésie à pleine cuve, lui, avec dédain et en silence, sortait, emportant toute la sienne dans sa bague.

1946. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Gaston Paris et la poésie française au moyen âge »

Ils sont comme l’humus où poussent ces fleurs spirituelles : le génie d’un Taine ou d’un Renan. […] Il est impossible de mieux démêler les éléments constitutifs de cette littérature ni de mieux raconter la formation première de notre génie national.

1947. (1900) L’état actuel de la critique littéraire française (article de La Nouvelle Revue) pp. 349-362

Ainsi serait constituée la Critique nationale, qui saurait répondre avec clarté, devant l’étranger, de la qualité, de la mission et de la marche de notre génie. […] Là seulement est son rôle moral, là elle perd tous les inconvénients de la pédanterie scolastique, là elle se révèle noble, opportune, incarnant une des prérogatives admirables du génie de la France devant le monde : l’illumination logique et bienfaisante, la transmutation des idées-forces, l’alchimie changeant en or vierge les minerais de la pensée brute élaborée dans les méditations obscures et malaisées de l’humanité.

1948. (1894) Propos de littérature « Chapitre III » pp. 50-68

S’il est un art voisin de la Poésie, selon le génie d’Aristote lui-même, c’est l’orchestique13. […] Son naturel génie lui rendrait enfin le souvenir de lui-même, et il reconquerrait ce qui lui appartient ; mais cette réaction dépasserait probablement à son tour les limites de l’harmonie propre à cet art et le ballet présenterait, pour longtemps, un excès de gestes à l’exclusion de toutes attitudes.

1949. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XIV. La commedia dell’arte au temps de Molière (à partir de 1662) » pp. 265-292

Dominique, qui était homme d’esprit et de savoir, connaissant le génie de la nation française, qui aime l’esprit partout où elle le trouve, s’avisa de faire usage des pointes et des saillies convenables à l’Arlequin. […] Lorsqu’il a été manié par des acteurs de quelque génie, il a fait les délices des plus grands rois et des gens du meilleur goût ; c’est un caméléon qui prend toutes les couleurs. » Arlequin, s’il n’était jadis naïf qu’à demi, devient alors tout à fait scélérat : « Arrogant dans la bonne fortune, dit M Jules Guillemot48, traître et rusé dans la mauvaise ; criant et pleurant à l’heure de la menace et du péril, en un mot Scapin doublé de Panurge, c’est le type du fourbe impudent, qui se sauve par son exagération même, et dont le cynisme plein de verve nous amuse précisément parce qu’il passe la mesure du possible pour tomber dans le domaine de la fantaisie. » Arlequin, avec ses nouvelles mœurs, court fréquemment le risque d’être pendu ; il n’y échappe qu’à force de lazzi.

1950. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre III. Grands poètes : Verlaine et Mallarmé, Heredia et Leconte de Lisle » pp. 27-48

Heredia a surpris le génie de l’Hellas, comme nul ne l’avait fait depuis Chénier, qu’il dépasse, il ne faut pas avoir peur de le dire, par le « talent ». […] IV La mort de l’illustre poète Leconte de Lisle serait un prétexte suffisant à dire le goût qu’on a de son œuvre, à analyser son génie, à citer les plus violentes de ses boutades.

1951. (1890) L’avenir de la science « XII »

Il a fallu un génie pour conquérir ce qui devient ensuite le domaine d’un enfant. […] Mais il faut qu’il en soit ainsi : car, si tout ce qui est dit et trouvé était assimilé du premier coup, ce serait comme si l’homme s’astreignait à ne prendre que du nutritif Au bout de cent ans, un génie de premier ordre est réduit à deux ou trois pages.

1952. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Raphaël, pages de la vingtième année, par M. de Lamartine. » pp. 63-78

Un récit exact et simple, circonstancié et fidèle, de cette passion mystérieuse que le poète des Méditations n’a célébrée qu’à demi en la dérobant, et qui semble avoir donné à son génie l’impulsion secrète, serait infiniment précieux comme étude et intéresserait assurément comme lecture. […] La jeune femme a puisé dans son éducation et dans la société de son mari les pures doctrines du xviiie  siècle ; elle est incrédule, matérialiste, athée même ; cela ne l’empêche pas d’être très liée avec M. de Bonald, et c’est un jour, pour lui complaire, que le poète des Méditations aurait commis innocemment, sans trop savoir ce qu’il faisait, cette ode au Génie, dédiée au grand adversaire de la liberté.

1953. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Madame Récamier. » pp. 121-137

Pourtant, comme on ne peut bien comprendre le caractère et le doux génie de Mme Récamier, cette ambition de cœur qui, en elle, a montré tant de force et de persistance sous la délicatesse ; comme on ne peut bien saisir, disons-nous, son esprit et toute sa personne sans avoir une opinion très nette sur ce qui l’inspirait en ce temps-là, et qui ne différait pas tellement de ce qui l’inspira jusqu’à la fin, j’essaierai de toucher en courant quelques traits réels à travers la légende, qui pour elle, comme pour tous les êtres doués de féerie, recouvre déjà la vérité. […] C’est de là que son doux génie, dégagé des complications trop vives, se fit de plus en plus sentir avec bienfaisance.

1954. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Poésies nouvelles de M. Alfred de Musset. (Bibliothèque Charpentier, 1850.) » pp. 294-310

Je suis certain que, doué comme il l’était d’une force originale et d’un génie propre, même en débutant plus simplement et sans viser tant à se singulariser, il fût bientôt arrivé à se distinguer manifestement des poètes dont il repoussait le voisinage, et dont le caractère sentimental et mélancolique, solennel et grave, était si différent du sien. […] Pourtant le génie a en lui des renaissances et des sources de jeunesse dont M. de Musset a connu plus d’une fois le secret, et qu’il n’a pas épuisées encore.

1955. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Pensées de Pascal. Édition nouvelle avec notes et commentaires, par M. E. Havet. » pp. 523-539

Né en 1623 d’une famille pleine d’intelligence et de vertu, élevé librement par un père qui était lui-même un homme supérieur, il avait reçu des dons admirables, un génie spécial pour les calculs et pour les concepts mathématiques, et une sensibilité morale exquise qui le rendait passionné pour le bien et contre le mal, avide de bonheur, mais d’un bonheur noble et infini. […] J’ai pris Fénelon dans le Traité de l’existence de Dieu, et Bossuet dans le Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même ; et, sans chercher à approfondir la différence (s’il en est) de la doctrine, j’ai senti avant tout celle des caractères et des génies.

1956. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Les romans de M. Edm. de Goncourt » pp. 158-183

Et maintenant cette analyse terminée, il faut imaginer que le mécanisme cérébral dont nous avons essayé d’isoler et de montrer les gros rouages, est vivant et en marche, possédé par une créature humaine, constitue en son engrènement et son travail une unité indivise, la pensée, la raison et le génie d’un artiste et d’une personne. […] M. l’empereur Napoléon Ier » ; un restaurateur de la rue Montmartre promet « pour 1 fr. 50 un repas comprenant : potage, 4 plats, 3 desserts et vin » ; enfin, un chocolatier encore ingénu libelle ainsi sa réclame : « La confiserie hygiénique fabrique deux sortes de chocolat : l’un qui est sa propriété exclusive a reçu le nom de chocolat bi-nutritif, parce qu’il contient des aliments alibiles empruntés au jus de poulet, et rendus complètement insipides. » On se targuait surtout au Paris d’avoir de la fantaisie, et visiblement Henri Heine était un peu le génie du lieu.

1957. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre I : Rapports de cette science avec l’histoire »

Il n’y a point de règle pour mesurer ou limiter les emprunts qu’une science peut faire à une autre : cela dépend du tact et du génie des écrivains ; mais il est facile de comprendre qu’un certain excès changerait le caractère d’une science. […] Un illustre érudit du xviiie  siècle, le chef de l’école de Leyde, Tibère Hemsterhuys, se plaignait que de son temps « l’histoire de la philosophie, cette matière si riche des recherches savantes, n’eût pas encore attiré les études de la critique, qu’elle fût livrée à des compilateurs sans génie et sans lettres, qui ne connaissaient les philosophes anciens que par de vicieuses traductions, et qui tiraient d’une lecture superficielle un résumé aride et sans intelligence37. » Il y a un siècle à peine que ces paroles ont été prononcées.

1958. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre premier. Considérations préliminaires » pp. 17-40

Chaque siècle a sa physionomie particulière, son caractère distinctif, son génie propre. […] C’est un grand malheur sans doute que des esprits inquiets, des génies turbulents, aient introduit la discussion dans de certaines matières ; mais le mal est fait.

1959. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIX. Mme Louise Colet »

Elle copie avec sa plume, tout à la fois romantique et vulgaire, des tableaux de génie, peints par les plus grands peintres qui aient jamais existé, et en les décrivant elle semble dire comme Kepler à Dieu : « Soyez heureux de ma venue en Italie, car vous auriez pu attendre longtemps encore une admiratrice telle que moi. » Ainsi, Moi, Moi, toujours ! […] Ce qui reste, c’est qu’à cette heure du xixe  siècle, un bas-bleu sans génie, sans considération morale, et même sans hauteur révolutionnaire, ait pu faire croire à la plus grande partie de l’Europe, qu’il était quelque chose et quelqu’un !

1960. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

Anatole France n’avait pas encore pris tout son développement ni toute l’ampleur de sérénité qui ont mis si haut son génie ardent et calme. […] Pour un artiste tel que lui la traduction est quelque chose comme un hommage rendu à une glorieuse mémoire, et aussi comme un soin préventif que quelque négociant ne s’évertue à trahir un des génies préférés. […] Rimbaud, comme tous les jeunes gens de génie, eût certes désiré renouveler entièrement sa langue, trouver, pour y serrer ses idées, des gangues d’un cristal inconnu. […] Un trait commun relie encore ces artistes, que Verlaine groupait dans son livre des Poètes maudits : ils ont tous des parties de génie, tous sont contrecarrés dans le développement de ce génie par quelque côté de leur esprit. […] Le génie français avait imprégné Heine qui, à son tour, a laissé en France des traces qui, bien plus tard, ont abouti dans les dernières recherches d’art de ce siècle.

1961. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXI » pp. 281-285

Madame Émile de Girardin, en particulier, la patronne du lieu, ressemble, nous le reconnaissons, à madame de Sévigné, à ce génie de femme si franc, si cordial et si sensé, à peu près aussi exactement qu’Alexandre Dumas ressemble à Raphaël.

1962. (1874) Premiers lundis. Tome I « Le vicomte d’Arlincourt : L’étrangère »

C’est à quoi j’en voulais venir : l’éditeur, chose toute simple, a étalé dans une préface officieuse toutes les preuves authentiques de la gloire et du génie du grand homme calomnié ; il nous a représenté son illustre client se composant une bibliothèque de toutes les éditions, traductions, imitations de ses œuvres bien-aimées, impénétrable rempart contre l’envie ; il a parlé du goût pur, universellement reconnu au vicomte par les étrangers, et a écrit en lettres italiques l’admiration de l’univers.

1963. (1874) Premiers lundis. Tome I « Charles »

Cet abus est porté au comble dans Rousseau même ; tout le génie qui l’y couvre ne le déguise pas, et le fait au plus pardonner.

1964. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bataille, Henry (1872-1922) »

Il y a du génie là-dedans.

1965. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rimbaud, Arthur (1854-1891) »

À peine avait-il jeté, dans l’exaltation étrange de ses vingt ans, quelques ébauches de génie sur le papier.

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