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54. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre III. L’art et la science »

Le progrès, but sans cesse déplacé, étape toujours renouvelée, a des changements d’horizon. […] Les chefs-d’œuvre, ces mondes, y éclosent sans cesse et y durent à jamais. Aucune poussée de l’un contre l’autre ; aucun recul ; les occlusions, quand il y en a, ne sont qu’apparentes et cessent vite. […] La science va sans cesse se raturant elle-même. […] Elle approche sans cesse, et ne touche jamais.

55. (1767) Salon de 1767 « Adressé à mon ami Mr Grimm » pp. 52-65

Si les grands maîtres se retirent, les subalternes se retireront, ne fût-ce que pour se donner un air de grands maîtres ; bientôt les murs du Louvre seront tout nuds, ou ne seront couverts que du barbouillage de polissons, qui ne s’exposeront que par ce qu’ils n’ont rien à perdre à se laisser voir ; et cette lutte annuelle et publique des artistes venant à cesser, l’art s’acheminera rapidement à sa décadence. […] Ce sont ces gens-là qui décident à tort et à travers des réputations ; qui ont pensé faire mourir Greuze de douleur et de faim ; qui ont des galeries qui ne leur coûtent guères ; des lumières ou plutôt des prétentions qui ne leur coûtent rien ; qui s’interposent entre l’homme opulent et l’artiste indigent ; qui font payer au talent la protection qu’ils lui accordent ; qui lui ouvrent ou ferment les portes ; qui se servent du besoin qu’il a d’eux pour disposer de son temps ; qui le mettent à contribution ; qui lui arrachent à vil prix ses meilleures productions ; qui sont à l’affût, embusqué derrière son chevalet ; qui l’ont condamné secrètement à la mendicité, pour le tenir esclave et dépendant ; qui prêchent sans cesse la modicité de fortune comme un aiguillon nécessaire à l’artiste et à l’homme de lettres, parce que, si la fortune se réunissait une fois au talent et aux lumières, ils ne seroient plus rien ; qui décrient et ruinent le peintre et le statuaire, s’il a de la hauteur et qu’il dédaigne leur protection ou leur conseil ; qui le gênent, le troublent dans son attelier, par l’importunité de leur présence et l’ineptie de leurs conseils ; qui le découragent, qui l’éteignent, et qui le tiennent, tant qu’ils peuvent dans l’alternative cruelle de sacrifier ou son génie, ou son élevation, ou sa fortune. […] Cependant on n’en parle pas moins chez ce peuple de l’imitation de la belle nature ; et ces gens qui parlent sans cesse de l’imitation de la belle nature, croyent de bonne foi qu’il y a une belle nature subsistante, qu’elle est, qu’on la voit quand on veut, et qu’il n’y a qu’à la copier. […] Mais je vais vous montrer que vous avez cet œil, et que vous vous en servez sans cesse. […] Les innovateurs scrupuleux de l’antique ont sans cesse les yeux attachés sur le phénomène, mais aucun d’eux n’en a la raison.

56. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [M. de Latena, Étude de l’homme.] » pp. 523-526

Après Montaigne et quand on eut vu son succès, il prit sans doute envie à plus d’un gentilhomme campagnard de jeter par écrit ses fantaisies sans beaucoup d’ordre, et de devenir auteur à ses moments perdus sans cesser de courir le lièvre. […] Cependant quelques esprits dont c’est la forme favorite et la propension intérieure n’ont pas cessé d’écrire des réflexions morales, des pensées : nous autres critiques, à qui l’on s’ouvre volontiers de ses désirs ou de son faible, et qu’on traite confidentiellement comme des directeurs ou des médecins, nous recevons beaucoup de livres dont le public n’est pas informé, et qui nous montrent que la série des principaux genres a sa raison dans le jeu naturel et dans le cadre permanent des facultés. […] … Le seul livre que j’aie constamment médité est celui qui est ouvert à tous, c’est-à-dire l’homme agissant sous les influences qui le dominent sans cesse, ses intérêts et ses passions ; et si quelquefois j’ai jeté un coup d’œil rapide sur La Bruyère et sur La Rochefoucauld, je ne l’ai fait que pour être certain de ne pas laisser de simples réminiscences se glisser parmi mes propres observations. » De cette manière de composer il est résulté quelquefois, en effet, que le lecteur, familier avec les écrits soit de Sénèque, soit de La Rochefoucauld et de La Bruyère, soit de Massillon, de Montesquieu et du comte de Maistre, sent se réveiller en lui des traces de pensées connues, en lisant tel passage de M. de Latena.

57. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « Mme DESBORDES-VALMORE. (Pauvres Fleurs, poésies.) » pp. 115-123

Pour elle chaque souffrance est un chant : c’est dire que, depuis ces cinq années, dans les vicissitudes de sa vie errante, elle n’a pas cessé de chanter. […] le tendre poëte nous remet sur la mort de sa mère, sur ce legs de sensibilité douloureuse qui lui vient d’elle, et qui, d’abord obscur, puis trop tôt révélé, n’a cessé de posséder son cœur : Comme le rossignol, qui meurt de mélodie, Souffle sur son enfant sa tendre maladie, Morte d’aimer, ma mère, à son regard d’adieu Me raconta son âme et me souffla son Dieu Triste de me quitter, cette mère charmante, Me léguant à regret la flamme qui tourmente, Jeune, à son jeune enfant tendit longtemps sa main, Comme pour le sauver par le même chemin. […] Sapho devait avoir de ces cris-là ; ou plutôt on sent que cette enfant de Douai, cette fille de la Flandre, y a puisé en naissant des étincelles de la flamme espagnole, en même temps qu’elle ne cesse de croire à la madone comme la Religieuse portugaise.

58. (1874) Premiers lundis. Tome I « M.A. Thiers : Histoire de la Révolution française Ve et VIe volumes — I »

Le pouvoir, comme on voit, en changeant de mains, se simplifiait, se concentrait sans cesse, et ses faisceaux, toujours moins nombreux et plus forts, frappaient des coups de plus en plus pressés et sûrs. […] Déjà l’énergie du Comité, ou, pour mieux dire, du triumvirat qui en était sorti, n’était plus en rapport avec les besoins publics ; sa tyrannie, dès lors, parut exorbitante, intolérable, elle dut cesser ; et, comme les tyrannies ne cessent jamais de bon gré, et que celle-ci s’était fermé tout retour par ses excès, elle croula de force, et comme de toutes pièces, sur la tête des oppresseurs.

59. (1874) Premiers lundis. Tome II « H. de Balzac. Études de mœurs au xixe  siècle. — La Femme supérieure, La Maison Nucingen, La Torpille. »

Mais à la pauvreté hautaine, étalée et presque cynique de Jean-Jacques, à la délicatesse de haut goût et un peu aristocratique de M. de Custine, à cette longue demande d’indispensables millions et de liste civile littéraire par M. de Balzac, je ne veux opposer, comme vérité, tact et dignité, qu’une page d’un écrivain bien compétent : « En vous rappelant sans cesse, écrit quelque part M. de Sénancour, que les vrais biens sont très supérieurs à tout l’amusement offert par l’opulence même, sachez pourtant compter pour quelque chose cet argent qui tant de fois aussi procure ce que ne peut rejeter un homme sage. […] Grâce à cette multitude de biographies secondaires qui se prolongent, reviennent et s’entrecroisent sans cesse, la série des Études de Mœurs de M. de Balzac finit par ressembler à l’inextricable lacis des corridors dans certaines mines ou catacombes. […] On avait mis dans un beau bassin propre de Versailles des poissons qui bientôt y mouraient : « Ils sont comme moi, disait-elle, ils regrettent leur bourbe » ; ce que M. de Balzac paraphrase ainsi : « Ils regrettent leurs vases obscures. » Eh bien, il a dans son expression, là même où l’on ne peut le contredire par une autorité historique, beaucoup de ces sortes d’impropriétés : ce style, sans cesse remué, s’alanguit et s’étire.

60. (1911) La valeur de la science « Introduction »

Et en effet, nous savons qu’elle est quelquefois décevante, que c’est un fantôme qui ne se montre à nous un instant que pour fuir sans cesse, qu’il faut la poursuivre plus loin et toujours plus loin, sans jamais pouvoir l’atteindre. […] Les hommes demandent à leurs dieux de prouver leur existence par des miracles ; mais la merveille éternelle c’est qu’il n’y ait pas sans cesse des miracles. […] Il ne faut pas comparer la marche de la Science aux transformations d’une ville, où les édifices vieillis sont impitoyablement jetés à bas pour faire place aux constructions nouvelles, mais à l’évolution continue des types zoologiques qui se développent sans cesse et finissent par devenir méconnaissables aux regards vulgaires, mais où un œil exercé retrouve toujours les traces du travail antérieur des siècles passés.

61. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 18, qu’il faut attribuer la difference qui est entre l’air de differens païs, à la nature des émanations de la terre qui sont differentes en diverses regions » pp. 295-304

En Angleterre le tuf est composé principalement de plomb, d’étain, de charbon de mine, et d’autres mineraux qui vegetent et qui se perfectionnent sans cesse. […] Dès que la terre est un mixte composé de solides et de liquides de divers genres et de differentes especes, il faut qu’ils agissent sans cesse l’un et l’autre, et qu’il s’y fasse ainsi des fermentations continuelles, d’autant plus que l’air et le feu central mettent encore les matieres en mouvement. […] Ainsi l’air de la contrée se corrompt, et il demeure corrompu jusqu’à ce que la terre découverte soit épuisée d’une partie de ces sucs, ou jusqu’à ce que la poussiere chariée sans cesse par les vents l’ait enduite d’une nouvelle croute.

62. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la révolution française — I. La Convention après le 9 thermidor. »

Au 9 thermidor, la dictature républicaine a cessé, et pour la seconde fois l’anarchie recommence, non plus cette anarchie vive, confiante, aventureuse, animée au fond d’une seule pensée et d’une seule espérance, telle qu’on la vit du 14 juillet au 10 août, dans les luttes du peuple avec le trône ; mais une anarchie plus triste et parfois même Hideuse, plus en proie aux petites intrigues qu’aux grandes passions, pleine de peurs et de remords, de mécomptes et de rancunes, de découragement et de désespoir, espèce d’acharnement misérable entre des vaincus et des blessés sur un champ de bataille tout sanglant. […] Sous lui du moins la liberté était sauve, sans que la gloire militaire cessât d’être florissante ; nous avons eu depuis de plus mauvais jours. […] Thiers en fait jaillir autant d’instruction que d’intérêt ; son récit est à la fois un drame et une leçon, sans jamais cesser d’être un récit, tant il a su y mettre de compassion et d’impartialité tout ensemble. […] En vain le montagnard Goujon, récemment arrivé des camps, s’écriait :« C’est la Convention qu’on accuse, c’est au peuple qu’on fait le procès, parce qu’ils ont souffert l’un et l’autre la tyrannie de Robespierre. » En vain Robert Lindet, dans un éloquent rapport sur la situation politique de la France, disait à ses collègues : « Cessons de nous reprocher nos malheurs et nos fautes.

63. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre II. Des tragédies grecques » pp. 95-112

Dans les tragédies, comme dans les poèmes, on est sans cesse frappé de ce qui manquait aux affections du cœur, lorsque les femmes n’étaient point appelées à sentir ni à juger. […] Les comédies rappellent souvent l’état politique de la nation ; mais, dans les tragédies, on peignait sans cesse les malheurs des rois18, on intéressait à leur sort. […] On ne trouve dans leurs tragédies qu’un trait caractéristique de la démocratie ; ce sont les réflexions que les principaux personnages, que les chœurs répètent sans cesse, sur la rapidité des revers de la destinée et sur l’inconstance de la fortune. […] Je ne crois point que rappeler sans cesse les infortunes des rois, fût un moyen d’anéantir l’amour de la royauté.

64. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

M. de Tracy croyait toujours à l’excellence de certaines idées, mais il avait cessé de croire à leur réalisation et à leur triomphe ; dans les premières années du siècle, et sous les ombrages d’Auteuil, il confiait tristement à des pages retrouvées après lui la démission profonde de son cœur. La Fayette n’a cessé de croire et à l’excellence de certaines idées et à leur triomphe ; il n’a, en aucun moment, pris le deuil de ses principes ; il n’a jamais désespéré. […] On trouvera peut-être que j’insiste trop sur cette illusion de La Fayette, sur cette vue obstinée et incomplète, selon laquelle il ne cessait de découper dans l’étoffe ondoyante de l’homme et du Français l’exemplaire uniforme de son citoyen. […] Si l’idée de liberté n’était pas engloutie sans retour, s’il devait y avoir pour elle, comme il ne cessait de l’espérer, réveil, purification et triomphe, ce n’était qu’au prix de cette attente, de cette abnégation, de ce respect témoigné par quelqu’un (ne fût-ce qu’un seul !) […] Emprisonné, odieusement réduit à toutes les privations, parce que son existence est déclarée incompatible avec la sûreté des Gouvernements, La Fayette ne cesse un seul instant d’être à la hauteur de sa cause.

65. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIII. Des éloges ou panégyriques adressés à Louis XIV. Jugement sur ce prince. »

Cet esprit avait passé jusque dans les ateliers des artistes : la peinture, la sculpture et la gravure, retraçaient sans cesse à Louis XIV tout ce qu’il avait fait de grand. […] Des hommes sans cesse entourés de malheurs publics et des leurs, des hommes qui n’entendent parler au-dehors que de batailles perdues, et qui, chez eux, ont le triste spectacle de la misère et de la faim, ne seraient pas disposés à louer le gouvernement même qui serait le plus sensible à leurs maux. […] À la fin, ce grand concert de panégyriques cessa : tout se tut ; et la voix de la postérité se fit entendre. […] Comme on craignait sans cesse, il fallut sans cesse être en état de combattre.

66. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Appendice »

… Ses caresses me désolent ; ses beaux rêves, ont elle me parle sans cesse et que je n’ai pas le courage de contredire, me navrent le cœur. […] Oui, si le revenais, je cesserais ma vie d’étude et d’examen, persuadé qu’elle ne peut me mener qu’au mal, et je ne vivrais plus que de la vie mystique, telle que l’entendent les catholiques. […] Je n’ai pourtant pas cessé un instant de regarder le ciel. […] Dupanloup a cessé d’être supérieur du petit séminaire, et moi de faire partie du collège Stanislas. […] Je ne suis pas, mon cher, de ceux qui prêchent sans cesse la tolérance aux orthodoxes ; c’est là, pour les esprits superficiels de l’un et de l’autre parti, la cause d’innombrables sophismes.

67. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIe entretien. Balzac et ses œuvres (1re partie) » pp. 273-352

Son amour pour ses enfants planait sans cesse sur eux, mais elle l’exprimait plutôt par des actions que par des paroles. Sa vie entière prouva cet amour ; elle s’oublia sans cesse pour nous, et cet oubli lui fit connaître l’infortune, qu’elle supporta courageusement. […] Ces prétendus philosophes se moquaient l’un de l’autre, se querellaient sans cesse, comme des amis (disait mon frère en racontant cette pièce). […] Travailler nuit et jour, se voir sans cesse attaqué quand il me faudrait la tranquillité du cloître pour mes travaux ! […] On délibère avec un dialogue, on ne gouverne pas. — Mais, dit-on, la majorité sans cesse déplacée par un discours ou par une intrigue fait la loi ?

68. (1856) Cours familier de littérature. II « XIIe entretien » pp. 429-507

« Le goût du pain leur devient amer, et ils cessent de désirer leur nourriture. […] C’est de cet équilibre entre l’intelligence et le sentiment, équilibre rompu sans cesse par la passion, rétabli sans cesse par la conscience, que résulte la moralité ou l’immoralité, la force ou la faiblesse, le crime ou la vertu, en d’autres termes le mérite ou le péché de l’âme. […] Elle conclut, parce qu’elle le sent, que l’homme est à la fois, pendant la durée de sa forme humaine, pensée et corps, esprit et matière, composé momentané, mystérieux et douloureux de deux natures ; que ces deux natures se répugnent, se tiraillent et s’efforcent sans cesse de rompre violemment le lien forcé qui les unit, parce que l’une, la matière, tend sans cesse à la dissolution et à la mort, l’autre, la pensée, tend sans cesse à l’affranchissement et à la vie. […] N’existant plus dans l’homme, le péché aurait cessé d’être possible, et la sainteté aurait cessé d’être méritoire. L’homme n’aurait plus eu sa part d’action propre dans sa propre destinée ; en cessant d’être libre il aurait cessé d’être homme ; sa vertu forcée l’aurait dégradé de sa vertu volontaire.

69. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

Cousin ne cesse de réfuter les doctrines par leurs conséquences morales, argument contraire, suivant M.  […] Alors voici mon doute, et où je cesse de comprendre. […] Les phénomènes naturels se modifient sans cesse autour de nous, et le tableau qui nous environne ne reste jamais un instant immobile. […] Ainsi la métaphysique de Hegel ne cesse jamais un instant d’être la métaphysique de l’absolu. […] A ce point de vue, Dieu se développe sans cesse ; il n’est pas, il devient, il se fait.

70. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Horace Walpole, Franklin, Galiani, au xviiie  siècle, nous jugent à merveille et avec sûreté dès le second coup d’œil, Mais Grimm nous juge plus pertinemment qu’aucun : il est plus en pied chez nous qu’Horace Walpole ; il n’a pas cette inquiétude spirituelle, ce trémoussement continuel de Galiani, qui lui fait dire sans cesse : Je suis et je veux être amusant. […] Cette Correspondance, qui dura sans interruption jusqu’en 1790, c’est-à-dire pendant trente-sept ans, et qui ne cessa, pour ainsi dire, qu’avec l’ancienne société française sous le coup de la Révolution, est un monument d’autant plus précieux qu’il est sans prétention et sans plan prémédité. […] Il connaissait à fond cette âme malade, jointe à un si prestigieux talent ; il redressait à chaque instant les fausses vues indulgentes où retombait sa gracieuse et trop prompte amie : « Je suis persuadée, disait de Rousseau Mme d’Épinay, qu’il n’y a que façon de prendre cet homme pour le rendre heureux : c’est de feindre de ne pas prendre garde à lui, et de s’en occuper sans cesse. » Grimm se mettait à rire et lui disait : « Que vous connaissez mal votre Rousseau ! retournez toutes ces propositions si vous voulez lui plaire : ne vous occupez guère de lui, mais ayez l’air de vous en occuper beaucoup ; parlez de lui sans cesse aux autres, même en sa présence, et ne soyez point la dupe de l’humeur qu’il vous en marquera. » Il ajoutait avec raison et ne cessait de redire que, déjà atteint de manie secrète, cette solitude absolue de l’Ermitage achèverait d’échauffer son cerveau et d’égarer son idée : et vers la fin de ce séjour, au moment où les soupçons et les extravagances de Rousseau commençaient à éclater : « Je ne saurais trop le dire, ma tendre amie, écrivait Grimm, le moindre de tous les maux eût été de le laisser partir pour sa patrie il y a deux ans, au lieu de le séquestrer à l’Ermitage. […] écrit-elle sans cesse après l’avoir entendu ; quelle impartialité dans les conseils ! 

71. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre quatrième. L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art. »

Les règles de la sensation agréable sont des limites pour l’art ; le rôle du génie dans l’art est précisément de reculer sans cesse ces limites et pour cela de paraître parfois violer les règles. En réalité il ne les viole pas d’une manière absolue, car des sensations franchement désagréables ne pourraient se tolérer, mais il les tourne, et ainsi il s’efforce d’élargir sans cesse le domaine que l’art s’ouvre dans la nature infinie. […] Disons plus, l’amour de la science et le sentiment philosophique peuvent, en s’introduisant dans l’art, le transformer sans cesse, car nous ne voyons jamais du même œil et nous ne sentons jamais du même cœur lorsque notre intelligence est plus ouverte, notre science agrandie, et que nous voyons plus d’univers dans le moindre être individuel. […] Ce qui fait qu’il est si difficile d’établir des règles fixes dans la critique d’art, c’est que l’objet suprême de l’art n’est pas fixe : la vie sociale est sans cesse en évolution ; nous ne savons jamais au juste ce que sera demain l’humanité. […] Ce qui est malheureux, c’est que la part du conventionnel va augmentant dans la société, à mesure qu’elle se et complique que tout cesse de s’y réduire à des relations purement animales.

72. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Émile Zola » pp. 70-104

Puis la dominante psychologique, habituellement analogue à la dominante physiologique, établie, il les résume en une phrase appositive qu’il accole sans cesse au nom de l’individu ainsi présenté. […] Sans cesse, par une poussée instinctive qui fait sauterie lien de ses doctrines et contredit les dehors de son art, le grand poète qu’est M.  […] Et sans cesse aussi, ayant assimilé les âmes aux éléments, le romancier prête, en retour, aux forces naturelles, de sourdes et inarticulées passions ; parle de l’entêtement des vagues et du rut de la terre ; fait souffrir une machine des coups qui la mutilent ; assigne à une maison l’humeur rogue de ses locataires. […] Cesser tout à coup de penser les choses réelles, en détacher un caractère extrêmement compréhensible et ne plus concevoir les individus qu’en tant qu’ils participent de cet attribut métaphysique est le fait soit d’une intelligence spéculative et savante, soit parfois d’un styliste émérite, d’un homme au tour d’esprit verbal qui emploie inconsciemment la synthèse que les mots ont faits de nos idées générales. […] Ces spectacles quotidiens et cette humanité courante, incapables d’aucun développement extrême, ne contenant de l’énergie universelle qu’une imperceptible dose, mesquins, transitoires et négligeables, présents cependant et s’imposant sans cesse à l’attention de son intelligence réaliste, l’exaspèrent, l’affligent, le dégoûtent et l’attirent.

73. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La princesse Mathilde » pp. 389-400

J’en avais la certitude ; mais, dans la situation actuelle, je devais éprouver une satisfaction particulière à recevoir de bonnes et amicales paroles qui me parviennent d’un pays où, dans ces derniers temps, la Russie et son souverain n’ont cessé d’être en bulle aux plus haineuses accusations. […] Il n’est point donné à la prévoyance humaine de le pénétrer ; mais ce que je puis vous assurer, ma chère nièce, c’est que dans toutes les conjonctures possibles, je ne cesserai d’avoir pour vous les sentiments affectueux que je vous ai voués, etc. (9 février 1854). […] Elle a le sens visuel et pittoresque remarquablement développé, et elle n’a cessé de le cultiver par l’étude et par le travail. […] De là, autour d’elle, des sujets inépuisables et sans cesse renaissants de conversation et de contradiction qu’elle permet, ou, bien mieux, qu’elle provoque et qu’elle anime.

74. (1875) Premiers lundis. Tome III « M. Troplong : De la chute de la République romaine »

Troplong a composé sur cette intéressante époque, où l’on va puiser sans cesse pour la comparer ou pour l’opposer à la nôtre. […] Son style ne cesse jamais d’être savant, pittoresque et viril ; mais son génie demeure trop étranger au progrès de la société romaine. […] à ses fêtes pacifiques et à ses triomphes, sans s’apercevoir de tout ce qui voudrait se déchaîner toujours et sans cesser de croire à la sérénité des flots : y pense-t-on bien ? […] et ce droit au gouvernail peut-il impunément être mis sans cesse au concours de tous ?

75. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Sur l’École française d’Athènes »

Il est temps que cette mésintelligence cesse, ou plutôt elle a déjà cessé auprès des esprits éclairés, et il n’y a plus qu’un pas à faire pour régler l’union. […] Dans une foule de cas, ils n’ont qu’à se ressouvenir, à faire acte d’une analogie rapide ; ils n’ont pas cessé en effet, même dans ce fleuve diminué, de tenir, si l’on peut dire, le fil du courant.

76. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 312-324

Sa prévoyance attentive ne cesse de pourvoir à tous les besoins de la Société. […] Le Vieillard, le Malade, l’Infortuné, le Criminel même, la trouvent sans cesse à leur côté, ou plutôt elle les prévient par ses consolations. […] Pour tout dire en deux mots, qu’on compare les fruits qu’a produits dans tous les Etats une Philosophie raisonneuse, turbulente & destructive, principe de leur altération, de leur dépérissement, & de leur chute, avec les avantages qu’ils doivent à la Religion, qui les a tirés du chaos, les a rendus florissans, les maintient ; & l’on saura que penser des déclamations de tant d’Ecrivains, qui n’ont pas rougi de dissimuler ses bienfaits, de lui imputer des crimes qu’elle condamne, & de lui reprocher des désordres, dont elle a bien pu être le prétexte, mais qui ont cessé aussi-tôt qu’on en est revenu à son esprit & à ses vrais sentimens.

77. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Guillaume Favre de Genève ou l’étude pour l’étude » pp. 231-248

Le voisinage d’une revue qui le sollicita sans cesse, et qui le forçait à faire des coupes bien nettes dans ses vastes matériaux, a été aussi pour quelque chose dans cette détermination dernière, dans cette mise en dehors qui a été si profitable au public, et d’un résultat inappréciable pour nos générations. […] Dans la composition de son Cours de littérature dramatique, Schlegel, alors à Coppet, mit sans cesse à contribution la science, la sagacité et la bibliothèque de Favre. Lorsqu’il eut quitté la Suisse, il le tenait au courant de ses études qu’il allait diversifiant sans cesse ; il était d’un certain âge déjà lorsqu’il s’appliqua au sanscrit ; il s’occupait à la fois de la langue et des poésies provençales, mais le sanscrit au premier abord éclipsa tout : Voilà, écrivait-il de Paris à Favre en 1815 en lui parlant de livres indiens très rares qu’il avait fait acheter à Londres, voilà mes confessions en fait de folies érudites. […] Soyons plus justes envers Schlegel qu’il ne l’a été envers nous, et ne cessons point pour cela de l’honorer, à côté de Lessing et de Goethe, comme un des plus fermes et des plus doctes esprits critiques de la grande époque. […] Les compatriotes de Favre l’ont célébré et pleuré pour les services généreux qu’il n’a cessé de rendre jusqu’à sa dernière heure et pour ses vertus : sa famille, en recueillant ses principaux écrits et en lui élevant, par les soins d’un digne éditeur, ce monument littéraire, a pourvu à la durée de son nom.

78. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’Impératrice Catherine II. Écrits par elle-même. »

Il est vrai que l’impression croissante et totale, la conclusion irrésistible résultant de la quantité de détails accumulés chemin faisant, est qu’il était impossible que Pierre III régnât, et bien difficile que Catherine, au contraire, ne devint point Impératrice de son chef ; ce qui avait été sa première pensée en mettant le pied en Russie et n’avait cessé d’être son secret désir. […] Cet être puéril et grossier ne cessa ainsi, durant des années, d’entretenir cette jeune fille, belle, fière, supérieure, et qui, de nom du moins, était sa femme, des sottes et grotesques amourettes qu’il entamait à droite et à gauche avec les femmes les plus laides et les plus indignes, lesquelles, de leur côté, le méprisaient encore, comme le firent, au reste, et comme en avaient apparemment le droit, toutes celles à qui il eut affaire dans sa vie. […] Un jour, dans une discussion entre sa mère et l’Impératrice, l’un des courtisans qui vient d’y assister, rencontrant Catherine avec le grand-duc, assis sur une fenêtre dans une pièce voisine et en train de rire, leur dit en passant : « Cette grande joie va cesser tout à l’heure » ; et s’adressant à elle : « Vous n’avez qu’à faire vos paquets, vous allez repartir tout de suite pour vous en retourner chez vous. » Catherine, en commentant ce propos avec le grand-duc, s’aperçoit du peu d’effet qu’il a produit sur lui : « Je vis clairement qu’il m’aurait quittée sans regret. […] Avant cette époque, je ne lisais que des romans ; mais par hasard vos ouvrages me tombèrent dans les mains ; depuis je n’ai cessé de les lire, et n’ai voulu d’aucuns livres qui ne fussent aussi bien écrits et où il n’y eût autant à profiter. […] La femme cependant ne cessait d’être séduisante, et elle se montre à nous avec bien du charme en plus d’une page de ces Mémoires : le plus volontiers à cheval, en habit d’homme et de la meilleure grâce, changeant d’habit continuellement, la plus vaillante et la plus ravissante des amazones et des écuyères (elle avait même inventé une selle particulière à son usage) ; ou bien au bal, infatigable à la danse et s’y acharnant, changeant jusqu’à trois fois d’habit en une soirée, ne remettant jamais deux fois le même déguisement, « parce que j’avais pour règle, nous dit-elle, que si une fois il avait fait un grand effet, il n’en pouvait faire qu’un moindre à une seconde mise » ; et à d’autres jours, aux bals plus particuliers de la Cour, écrasant les plus superbes costumes par la magnificence des siens, ou d’autres fois affectant une simplicité soudaine qui n’était que la plus délicate des recherches.

79. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre IX. Inquiets et mystiques » pp. 111-135

Desjardins cesse d’être théorique et ennuyeux, pour devenir pratique et dangereux : « Nous travaillerons dans le sens de la démocratie libérale… Le protectionnisme et toutes les formes du socialisme d’état nous le combattrons… Une société de secours moral se formera ; ce sera le commencement d’une période militante ; ce que fera cette Société, je ne suis ni capable ni digne de l’exprimer. […] Maeterlinck se caractérise en ceci : qu’il s’exprime en phrases très claires, très simples, mais à double ou à triple sens, sens de plus en plus lointains sans cesser jamais d’être cohérents, et de s’amplifier les uns par les autres. […] J’ai résisté à d’inévitables tentations d’infidèles splendeurs, car sans cesse l’esprit du vieux moine touche à d’étranges beautés, que sa discrétion n’éveille pas, et toutes ses voies sont peuplées d’admirables, rêves endormis, dont son humilité n’a pas osé troubler le sommeil. » M.  […] Des badauds s’enquièrent sans cesse du train qu’on mène et, si à des carrefours encombrés l’on ralentit, myopes à discerner ce qui arrête, et impropres à dégager, ils se lamentent. […] Au cas particulier de M. de Wyzewa, il est sûr qu’il a fini d’aimer les lettres modernes le jour qu’il a cessé de se croire doué d’un talent révolutionnaire.

80. (1785) De la vie et des poëmes de Dante pp. 19-42

Les deux poëtes s’élèvent de division en division et des punitions qui deviennent toujours plus de clartés en clartés, trouvant sans cesse légères. […] Le traducteur a sans cesse à lutter contre un style affamé de poésie, qui est riche et point délicat, et qui, dans cinq ou six tirades, épuise ses ressources et lui dessèche ses palettes. […] L’imagination passe toujours de la surprise que lui cause la description d’une cause incroyable à l’effroi que lui donne nécessairement la vérité du tableau : il arrive de là que ce monde visible ayant fourni au poëte autant d’images pour peindre son monde idéal, il conduit et ramène sans cesse le lecteur de l’un à l’autre ; et ce mélange d’événements si invraisemblables et de couleurs si vraies fait toute la magie de son poëme. […] On se demande, après l’avoir lu, comment un homme a pu trouver dans son imagination tant de supplices différents, qu’il semble avoir épuisé les ressources de la vengeance divine ; comment il a pu, dans une langue naissante, les peindre avec des couleurs si chaudes et si vraies, et, dans une carrière de trente-quatre chants, se tenir sans cesse la tête courbée dans les Enfers. […] C’est un des grands défauts du poëme, d’être fait un peu trop pour le moment : de là vient que l’auteur, ne s’attachant qu’à présenter sans cesse les nouvelles tortures qu’il invente, court toujours en avant, et ne fait qu’indiquer les aventures.

81. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Il nous engage à reprendre, sans cesse, activement, l’œuvre de création intérieure qui est notre tâche éternelle. […] La vie apparaît sans cesse composée d’éléments plus subtils. […] Ainsi le langage musical fut sans cesse plus complexe, sous la complexité sans cesse plus vive des émotions ; et chacun de ses termes acquit une valeur émotionnelle plus précise, devint plus exclusivement le signe d’une émotion définie. […] Et plus tard, quand il a cessé d’aimer Joséphine, ah ! […] Elle peut s’exercer sans cesse ouvertement, apparaître toujours ce qu’elle est.

82. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Conduite de l’action dramatique. » pp. 110-232

Si l’une manque, l’intérêt cesse ou diminue. […] Si le poète change les principales circonstances de l’action, que l’on suppose être un événement connu, son poème cesse d’être vraisemblable. […] Un des grands secrets de l’art dramatique, c’est de faire sans cesse contraster les caractères avec les situations. […] On ne s’arrête point à l’enveloppe ; les sentiments cesseraient même d’être aussi touchants, aussi sublimes, s’ils étaient exprimés en termes magnifiques et pompeux. […] c’est qu’elle n’excite que l’admiration sans intérêt, et que ce sentiment cesse avec la surprise qui l’a produit.

83. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc (suite et fin.) »

Ainsi nous faisons sans cesse, toujours en action et en réaction ; nous nous chargeons volontiers d’être nos propres mépriseurs. […] Ce genre de travail et d’inventaire l’a conduit à nous tracer un tableau de la vie privée de la noblesse féodale en ces âges où les mœurs, dans les hautes classes et les classes aisées, cessèrent d’être barbares dès le XIIIe siècle et devinrent même assez raffinées au XIVe. […] Mais est-ce que les Grecs dont on parle sans cesse ont fait ainsi ? […] Celui-ci ne cessait de lui montrer de belles estampes, de beaux modèles ; il lui faisait copier des statues grecques, ce qu’il y avait de mieux en gravures. […] Viollet-Le-Duc n’a cessé d’être chargé de grands travaux par le gouvernement ; il est le conservateur et le réparateur de l’enceinte militaire de Carcassonne, ce modèle de fortification datant du XIIIe siècle.

84. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Essai de critique naturelle, par M. Émile Deschanel. »

Ces distinctions ont cessé ou tendent de plus en plus à disparaître. […] Doué d’ailleurs des talents littéraires les plus éminents, il n’en avait tiré nul parti, n’avait entrepris aucun ouvrage, avait projeté toujours et s’était répandu, et véritablement épuisé, comme un Coleridge ou un Diderot chrétien l’eût pu faire, dans les charmes et les fatigues d’une conversation multiple qu’on lui demandait sans cesse et à laquelle il ne savait pas résister. […] Celui-là seul se développe sans cesse et fleurit toujours. […] Il renferme des obscurités, des énigmes pour moi dans plusieurs de ses parties, et ce n’est qu’à celles où le cœur suffit pour tout entendre que je m’adresse et que je reviens sans cesse. […] Je me réservais, dans cette réimpression, de mettre le nom de la personne à laquelle j’avais songé par contraste ; mais je ne le ferai point, et par une très bonne raison : c’est que le portrait a cessé pour moi d’être exact et ressemblant.

85. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DE LA LITTÉRATURE INDUSTRIELLE. » pp. 444-471

Mais voilà qu’en littérature, comme en politique, à mesure que les causes extérieures de perturbation ont cessé, les symptômes intérieurs et de désorganisation profonde se sent mieux laissé voir. […] Depuis la Restauration et au moment où elle a croulé, ces idées morales et politiques se sont, chez la plupart, subitement abattues ; le drapeau a cessé de flotter sur toute une cargaison d’ouvrages qu’il honorait et dont il couvrait, comme on dit, la marchandise. […] Des journaux parurent, uniquement fondés sur le produit présumé de l’annonce : alors surtout la complaisance fut forcée ; toute indépendance et toute réserve cessèrent. […] De nos jours le bas-fond remonte sans cesse et devient vite le niveau commun, le reste s’écoulant ou s’abaissant. […] Je vous ferai une belle cedule A vous payer (sans usure s’entend) Quand on verra tout le monde content ; Ou si voulez, à payer ce sera Quand votre loz et renom cessera.

86. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La Grande Mademoiselle. » pp. 503-525

Son père, Gaston, duc d’Orléans, doué de mille qualités de l’esprit, et de pas une de celles qui tiennent au cœur et au caractère, était l’âme de toutes les intrigues politiques dirigées contre Richelieu, et compromettait sans cesse des serviteurs et des amis, qu’ensuite il abandonnait. […] Pendant plus de trente ans encore on lui parlera de ces sortes de projets à l’infini ; elle en parlera sans cesse elle-même, mais en enfant, sans jamais pouvoir se résoudre, et sans s’apercevoir à la fin que cette indécision éternelle devient une fable. Celle qui s’appelait Mademoiselle par excellence ne pouvait se décider à cesser de l’être, et cela dura jusqu’au moment où la nature tant ajournée reprit ses droits et parla une fois pour toutes à son cœur. […] Il entend bien ne pas cesser de coucher au Louvre. […] Quand Lauzun sortit de prison, ce n’était plus l’honnête homme, le galant homme et l’homme poli qui l’avait tant charmée : le courtisan seul avait survécu, courtisan acharné, et qui n’eut pas de cesse qu’il ne se retrouvât sur pied et dans un replâtrage de faveur auprès du maître ; d’ailleurs dur, intéressé ouvertement, cupide, osant reprocher à Mademoiselle les sacrifices mêmes qu’elle avait faits pour le délivrer.

87. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Henri Heine »

Des appréhensions mystérieuses, lointaines, sans cause apparente, remuent perpétuellement son âme inquiète comme ces feuillages sans cesse frémissants, qu’aucun souffle ne frôle. […] Si lu as de bons yeux, Et que tu regardes dans mes chants, Tu verras une belle jeune fille Y errer sans cesse. […] Mais cette diversité de sentiments préserva d’autre part Heine d’en être totalement envahi, l’état de sa conscience, ce qui constituait son moi, variant sans cesse il fut amené comme toutes les personnes qui ont une vive activité intellectuelle, beaucoup (le pensées, beaucoup de volonté, à éprouver, connaître, distinguer ces changements intérieurs, à s’analyser particulièrement dans ses sentiments, et à en diminuer ainsi non seulement l’intensité, mais la franchise, la vérité, un sentiment n’étant véritable que quand on n’a pas la liberté d’esprit de le discerner, c’est-à-dire de nouveau quand on en a peu et de durables. […] Il varia ses croyances sans cesse et sans grand sérieux. […] Mais peu à peu, devenu homme, le souvenir d’Israël cessa de le hanter.

88. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Première partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées religieuses » pp. 315-325

Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées religieuses Toutes les fois que la société a cessé d’être gouvernée par les traditions, le besoin d’une révélation s’est toujours fait sentir. […] Par la religion, la parole ne cessera de régner sur le genre humain jusqu’à la fin des temps. […] Est-ce à nous d’ailleurs à nous montrer si difficiles, nous qui ne cessons de nous parer de nos trophées militaires ?

89. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VII. D’Isocrate et de ses éloges. »

Cet éloge en vingt pages ne vaut pas les trois vers d’Homère, ou deux vieillards qui s’affligeaient ensemble des maux de la guerre, en voyant passer Hélène auprès d’eux, cessent tout à coup de s’étonner que l’Europe et l’Asie combattent depuis dix ans. […] Sans cesse il y compare Lacédémone et sa patrie ; il n’est pas nécessaire de dire à qui il donne la préférence : l’âme de l’orateur n’était pas susceptible d’enthousiasme pour Sparte. […] L’autre me parle toujours de loin ; j’aperçois sans cesse deux mille ans entre lui et moi.

90. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) » pp. 5-56

Or, si cette révolte de la nature irréfléchie, de l’égoïsme individuel dont ces philosophes font un prétendu droit dans ce qu’ils appellent les droits de l’homme, existait, la société cesserait à l’instant d’exister, car la société ne se maintient que par la toute-puissance et la toute légitimité de la volonté générale sur la volonté égoïste de l’individu. […] Peuple du vent et du mouvement perpétuel, emporté à tous les abîmes par le tourbillon même qu’il crée et accélère sans cesse en lui et autour de lui ! […] Culte des ancêtres perpétuant la mémoire et sanctifiant la filiation humaine en reportant sans cesse l’humanité à sa source par la reconnaissance : spiritualisme filial, qui va rechercher la vie pour la bénir et la tradition pour la vénérer. […] XIII Cessons de rechercher le faux principe de la société politique dans la souveraineté des trônes, despotisme ; dans la souveraineté des castes, aristocratie ; dans la souveraineté du peuple, anarchie et tyrannie à la fois. […] Rousseau et de ses disciples ne promet à l’humanité que des biens matériels et quelques souffrances égales pour tous, des luttes pour ou contre une souveraineté sans cesse imposée par les tyrans, sans cesse reconquise par les peuples ; des droits qui ne reposent que sur des révoltes de tous contre tous, et qui ne sont contresignées qu’avec du sang, des métiers ou des arts tout manuels ; des lois toutes égalitaires pour consoler au moins le malheur de chacun par le niveau du malheur commun, puis la mort ensevelissant une société de poussière vivante dans une poussière morte.

91. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 457-512

L’attention de répéter sans cesse que le Czar est un grand Homme, annonce tout au plus un Ouvrage de commande, & ne persuaderoit pas la supériorité du Héros, s’il n’avoit pas lui-même d’autres titres pour la faire sentir. […] Il suffit de dire que les fautes, les erreurs, les bévues, s’y entrechoquent à chaque page, & que l’Ecrivain y répete, répete, répete sans cesse les mensonges qu’il avoit déjà répétés en mille endroits. […] De là, d'abord ami & flatteur du grand Rousseau, il est devenu son ennemi le plus acharné, & n'a cessé de le poursuivre sous la cendre qui couvre son tombeau. […] Cette raison n'a jamais vu les objets que comme elle pouvoit les voir, c'est-à-dire avec l'œil du préjugé, variant sans cesse selon l'impulsion momentanée. […] Pourquoi courir sans cesse après la louange, & se déconcerter au moindre trait de contradiction ?

92. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Meurice, Paul (1818-1905) »

En même temps qu’il s’est occupé avec un zèle de tous les instants des publications du poète de France, il n’a cessé de produire lui-même. […] Quand les jours meilleurs furent venus, Meurice ne cessa pas de travailler ; au contraire.

93. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — IX. Chassez le naturel… »

De temps à autre, le singe se grattait de brefs coups de patte saccadés et le lièvre, qui redoute sans cesse d’être surpris par quelque ennemi de sa race, ne pouvait s’empêcher à tout instant de tourner la tête tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. […] Et, à chaque partie du corps qu’il nommait ainsi, il l’indiquait d’un geste précipité qui faisait cesser l’impérieuse démangeaison.

94. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « MÉLEAGRE. » pp. 407-444

La philosophie fait exception, et elle a sa jeune milice déjà brillante : le feu sacré n’a cessé d’être entretenu, d’être attisé de ce côté par la main et par le souffle d’un maître qui ne s’endort pas ; mais je parle de la littérature proprement dite, de la poésie des Anciens, de ces œuvres sans cesse invoquées de tous et trop peu ressaisies à leur source même. […] La poésie française, qui fait, à travers tout, l’objet favori de mes pensées, et dont la régénération n’a cessé, à aucun instant, de m’être présente, y gagnerait peut-être plus qu’il ne semble. […] Est-ce que par là tu veux me faire entendre qu’elle a sans cesse en elle l’aiguillon doux et insupportablement amer de l’amour ? […] » Bien que le plus grand nombre des traits qui composent ce tableau entre d’ordinaire, bon gré, mal gré, dans toute description du printemps, et que la poésie, en émigrant vers le nord, n’ait cessé de s’inspirer et de se ressouvenir de ces mêmes anciennes peintures du midi, comme si dans leurs objets elles restaient toujours présentes, on peut s’assurer qu’il n’en était pas ainsi pour Méléagre, et qu’il avait bien réellement sous les yeux le spectacle fortuné qu’il décrit. […] En France, les personnes même instruites (hors du cercle de l’érudition) sont trop accoutumées à ne juger l’antiquité que sur quelques grands noms qui reviennent sans cesse, qu’on cite à tout propos et qu’on croit connaître.

95. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

tandis que les grands poèmes chevaleresques et les nobles sujets qu’ils traitaient se sont perdus avec le temps, ont été oubliés et n’ont laissé de souvenir que ce qu’il en fallait pour être parodiés, tandis que la grande et hautaine branche des Chansons de geste s’est desséchée et a péri, la branche plus humble des Fabliaux, et plus voisine de terre, n’a cessé de verdoyer, de bourgeonner et de fleurir ; ces vieux récits n’ont cessé de vivre, de se réciter, de se transmettre, et les auteurs connus, qui ont eu l’honneur de nous les conserver en les variant à leur guise, n’ont fait le plus souvent qu’hériter des inconnus qui leur en ont fourni la matière et soufflé l’esprit. […] Le conte, après avoir fait le voyage d’Italie, repassait en France et n’en paraissait que meilleur ; la circulation ne cessait pas. […] Il a trouvé pour quelques-uns de ces regrets naturels qui reviennent sans cesse, sur la beauté évanouie, sur la fuite des ans, l’expressionla meilleure et définitive, une expression vraie, charmante, légère, et qui chante à jamais au cœur et à l’oreille de celui qui l'a une fois entendue. […] La bonne compagnie est née avec Marot, François Ier et sa sœur Marguerite, avec la Renaissance ; il y aura encore bien à faire pour la perfectionner, mais elle existe et ne cessera plus. […] Et même vieux et cassé avant l’âge, il ne cessa d’avoir, jusqu’au bout, de ces retours et de ses assauts de verve qu’il a rendus avec feu.

96. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Lettres de la mère Agnès Arnauld, abbesse de Port-Royal, publiées sur les textes authentiques avec une introduction par M. P. Faugère » pp. 148-162

La persévérance toutefois, qui fait le caractère du petit troupeau janséniste, n’avait pas cessé son effort après tant d’années, et l’on n’avait pas renoncé à payer cette dette d’une publication tardive à une mémoire des plus honorées. […] Singlin et de M. de Saint-Cyran une maxime pratique qu’elle applique sans cesse, c’est qu’il ne faut rien faire dans la précipitation, c’est que le désir, même lorsqu’il est dans le meilleur sens et vers le plus louable but, doit faire, en quelque sorte, sa quarantaine et son carême, et doit user son attrait avant de s’accomplir, si l’on veut qu’il produise tout son fruit : « Il faut faire toutes choses, dit-elle, dans une certaine maturité qui amortit l’activité de l’esprit humain, et qui attire une bénédiction de Dieu sur ces choses dont on s’est mortifié quelque temps. » C’est ce qu’on appelle en ce style mystique pratiquer la dévotion du retardement, et elle la conseille en toute occasion aux personnes qui lui font part de leurs peines et des obstacles qu’elles rencontrent dans la voie du bien. […] Je doute qu’il en ressorte quelque idée plus avantageuse de la spirituelle et très maniaque marquise, qui, sous prétexte de faire son salut, s’était logée tout contre Port-Royal, et ne cessait d’y occuper, d’y harceler et d’y faire enrager les mères. […] D’après ce principe que les petits présents entretiennent l’amitié, il ne cessait d’en faire aux religieuses ses voisines ; il leur envoyait tantôt de l’excellent beurre de Bretagne (il était Breton), tantôt du fruit, des fleurs, une lampe, un cachet où était l’image du bon pasteur.

97. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  premier article .  » pp. 326-341

L’antiquité, on l’a dit, est chose nouvelle ; depuis le jour où elle a été retrouvée et comme découverte à l’époque de la renaissance, elle n’a cessé d’être étudiée, et de l’être mieux, au moins de quelques-uns. Les points de vue et les perspectives qu’on a sur elle n’ont cessé de varier aussi et de se diversifier selon les degrés successifs que cette étude a parcourus, et selon les points du temps où le spectateur s’est trouvé placé : chaque siècle depuis le xvie a eu de ce côté son belvéder différent. […] Ce désaccord, qui tenait à la rapidité des temps et à l’empressement honorable des premières générations, a graduellement cessé ; depuis une douzaine d’années surtout, l’Université ne se lasse pas de former dans ses écoles, d’exercer dans ses concours, une jeune et forte milice qui soutiendrait le choc dans les luttes philologiques contre nos rivaux d’outre-Rhin, et qui n’a pas à rougir non plus devant les souvenirs domestiques, devant les traditions exhumées de la vieille Université d’avant Rollin. […] Mais qu’entre ces seconds chanteurs et les premiers il y ait eu de toute nécessité un génie supérieur, un auteur principal, une seule tête, une seule âme ordonnatrice faisant le nœud des uns aux autres, c’est ce que l’œuvre résultante semblerait déclarer suffisamment ; et la tradition n’a pas cessé un instant de le confirmer.

98. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Montalembert orateur. » pp. 79-91

Ce n’est que depuis 1848 que M. de Montalembert, acceptant la leçon des événements, a cessé d’être un orateur de parti pour se montrer un orateur tout à fait politique. […] Il a cessé de voir les questions par un seul aspect ; il unit deux choses contraires, il combine. […] Disciple alors de M. de Lamennais et rédacteur très actif du journal L’Avenir, il y faisait ses premières armes en réclamant, au nom de la Charte, cette entière liberté d’enseignement qu’il n’a cessé de revendiquer depuis. […] En répétant sans cesse : Nous autres catholiques, au lieu de dire : Nous tous catholiques, comme on faisait auparavant ; en se représentant lui et les siens comme dans un état d’oppression criante et d’isolement, il donna à penser que le catholicisme en France pourrait n’être bientôt plus qu’un grand parti, une grande secte.

99. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VII. Les hommes partagés en deux classes, d’après la manière dont ils conçoivent que s’opère en eux le phénomène de la pensée » pp. 160-178

Je désirerais seulement que les uns et les autres voulussent bien comprendre que, s’ils ne s’entendent pas entre eux, cela vient de ce qu’ils ont cessé de parler la même langue ; car, comme dans l’antique Orient, les uns parlent une langue divine, et les autres une langue mortelle ; et non point de ce qu’ils ont cessé d’avoir les mêmes raisons de s’aimer et de s’estimer. […] Je dirais donc volontiers aux néophiles : « Ceux contre lesquels vous vous élevez avec tant de violence n’ont d’autre tort que celui d’être restés fidèles au code des idées anciennes, et ils n’y sont restés fidèles que parce que c’était dans la forme même de leur intelligence, dans la manière dont s’opère en eux le phénomène de la pensée. » Je dirais aux archéophiles : « Vous craignez de retomber dans le chaos, parce qu’il vous semble que le principe générateur des sociétés humaines cesse d’agir. […] Ainsi, de ce que toutes nos traditions sociales finissent, il ne faut pas méconnaître l’esprit de ces traditions, qui ne doit point cesser de nous régir, ni les bienfaits qu’elles ont répandus parmi nous, et qui sont toujours subsistants.

100. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre V. Le souvenir du présent et la fausse reconnaissance »

Mais un travail d’élimination, de correction, de mise au point se poursuit sans cesse, d’où résulte précisément la santé morale. […] Mais veiller consiste à éliminer, à choisir, à ramasser sans cesse la totalité de la vie diffuse du rêve sur le point où un problème pratique se pose. […] Elle nous montre qu’on peut perdre ses souvenirs visuels sans cesser de voir et ses souvenirs auditifs sans cesser d’entendre, que la cécité et la surdité psychiques n’impliquent pas nécessairement la perte de la vue ou de l’ouïe : serait-ce possible, si la perception et la mémoire intéressaient ici les mêmes centres, mettaient en jeu les mêmes mécanismes ? […] Ainsi je me trouve sans cesse, vis-à-vis de ce qui est sur le point d’arriver, dans l’attitude d’une personne qui reconnaîtra, et qui par conséquent connaît. […] Elle aurait lieu à tout instant si la volonté, sans cesse tendue vers l’action, n’empêchait le présent de se retourner sur lui-même en le poussant indéfiniment dans l’avenir.

101. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Villeroy, Auguste »

Chrysopolis, capitale de l’empire du Couchant, est, depuis de longs jours, assiégée par les Barbares ; le peuple demande qu’on se rende, et peut-être l’empereur Héklésias, affaibli par l’âge et les travaux, aurait-il cédé, si sa fille Hérakléa n’était là, sans cesse, pour le rappeler à l’effort et à la résistance. […] Villeroy languit-elle à certains moments ; la gradation des sentiments n’est pas toujours assez marquée ; mais il est des scènes bien animées et vraiment dramatiques : celle, par exemple, qui termine le second acte, où Hérakléa cesse de croire aux Dieux, et, bravant le grand-prêtre Chrysès, décide l’empereur à agir contre la volonté de tous.

102. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 343-347

MONTAGNE, [Michel de] né dans le Château de Montagne, près de Bordeaux, en 1533, mort en 1592 ; Auteur original, en vogue dès les premiers temps de notre Littérature, plus encore de nos jours, depuis que ses Essais sont devenus une Mine féconde, où nos Philosophes ne cessent de puiser. […] Un peu de réflexion leur suffit, pour s’appercevoir que la justesse est rarement le partage du Philosophe discoureur ; qu’il ne suit jamais le plan qu’il s’est d’abord proposé ; qu’errant sans cesse entre le pour & le contre, tout se réduit, chez lui, à un scepticisme qui indigne le Lecteur jaloux d’apprendre quelque chose & de se fixer à un objet.

103. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Mais ce sont là des artifices et ils n’empêchent que les poètes de ce penchant, dans les pièces où ils sont particulièrement analystes psychologues, cessent d’écrire des poésies. […] Chez cet écrivain, dans tous les détails de son œuvre, on surprend l’activité constante d’une puissance de sensibilité extrême, très peu variée mais sans cesse éveillée, de telle sorte qu’un minimum d’images et de pensées suffit à alimenter l’activité morale de ce romancier, et que tout le reste est fourni par ce que donne son émotion. […] Ceux de Tolstoï le déterminèrent à abandonner l’observation d’un monde qui le froissait sans cesse et perdirent ainsi, artistiquement, un des plus puissants génie de ce temps. […] Les dures convictions qu’il se sentait obligé de suivre, lui paraissaient plus désolantes qu’à nous ; de plus son esprit le retenait sans cesse sur la pente des actes qu’il eût voulu accomplir : il vécut à l’étranger hors des conditions natives. […] Et ces êtres qui portent en leur tète de sublimes splendeurs, sont forcés sans cesse de se rappeler que c’est de l’humus qu’ils foulent et des hommes — non leurs inférieurs mais d’impérieux égaux — qu’ils coudoient.

104. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Lammenais » pp. 22-43

Mais bientôt, jusque dans le Lamennais de ce temps-là, nous allons retrouver celui que nous avons connu en dernier lieu, le même caractère exactement, la même âme, une âme excessive, inquiète, haletante, appelant sans cesse et repoussant le repos, enviant la mort etactivant la vie, se croyant une mission d’en haut, unevocation, et tenu d’y obéir : car qui a résisté à Dieu et a eu la paix ? […] On a fort discuté pour savoir si Lamennais, à un moment de sa jeunesse, et avant d’entrer dans l’état ecclésiastique, avait cessé entièrement de croire. […] En effet, dans cette Correspondance, à mesure qu’on avance, Lamennais ne cesse pas d’être en colère. […] Jugeant à chaque instant les choses si désespérées, les sentant si intolérables, il est d’une impatience de les voir changer que rien n’égale, et présageant le lendemain selon son désir, il annonce sans cesse une révolution, un bouleversement imminent et universel, cataclysme social, schisme, hérésie en religion, excès du mal, d’où naîtra le remède. […] Nous nous en allons vers notre vraie patrie, vers la maison de notre père : mais, à l’entrée, il y a un passage où deux ne sauraient marcher de front, et où l’on cesse un moment de se voir : c’est là tout. » A Mme de Senfft encore, au moment où il agitait de publier les Paroles d’un Croyant (19 février 1834) : « Vous allez entrer dans le printemps, plus hâtif qu’en France dans le pays que vous habitez (Florence) : j’espère qu’il aura sur votre santé une influence heureuse : abandonnez-vous à ce qu’a de si doux cette saison de renaissance ; faites-vous fleur avec les fleurs.

105. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier »

Elle écrivait beaucoup, sans cesse ; il y a, — il y avait des suites de correspondances nombreuses d’elle avec ses principaux amis : que sont-elles devenues ? […] Croit-on mettre la charité à couvert en ajoutant d’un air contenu : « Le secret de ses convictions intimes est resté entre Dieu et lui. » Non, c’était le cas de citer, si l’on voulait être complet, une autre lettre très explicite de Schlegel, qui ne saurait se séparer de la précédente, une lettre fort belle qu’il adressa plus de vingt-cinq ans après (le 13 août 1838) à la duchesse de Broglie qui ne cessait de le presser sur l’article de la foi, et dans laquelle il expose ses variations de sentiments, ses aspirations, sa crise morale et sa solution philosophique, ou, comme il le dit poétiquement, « ses erreurs d’Ulysse et son Ithaque ». […] Je ne crois pas que je me relève jamais de ce que j’éprouve ; rien ne m’intéresse plus ; je ne trouve de plaisir à rien ; la vie est pour moi comme un bal dont la musique a cessé, et tout, excepté ce qui m’est ravi, me paraît sans couleur. […] J’ai recours sans cesse à la prière… » Sismondi, qui n’était pas dans le secret et qui, homme excellent et loyal, n’avait peut-être pas une certaine délicatesse qui devine ce qu’on ne dit pas, se plaignait de son côté de ne pas retrouver auprès d’elle le même agrément, les mêmes attentions que dans les anciennes années moins éprouvées. […] C’est dans cet ensemble qu’elle excellait ; c’est cette trame diverse et mobile qu’elle agitait, qu’elle variait et recommençait sans cesse avec un art de magicienne ; c’est au cœur de cet orchestre où elle ne jouait pas seule, où elle tirait parti de tous, où elle devinait et occupait chacun, où elle associait les autres à son talent et se faisait pardonner sa supériorité en créant l’harmonie et en marquant l’accord jusque dans les dissonances, c’est là, dans son cercle à elle, qu’il fallait la voir ; et Byron, qui avait senti et noté le défaut, a aussi reconnu le charme et le triomphe.

106. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

Auguste Widal, professeur à la Faculté de Douai, dans une suite de leçons sur Homère qu’il a données au public et qu’iln’a cessé de revoir et d’améliorer depuis, s’est placé, sans prendre de parti, à une sorte de station moyenne qui lui a permis d’unir bien des comparaisons, de combiner bien des rapprochements, et il a fait un livre qui, dans sa seconde édition surtout, est devenu une excellente et fort agréable étude14. […] Puis, après une pause sérieuse de quelques minutes, il se fit lire le Traité qu’il écouta d’un bouta l’autre avec uns grande attention, et il reprit assez de force pour avoir la satisfaction suprême de donner « l’approbation d’un homme d’État mourant (ce furent ses propres paroles) à la plus glorieuse guerre et à la plus honorable paix que la nation eût jamais vue. » Et c’est ainsi que se révèle dans un noble exemple le commerce familier que l’aristocratie anglaise au dernier siècle n’avait cessé d’entretenir avec l’Antiquité grecque, et aussi la générosité vivifiante de sentiments et de pensées dont Homère est la source. […] Mais aussi, que le présent, que l’avenir le plus prochain, ne nous possèdent point tout entiers ; que l’orgueil et l’abondance de la vie ne nous enivrent pas ; que le passé, là où il a offert de parfaits modèles et exemplaires, ne cesse d’être considéré de nous et compris. […] Les problèmes en art, en science, en industrie, en tout ce qui est de la guerre ou de la paix, se posent pour nous tout autrement : nous avons l’étendue, la multitude, l’océan, tous les océans devant nous, des nations vastes, le genre humain tout entier : nous sondons l’infini du ciel ; nous avons la clef des choses, nous avons Descartes, et Newton, et Laplace ; nous avons nos calculs et nos méthodes, nos instruments en tout genre, poudre à canon, lunettes, vapeur, analyse chimique, électricité : Prométhée n’a cessé de marcher et de dérober les dieux. […] Mais c’est une raison de plus pour que notre fond de perspective ne cesse de nous montrer cette beauté première, cette excellence parfaite dans son cadre et en ses contours limités.

107. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Aussi ce groupe ou ce petit noyau, dont M. de Girardin était le principal moteur, avait titre et nom « les conservateurs progressistes. » Combattu, raillé par toutes les nuances de l’opposition, par toutes les fractions de la gauche et par les journaux qui la représentaient, négligé et passé dédaigneusement sous silence par le gros des conservateurs et par l’organe important du centre ministériel, le Journal des Débats, M. de Girardin sentit le besoin de se défendre lui-même, de dessiner sa situation, son idée, de la définir sans cesse, et c’est à ce moment qu’il devint décidément journaliste et rédacteur de premiers-Paris ; jusqu’alors il avait plutôt dirigé. Mais, vers 1844-1846, il devint une plume active, — cette plume nette, vive, courte et fréquente, qu’on a sans cesse rencontrée depuis, — avec des titres d’articles qui saisissent l’attention, des formules qui piquent et qu’on retient : Les Faiseurs. — Les hommes et les choses. — Changer les choses sans changer les hommes. — Pas de concessions, des convictions., etc. […] Le docteur conduisit son ami jusqu’à la rue Grange-Batelière, où tout danger et toute menace avaient cessé. […] C’est au milieu de ces luttes de chaque jour que M. de Girardin, obéissant à l’un des instincts et à l’une des lois de son esprit, s’est formé de plus en plus un système complet et radical de politique ou plutôt d’organisation de la société, qui est généralement peu compris, et qu’il ne cesse d’appliquer comme pierre de touche en toute circonstance. […] Le goût littéraire, plus scrupuleux et plus vite lassé que le talent politique, ne l’avertit pas de cesser.

108. (1813) Réflexions sur le suicide

Pourquoi l’homme ne s’irriterait-il pas de n’avoir pas toujours vécu comme de devoir cesser d’être ? […] Il y a un avenir dans toute occupation et c’est d’un avenir dont l’homme a sans cesse besoin. […] Il combattait sans cesse dans les Pharisiens les vices d’hypocrisie, d’incrédulité et de froideur. […] -C. recommande sans cesse à l’homme de ne point s’occuper de la vie en elle-même, mais de ses rapports avec l’immortalité. […] -C. en encourageant les hommes à supporter les peines de la vie rappelle sans cesse l’efficacité de la prière.

109. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCIXe entretien. Benvenuto Cellini (1re partie) » pp. 153-232

Mon père ne cessait de le prier de ne point me ramener à Pise. […] « Je ne cessai, à Florence, de m’appliquer à la manière de ce grand maître, et je ne m’en suis jamais écarté. […] Le Tasse, me voyant résolu, ne cessait de murmurer, et me suivait en boitant et à pas fort lents. […] C’est ce qui faisait que je le priais, et que je m’entretenais sans cesse avec lui. […] La peur s’empara de lui de plus belle, il ne cessait de crier au batelier de démarrer ; et ce ne fut qu’arrivé à Florence qu’il se crut en sûreté, et qu’il cessa de trembler.

110. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Ils veulent aussi se frayer un chemin, et ils s’égarent sans cesse. […] La théorie a cessé d’être mathématique. […] Toutes les questions fondamentales, celles où l’on retombe sans cesse en approfondissant, passèrent dans le domaine de la religion. […] Sans cesse il a répété que ce changement n’était ni possible, ni raisonnable. […] La licence succède rapidement à la contrainte qui vient de cesser.

111. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

Supposez Raphaël éternel, immobile devant la toile, peignant nécessairement et sans cesse. […] Vous n’avez donc jamais été vain quand vous avez cessé d’être fort ? […] S’il n’y avait rien de commun, les hommes disputeraient sans cesse et n’en viendraient jamais aux mains ; s’il n’y avait rien de divers, ce serait tout le contraire. […] L’imagination ne crée rien, elle imite, elle compose, combine, exagère, agrandit, rapetisse, elle s’occupe sans cesse de ressemblances. […] Partout décadence de la verve et de la poésie ; à mesure que l’esprit philosophique a fait des progrès, on cesse de cultiver ce qu’on méprise.

112. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 234-238

Que faudra-t-il penser de sa Dialectique, si elle cesse d’être un moyen d’éclairer & d’instruire, pour devenir un instrument destructif qui s’attache à tout ? […] Quelle gloire pourroit donc tirer l’incrédulité d’un Coryphée, qu’on nous prône sans cesse, & qui s’est décrédité lui-même par des incertitudes continuelles ?

113. (1772) Discours sur le progrès des lettres en France pp. 2-190

Dès qu’ils furent sortis de la barbarie, qu’ils cessèrent d’être errans & pauvres, & qu’ils purent jouir de leurs conquêtes, ils cherchèrent les moyens de respirer en paix sous l’heureux climat qu’ils avoient choisi. […] Ce spectacle aussi intéressant que sublime, qui frappoit sans cesse leurs sens, élevoit leur esprit jusqu’à leur divin Auteur, & leurs premiers ouvrages n’ont été que des Cantiques de reconnoissance à sa gloire. […] Envain on objecte sans cesse que les sources sont taries, & que les sentiers sont trop battus : à force de le répéter, on le croit, & le goût se perd. […] D’ailleurs quel genre de gloire pourroit l’intéresser, quand il est sans cesse entouré de vils flatteurs, qui encensent ses vices, & font l’éloge de ses sottises ? […] Telle est l’inconstance de l’esprit à la mode ; tout frivole qu’il est, il se lasse bientôt de la frivolité même, & cherche à renouveler sans cesse les objets de son amusement.

114. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXVIII » pp. 266-276

Ses personnages sont dotés presque invariablement de plusieurs millions : il ne compte que par sommes immenses, fabuleuses, on dirait qu’il a toute une alchimie secrète à son service, qui ne cesse de fournir l’or et de battre monnaie pour ses héros et ses héroïnes. […] Cousin ne cesse de répéter que Port-Royal représente le stoïcisme chrétien : ces assimilations rapides, sans être fausses, ne sont pas suffisantes et ne sauraient se donner comme définitives. […] Il faut savoir que l’incorruptible auteur de la Némésis a cessé autrefois ses pamphlets hebdomadaires parce qu’il s’était raccommodé avec le gouvernement qui se montra touché de son silence.

115. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXV » pp. 402-412

« Les avis d’une amie aimable, lui disait-elle, persuadent plus que ceux d’une sœur sévère. » Elle ajoutait : « Croyez-moi, ma belle demoiselle, car vous ne cesserez jamais de l’être, les intrigues de la cour sont bien moins agréables que le commerce de l’esprit. […] Alors elle cessa d’écrire à son frère sur tout autre sujet que l’ordre et l’économie d’une maison. […] Du moment qu’elle devint confidente et dépositaire des sentiments et des pensées du roi, et même des secrets de l’État, elle cessa de s’appartenir à elle-même : ce fut un devoir pour elle de donner au roi une parfaite sécurité sur le dépôt que sa confiance mettait à la discrétion de son amie ; elle lui devait de rompre toute familiarité qui aurait pu compromettre ce dépôt : il n’y a rien de si difficile à cacher qu’un secret avec tes personnes à qui l’on parle habituellement à cœur ouvert ; et il y a des secrets à la cour qui se découvrent par le soin de les cacher ; si bien qu’affecter de taire certaines choses, c’est les dire.

116. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 23-38

Cependant, comme un nom accrédité dans la Littérature n’est que trop capable aujourd’hui d’en imposer à la multitude ; comme les Esprits foibles & légers se laissent aisément ébranler par le persiflage ; comme la plupart d’entre eux cessent d’admirer, dès que la mode le commande, ou que le ridicule les effraie : il est nécessaire de défendre la gloire d’un des premiers Poëtes de la Nation. […] Il en est de ces inexactitudes comme des licences poétiques ; dès qu’elles produisent un grand effet, elles cessent d’être des licences blâmables. […] Sans chercher à pénétrer les motifs de l’Auteur de l’Art Poétique, on pourroit assurer que ce Poëme cesse d’être complet, puisqu’il n’y dit rien de la Fable, genre le plus capable de faire honneur à notre Parnasse & à notre Langue.

117. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXVIII » pp. 113-116

Elle a semblé vivre à de certains moments sous de grands papes ; mais c’étaient des cabinets superposés : comme nation, elle n’a cessé d’être morte. » Et encore : « Rome est morte et bien morte. […] On n’a pas cessé d’être au temps de Sidoine Apollinaire ; avec plus ou moins de goût, c’est la même chose depuis des siècles.

118. (1913) Le bovarysme « Deuxième partie : Le Bovarysme de la vérité — II »

Mais leur courage viendrait sans doute à défaillir s’il leur fallait constater que tous leurs efforts ne vont qu’à remplacer un mensonge par un autre et que les conditions mêmes de la vie phénoménale les condamnent à créer sans cesse des perspectives plus ou moins fausses. […] Or, si l’on se reporte aux origines de la vie phénoménale, telles qu’elles ont été montrées ici, si l’on est bien convaincu de l’évidence de cette proposition, qu’aucun état de connaissance n’est possible que d’un objet pour ira. sujet, en sorte que toute entité vivante ne prend conscience d’elle-même qu’au moyen d’une falsification de soi, il apparaît que la vérité n’a pas de place dans la vie phénoménale, qu’on ne peut imaginer et situer l’idée de vérité qu’en un état d’identité absolue entre toutes les choses où toutes les choses se confondraient et s’évanouiraient et où cesserait, avec toute différence et tout reflet, toute conscience.

119. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Ampère »

En même temps que, déjà jeune homme, les livres, les idées et les événements l’occupaient ainsi, les affections morales ne cessaient pas d’être toutes-puissantes sur son cœur. […] Ampère, qui ne le connaissait pas jusqu’alors, ne cessait de se récrier à cette exposition si lucide de découvertes si imprévues. […] Les mathématiques et les sciences physiques ne cessaient de partager son zèle. […] Les anciens doutes et les combats religieux avaient cessé en lui : ses inquiétudes, du moins, étaient plus bas. […] Ampère n’a cessé, à aucun moment, de suivre en détail, et souvent de devancer et d’éclairer, dans ses aperçus, plusieurs de celles dont il aimait particulièrement le progrès.

120. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

« L’écrivain semi-sérieux est un homme chez lequel la sensibilité douce et l’enjouement tendre sont, par le don d’une nature modérée, dans un si parfait équilibre, qu’en étant sensible, l’écrivain ne cesse jamais d’être enjoué, et qu’en étant enjoué il ne cesse jamais d’être sensible ; en sorte qu’en le lisant ou en l’écoutant on passe à son gré, du sourire aux larmes, et des larmes au sourire sans jamais arriver ni jusqu’au sanglot qui déchire le cœur, ni jusqu’à l’éclat de rire, cette grossièreté de la joie. […] J’ai mis mon bonheur dans moi-même pour qu’il ne dépendît que de ma raison : jeune, j’ai évité la dissipation, persuadé qu’un peu de bien était nécessaire aux commodités d’une vie avancée ; vieux, j’ai cessé d’être économe, pensant que la nécessité est peu à craindre quand on a peu de temps à en souffrir. […] L’un ne cessera pas de monter, l’autre ne cessera pas de descendre. […] Ils badinent presque sans cesse avec les choses sérieuses, ils font de la poésie la flamme bleue d’un bol de punch, au lieu d’en faire la flamme inextinguible d’un autel. […] En littérature tu n’as pas cessé de railler depuis dix ans toutes ces vieilleries de religiosités, de philosophie, de spiritualisme, d’éloquence, de lyrisme, de philanthropie, de politique, bulles de savon colorées, selon toi, tantôt des rayons de nos vaines imaginations, tantôt du sang de nos veines !

121. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVIe Entretien. Marie Stuart (reine d’Écosse) »

De plus, l’Écosse, sans cesse menacée de domination ou d’envahissement par l’Angleterre, avait besoin de puissantes alliances étrangères, en Europe, pour l’aider à conserver son indépendance et pour lui fournir l’appui moral et l’appui matériel nécessaires pour contre-balancer l’or et les armes des Anglais. […] Le jour où elle cessait de faire partie du grand système catholique constitué sur le continent, elle tombait à la mer, elle n’avait plus pour alliée que son ennemie mortelle et naturelle, l’Angleterre. […] Si en quelque séjour, Soit en bois ou en prée, Soit sur l’aube du jour Ou soit sur la vesprée, Sans cesse mon cœur sent Le regret d’un absent. […] Ne pouvant la suivre en Écosse à cause de ses charges, il voulut y être perpétuellement représenté par un jeune gentilhomme de sa maison, du Chatelard, afin d’être entretenu sans cesse par ce correspondant des moindres événements et, pour ainsi dire, de la respiration même de son idole ; du Chatelard, pour son malheur, était lui-même amoureux jusqu’au délire de celle auprès de qui il allait représenter un autre amour. […] Du Chatelard, sans cesse admis dans la familiarité la plus intime de sa maîtresse, avait fini par confondre le badinage et le sérieux, et par se persuader que la reine ne désirait qu’un prétexte pour tout accorder à son audace.

122. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre II. Le comique de situation et le comique de mots »

Suivons le progrès insensible par lequel il fait grandir ses pantins, les anime, et les amène à cet état d’indécision finale où, sans cesser d’être des pantins, ils sont pourtant devenus des hommes. […] Une même exclamation sans cesse répétée : « Monsieur Purgon !  […] Si les événements pouvaient être sans cesse attentifs à leur propre cours, il n’y aurait pas de coïncidences, pas de rencontres, pas de séries circulaires ; tout se déroulerait en avant et progresserait toujours. […] Considérée dans le temps, elle est le progrès continu d’un être qui vieillit sans cesse : c’est dire qu’elle ne revient jamais en arrière, et ne se répète jamais. […] Il y arrive d’ordinaire en renouvelant sans cesse la fausse menace d’une dissociation entre les deux séries qui coïncident.

123. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

Ses toilettes n’allaient qu’à elle ; son imagination les composait sans cesse, et il lui en est échappé quelques secrets. […] Le portrait de Valérie elle-même revient, repasse sans cesse à travers cela, dans toutes les situations, dans toutes les poses, souriant, attristé, mobile, et comme amoureusement répété par mille glaces fidèles. […] Ils sont vrais à moitié, aux trois quarts ; mais il faut les continuer, les achever par l’idéal, ce qui exige une attention extrême, pour ne pas cesser de paraître naturel. […] Qu’est-ce qui produit donc cette foule de vices qui nous blessent sans cesse ? […] Elle ne connaissait encore l’empereur Alexandre qu’indirectement, bien qu’elle l’appelât déjà le Sauveur universel, l’Ange blanc, et qu’elle l’opposât sans cesse à l’Ange noir, Napoléon.

124. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

Mais la Toscane, ce merveilleux phénomène de la richesse, cette royauté de l’intelligence, cette monarchie du travail à l’époque où l’industrie européenne n’était pas née, devait décroître et tomber d’elle-même aussitôt que l’industrie de la laine, de la soie, de la banque, cesserait d’être le monopole, le brevet d’invention de Florence, et que les mêmes industries, mères du même commerce et sources des mêmes richesses, s’établiraient à Lyon, à Venise, à Londres, à Birmingham, à Calcutta, et que le travail européen et asiatique ne laisserait au peuple des Médicis, de Dante, de Michel-Ange, que cette primauté du génie des arts qui fait la gloire, mais qui ne fait pas la puissance militaire et politique des nations. […] Qui ne sent, en effet, quel trouble, quelle anarchie, quelles factions, quelles révoltes pourrait jeter dans un État un pontife turbulent et cosouverain qui y lancerait sans cesse et impunément, au nom de sa cosouveraineté spirituelle, des manifestes appelés bulles, ferments de désaffection, de résistance, de soulèvements des populations contre ces républiques ou contre ce prince temporel ? […] Là où cesse l’équilibre européen cesse l’indépendance des nations et commence la tyrannie. […] L’Allemagne et la France, sans cesse provoquées à des luttes incessantes par une puissance si forte et si active que le Piémont, n’auraient plus une heure de paix ; la guerre entre la France et l’Allemagne aurait deux champs de bataille au lieu d’un, et le Rhin ne roulerait pas moins de sang que le Pô et l’Adige. […] La maison de Savoie, devenue conquérante de toute l’Italie pour un jour, n’aura donc de solidité ni contre l’Autriche, qu’une monarchie piémontaise provoquera sans cesse à l’hostilité, ni contre la France, qu’une monarchie piémontaise alarmera sans cesse sur sa sûreté, ni contre l’Europe catholique, qu’une monarchie piémontaise désaffectionnera à jamais d’une maison de Savoie, maîtresse des États romains.

125. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juillet 1886. »

Parfois elle envahit tout l’être, et les paroles cessent, comme les notions. […] Ainsi le langage musical fut sans cesse plus complexe, sous la complexité sans cesse plus vive des émotions : et chacun de ses termes acquit une valeur émotionnelle plus précise, devint plus exclusivement le signe d’une émotion définie. […] Ils aperçurent que les divers genres et modes, par leur liaison aux émotions, avaient acquis la valeur, sans cesse plus précise, de signes, et constituaient un langage défini. […] Au dix-huitième siècle, les émotions n’avaient point cessé être naïves et simples t elles étaient devenues plus spirituelles. […] Ce chant aigu, excessif, dont toutes les notes ont des vibrations désespérées de coups d’aile, reparaîtra sans cesse au cours de la pièce.

126. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Il ne cessa d’y travailler dans les années suivantes, essayant de se remettre sur pied et n’y parvenant qu’imparfaitement et toujours d’une manière boiteuse. […] C’est cette même marquise de Lassay pour laquelle Chaulieu, qui en était épris, et qui la rencontrait sans cesse dans la petite cour de Mme la Duchesse à Saint-Maur, a fait une foule de jolis vers, et ceux-ci entre autres où il parle de son cœur d’un ton presque aussi ému que l’eût pu faire La Fontaine : Il brûle d’une ardeur désormais éternelle ; Et, livré tout entier à qui l’a su charmer, Il sert encore un Dieu qu’il n’ose plus nommer51. […] Esclave des gens qui sont en faveur, tyran de ceux qui dépendent de lui, il tremble devant les premiers et persécute sans cesse les autres… Souvent il est agité par une espèce de fureur qui tient fort de la folie : ce ne sont quasi jamais les choses qui en valent la peine, mais les plus petites, qui lui causent cette fureur : cela dépend de la situation où se trouve son esprit ; et cela vient aussi de ce qu’il n’est point louché de ce qui est véritablement mal ; si bien qu’il ne regarde jamais les choses, mais simplement les personnes qui les ont faites ; et, si c’est quelqu’un qui lui déplaise, il grossit des bagatelles et en fait une affaire importante : cependant il est si faible et si léger que tout cela s’évanouit, et il ressemble assez aux enfants qui font des huiles de savon. […] En vieillissant, il était, il est vrai, fort las du monde, ou du moins il le disait volontiers, mais il y revenait sans cesse : « On méprise le monde, et on ne saurait s’en passer. » Il reconnaissait que, pour un homme qui en a pris le train et l’habitude, c’était encore la meilleure manière d’être que de ne pas s’en séparer trop longtemps. […] La supériorité blesse trop pour aimer à passer sa vie avec des gens qui en ont beaucoup sur vous ; les vues d’intérêt et d’ambition cessent, et ce sont les seules raisons qui peuvent engager à vivre avec des personnes à la mauvaise humeur et aux fantaisies desquelles on est exposé à tous les moments, qui ont toujours raison quelque tort qu’ils aient, dont la haine est dangereuse, qui ne se soucient de vous qu’autant que vous pouvez contribuer à leur amusement, et qui croient que tout leur est dû et qu’ils ne doivent rien à personne.

127. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

Au milieu de ma douleur, il y a une idée qui me soutient : il est peut-être heureux d’avoir cessé de vivre dans les circonstances où nous vivons. […] Il ne faut ni trop en attendre ni trop en craindre, mais tâcher de la voir telle qu’elle est sans dégoût ni enthousiasme, comme un fait inévitable, qu’on n’a pas produit, qu’on ne fera pas cesser, et qu’il s’agit surtout de rendre supportable. […] Il est, dans la sphère humaine, dans le domaine de la pensée comme dans l’ordre social, des couches profondes, des cercles extrêmes qu’il faut avoir visités et traversés, qu’il faut sans cesse oser pénétrer du regard, sans quoi l’on n’est jamais un philosophe achevé ni même un parfait et consommé politique. […] A partir de cette époque, vous avez eu de grands jours ; mais l’action continue a cessé : c’est par l’époque de la Restauration que vous marquerez dans notre histoire. […] Ce fut l’idée mère autour de laquelle il ne cessa de graviter. »

128. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « UNE RUELLE POÉTIQUE SOUS LOUIS XIV » pp. 358-381

Elle naît avec lui, sans cesse lui demande Un tribut dont en vain son orgueil se défend. […] Elle ne cessa d’envisager le sort, ses jeux bizarres, ses injustices, d’agiter en idée la faiblesse de l’homme, ses déceptions vaines, l’insuffisance de sa raison : Homme, vante moins ta raison ; Vois l’inutilité de ce présent céleste Pour qui tu dois, dit-on, mépriser tout le reste. […] toujours aimer, recommencer sans cesse ? […] Dès qu’il commence à paroître, Il fait cesser les froideurs ; Mais ce qu’il a de douceurs Vous coûtera cher peut-être. […] que je vous aie jamais parlé ni écrit à Charleville ; car, s’il en savait quelque chose, cela nous mettroit en mauvaise intelligence, et feroit cesser celle que vous savez.

129. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

L’on porterait l’émotion au milieu d’êtres égoïstes, la raison impartiale lutterait en vain contre les sophismes du vice, et la piété sérieuse livrée sans cesse à tous les dédains de la frivolité cruelle. […] Dans quel découragement l’esprit ne tomberait-il pas, s’il cessait d’espérer que chaque jour ajoute à la masse des lumières, que chaque jour des vérités philosophiques acquièrent un développement nouveau ! […] Cet éclat que leurs calomnies obscurcissent souvent aux yeux du monde, ne cesse jamais d’offusquer leurs propres regards. […] Je suis donc revenue sans cesse, dans cet ouvrage, à tout ce qui peut prouver la perfectibilité de l’espèce humaine. […] La méthode de définir tous les termes, et de substituer sans cesse la définition à la place du défini, est belle, mais impraticable ; car comment éviter le cercle ?

130. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

Ces doutes qui l’avaient touché à son retour à Noyon étaient devenus douloureux ; ils cessèrent, dit-il, dès qu’il eut cessé d’appartenir au catholicisme. […] Le chrétien justifié ne put cesser de l’être ; la justification fut une sanctification. […] Depuis lors, Calvin cessa d’y toucher. […] Chose inouïe pour toutes ces âmes qui n’avaient pas cessé d’être chrétiennes, mais qui ne n’étaient plus guère que par les sens et l’habitude, de connaître enfin, par l’intelligence et le raisonnement, la grandeur de leur croyance, et de retrouver leurs titres d’enfants de Dieu ! […] Calvin ne perfectionna pas seulement en l’enrichissant, la langue générale ; il créa une langue particulière dont les formes très-diversement appliquées n’ont pas cessé d’être les meilleures parce qu’elles ont été tout d’abord les plus conformes au génie de notre pays, je veux dire, la langue de la polémique.

131. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre I. La conscience et la vie »

Elle comportera, elle appellera sans cesse des additions, des corrections, des retouches. […] Une conscience qui ne conserverait rien de son passé, qui s’oublierait sans cesse elle-même, périrait et renaîtrait à chaque instant : comment définir autrement l’inconscience ? […] Qu’arrive-t-il quand une de nos actions cesse d’être spontanée pour devenir automatique ? […] J’ai essayé jadis de montrer que, si la première est l’inverse de la seconde, si la conscience est de l’action qui sans cesse se crée et s’enrichit tandis que la matière est de l’action qui se défait ou qui s’use, ni la matière ni la conscience ne s’expliquent par elles-mêmes. […] L’homme, appelé sans cesse à s’appuyer sur la totalité de son passé pour peser d’autant plus puissamment sur l’avenir, est la grande réussite de la vie.

132. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

Il est épris de la noble gloire et des luttes généreuses d’un Cicéron ; il se nourrit sans cesse de l’esprit et des ouvrages de « ce grand auteur », qu’il appelle « toute une bibliothèque de raison et d’éloquence ». […] Au nombre des résultats bons ou fâcheux qu’il constate, il compte celui-ci, d’avoir cessé d’être un Anglais, c’est-à-dire un insulaire marqué au coin de sa nation et jeté dans un moule indélébile : cette forme en lui s’effaça alors et ne reprit jamais qu’imparfaitement depuis. […] Le malheur des historiens modernes, et auquel échappaient les anciens, c’est que, de nouveaux documents survenant sans cesse, le mérite de la forme et de l’art n’est plus compté comme il devrait l’être, et que les derniers venus, souvent sans être meilleurs, mais en paraissant mieux armés de toutes pièces, étouffent et écrasent leurs devanciers. […] — L’esprit de critique compare sans cesse le poids des vraisemblances opposées et en tire une combinaison qui lui est propre. — Ce n’est qu’en rassemblant qu’on peut juger. — De ce que deux choses existent ensemble et paraissent intimement liées, il ne s’ensuit pas que l’une doive son origine à l’autre. — Telles sont quelques-unes des maximes de Gibbon. […] Il n’est pas fâché quand cela cesse, il est content que cela ait été.

133. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IV. Ordre d’idées au sein duquel se développa Jésus. »

Voilà pourquoi les dépositaires de l’esprit de la nation, durant ce long période, semblent écrire sous l’action d’une fièvre intense, qui les met sans cesse au-dessus et au-dessous de la raison, rarement dans sa moyenne voie. […] Un gigantesque rêve poursuivait depuis des siècles le peuple juif, et le rajeunissait sans cesse dans sa décrépitude. […] Une série de procurateurs romains, subordonnés pour les grandes questions au légat impérial de Syrie, Coponius, Marcus Ambivius, Annius Rufus, Valérius Gratus, et enfin (l’an 26 de notre ère), Pontius Pilatus, s’y succèdent 173, sans cesse occupés à éteindre le volcan qui faisait éruption sous leurs pieds. De continuelles séditions excitées par les zélateurs du mosaïsme ne cessèrent en effet, durant tout ce temps, d’agiter Jérusalem 174. […] Laissez l’austère Jean-Baptiste dans son désert de Judée, prêcher la pénitence, tonner sans cesse, vivre de sauterelles en compagnie des chacals.

134. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Maintenon. » pp. 369-388

Logée dans un couvent près la place Royale, elle voyait de là le meilleur monde ; elle était sans cesse à l’hôtel d’Albret et à celui de Richelieu. […] Je ne puis mieux la comparer, dans ses projets perpétuels et ses menaces de retraite, qu’à M. de Chateaubriand, qui voulait toujours, comme on sait, fuir le monde pour un ermitage et s’en retourner chez les sauvages américains : « Je retournerais en Amérique, disait Mme de Maintenon, si l’on ne me disait sans cesse que Dieu me veut où je suis. » Elle avait un confesseur, l’abbé Gobelin, qui sut lui dire de très bonne heure, en lui montrant la place (place encore sans nom et nullement vacante, car la reine vivait) qu’il y avait à occuper auprès de Louis XIV : Dieu vous veut là ! Mme de Maintenon se laissait persuader et restait, et rien n’est curieux comme de la voir entre les deux maîtresses du roi (Mme de Montespan et Mme de Fontanges), allant de l’une à l’autre, raccommodant, conseillant, conciliant, décousant sous main, se faisant de fête sans en avoir l’air, et par-dessus tout (c’est son faible et sa méthode) voulant être plainte de sa situation et voulant se retirer sans cesse. […] Ou encore : « Je le renvoie toujours affligé et jamais désespéré. » Cette toile de Pénélope à faire et à recommencer sans cesse dura environ onze années. […] Dès l’heure du réveil jusqu’à celui du coucher, elle n’avait pas une minute, pas un interstice de répit ; elle était toute à tous, toute à des princes pour qui elle se gênait sans cesse, et à un roi qui n’eût pas sacrifié la moindre de ses habitudes pour la personne même qu’il aimait et considérait le plus.

135. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre premier. De la première époque de la littérature des Grecs » pp. 71-94

Il se répète quelquefois, mais il n’est pas monotone, parce qu’il est sans cesse animé par des sensations nouvelles. […] L’esprit qui les conçoit est sans cesse ramené vers elles ; et il serait impossible aux modernes de faire abstraction de tout ce qu’ils savent, pour peindre les objets comme les anciens les ont considérés. […] Mais l’esprit d’encouragement n’a jamais cessé d’exercer parmi eux la plus grande force. […] Tout contribuait à réunir les lumières, à rassembler les talents dans le cercle de concurrents en petit nombre, qui s’excitaient l’un l’autre, et se mesuraient sans cesse.

136. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXI. Dernier voyage de Jésus à Jérusalem. »

Entouré de pièges et d’objections, il était sans cesse poursuivi par le mauvais vouloir des pharisiens 944. […] N’ayant nulle idée du monde, accoutumé à son aimable communisme galiléen, il lui échappait sans cesse des naïvetés, qui à Jérusalem pouvaient paraître singulières 947. […] Dans ce tranquille intérieur, il se consolait des tracasseries que les pharisiens et les scribes ne cessaient de lui susciter. […] Pour cesser d’être juif, on ne devenait pas romain ; on restait sans défense sous le coup d’une législation théocratique de la plus atroce sévérité.

137. (1761) Apologie de l’étude

Mais si on avait, comme je le suppose, un désir sincère de les convertir en les effrayant, on pouvait, ce me semble, faire agir un intérêt plus puissant et plus sûr, celui de leur vanité et de leur amour-propre ; les représenter courant sans cesse après des chimères ou des chagrins ; leur montrer d’une part le néant des connaissances humaines, la futilité de quelques-unes, l’incertitude de presque toutes ; de l’autre, la haine et l’envie poursuivant jusqu’au tombeau les écrivains célèbres, honorés après leur mort comme les premiers des hommes, et traités comme les derniers pendant leur vie ; Homère et Milton, pauvres et malheureux ; Aristote et Descartes, fuyant la persécution ; le Tasse, mourant sans avoir joui de sa gloire ; Corneille, dégoûté du théâtre, et n’y rentrant que pour s’y traîner avec de nouveaux dégoûts ; Racine, désespéré par ses critiques ; Quinault, victime de la satire ; tous enfin se reprochant d’avoir perdu leur repos pour courir après la renommée. […] Semblable à un pendule qu’une force étrangère a tiré de son repos, il tend à y revenir sans cesse. […] Il en est de même de l’homme ; sans cesse le penchant le ramène au repos, et sans cesse l’agitation que ses désirs lui ont imprimée, l’en fait sortir pour le chercher encore, jusqu’à ce que son âme, usée peu à peu par ces désirs mêmes, et par la résistance qu’elle a éprouvée pour les satisfaire, jouisse enfin d’une triste et tardive tranquillité.

138. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « EUPHORION ou DE L’INJURE DES TEMPS. » pp. 445-455

Quelques écrits ont hérité avec bonheur de ceux que la ruine a engloutis ; quelques noms glorieux, plus nettement dessinés, et répétés sans cesse, sont devenus pour nous la représentation et comme le symbole subsistant des autres à jamais perdus en eux. […] — Mais non ; il est et il demeure bien résolu que de nouvelles conditions de stabilité ont été introduites dans le monde ; les ruines brusques et violentes n’appartiennent qu’à l’histoire ancienne ; dupes, entraînés et turbulents jusqu’à ce jour, les hommes ont, de ce matin, cessé de l’être. […] Et pourtant de tels motifs de garantie future que j’embrassais de grand cœur, et auxquels je ne cessais de croire dans mon songe (car vous n’oubliez pas que c’en est un), ne le rendaient pas moins mélancolique et moins sombre ; mon pauvre Euphorion, avec la foule innombrable et confusément plaintive de ces poëtes déshérités, déchus, ensevelis, ne se laissait pas oublier, et ils faisaient tous la ronde autour de moi, tellement que mes idées commençaient à vaciller un peu.

139. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VI. L’Astronomie. »

Ses insuccès mêmes ne l’éclairaient pas, pas plus qu’aujourd’hui un solliciteur éconduit ne se décourage au point de cesser de solliciter. […] Les anciens croyaient que tout était fait pour l’homme, et il faut croire que cette illusion est bien tenace, puisqu’il faut sans cesse la combattre. […] c’est parce que nous avons vu le Ciel s’agrandir et s’agrandir sans cesse ; parce que nous savons que le Soleil est à 150 millions de kilomètres de la Terre et que les distances des étoiles les plus rapprochées sont des centaines de mille fois plus grandes encore.

140. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

On oppose sans cesse la Littérature et la Science. […] En 1850, comme en 1884, il était persuadé que cet instinct cesse de fonctionner dès qu’il cesse d’être aveugle. […] Il y parle de Dieu, comme d’un « être infini, éternel, parfait, qui produit sans cesse le monde et l’élève sans cesse vers un état meilleur… qui agit sur nous par le mouvement intérieur qui nous porte au bien ». […] Nous remarquerons ensuite qu’à travers les pires orages de leur liaison ils n’ont guère cessé d’écrire. […] Il confine sans cesse à la dissertation par cette nécessité d’être complet, pour ne pas être partial.

141. (1875) Premiers lundis. Tome III « M. de Latena : Étude de l’homme »

La bienveillance habituelle qui règne dans son observation générale de l’homme, et qui ne permet point à l’amertume de se glisser sous le fruit de son expérience, n’empêche pourtant pas qu’il ne dise des choses assez vives à ce sexe qu’il paraît avoir bien connu : « Il n’est pas adroit de se montrer très-clairvoyant avec les femmes, à moins que ce ne soit pour deviner ce qui leur plaît. » « Il n’est pas rare de voir une femme, miraculeusement échappée aux dangers de la jeunesse et de la beauté, perdre le fruit de ses sacrifices en se donnant dès qu’on cesse de l’attaquer. […] Celle d’un homme et d’une femme ne cesse guère d’être attentive et empressée ; le sexe y conserve une partie de son influence… » La douceur de l’âge moins ardent, la vie égale et encore sensible d’une maturité apaisée est très-bien rendue par M. de Latena : « Entre quarante et cinquante ans, le soleil de la vie commence à descendre vers l’horizon, et tous les objets récemment éclairés d’une lumière éclatante prennent des teintes obscurcies qui font présager la nuit.

142. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre IV. — Molière. Chœur des Français » pp. 178-183

Pendant que les Allemands nous prouvent que Molière n’est pas un bon poète comique, nous n’avons pas cessé d’entendre les Français chanter sa gloire : Gloire à Molière, le plus grand des poètes comiques ! […] Il a pour antagoniste-né le génie lyrique, qui sans cesse se chante, se raconte et se décrit, qui se mire dans les choses, se sent dans les personnes, intervient et se substitue partout, et rend impossible la diversité255.

143. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre premier. Du Christianisme dans l’éloquence. »

On lit une fois, deux fois peut-être les Verrines et les Catilinaires de Cicéron, l’Oraison pour la Couronne et les Philippiques de Démosthène ; mais on médite sans cesse, on feuillette nuit et jour les Oraisons funèbres de Bossuet et les Sermons de Bourdaloue et de Massillon. […] Ils ont sans cesse le nom des dieux à la bouche : voyez l’invocation du premier aux mânes des héros de Marathon, et l’apothéose du second aux dieux dépouillés par Verrès.

144. (1896) Écrivains étrangers. Première série

Sans cesse, dans ses livres, il les cite, les prend à témoin. […] En réalité, l’imagination produit sans cesse un mélange de bon, de médiocre, et de mauvais, et la faculté critique ne cesse pas un instant de fonctionner. […] Moi, vois-tu, j’y pense sans cesse. […] Depuis le moment où il a paru, journaux et revues n’ont cessé de s’en occuper ; déjà M.  […] Il fournissait sans cesse à M. 

145. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome I

Elle peut au contraire s’arrêter sans que cette œuvre cesse de conserver une très grande valeur, mais ce n’est plus une valeur d’action. […] René Vallery-Radot, ces deux syllabes sacrées passent et repassent sans cesse. […] Il est nommé professeur à Aix, d’où il va sans cesse à Marseille. […] La gaieté du bon vivant y est sans cesse touchée de mélancolie. […] La civilisation doit être considérée comme une ruine sans cesse réparée.

146. (1864) Études sur Shakespeare

Religion, liberté, ordre public, littérature, rien ne s’est développé parmi nous qu’avec effort, au milieu de luttes sans cesse renaissantes, et sons les influences les plus diverses. […] Les hommes libres des campagnes et des villes ne cessèrent jamais de faire eux-mêmes et de traiter ensemble leurs affaires. […] Il faut que le poëte dramatique renoue sans cesse cette relation, qu’il la maintienne à travers les vicissitudes de situations diverses. […] Shakespeare y a réussi cependant ; dans Macbeth, Hamlet, Richard III, Roméo et Juliette, l’action, pour être vaste, ne cesse pas d’être une, rapide et complète. […] Sans cesse placés dans une situation analogue, les personnages d’une tragédie conçue aujourd’hui dans le système romantique nous offriraient la même indécision.

147. (1932) Le clavecin de Diderot

Le surréalisme s’est attaqué, s’attaquera aux problèmes qui ne sont éternels que par la peur qu’ils n’ont cessé d’inspirer à l’homme. […] Le thème central, unique n’a jamais cessé d’être meurtres et mutilations. […] Or, de même que la jeune épouse crie « maman » dans son effroi de la volupté, lui ne cessait d’appeler son père. […] Et même vaincus, ils ne cesseront de le nier, par dépit, par rage de n’avoir su, avec lui, se mettre d’accord. […] Il devient une boîte hermétiquement close dont les cordes, faute d’être pincées, ne vont cesser d’aller se désaccordant.

148. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIVe entretien. Alfred de Vigny (1re partie) » pp. 225-319

Vous ne cessez de vanter l’intelligence, et vous tuez les plus intelligents. […] Au moindre choc elle part, au plus petit souffle elle vole et ne cesse d’errer dans l’espace qui n’a pas de routes humaines. […] Il peut encore, si son cœur ne se soulève pas trop violemment, courber et amoindrir sa pensée, et cesser de chanter pour écrire. […] ne puis-je cesser d’avoir cette idée ? […] Puissent vos beaux yeux ne jamais pleurer et vos lèvres sourire sans cesse !

149. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IV. De la philosophie et de l’éloquence des Grecs » pp. 120-134

Platon, cet écrivain si brillant d’imagination, revient sans cesse à une métaphysique bizarre du monde, de l’homme et de l’amour, où les lois physiques de l’univers et la vérité des sentiments ne sont jamais observées. […] Si le régime républicain n’avait pas cessé d’exister depuis Aristote, les modernes lui seraient aussi supérieurs dans la connaissance de l’art social que dans toute autre étude intellectuelle. […] Le mouvement que Démosthène exprime le plus souvent, c’est l’indignation que lui inspirent les Athéniens ; cette colère contre le peuple, assez naturelle peut-être dans une démocratie, revient sans cesse dans les discours de Démosthène.

150. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XI. De la littérature du Nord » pp. 256-269

Les poètes du Midi mêlent sans cesse l’image de la fraîcheur, des bois touffus, des ruisseaux limpides, à tous les sentiments de la vie. […] La poésie mélancolique ne peut pas se varier sans cesse. […] Il n’y a point de mythologie ; mais on y retrouve sans cesse une élévation d’âme, un respect pour les morts, une confiance dans une existence à venir ; sentiments beaucoup plus analogues au caractère du christianisme que le paganisme du Midi.

151. (1894) Propos de littérature « Chapitre Ier » pp. 11-22

Tout passe, mais il demeure, sans cesse nouveau et renaissant à chaque effort ; il est ta vie, il est la mienne, et chacun de nos gestes affirme encore sa puissance. […] Mais l’univers crie par mille voix : « Cesse ton effort ! […] Mais mouvante toujours et sans cesse changée, l’âme existe en tant que Rythme, en tant que direction vers un but à l’infini, et ce but, — c’est soi-même.

152. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre VI. La commedia sostenuta » pp. 103-118

Le pédant semble encore plus ancien et plus indispensable ; il écorche déjà du latin dans les comédies de l’Arioste (par exemple Cleandro des Suppositi) ; il ne cessera de lâcher la bride à sa sottise intempérante pendant plus de deux cents ans. […] cessez. […] Pendant que le Capitan va raccontando la sua bellezza, forza e valore , raconte sa beauté, sa force et sa valeur, l’Affamato crie sans cesse famine et, en sortant de table, jure qu’il meurt de faim.

153. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1824 »

Souhaitons longue haleine à tous ces pauvres Sisyphes essoufflés, qui vont roulant et roulant sans cesse leur pierre au haut d’une butte ;                                        Palus inamabilis undâ Alligat, et novies Styx interfusa coercet. […] Quand elle a cessé de tonner dans les événements, elles la font éclater dans leurs inspirations, et c’est ainsi que les enseignements célestes se continuent par des chants. […] Ses chants célébreront sans cesse les gloires et les infortunes de son pays, les austérités et les ravissements de son culte, afin que ses aïeux et ses contemporains recueillent quelque chose de son génie et de son âme, et que, dans la postérité, les autres peuples ne disent pas de lui : « Celui-là chantait dans une terre barbare ».

154. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Vte Maurice De Bonald »

Elle date de la rupture de Philippe le Bel avec Rome et du soufflet de Boniface VIII, et depuis cette époque ce mal intérieur, révélé par beaucoup de symptômes, dont quelques-uns éclatants, n’a pas cessé de la ronger. Chrétienne d’origine, chrétienne d’institution, de hiérarchie, de foi et de mœurs, la monarchie a cessé peu à peu de l’être, et, à mesure qu’elle se diminuait comme chrétienne, elle se diminuait comme monarchie, jusqu’au moment où l’affreux bubon que se transmettaient les gouvernements, de siècle en siècle et de génération en génération, se soit enfin ouvert et ait laissé couler à flots la révolution sur les peuples. […] Parole effroyable, mais qui, pour celui qui l’a écrite, exprime une chose plus effroyable encore et dont on ne peut donner trop d’effroi : la révolution acceptée lâchement par la royauté contre l’Église, sa mère, et contre elle-même… Et, en effet, aux yeux de ceux-là qui croient que la constitution de la monarchie française était essentiellement catholique, c’est comme si Henri IV avait pu devenir roi de France sans cesser d’être protestant… III Et pas de doute que l’auteur de la Reine Blanche, saint Louis et le comte de Chambord, n’eût été de ceux-là s’il avait vécu au xvie  siècle.

155. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

S’enfuir de l’erreur et revenir à la vérité ; cesser toute relation avec ce grand corps rongé par la lèpre de l’orgueil et du mensonge ; se mettre en rapport direct avec la divinité, désormais absente de sa primitive Église. […] A partir de 1562, la Réforme française n’ayant pas cessé d’accroître le nombre de ses partisans, les luttes commencèrent. […] C’est alors que les hypocrisies cessèrent et que les inquisiteurs masqués apparurent sous leur face véritable de bouchers humains. […] Le plus acharné de leurs adversaires, il ne cessa un seul instant de les accabler. […] Ou vous cesserez de vous indigner contre un ennemi, qui ne fut qu’un instrument aux mains de la destinée normale et fatale qu’engendra votre héros, ou bien vous avouerez, comme nous, que ce héros ne fut en vérité qu’un traître.‌

156. (1887) George Sand

Cependant, son imagination travaillait sans cesse, silencieusement et activement. […] Cessez d’y croire, et vous tomberez au rang de ces âmes serviles que la passion agite sous son joug de fer. […] C’est là une fausse et dégradante résignation ; la véritable procède de la conception de l’ordre universel, au prix duquel les souffrances individuelles, sans cesser d’être une occasion de mérite, cessent d’être un droit à la révolte. […] La nature le repose et le récrée sans cesse. […] Tout s’y ramène ; elle presse sans cesse ses amis de venir la chercher là où sont ses racines.

157. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire de la maison royale de Saint-Cyr, par M. Théophile Lavallée. » pp. 473-494

La morale que Mme de Maintenon tira des représentations d’Esther et de l’invasion des profanes fut dorénavant de dire et de redire sans cesse à ses Dames : « Cachez vos filles et ne les montrez pas. » Du passage de Racine et de celui de Fénelon à Saint-Cyr, il résulta (toujours au point de vue de la fondation et du but) plusieurs inconvénients au milieu des grâces. […] Pendant ces années de labeur et d’essai, Mme de Maintenon ne cessait de visiter, d’animer et de corriger Saint-Cyr : elle y venait de deux jours l’un au moins ; elle y passait des journées entières dès qu’elle le pouvait. […] À un moment ou à un autre, la joie qui n’est que l’épanouissement de l’âme reparaît, et elle ne cesse point de courir à travers les actions. […] Louis XIV et Mme de Maintenon croyaient à l’efficacité des prières, surtout à Saint-Cyr : « Faites-vous des saintes, répétait sans cesse la fondatrice à ses filles durant les guerres calamiteuses, faites-vous des saintes pour nous obtenir la paix. » Et vers la fin, quand un rayon de victoire fut revenu, mêlant quelque enjouement dans le sérieux de son espérance : « Il serait bien honteux à notre supérieure, écrivait-elle, de ne pas faire lever le siège de Landrecies à force de prières : c’est aux grandes âmes à faire les grandes choses. » Dans les dernières années de Louis XIV, Mme de Maintenon n’était heureuse que quand elle venait à Saint-Cyr « pour se cacher et pour se consoler ». […] Entourée à Versailles d’hommes qui ne l’aimaient pas ou de femmes qu’elle méprisait, lisant dans leur cœur à travers leurs hommages intéressés et leurs bassesses, excédée de fatigue et de contrainte auprès du roi et de la famille royale qui usaient et abusaient d’elle, elle arrivait à Saint-Cyr pour s’y détendre, pour s’y plaindre, pour y laisser tomber le masque qu’elle portait sans cesse.

158. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie de Maupertuis, par La Beaumelle. Ouvrage posthume » pp. 86-106

… » Comme Voltaire l’avait dénoncé d’emblée aux puissances et signalé comme un calomniateur de Louis XIV, de Louis XV et du roi de Prusse, La Beaumelle le rappelait à l’ordre et lui faisait toucher son inconséquence : « Apprenez qu’il est inouï que le même homme ait sans cesse réclamé la liberté de la presse, et sans cesse ait tâché de la ravir à ses confrères15. » Il y a même une lettre assez éloquente, la xiiie , dans laquelle l’auteur suppose un baron allemand de ses amis, qui s’indigne de l’espèce de défi porté par Voltaire, dans son enthousiasme pour le règne de Louis XIV : « Je défie qu’on me montre aucune monarchie sur la terre, dans laquelle les lois, la justice distributive, les droits de l’humanité, aient été moins foulés aux pieds… que pendant les cinquante-cinq années que Louis XIV régna par lui-même. » La réponse est d’un homme qui a souffert dans la personne de ses pères et qui sort d’une race odieusement violentée dans sa conscience, opprimée depuis près de quatre-vingts ans16 et traquée. […] Malgré l’ignorance qui nous environne, nous étudions, nous disputons sans cesse, et cette soif de savoir n’est jamais assouvie ; il me semble, en lisant les philosophes et les théologiens, voir des aveugles qui errent dans l’obscurité, qui s’entre-heurtent, qui, en voulant s’éviter, se font choir, qui embrassent l’ombre pour le corps, et qui se servent quelquefois, pour s’assommer, du bâton qui leur a été donné pour se conduire, Un petit nombre, tel que vous, Euler et Clairaut, élevés dans une plus haute région, rient de leurs folies et de leurs méprises, Qu’est-ce qui produit tant de faux jugements ? […] Je vous prie d’arranger bien vite vos affaires, car vous me manquez beaucoup ici ; de plus, l’endroit qui vous rappelle sans cesse l’objet de votre tristesse, l’augmenterait, et le séjour de Berlin l’effacera. […] De plus, le lieu qui vous rappelle sans cesse l’objet de votre affliction n’est pas propre à l’affaiblir, et le séjour de Berlin l’effacera.

159. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Voltaire met sans cesse en opposition ce qui devrait être et ce qui était, la pédanterie des formes et la frivolité des esprits, l’austérité des dogmes religieux et les mœurs faciles de ceux qui les enseignaient, l’ignorance des grands et leur pouvoir. […] On n’a cessé, par exemple, de nous présenter au théâtre la conduite immorale des hommes envers les femmes, avec l’intention de se moquer des femmes trompées. […] L’action infatigable de la peine fait passer et repasser sans cesse dans notre cœur des idées et des sentiments qui tourmentent notre être en dedans de nous-mêmes, comme si chaque instant amenait un événement nouveau. […] Tout ce qui environnait les anciens leur rappelant sans cesse les dieux du paganisme, ils devaient en mêler le souvenir et l’image à toutes leurs impressions ; mais quand les modernes imitent à cet égard les anciens, on ne peut ignorer qu’ils puisent dans les livres des ressources pour embellir ce que le sentiment seul suffisait pour animer. […] Il faut étudier les modèles de l’antiquité pour se pénétrer du goût et du genre simple, mais non pour alimenter sans cesse les ouvrages modernes des idées et des fictions des anciens : l’invention qui se mêle à de semblables réminiscences, est presque toujours en disparate avec elles.

160. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Procès de Jeanne d’arc, publiés pour la première fois par M. J. Quicherat. (6 vol. in-8º.) » pp. 399-420

La voix ne cessait de répéter à la jeune fille qu’il lui fallait aller à tout prix en France ; elle le lui redit surtout à dater du jour où les Anglais eurent mis le siège devant Orléans, ce siège dont l’issue tenait alors en suspens tous les cœurs. […] Après s’être fait reconnaître et agréer du roi, elle prend résolument le rôle que sa foi en Dieu et en cette voix qu’elle ne cessait d’entendre lui dictait ; elle dit à tous ce qui est à faire, elle commande. […] Elle avait à la main, selon l’usage du temps, quand elle ne tenait pas l’étendard ou l’épée, un bâton, et ce bâton lui servait à plusieurs fins, et aussi à jurer : « Par mon martin, disait-elle des bourgeois d’Orléans, je leur ferai mener des vivres. » Ce martin, qui revient sans cesse dans sa bouche chez son historien le mieux informé, c’était son martin-bâton, son jurement habituel. […] » Ils revenaient sans cesse sur cette sotte question ; elle y coupa court en leur disant que l’archange, quand il lui apparaissait, « était en l’habit et la forme d’un très vrai prud’homme », — d’un parfait honnête homme. […] Michelet a bien saisi la pensée même du personnage, qu’il a rendu avec vie, avec entrain et verve, le mouvement de l’ensemble, l’ivresse de la population, ce cri public d’enthousiasme qui, plus vrai que toute réflexion et toute doctrine, plus fort que toute puissance régulière, s’éleva alors en l’honneur de la noble enfant, et qui, nonobstant Chapelain ou Voltaire, n’a pas cessé de l’environner depuis.

161. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

J’ai été forcé toute ma vie de suivre des occupations auxquelles je n’étais pas propre, et de laisser de côté celles où j’étais appelé par mon goût… Je ne sais s’il ne s’abusait point en parlant ainsi, et si cette diversité d’objets sans cesse renaissants n’était point selon ses goûts mêmes. […] Mais là où Diderot est surtout excellent à entendre, même pour des peintres, c’est quand il insiste sur la force de l’unité dans une composition, sur l’harmonie et l’effet d’un ensemble, sur la conspiration générale des mouvements ; il comprend d’instinct cette vaste et large unité, il y revient sans cesse ; il veut la concordance des tons et des expressions, la liaison facile des accessoires à l’ensemble, la convenance naturelle. […] Les inflexions du sein, les mollesses des contours, même dans ces tableaux de famille, même chez les épouses et chez les mères, il y revient sans cesse, il y porte le regard et la description avec complaisance, non pas en critique ou en artiste, non pas en libertin raffiné non plus (Diderot n’est point pervers), mais en homme naturel et matériel, parfois un peu grossier. […] Je songe sans cesse à leur bonheur. […] Il nous montre le chemin et l’exemple : être ou n’être pas des académies, mais écrire pour le public, s’adresser à tous, improviser, se hâter sans cesse, aller au réel, au fait, même quand on a le culte de la rêverie ; donner, donner, donner encore, sauf à ne recueillir jamais ; plutôt s’user que se rouiller, c’est sa devise.

162. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — II. (Fin.) » pp. 350-370

Il démontre sous toutes les formes, et par une quantité de considérations prises dans le cœur humain, que la morale religieuse vient sans cesse au secours de la législation civile : Elle parle un langage que les lois ne connaissent point ; elle échauffe cette sensibilité qui doit devancer la raison même ; elle agit, et comme la lumière et comme la chaleur intérieure ; elle éclaire, elle anime, elle s’insinue partout ; et ce qu’on n’observe point assez, c’est qu’au milieu des sociétés cette morale est le lien imperceptible d’une multitude de parties qui semblent se tenir par leurs propres affinités, et qui se détacheraient successivement, si la chaîne qui les unit venait jamais à se rompre. […] Et il revenait sans cesse sur sa situation personnelle et sur ses peines sensibles : Ah ! […] Pour mettre sa sensibilité plus à son aise, par un singulier et subtil accommodement il supposait que c’était d’un autre que lui qu’il parlait : C’est d’un moi que je parle, et non pas de moi ; car, loin des hommes, au pied des hautes montagnes, au bruit d’une onde monotone qui ne présente d’autre idée que la marche égale du temps, et sans autre aspect qu’une longue solitude, une retraite silencieuse que bordent déjà les ombres d’une éternelle nuit, je n’ai plus de rapport avec ce ministre naguère emporté par les événements, agité par les passions du monde, et sans cesse aux prises avec l’injustice ; je n’ai plus de rapport avec lui que par les émotions d’une âme sensible… Il revient à chaque instant, avec des cris de David ou de Job, sur cette calamité, qui véritablement n’était pas si grande qu’il le supposait : Quelquefois seulement, au pied de ces montagnes où l’ingratitude particulière des représentants des Communes m’a relégué, et dans les moments où j’entends les vents furieux s’efforcer d’ébranler mon asile, et renverser les arbres dont il est environné, il m’arrive alors peut-être de dire comme le roi Lear : « Blow, winds, … Soufflez, vents impétueux ! […] Necker ne fit plus que baisser et déchoir rapidement ; les meneurs de l’Assemblée prirent à tâche de le déjouer et de le dépopulariser en détail, en même temps que le parti de la Cour le raillait sans cesse et le piquait avec amertume. […] Necker s’était exprimé plus modestement : Qui pardonnera donc l’erreur, demandait-il, si ce ne sont pas des hommes qui se trompent sans cesse ?

163. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIe entretien. Ossian fils de Fingal, (suite) »

Les chants cessent. […] Sans cesse il tenait des discours insolents. […] Tu te réjouis sans cesse dans ta carrière éclatante. […] Vents, cessez un instant. […] Le rêve, chez lui, anéantit sans cesse la réalité.

164. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome II

Ce mot revient sans cesse sous la plume de Balzac. […] Il suit de là que les mots de bien et de mal cessent d’avoir leur signification usuelle. […] Ce drame intérieur s’était poursuivi pendant deux cents ans, parmi des conflits sans cesse renouvelés avec les Guelfes. […] Cette longue série d’aventures tragiques s’était accompagnée de changements sans cesse renouvelés dès sa constitution. […] Une crainte s’y manifeste sans cesse, ou directement avouée, ou sous-entendue, celle de l’encerclement.

165. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

Ils n’ont pas cessé d’être des observateurs, intimement imbus des méthodes scientifiques. […] Il va sans cesse où il ne veut pas. Il agit sans cesse au rebours de ses intentions, à contresens de ses désirs. […] L’histoire, c’est du grand roman vrai et porté sans cesse à sa suprême puissance. […] Elle fut aussi, on ne l’a pas assez remarqué, sans cesse renouvelée.

166. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

Où la personne d’autrui cesse de nous émouvoir, là seulement peut commencer la comédie. […] Notre caractère est l’effet d’un choix qui se renouvelle sans cesse. […] Le rire accomplit sans cesse un travail de ce genre. […] Il sent qu’il n’a pas cessé d’être ce qu’il est ; il n’en est pas moins devenu un autre. […] On ne cherche plus à s’adapter et à se réadapter sans cesse à la société dont on est membre.

167. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Lettres de Madame de Sévigné »

Monmerqué n’avait cessé de préparer une édition nouvelle, et qu’averti par l’esprit d’exactitude et d’examen rigoureux qui s’est introduit dans l’étude du XVIIe  siècle, il s’était livré à une comparaison ; à une révision de ce texte, toutes les fois que des autographes ou des copies authentiques le lui avaient permis. […] Pourquoi retourner sans cesse, avec les érudits allemands, le texte d’Homère ? […] Cessez donc, petite brutale, de vouloir souffleter un homme qui se jette à vos pieds, qui vous avoue sa faute, et qui vous prie de la lui pardonner… » « —  Levez-vous, Comte, lui répondit-elle : je ne veux point vous vous tuer à terre ; ou reprenez votre épée pour recommencer notre combat. […] Elle sera dans quinze jours une pataude blanche comme de la neige, qui ne cessera de rire.

168. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis de Belloy »

Bignan, qui, voué de bonne heure au culte d’Homère, s’adonna toute sa vie à une traduction en vers de l’œuvre homérique et ne cessa de l’améliorer, homme instruit, versificateur élégant, n’eut jamais le prix de son travail : il était né quinze ans trop tard. […] Dans ces passe-temps et ces aménités oisives de plus d’une après-midi, je n’ai pas été sans reconnaître qu’il y avait bien quelques avantages, pour une culture perfectionnée de l’esprit, à ce régime des traductions en vers : un de ces avantages, c’était de remettre sans cesse la traduction elle-même en question, de comparer et de confronter les textes, la copie avec l’original, et, s’il y avait plusieurs traductions rivales, comme c’était le cas pour Virgile, de mettre aux prises ces traductions entre elles. Dans ces jeux de l’érudition et du goût, l’original sans cesse relu, manié et remanié à plaisir, devenait chose familière, facile, non apprise, mais sue de tout temps et comme passée en nous, on ne l’oubliait plus. […] Mais était-il possible de la demander à Térence sans lui demander de cesser d’être lui-même et de devenir Plante ou tout autre ?

169. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VII. De l’esprit de parti. »

L’esprit de parti arrive souvent à son but par sa constance et son intrépidité, mais jamais par ses lumières : l’esprit de parti qui calcule n’est déjà plus, c’est alors une opinion, un plan, un intérêt ; ce n’est plus la folie, l’aveuglement qui ne pourrait cesser sur un point sans entrevoir tout le reste. […] Il y a un moment de jouissance dans toutes les passions tumultueuses, c’est le délire qui agite l’existence, et donne au moral l’espèce de plaisir que les enfants éprouvent dans les jeux qui les enivrent de mouvement et de fatigue : l’esprit de parti peut très bien suppléer à l’usage des liqueurs fortes ; et si le petit nombre se dérobe à la vie par l’élévation de la pensée, la foule lui échappe par tous les genres d’ivresse ; mais quand l’égarement a cessé, l’homme qui se réveille de l’esprit de parti, est le plus infortuné des êtres. […] Tout homme extrême dans son parti n’est jamais propre à gouverner, les affaires de ce parti, lorsqu’il cesse d’être en guerre ; et la haine que les opposants portaient à la cause, prend la forme du mépris pour ses plus criminels défenseurs. […] Mais quand l’esprit de parti, dans toute sa bonne foi, rendrait indifférent aux succès de l’ambition personnelle, jamais cette passion, considérée d’une manière générale, n’est complètement satisfaite par aucun résultat durable ; et si jamais elle pouvait l’être, si elle atteignait jamais ce qu’elle appelle son but, il n’est point d’espoir qui fut plus détrompé, qui cessa plus sûrement au moment de la jouissance ; car il n’en est point dont les illusions aient moins de rapport avec la réalité ; il y a quelque chose de vrai dans les satisfactions que donnent la puissance, la gloire, mais lorsque l’esprit de parti triomphe, par cela même il est détruit.

170. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Seconde partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère de la littérature et des arts » pp. 326-349

Si, d’une part, notre littérature du siècle de Louis XIV est devenue européenne, et a cessé d’être exclusivement la nôtre, nous cherchons, d’une autre part, une littérature nouvelle, qui soit classique aussi, mais classique dans l’ordre de choses qui va naître. […] Quoi qu’il en soit, maintenant l’allégorie est épuisée, et le génie de l’antiquité cesse de régner dans la poésie. […] Souvenons-nous que cette race éclatante des Homérides a cessé de régner sur nous, et qu’une nouvelle dynastie va se placer sur le trône de l’imagination, qui est vacant. […] La poésie, sans cesser de se consacrer à célébrer les attributs de Dieu, doit entrer davantage dans les affections de l’homme, et surtout dans la liberté morale ; car, comme nous le dirons tout à l’heure, le règne du fatalisme va finir aussi dans les royaumes de l’imagination, et cela seul change beaucoup toutes les données poétiques.

171. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

Il a cessé d’avoir foi dans les principes de la Révolution qui a menti à toutes ses promesses. […] Ce n’est qu’à coups de victoires qu’il parvient à raffermir, pour un temps, une autorité sans cesse remise en question. […] Le frisson qu’il nous en communique ne cesse d’être philosophique que pour devenir religieux. […] La voix de l’opinion cesse de lui être perceptible. […] Il va sans dire que le mari y jouera un sot personnage et ne cessera d’être ridicule que pour devenir odieux.

172. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXI » pp. 281-285

Il n’est que trop vrai, en effet, que le Journal des Débats, depuis des années, ne cesse de contrevenir et de faire défaut de plus en plus au rôle important qu’il lui convenait de tenir : la Presse dit très-insolemment de lui : « Il a l’expérience de la vieillesse, mais il en a aussi la corruption, l’ironie et la stérilité. Chose remarquable, sa rédaction se renouvelle souvent, elle ne se rajeunit jamais. » Depuis que la rivalité de la Presse a commencé de poindre, le Journal des Débats n’a cessé, par son dédain, ses airs de grand seigneur, et son peu de zèle à rallier les éléments de résistance, de faire tout ce qu’il fallait pour favoriser les progrès de l’adversaire : ses inconséquences et ses déviations, dans la ligne des doctrines littéraires et philosophiques, sont perpétuelles.

173. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame de Genlis sur le dix-huitième siècle et la Révolution française, depuis 1756 jusqu’à nos jours — I »

Enfin, si nous remontons plus haut encore, si nous la suivons au Palais-Royal, dans le monde, nous la verrons sans cesse briguant avec fureur la célébrité, dans un temps où celle-ci était le prix des talents d’éclat, poursuivant tous ces talents, cultivant tous les arts, jusqu’à y trop exceller, transportant le théâtre dans les salons et l’école dans le théâtre, cumulant dans sa tête dévotion, galanterie, sensibilité, pédantisme, en un mot, toutes les inconséquences dont est capable une femme d’esprit, décidée à se créer en toute hâte une existence supérieure et plus que privée. […] Nous y voilà donc ; la singularité s’explique, les Mémoires de madame de Genlis sont et devaient être un acte public, comme tous ceux de sa vie une sorte de compte rendu au monument enfin plus que littéraire ; et qu’on cesse de s’étonner que, consacrant cette publication mémorable, le libraire Ladvocat ait fait frapper une médaille en bronze.

174. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — III »

La conscience s’empare des phénomènes et les possède d’autant mieux qu’ils s’écoulent plus lentement : passé un certain degré de véhémence, elle cesse de percevoir, avec le changement qui est le mode du mouvement dans l’objet, l’objet lui-même. […] Il faut donc conclure que la réalité consiste en un état d’équilibre entre deux forces, dont l’une tend à disjoindre et à diviser sans cesse le continu et l’homogène, dont l’autre s’oppose à ce travail de disjonction, s’efforce de maintenir assemblés, de soustraire à la possibilité d’une division nouvelle les états fragmentaires déterminés déjà par la force adverse parmi la trame du continu.

175. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 28, de la vrai-semblance en poësie » pp. 237-242

D’un côté, les hommes ne sont point touchez par les évenemens qui cessent d’être vrai-semblables, parce qu’ils sont trop merveilleux. D’un autre côté, des évenemens si vrai-semblables qu’ils cessent d’être merveilleux, ne les rendent gueres attentifs.

176. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XII. L’homme touffu »

Il cessa lui-même d’habiter le village et vécut près d’Aïssata pour la protéger, si besoin en était. […] Daouda cessa aussitôt son travail de culture, rentra dans la case prendre ses armes et revenant, l’arc tendu et le carquois à l’épaule, il dit à sa sour : « Je vais les tuer tous, à l’exception d’un seul qui ira annoncer la mort de ses compagnons à celui qui les a envoyés ici ».

177. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre IV. Des éloges funèbres chez les Égyptiens. »

Il est juste que la tombe soit une barrière entre la flatterie et le prince, et que la vérité commence où le pouvoir cesse. […] Mais aussi lorsqu’un prince humain et bienfaisant, tel qu’il y en eut plusieurs, avait cessé de vivre, et que les prêtres récitaient ses actions en présence du peuple, les larmes et les acclamations se mêlaient aux éloges ; chacun bénissait sa mémoire, et on l’accompagnait en pleurant vers la pyramide où il devait éternellement reposer… Depuis trois mille ans, ces usages ne subsistent plus, et il n’y a dans aucun pays du monde, des magistrats établis pour juger la mémoire des rois ; mais la renommée fait la fonction de ce tribunal ; plus terrible, parce qu’on ne peut la corrompre, elle dicte les arrêts, la postérité les écoute, et l’histoire les écrit.

178. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXIXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 129-192

Je lui demanderai de séjourner à la ville autant que ma présence pourra être utile au prisonnier pour ce monde ou pour l’autre ; je remonterai jusqu’ici dès que j’aurai une bonne ou une mauvaise nouvelle à vous rapporter d’en bas ; ne cessez pas de prier. […] répondîmes-nous tout en larmes ; si nous cessions de prier nous aurions cessé de trembler ou d’espérer pour la vie de nos enfants, nous aurions bien plutôt cessé de vivre ! […] — Je ne savais pas cela, mon cousin, lui dis-je, enfin, en lui desserrant ses doigts mouillés du visage pour voir ses yeux ; je ne croyais pas que, quand on s’aimait dans ce monde, on pouvait jamais cesser de s’aimer dans l’autre, lui dis-je en pleurant à mon tour ; est-ce qu’on a donc deux âmes ? […] l’ombre du cloître n’en descendait que plus vite sur la cour, et les étoiles ne s’en levaient pas moins dans le coin du ciel qu’on apercevait du fond du cachot ; il fallait nous séparer, coûte que coûte, de peur que ma veille dans la cour ne parût trop longue au bargello ; sa femme et lui étaient bien contents de mon service ; ils ne cessaient pas, les braves gens, de se féliciter de ma fidélité, de mon assiduité à mon devoir, et des soins que je prenais des prisonniers, des chiens et des colombes. […] La petite bête semblait comprendre qu’il y avait un mystère dans tout cela, et, couché sur les pieds de son maître ou sur le tablier de ma tante, il les regardait avec étonnement et il avait cessé d’aboyer, comme il avait l’habitude de faire à notre porte, au passage des pèlerins.

179. (1876) Romanciers contemporains

Mérimée n’a pas cessé d’être dupe de la crainte de paraître dupe. […] Il en sait les difficultés extrêmes, et on devine qu’il se préoccupe sans cesse de les surmonter. […] À ce point, il cesse d’être faux à force d’être invraisemblable. […] Mais qu’il cesse de s’astreindre à un système impérieux. […] Zola de cesser d’être lui-même.

180. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

semblable au mortel que sa force abandonne, Dieu, qui ne cesse point d’agir et d’enfanter, Eût dit : « Voici la borne où je dois m’arrêter !  […] S’il avait été contrarié sans cesse et battu par le flot montant de la Révolution, il arriva haut du premier jour avec le reflux. […] Car le haut dignitaire de l’Empire ne cessa jamais d’être poëte, et comme ce berger à la cour, que la fable a chanté, et à qui il se compare, il eut toujours sa musette cachée pour confidente. […] Il parlait sans cesse, dans l’intimité, de ce poëme qu’il avait fait, presque fait, disait-il ; — qu’il faisait toujours ! […] Celles-ci viennent toujours à temps, et d’autant mieux aujourd’hui que l’ardeur de la querelle littéraire a cessé, et qu’on semble disposé par fatigue à quelque retour.

181. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre II. Lois de la renaissance et de l’effacement des images » pp. 129-161

Tout le monde sait qu’on oublie beaucoup de mots d’une langue lorsqu’on cesse pendant plusieurs années de la lire ou de la parler. […] Cette impression peut être forte sans cesser d’être vague ; sous l’image incomplète règne une sourde agitation, et comme un fourmillement de velléités, qui d’ordinaire se terminent par un geste expressif, une métaphore, un résumé sensible. […] Elle ne pouvait se faire comprendre qu’en allant dans la maison et en montrant du doigt les divers objets. — Un gentleman avait cessé de comprendre les noms prononcés, mais entendait très bien les noms écrits. […] Les premières cessent d’être actives, comme un nerf soudainement paralysé ; les secondes redeviennent actives, comme un nerf paralytique soudainement électrisé. […] Mais maintes fois l’oubli cesse au second accès.

182. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre IV. Comparaison des variétés vives et de la forme calme de la parole intérieure. — place de la parole intérieure dans la classification des faits psychiques. »

Comme la plupart des sciences, la psychologie, dans ses tentatives de classification, se heurte sans cesse à l’obstacle de la continuité ; et à cette difficulté s’en ajoute pour elle une autre qui lui est spéciale, celle qui résulte de l’absence d’une nomenclature traditionnelle acceptée d’un commun accord par les différentes écoles psychologiques ; son vocabulaire étant dans un incessant devenir, la continuité semble régner dans la forme même de la science comme dans l’objet qu’elle étudie. […] Sans doute celle-ci admet différents degrés d’intensité ; sans doute aussi entre elle et la forme calme il y a continuité : il est impossible de dire à quel degré d’intensité la parole intérieure cesse d’être calme ; mais, d’une part, il suffit de considérer quelques cas bien nets pour apercevoir les caractères distinctifs de la forme vive ; d’autre part, la parole intérieure calme paraît être un état limite ; entre elle et le silence intérieur il n’existe pas d’intermédiaire. […] Supposons une âme entièrement livrée à l’habitude ; la diversité de ses faits successifs diminuerait sans cesse, et, avec leur diversité, la durée de chacun d’eux, son intensité, son essence apparente, la conscience qui lui appartient ; au terme idéal d’une telle régression, cette âme ne serait plus qu’un phénomène unique incessamment répété, d’une durée nulle et d’une intensité nulle. […] Contre cet anéantissement graduel, l’âme est défendue par l’expérience et l’imagination, puissances d’innovation et de renouvellement, qui introduisent sans cesse dans la succession des éléments nouveaux, doués, avant tout effet de l’habitude, d’une intensité et d’une durée propres ; et elle se défend elle-même par l’attention, puissance qui tantôt vivifie et renforce les états nouveaux en prolongeant leur durée et en augmentant leur intensité, tantôt restaure les états passés en leur conférant à chaque reproduction une durée plus grande et une intensité plus forte. […] L’habitude totale se réalise par leur réalisation successive et continue ; cette réalisation a lieu suivant un ordre réglé tantôt par des suscitants extérieurs (comme dans la lecture), tantôt par la raison (comme dans la méditation), et elle ne cesse que lorsqu’elle est devenue, en présence de la parole extérieure d’autrui, qu’il faut écouter et comprendre, inutile ou même nuisible.

183. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre II. L’âme et le corps »

Même, l’acte volontaire, dont nous parlions à l’instant, n’est pas autre chose qu’un ensemble de mouvements appris dans des expériences antérieures, et infléchis dans une direction chaque fois nouvelle par cette force consciente dont le rôle paraît bien être d’apporter sans cesse quelque chose de nouveau dans le monde. […] Vous prétendez que l’esprit embrasse le passé, tandis que le corps est confiné dans un présent qui recommence sans cesse. […] Nous venons de voir que des changements se produisent sans cesse dans le cerveau, ou, pour parler plus précisément, des déplacements et des groupements nouveaux de molécules et d’atomes. […] Mais le cerveau, justement parce qu’il extrait de la vie de l’esprit tout ce qu’elle a de jouable en mouvement et de matérialisable, justement parce qu’il constitue ainsi le point d’insertion de l’esprit dans la matière, assure à tout instant l’adaptation de l’esprit aux circonstances, maintient sans cesse l’esprit en contact avec des réalités. […] Je reconnais d’ailleurs qu’on peut s’arranger de manière à donner à la théorie de l’équivalence une apparence d’intelligibilité, dès qu’on cesse de la pousser dans le sens matérialiste.

184. (1773) Discours sur l’origine, les progrès et le genre des romans pp. -

La fable y masque sans cesse la vérité. […] On cessa d’être émerveillé, mais on se trouva ému ; & l’on sentit enfin que le moyen d’intéresser le cœur étoit de ne point trop vouloir étonner l’esprit. […] Le mauvais goût ressemble à ces plantes parasites que le cultivateur ne cesse d’arracher, & qui ne cessent de revenir sans avoir besoin de culture. […] A ce prix, le Roman cessera d’être un ouvrage frivole. […] Ils ne cesseront point d’être le tableau des passions ; mais ils pourront en devenir le correctif.

185. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 326-344

Le Lecteur est étonné de se trouver sans cesse aux prises avec des expressions scientifiques, toujours déplacées dans des Ouvrages de pure littérature, plus encore dans des Discours. […] Il vous dira qu' il doit gouverner comme la Nature, par des principes invariables & simples, bien organiser l'ensemble, pour que les détails roulent d'eux-mêmes ; qu'il doit, pour bien juger d'un seul ressort, regarder la machine entiere, calculer l'influence de toutes les parties les unes sur les autres & de chacune sur le tout, saisir la multitude des rapports entre les intérêts qui paroissent éloignés ; qu'il doit faire concourir les divisions même à l'harmonie du tout, veiller sans cesse à retrancher la somme des maux qu'entraînent l'embarras de chaque jour, le tourment des affaires, le choc & le contraste éternel de ce qui seroit possible dans la Nature & de ce qui cesse de l'être par les passions *.

186. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVII. Des panégyriques ou éloges adressés à Louis XIII, au cardinal de Richelieu, et au cardinal Mazarin. »

Il avait besoin d’être dominé, et flotta sans cesse entre le désir de secouer le joug et la nécessité de le reprendre ; mais le plus grand contraste de son règne, c’est que jamais peut-être il n’y eut moins d’activité dans le souverain et jamais le gouvernement ne déploya sa force avec plus de fermeté au-dehors, et une sévérité si imposante et quelquefois si terrible au-dedans. […] Ils l’ont peint comme un esprit souple et puissant, qui, malgré les ennemis et les rivaux, parvint aux premières places, et s’y soutint malgré les factions ; qui opposait sans cesse le génie à la haine, et l’activité aux complots ; qui, environné de ses ennemis, qu’il fallait combattre, avait en même temps les yeux ouverts sur tous les peuples ; qui saisissait d’un coup d’œil la marche des États, les intérêts des rois, les intérêts cachés des ministres, les jalousies sourdes ; qui dirigeait tous les événements par les passions ; qui, par des voies différentes, marchant toujours au même but, distribuait à son gré le mouvez ment ou le repos, calmait la France et bouleversait l’Europe ; qui, dans son grand projet de combattre l’Autriche, sut opposer la Hollande à l’Espagne, la Suède à l’Empire, l’Allemagne à l’Allemagne, et l’Italie à l’Italie ; qui, enfin, achetait partout des alliés, des généraux et des armées, et soudoyait, d’un bout de l’Europe à l’autre, la haine et l’intérêt.  […] Soit le défaut des circonstances, soit celui d’une imagination ardente et forte, il fut sans cesse entraîné vers des objets d’éclat.

187. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — I. » pp. 88-109

Ceux qui les ont soutenues à leur moment, et qui ont dû prendre sur eux-mêmes pour cela, ont eu sans cesse à combattre au-dehors : il n’est pas étonnant que tant de colères et de passions se soient dépensées dans la lutte. […] Cela est assez vraisemblable, à en juger par la vivacité furibonde qu’il montre à ce sujet dans ses lettres : Si ce Gazetier (c’est ainsi qu’il l’appelle toujours) n’était soutenu de l’Éminence en tant que nebulo hebdomadarius (ces mots de polisson, de fripon à la semaine, reviennent sans cesse sous la plume de Gui Patin, il est vrai que c’est en latin qu’il les dit), nous lui ferions un procès criminel, au bout duquel il y aurait un tombereau, un bourreau, et tout au moins une amende honorable : mais il faut obéir au temps. […] Toutes ces discussions, où le mot de charité revenait sans cesse, ne se passaient point sans grand renfort d’invectives des deux parts et d’injures infamantes. […] La Cour, suivant ses conclusions, confirma la sentence du Châtelet, ordonna que le Gazetier cesserait toutes ses conférences et consultations charitables, tous ses prêts sur gages et vilains négoces, et même sa chimie, de peur, ce dit M.  […] Cette allusion à la ville de Loudun revient sans cesse à son sujet : « Nebulo hebdomada rius de patria Diabolorum.

188. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — III. (Fin.) » pp. 371-393

Roederer ne cessait point pour cela d’être conseiller d’État et président de section ; mais cette direction nouvelle, en le mettant aux prises avec des difficultés et des amours-propres de tout genre, hâta le moment où il y eut arrêt dans sa faveur. […] Ce directeur imprévu de l’enseignement, qui s’était formé lui-même, qui n’avait point hérité des anciennes traditions classiques, et qui n’était pas non plus du groupe polytechnicien proprement dit, mais homme d’esprit, rempli d’observations et d’idées fines, un peu particulières, se mit aussitôt en devoir de les appliquer : J’avais depuis longtemps remarqué, dit-il, les caractères qui distinguent l’esprit des géomètres et des physiciens, de celui des hommes appliqués aux affaires, et de celui des personnes vouées aux arts d’imagination ; dans les premiers (je ne parle que généralement), exactitude et sécheresse ; dans les seconds, souplesse allant quelquefois jusqu’à la subtilité, finesse allant quelquefois jusqu’à l’artifice ; dans les troisièmes, élégance, verve, exaltation portée jusqu’à un certain dérèglement… Ce que je projetais d’après ces observations, ajoute-t-il, était : 1º de faire marcher de front, dès les plus basses classes des collèges, les trois genres de connaissances, littéraires, physiques et mathématiques, morales et politiques, en mesurant à l’intelligence des enfants dans chaque classe les notions de chaque science ; 2º de faire enseigner dans chaque classe, même les plus basses, les trois sciences par trois professeurs différents, dont chacun serait spécialement consacré à l’une des trois… Le but était défaire cesser le divorce entre les diverses facultés de l’esprit, de les rétablir dans leur alliance et leur équilibre, et d’arriver à une moyenne habituelle plutôt que de favoriser telle ou telle vocation dominante. […] Après la seconde rentrée des Bourbons, Roederer cessa de faire partie de la Chambre des pairs et fut même éliminé de l’Institut. […] Ces deux sociétés, selon lui, n’avaient cessé de coexister durant tout le xvie  siècle : c’était une émulation de mérite et de vertu de la part des nobles héritières, trop éclipsées, d’Anne de Bretagne, c’était une émulation et une enchère de galanterie de la part des folles élèves de l’école de François Ier. […] Pour moi, ce qui me frappe et me touche le plus dans ce paradoxe d’érudition française, c’est de voir l’homme qui se trouvait assister avec l’écharpe tricolore à la chute de l’ancienne monarchie, celui qui, le 19 Brumaire, suivait comme un volontaire des plus ardents le général Bonaparte à Saint-Cloud, se faire en vieillissant, par choix et par courtoisie, le chevalier d’honneur de Mme de Maintenon, et n’avoir de cesse qu’il ne l’ait reconduite, déjà plus qu’à demi vengée, entre les mains d’un Noailles.

189. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [II] »

L’Antiquité grecque et latine avait trouvé dans tous les genres les belles formes, les moules admirables, des modèles qu’une fois ressaisis, on ne perdait plus de vue et qu’on révérait sans cesse. […] On chemine, comme en temps de guerre, sur un terrain remué, et il y faut regarder sans cesse. […] Mais, en tête de la période qui a cessé et qui est close, ce qui est certain, c’est que nous retrouvons notre cher Du Bellay comme héraut d’armes et comme annonciateur un peu prophète. […] Il cesse par là d’être un classique, et il est bien près de devenir tout à fait un moderne. […] Il va au-devant d’une objection que des esprits superficiels vont refaisant sans cesse.

190. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DE BARANTE. » pp. 31-61

Cette mesure de nouveauté et de retenue, il l’a tour à tour essayée dans la critique littéraire, et développée plus en grand dans l’histoire ; il n’a cessé de l’observer dans la pratique politique. […] Son âme, qui se formait à ce moment, y contracta pour jamais ce quelque chose de libéral, mais de sage, qui ne cessa pas d’être sa mesure au milieu des orages qu’il eut à traverser. […] Les Pensées de Pascal, qu’il lut beaucoup à cette heure de crise et sous l’interprétation de cette grande douleur, lui furent (comme j’espère que, pour qui les lira de même, elles n’ont pas cessé de l’être) salutaires et fortifiantes. […] Gibbon et Hume avaient su combiner avec des opinions très-marquées, et presque des partis pris, de hautes qualités de science et de clairvoyance auxquelles on a trop cessé de rendre justice. […] En venant plaider dans sa préface contre l’histoire officielle et oratoire, il n’a jamais demandé, il n’a pu demander que l’histoire vraiment philosophique fût supprimée ; il n’a pas dit, à le bien entendre, il n’a pas cru que l’histoire morale, celle des Tacite, des Salluste et des grands historiens d’Italie, dût cesser d’avoir ses applications diverses, surtout à des époques moins extérieures et plus politiques, aux époques d’intrigue et de cabinet : mais, ce jour-là, il demandait pour le genre qui était le sien, pour cette méthode appliquée une fois à une époque particulière qui y prêtait, il demandait place au soleil et admission légitime, et, en homme d’esprit, il a trouvé à ce propos toutes sortes de raisons et de motifs qu’il a déduits ; et il en a su trouver un si grand nombre là même où l’on s’était dit qu’il y avait objection, qu’on a pu croire que les conclusions chez lui dépassaient le but.

191. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VIII. L’antinomie économique » pp. 159-192

Aussi une société où l’on travaille sans cesse durement jouira d’une plus grande sécurité : et c’est cette sécurité que l’on adore maintenant comme divinité suprême. — Et voici (ô épouvante !) […] Il emploie donc dès lors, instinctivement et sans cesse, ce type de la taxation : à propos de tout ; donc aussi à propos des productions des arts et des sciences, des penseurs, des savants, des artistes, des hommes d’État, des peuples, des partis et même d’époques tout entières : il s’informe à propos de tout ce qui se crée, de l’offre et de la demande, afin de fixer, pour lui-même, la valeur d’une chose. […] Confinés dans leur bureau, relégués dans leur domaine spécial à l’écart de la vie réelle, privés des joies saines d’une activité extérieure, et portant des fruits visibles, ils s’étiolent, perdent toute sûreté d’instincts, et souvent dégénèrent : c’est dans leurs rangs que se recrute l’armée sans cesse plus nombreuse des décadents — mécontents ou résignés, pessimistes ou dilettantes — qui constituent un danger des plus sérieux pour l’avenir de notre vieille Europe87. » Ainsi la désintégration des individualités, la dissociation en elles de l’intelligence et de l’instinct, de la pensée et de l’action, de la théorie et de la pratique ne font que s’accentuer sous l’influence de notre mécanisme social. […] Elle doit tenir compte de cette grande loi du nivellement de la culture qui se manifeste clairement au cours de l’évolution historique et en vertu de laquelle le nombre de ceux qui ont part aux bienfaits de la civilisation s’accroît sans cesse d’âge en âge. […] Aucune culture « organique » ne fera cesser le divorce originel qui scinde l’être humain en deux parties ennemies : le moi et le nous ; la volonté d’égalité et la volonté de différenciation.

192. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

Si Français qu’il fût et qu’il voulût être, il ne cessa jamais d’être Italien, d’être Napolitain, ce qu’il ne faut jamais oublier en le jugeant ; il avait le génie propre du cru, le facétieux, le plaisant, le goût de la parodie. […] Et il en concluait qu’il ne faut jamais persécuter les vrais incrédules, les incrédules paisibles et sincères : attendez et ne regardez pas, il y a toute chance pour qu’il arrive un moment où, cet effort contre-nature venant à se relâcher, l’incrédule cessera de l’être. […] Ginguené, dans une bonne Notice sur Galiani, s’est attaché à montrer que le petit abbé était patriote au vrai sens du mot ; qu’il n’a cessé, à travers ses plaisanteries, de chercher à être utile, à améliorer la vie humaine autour de lui, et qu’il n’a pas démenti en effet cette maxime de son Chevalier dans ses Dialogues : « La corvée du sage est de faire du bien aux hommes. » Sur ce point, Ginguené me paraît avoir tout à fait raison ; mais il s’avance beaucoup quand il nous assure que, loin d’être incrédule, Galiani fut toujours religieux. […] Lui-même, l’abbé Galiani, qui, en écrivant, songeait certainement au cercle de ses amis de Paris, et qui recommande sans cesse à Mme d’Épinay de garder ses lettres, de les recueillir, ne s’est pas assez rendu compte de l’effet qu’elles pourraient faire sur un public plus étendu et moins initié. […] Il veut sans cesse paraître amusant, étincelant, et il n’est pas tous les jours en veine : « Je suis bête ce soir… Je n’ai rien de drôle à vous mander d’ici… Je ne suis pas gai aujourd’hui, et ma lettre ne sera pas à imprimer. » Cela revient perpétuellement sous sa plume et nuit au naturel.

193. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Biographie de Camille Desmoulins, par M. Éd. Fleury. (1850.) » pp. 98-122

Son style révolutionnaire est tout épicé et comme farci de citations empruntées à Tacite, à Cicéron, à tous les auteurs latins qu’il applique sans cesse aux circonstances présentes avec gaieté et d’un air de demi-parodie. […] Il avait été le premier boute-en-train de la Révolution ; il ne cessa de l’être et de pousser à la roue, et de précéder en criant le char lancé sur la pente rapide, jusqu’au jour où il s’avisa tout à coup de se retourner et de dire : Enrayez ! […] On y trouve moins un cœur réellement échauffé qu’une cervelle en ébullition ; on dirait que l’écrivain a dans la tête une braise allumée qui tournoie sans cesse et ne lui laisse point de repos. […] C’est à nous qui existons, qui sommes maintenant en possession de cette terre, à y faire la loi à notre tour. » Mais, comme on n’est jamais en pleine possession de cette terre, et qu’il n’y a jamais table rase complète, il faut chasser ceux qui tardent trop à nous céder la place et qui nous gênent : c’est l’œuvre qu’entreprend Camille dans son journal et à laquelle il ne cesse de se dévouer cyniquement, en décriant tout ce qui a vertu, lumières et modération dans l’Assemblée constituante, et en démolissant jour par jour cette Assemblée dans l’ensemble de ses travaux comme dans chacun de ses membres influents. […] Il dit agréablement de Brissot : « Je m’en veux d’avoir reconnu si tard que Brissot était le mur mitoyen entre Orléans et La Fayette, mur comme celui de Pyrame et Thisbé, entre les fentes duquel les deux partis n’ont cessé de correspondre. » C’est avec ces gentillesses qui seraient à peine à leur place dans un feuilleton de théâtre, que l’insensé Camille aidait de plus en plus à dépraver l’opinion et à chasser les victimes sous le couteau.

194. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

Et l’on répétait autour d’elle ce nom de Corinne qu’elle invoquait sans cesse : Elle chante, et, devant son écharpe légère, Corinne courberait l’orgueil de son laurier. […] Distinguée et couronnée par l’Académie française en 1822 pour avoir chanté le dévouement des sœurs de Sainte-Camille pendant la peste de Barcelone, Mlle Gay ne cessa de célébrer depuis en vers tous les événements publics importants, les solennités monarchiques ou patriotiques, la mort du général Foy, le sacre de Charles X, l’insurrection de la Grèce, tous les beaux thèmes du moment. […] … il nous rend comme lui-même ; il nous poursuit sans cesse de son ironie, il nous atteint au cœur ; son incrédulité nous enveloppe, sa frivolité nous dessèche ; il jette son regard froid sur notre enthousiasme, et il l’éteint : il pompe nos, illusions une à une, et il les disperse ; il nous dépouille, et quand il nous voit misérables comme lui, faits à son image, désenchantés, flétris, sans cœur, sans vertus, sans croyance, sans passions, et glacés comme lui, alors il nous lance parmi ses élus, et nous dit avec orgueil : Vous êtes des nôtres, allez ! […] Si on laisse de côté certains traits lancés à satiété et sans bonne grâce contre les gens qu’elle a pris en déplaisance (contre une certaine dame des sept petites chaises, par exemple, qui revenait sans cesse comme souffre-douleur et comme victime), le feuilleton créé par Mme de Girardin, en 1836, sous le titre de Courrier de Paris, était piquant, léger, gai, paradoxal et pas toujours faux. […] Je ne sais si elle a des ennemis, ou du moins des ennemis qu’elle déteste, mais je crois qu’à un dîner qu’on lui ferait faire avec eux, s’ils l’écoutaient avec plaisir, et s’ils ne lui répliquaient pas trop sottement, elle cesserait de leur en vouloir.

195. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

Six mois auparavant et lorsqu’il partait pour se faire élire en Provence, son père, le marquis, écrivait de lui au bailli (22 janvier 1789) : « Il dit hautement qu’il ne souffrira pas qu’on démonarchise la France, et en même temps il est l’ami des coryphées du Tiers. » La double pensée politique de Mirabeau, dès avant l’ouverture des États généraux, était tout entière dans ces deux conditions, tiers état et monarchie, et l’on peut dire qu’il ne cessa d’en poursuivre l’accord et le maintien depuis le premier jour de sa vie législative jusqu’à sa mort, avec toutes les secousses pourtant, les intermittences et les fréquents écarts qu’apportaient dans sa marche et dans sa conduite ses impétuosités d’humeur et de caractère, ses instincts d’orateur et de tribun, ses nécessités de tactique, et ses irritations personnelles. […] Le temps le frappera assez pour moi. » En attendant, dans les notes à la Cour qu’il eut bientôt l’occasion d’adresser, Mirabeau ne cessa de s’élever de toutes ses forces contre « cette dictature ignominieuse qui séparait le roi de ses peuples, le tenait en quelque sorte en état de guerre avec eux, leur servait d’intermédiaire, et, dans ce rôle non moins indécent que perfide, usurpait l’autorité, le respect et la confiance », absorbant à son profit toute la popularité, et ne laissant remonter au trône que le blâme : tout justement le contraire d’un vrai ministère constitutionnel ! […] Mirabeau, à chaque fois, ne cesse de sonner le tocsin pour réveiller la Cour de sa torpeur, le roi de son inertie, pour amener la reine à mettre à ses idées autant de suite qu’elle y met de cœur : Quatre ennemis arrivent au pas redoublé, écrit-il à la date du 13 août 1790, l’impôt, la banqueroute, l’armée, l’hiver… Encore une fois, c’est la conception d’un grand plan qu’il faut arrêter, et pour cela il faut avoir un but déterminé. […] Sans cesse il revient sur cette idée d’un plan et d’une suite : (17 août 1790.) […] Ce plan général de conduite, qu’il conseille à satiété, il l’a tout prêt, il le propose, il le renouvelle et le varie sans cesse, jusque dans les moindres détails, d’après les bases qu’il estime essentielles et fondamentales.

196. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame Necker. » pp. 240-263

On peut juger un homme public, mort ou vivant, avec quelque rudesse ; mais il me semble qu’une femme, même morte, quand elle est restée femme par les qualités essentielles, est un peu notre contemporaine toujours ; elle l’est surtout quand elle n’a cessé de se continuer jusqu’à nous par une descendance de gloire, de vertu et de grâce. […] Ce qu’on appelait franchise en Suisse devenait égoïsme à Paris ; négligence des petites choses était ici manque aux bienséances ; en un mot, détonnant sans cesse et intimidée par mes bévues et par mon ignorance, ne trouvant jamais l’à-propos, et prévoyant que mes idées actuelles ne s’enchaîneraient jamais avec celles que j’étais obligée d’acquérir, j’ai enfoui mon petit capital pour ne le revoir jamais, et je me suis mise à travailler pour vivre et pour accumuler un peu si je puis. […] Placée, dès les premiers mois de son arrivée en France, à la tête d’une maison où elle recevait ce qu’il y avait de plus en vogue parmi les gens de lettres de Paris, jalouse d’y suffire et y parvenant, émule et disciple de Mme Geoffrin, elle eut à prendre sans cesse sur elle, sur sa santé, sur ses habitudes chéries, sur ses autres goûts : Je dois à cette occasion vous faire un aveu, écrivait-elle en 1771 à une amie de Suisse, c’est que, depuis le jour de mon arrivée à Paris, je n’ai pas vécu un seul instant sur le fonds d’idées que j’avais acquises ; j’en excepte la partie des mœurs, mais j’ai été obligée de refaire mon esprit tout à neuf pour les caractères, pour les circonstances, pour la conversation. […] Le premier ministère de son mari, qui dut l’exalter sans doute, fut aussi le moment où elle commença à se détromper : « Mon cœur et mes regrets, écrivait-elle à un ami en juillet 1779, cherchent sans cesse un univers où la bienfaisance soit la première des vertus. […] Aussi ce fut une consolation pour elle, au milieu de tant de sujets de douleur, de se retrouver en 1790 à Lausanne ou à Coppet, en vue de son beau lac, et non loin des tombeaux de ses parents : « Il semble, disait-elle à chaque retour en dégageant le sentiment moral qu’inspire cette nature de paysage, il semble que l’Être suprême s’est occupé ici plus particulièrement de sa créature, et qu’il l’oblige sans cesse à élever sa pensée jusqu’à lui. » Elle écrivait en ces années finales, et pendant que 93 étendait ses horreurs sur la France, un écrit touchant, et qui a trouvé grâce auprès de ceux mêmes qui se sont montrés le plus sévères pour le genre d’esprit de Mme Necker, je veux parler de ses Réflexions sur le divorce qui parurent au lendemain de sa mort.

197. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre III. Du meilleur plan. — Du plan idéal et du plan nécessaire. »

C’est en marquant leur place sur ce premier plan qu’un sujet sera circonscrit et que l’on en connaîtra l’étendue ; c’est en se rappelant sans cesse ces premiers linéaments qu’on déterminera les justes intervalles qui séparent les idées principales, et qu’il naîtra des idées accessoires et moyennes qui serviront à les remplir… « C’est faute de plan, c’est pour n’avoir pas assez réfléchi sur son objet qu’un homme d’esprit se trouve embarrassé et ne sait par où commencer à écrire. […] Dans une composition littéraire, la sensibilité de l’écrivain, celle de l’auditeur ou lecteur, l’occasion, mille circonstances, l’information plus ou moins complète, le penchant de l’esprit vers tel ou tel genre de preuves, interviennent sans cesse et font que, sur chaque sujet, il y a autant de plans possibles qu’il y a de gens pour le traiter, et que le même homme, à deux moments différents, peut suivre deux différents plans.

198. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

Tous les systèmes y sont ramenés à quatre systèmes élémentaires, qui ont de si fortes racines dans la nature humaine qu’elle les reproduit sans cesse. […] Le nombre des penseurs, des esprits libres, des philosophes, s’accroîtra sans cesse, jusqu’à ce qu’il devienne la majorité dans l’espèce humaine. […] Une force éternelle a fait tout ce que tu vois, et le renouvelle sans cesse. […] l’espèce humaine sera stationnaire là où la nature s’agite et l’agite sans cesse ! […] L’idéalisme, au contraire, tend sans cesse au général, à l’universel, à l’infini, au sublime.

199. (1840) Kant et sa philosophie. Revue des Deux Mondes

Les choses en étaient là, lorsque l’Allemagne entra en relation plus intime avec l’Europe philosophique qui avait cessé d’être cartésienne. […] Pourquoi les mathématiques, la logique, la physique, sont-elles des sciences qui avancent et se perfectionnent sans cesse ? […] Dieu, le monde, l’ame, l’existence future, sont des objets qui provoquent sans cesse la curiosité de l’esprit humain, et auxquels il revient sans cesse, car notre nature se sent dégradée lorsqu’elle les néglige. […] Le caractère de cet élément nouveau est de ne pas varier avec la foule des circonstances qui font varier sans cesse les autres élémens ; celui-là est invariable et toujours le même. […] Kant, comme Descartes, auquel il faut sans cesse le comparer, préoccupé de sa méthode, ne voit qu’elle partout.

200. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le buste de l’abbé Prévost. » pp. 122-139

Prévost, doyen du conseil général du département dont il fait partie depuis plus de trente-deux ans, maire de la ville d’Hesdin pendant trente-cinq ans jusqu’en 1848, considéré et vénéré de ses concitoyens pour les services qu’il n’a cessé de leur rendre, et vivant aujourd’hui dans la retraite. […] S’il y a un art, c’est qu’il est impossible au lecteur de sentir l’endroit où la réalité cesse et où la fiction commence. […] Le premier malheur de l’abbé Prévost fut, ce me semble, d’avoir en lui et de concevoir un double idéal du bonheur, dont l’un excluait sans cesse et troublait l’autre. […] Le prieur et les religieux de Saint-Nicolas-d’Acy près Senlis, apprenant que l’abbé Prévost venait de succomber, et se souvenant qu’il avait été bénédictin, réclamèrent charitablement, et aussi sans doute pour constater leur droit, ses restes mortels ; il fut donc transporté et inhumé dans leur maison comme s’il n’avait pas cessé d’être des leurs.

201. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — I. » pp. 19-35

Il faut vous rabaisser sans cesse : vous ne vous relèverez toujours que trop. » Il sait bien le point où il touche, et il y revient instamment : conserver le recueillement même en conversation : « Vous avez plus besoin qu’un autre de ce contrepoison. » Mais encore faut-il que ce silence qu’on observe et auquel on se condamne ne soit pas un silence sec et dédaigneux, car l’amour-propre refoulé a bien des détours : « Il faut au contraire que ce soit un silence de déférence à autrui. » Ainsi Fénelon sur tous les tons et avec toutes les adresses essaie d’insinuer la charité pour le prochain à la sœur d’Hamilton3. […] Depuis que la nature physique est plus connue et que la science en observe et en expose successivement les lois, il serait à craindre que la pensée de Dieu, même auprès de ceux qui ne cessent de l’admettre et de s’incliner devant elle, ne reculât en quelque sorte aux confins de l’univers et ne s’éloignât trop de l’homme, jusqu’à ne plus être à son usage et à sa portée ; il serait à craindre que ce Dieu, tel qu’on a reproché à Bolingbroke de le vouloir établir, Dieu plus puissant que bon, plus souverainement imposant que présent et que juste, Dieu qu’on admet en un mot, mais qu’on n’adore point et qu’on ne prie point, il serait à craindre que ce Dieu-là ne prît place, et seulement pour la forme, dans les esprits, si la pensée chrétienne ne veillait tout à côté, si le Dieu du Pater ne cessait d’être présent matin et soir à chaque cœur, et si la prière ne maintenait cette communication invisible et continuelle de notre esprit borné avec l’Esprit qui régit tout. […] Les écrivains dits spirituels et mystiques, à force de sentir cette condition de l’homme souffrant, dénué et orphelin, qui n’a pas cessé d’être dans un rapport intime avec un Dieu aussi tendre et aussi miséricordieux que puissant, ont eu des paroles qui semblent annoncer une exaltation excessive et une certaine ivresse.

202. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — I. » pp. 343-360

Mais ce n’est pas aujourd’hui ce qui nous rappelle vers lui : ces scènes orageuses, tant célébrées, sont entrées dans toutes les mémoires, et l’époque qui les précède ou plutôt qui les embrasse, et durant laquelle Bailly remplit un rôle si honorable, a été tellement et tant de fois racontée et peinte, que les personnages qui y figurent sans cesse finissent presque par lasser nos yeux et par s’user. […] L’invention dépend essentiellement d’une certaine inquiétude de l’esprit qui sans cesse tire l’homme du repos, où il tend sans cesse à revenir. » Il y a un degré d’ignorance et de stagnation qui, selon lui, ne peut exister avec l’esprit inventeur : Quand je verrai dans la ménagerie de Versailles un éléphant qui ne produit pas, j’en conclurai que c’est un animal étranger, né sous un ciel plus chaud. […] Les yeux se tournaient sans cesse vers cette première patrie ; et lorsque la jeunesse eut produit une génération nouvelle, on en parlait à ses enfants, on leur peignait, on leur exagérait sans doute tout ce qu’ils avaient perdu… Et Bailly arrive à conclure que l’âge d’or, cette fable séduisante, n’est que le « souvenir conservé d’une patrie abandonnée, mais toujours chère » : « Les nations où ce souvenir se retrouve ont été transplantées ; ce sont des colonies d’une nation plus ancienne. » Tout ceci est ingénieux, sinon évident ; et Bailly, pour le dire, a deviné quelques-uns des tons de Bernardin de Saint-Pierre, à une date ou ce dernier n’avait encore publié aucun de ses grands ouvrages.

203. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La Divine Comédie de Dante. traduite par M. Mesnard, premier vice-président du Sénat et président à la Cour de cassation. » pp. 198-214

La bizarrerie du poème continuait à être un obstacle et une sorte d’épouvantail : cette bizarrerie ne pouvait cesser d’être réputée telle que lorsqu’on aurait pénétré dans l’œuvre par la vraie voie, par la véritable entrée qui était encore peu expugnable, celle du Moyen Âge. […] Ginguené le premier se distingue bien méritoirement dans les études critiques sérieuses et suivies, qui vont s’ouvrir pour ne plus cesser. […] Car, n’oublions jamais que Dante est moins à lire qu’à étudier sans cesse. […] On a sans cesse à arracher le rameau d’or du milieu des épines qui le défendent et qui renaissent.

204. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Etienne-Jean Delécluze »

Ce perpétuel Étienne, qui revient sans cesse comme le nom de César dans les fameux Commentaires, fait un premier effet assez singulier, mais qui n’est pas désagréable, la nature de l’homme étant donnée. […] Il n’a ni élévation de style, ni gravité de ton, ni noblesse ou élégance de formes, ni rien de ce dont il parle sans cesse en des termes qui jurent souvent avec le fond ; mais il a dans quelques parties une vérité naïve, un peu gauche, un peu distraite ou inexpérimentée, la sincérité non pas du pinceau (il n’a pas de pinceau), mais du crayon, de la plume ; il a le croquis véridique pour les choses, qu’il sait et qu’il a vues en son bon temps et de ses bons yeux ; il copie honnêtement, simplement, et un sentiment moral, touchant ou élevé, comme on le verra, peut sortir quelquefois de cette suite de détails minutieux dont pas un ne tranche ni ne brille. […] — Imbécile, ajouta-t-il en s’adressant avec un ton de supériorité amicale à son camarade qui avait plaisanté, achète donc l’Évangile et lis-le avant de parler de Jésus-Christ. » Lorsque Maurice eut cessé de parler, il y eut un intervalle de silence assez long, pendant lequel tout le monde se consulta du regard pour savoir comment on prendrait la chose. […] Delécluze a été Pitomme de la critique musicale aux Débats pendant trente ans, et il n’a cessé de prêcher la mélodie.

205. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La Grèce en 1863 par M. A. Grenier. »

Aller en Grèce quand une tache morale vous avait atteint et avait rejailli jusqu’à votre front, quand une de ces fautes de jeunesse ou l’un de ces malheurs de nature (comme il s’en peut rencontrer, même chez les organisations distinguées) vous avait fait tristement faillir et vous exposait à rougir sans cesse au milieu des vôtres, c’était se relever à l’instant, c’était expier et réparer aux yeux de tous, c’était, par une vaillance noblement et saintement employée, se retremper dans l’estime publique et se refaire une vertu. […] Pour les purs, pour les lettrés enthousiastes et ardents, pour ceux qu’un danger de plus stimule à l’étude, et qui aiment à montrer qu’ils sont capables d’être hommes en même temps qu’érudits, aller en Grèce un jour et le plus tôt possible, arriver au pied de ses monuments, en face de ses marbres, avant que la flamme, la fumée des dernières explosions fût dissipée et éteinte, avant que les dernières balles eussent cessé de siffler, c’était, — comme l’a dit Quinet et comme il l’a prouvé, — c’était « le long désir de la jeunesse. » Et tous ceux qui n’allaient pas en Grèce la chantaient, la racontaient, la pleuraient sur tous les tons. […] La Grèce esclave et la Grèce héroïque, antiques évocations et modernes images, s’y associent ou s’y heurtent sans cesse, et l’ardeur, la soif vous en prend chemin faisant, comme au chantre voyageur lui-même. […] Tant que je pourrai me soutenir, je soutiendrai la cause. » C’est ce qu’il répète sans cesse dans ses lettres à ses amis de Londres ou d’Italie.

206. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Préface »

Dalloz, même quand le Moniteur cesserait d’être officiel, — car c’est surtout de l’officiel que M. […] Sainte-Beuve reçut encore leur dernière visite le jeudi qui précéda sa mort. — Le prince Napoléon (et qu’il me soit permis de lui en rendre ici publiquement hommage et témoignage) n’a cessé d’honorer M.  […] Le docteur Veyne n’a cessé de croire à la présence de la pierre, tout le temps qu’a duré la maladie. — M.  […] Sainte-Beuve disait à un ami en face de lui, dans une de ces conversations familières qui le prenaient parfois après une forte journée de travail : « Je ne me serais pas cru libre dans un journal qui porte un emblème en tête (il montrait le Journal officiel) ; il faut trop se ranger, quand on marche sous une bannière ; on a peur de marcher sur le pied de son voisin ; on se gêne ou l’on gêne ; on n’est plus là pour discuter, mais pour suivre ; on est enrôlé ; allez donc discuter les affaires de Rome, par exemple, comme on les sent, dans un journal qui épouse tant là légitimité que cela ; qui semble voué à la reine Marie-Antoinette ; oh il est sans cesse question d’elle !

207. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

Le digne et sincère amant de la gloire propose un beau traité au genre humain ; il lui dit : « Je consacrerai mes talents à vous servir ; ma passion dominante m’excitera sans cesse à faire jouir un plus grand nombre d’hommes des résultats heureux de mes efforts ; le pays, le peuple qui m’est inconnu aura des droits aux fruits de mes veilles ; tout ce qui pense est en relation avec moi ; et dégagé de la puissance environnante des sentiments individuels, c’est à l’étendue seule de mes bienfaits que je mesurerai mon bonheur ; pour prix de ce dévouement, je ne vous demande que de le célébrer, chargez la renommée d’acquitter votre reconnaissance. […] Ceux qui sous un tel ordre de choses sont nés dans la classe privilégiée, ont à quelques égards beaucoup de données utiles ; mais d’abord la chance des talents se resserre, et à proportion du nombre, et plus encore, par l’espèce de négligence qu’inspirent de certains avantages ; mais quand le génie élève celui que les rangs de la monarchie avaient déjà séparé du reste de ses concitoyens, indépendamment des obstacles communs à tous, il en est qui sont personnels à cette situation ; des rivaux en plus petit nombre, des rivaux qui se croient vos égaux à plusieurs égards, se pressent davantage autour de vous, et lorsqu’on veut les écarter, rien n’est plus difficile que de savoir jusqu’à quel point il faut se livrer à la popularité, en jouissant de distinctions impopulaires ; il est presqu’impossible de connaître toujours avec certitude le degré d’empressement qu’il faut montrer à l’opinion générale : certaine de sa toute puissance, elle en a la pudeur, et veut du respect sans flatterie ; la reconnaissance lui plaît, mais elle se dégoûte de la servitude, et rassasiée de souveraineté, elle aime le caractère indépendant et fier, qui la fait douter un moment de son autorité pour lui en renouveler la jouissance : ces difficultés générales redoublent pour le noble, qui dans une monarchie veut obtenir une gloire véritable ; s’il dédaigne la popularité, il est haï : un plébéien dans un État démocratique, peut obtenir l’admiration en bravant la popularité ; mais si un noble adopte une telle conduite dans un État monarchique, au lieu de se donner l’éclat du courage, il ne ferait croire qu’à son orgueil ; et si, cependant, pour éviter ce blâme, il recherche la popularité, il est sans cesse près du soupçon ou du ridicule. […] Quand les difficultés des premiers pas sont vaincues, il se forme à l’instant deux partis sur une même réputation ; non, parce qu’il y a deux manières de la juger, mais parce que l’ambition parle pour ou contre : celui qui veut être l’adversaire des grands succès reste passif, tant que dure leur éclat, et c’est pendant ce temps, au contraire, que les amis ne cessent d’agir en votre faveur ; ils arrivent déjà fatigués à l’époque du malheur, lorsqu’il suffit au public du mobile seul de la curiosité, pour se lasser des mêmes éloges ; les ennemis paraissent avec des armes toutes nouvelles, tandis que les amis ont émoussé les leurs, en les faisant inutilement briller autour du char de triomphe. […] Ces oscillations cessent avec les passions qui les produisent ; mais on vit au milieu d’elles, et leur choc, qui ne peut rien sur le jugement de la postérité, détruit le bonheur présent qui est exposé de tous les coups.

208. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

D’ailleurs, on peut trouver dans la vie un intérêt, un mobile, un but, sans être la proie des mouvements passionnés ; chaque circonstance mérite une préférence sur telle autre, et toute préférence motive un souhait, une action ; mais l’objet des désirs de la passion, ce n’est pas ce qui est, mais ce qu’elle suppose, c’est une sorte de fièvre qui présente toujours un but imaginaire qu’il faut atteindre avec des moyens réels, et mettant sans cesse l’homme aux prises avec la nature des choses, lui rend indispensablement nécessaire ce qui est tout à fait impossible. […] Quand le tableau des douleurs est vivement retracé, quelles leçons peuvent ajouter à la force du besoin qu’on a de cesser de souffrir ? […] Non, ne condamnez pas ces infortunés qui ne savent pas cesser de l’être ; vous, de qui leurs destinées dépendent, secourez-les, comme ils veulent être secourus ; celui qui peut soulager le malheur, ne doit plus penser à le juger, et les idées générales sont cruelles à l’homme qui souffre, si c’est un autre, et non pas lui, qui les applique à sa situation personnelle. […] C’est dans la crise d’une révolution qu’on entend répéter sans cesse, que la pitié est un sentiment puérile, qui s’oppose à toute action nécessaire, à l’intérêt général, et qu’il faut la reléguer avec les affections efféminées, indignes des hommes d’état ou des chefs de parti ; c’est au contraire au milieu d’une révolution que la pitié, ce mouvement involontaire dans toute autre circonstance, devrait être une règle de conduite ; tous les liens qui retenaient sont déliés, l’intérêt de parti devient pour tous les hommes le but par excellence : ce but, étant censé renfermer et la véritable vertu et le seul bonheur général, prend momentanément la place de toute autre espèce de loi : hors dans un temps où la passion s’est mise dans le raisonnement, il n’y a qu’une sensation, c’est-à-dire, quelque chose qui est un peu de la nature de la passion même, qu’il soit possible de lui opposer avec succès ; lorsque la justice est reconnue, on peut se passer de pitié ; mais une révolution, quel que soit son but, suspend l’état social, et il faut remonter à la source de toutes les lois, dans un moment où ce qu’on appelle un pouvoir légal, est un nom qui n’a plus de sens.

209. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre I. Le Bovarysme de l’individu et des collectivités »

De la sorte l’humanité historique tout entière parvient à composer un seul et même être, un être dont la jeunesse est illimitée puisqu’elle se retrempe dans la jeunesse individuelle de chaque génération naissante, un être aussi dont la mémoire et l’expérience vont s’enrichissant sans cesse. […] C’est de cet état de fait qu’il déduit le conseil qu’il se donne à lui-même : « Sois en harmonie avec toi-même. » Cette maxime en effet, si on ne. la prend pas comme un frein trop fort de nature à paralyser le mouvement nécessaire à la vie, peut être utile à distinguer la limite où le Bovarysme cesse d’être l’expression d’un progrès normal pour dévier vers la pathologie : « Sois en harmonie avec toi-même », cela signifie avec plus de détail : Sache parmi le grand nombre de notions qui sont proposées à l’admiration de ton esprit, sache distinguer celles qui doivent demeurer pour toi de simples objets de connaissance, de celles qui peuvent être des buts pour ton activité. […] À préciser par une image cette importance du facteur de la durée, concevons qu’un bloc d’argile demeure propre à recevoir toutes les formes tant qu’un statuaire, le pétrissant sans cesse, lui conserve son élasticité. […] Au contraire, les Anglo-Saxons, les Germains, les Latins et les Celtes, qui ont fondé dans ces contrées leur empire et qui y instituent des expériences nouvelles, appartiennent tous à des groupes européens d’une civilisation avancée, mais qui n’ont cessé de se transformer constamment.

210. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

Rousseau, que l’on trouve sur le chemin de toutes les vérités, lorsqu’il n’est pas contraint d’en sortir par l’esprit de système, Rousseau avait bien compris l’obstacle de l’union des sexes dans l’état absolu d’ignorance ; et c’est même une des objections qu’il se propose dans son Discours sur l’Inégalité des conditions : cependant cela ne l’empêche point, dans son Contrat social, de se hâter de dissoudre les liens de famille sitôt que, selon lui, le besoin cesse de s’en faire sentir pour l’enfant. […] Si l’industrieux Batave cesse un instant de réparer les digues qu’il sut élever à force de courage et d’art, bientôt la mer retombera de tout son poids, et les villes ne seront plus que d’affreux récifs, ou des phares pour les navigateurs. […] Ce qui arrive au sol, lorsqu’il cesse d’être travaillé par l’homme social, arrive à l’homme lui-même lorsqu’il fuit la société pour la solitude : les ronces croissent dans son cœur désert. […] IX Dans l’état de société, ainsi que nous l’avons remarqué, les générations se succédant sans interruption, et se croisant les unes les autres, la raison de se soumettre à une loi n’est jamais suspendue, ne cesse jamais de subsister.

211. (1900) Le lecteur de romans pp. 141-164

» Une seconde mère ira plus loin : « J’ai défendu à mes enfants, dira-t-elle, d’ouvrir désormais votre publication, et si pareil scandale se renouvelle, je vous préviens que je cesserai mon abonnement. » Remarquez que l’œuvre incriminée n’a aucun caractère d’immoralité ; qu’elle est écrite, je le suppose, avec un sentiment de réserve et de respect. […] » Et, en somme, le roman pour toutes les mains ne séjournera que dans les petites mains de quinze à dix-huit ans, qui ont cessé d’habiller des poupées et qui ne bercent pas encore des enfants. […] Il ne cessera pas, enfin, d’être l’acteur du drame dont nous voulons le secret. […] Le plus véridique des artistes, le plus réaliste, — dans le sens de voisin du réel, — sera l’écrivain qui donnera l’impression constante de la présence des choses, qui les mêlera à la vie, et qui ne confisquera pas à leur profit l’attention qui ne doit pas cesser de voir les âmes et de les suivre.

212. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « quelque temps après avoir parlé de casanova, et en abordant le livre des « pèlerins polonais » de mickiewicz. » pp. 512-524

La condition de la critique, en ce qu’elle a de journalier, de toujours mobile et nouveau, la fait ressembler un peu, je l’éprouve parfois, à un homme qui voyagerait sans cesse à travers des pays, villes et bourgades où il ne ferait que passer à la hâte, sans jamais se poser ; à une sorte de Bohémien vagabond et presque de Juif errant, en proie à des diversités de spectacles et à des contrastes continuels. […] De plus, en poursuivant l’image, en supposant le fleuve détourné, brisé, fatigué à travers les canaux, les usines, saigné à droite et à gauche, comme le Rhin dans les sables et la vase hollandaise, on retrouve la critique telle exactement que la font les besoins de chaque jour, dans sa marche sans cesse coupée et reprise. […] Les poëtes savent les sentiers par instinct ; ils en découvrent sans cesse d’inconnus dans leurs courses buissonnières : per avia solus.

213. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XX. Du dix-huitième siècle, jusqu’en 1789 » pp. 389-405

l’impression de cette situation est telle, que le spectateur ne pourrait la supporter, si Tancrède mourait sans apprendre d’Aménaïde qu’elle n’a jamais cessé de l’aimer. […] Dans cet avenir incertain qui se présente confusément au-delà du terme de notre être, ceux qui nous ont aimés semblent devoir encore nous suivre ; mais si nous avions cessé d’estimer leurs vertus, de croire à leur tendresse ; si nous étions déjà seuls, où serait l’appui d’une espérance ? […] L’harmonie du style en prose a fait de grands progrès ; mais cette harmonie ne doit point imiter l’effet musical des beaux vers : si l’on vouloir l’essayer, on rendrait la prose monotone, on cesserait d’être libre dans le choix de ses expressions, sans être dédommagé par la consonance de la poésie versifiée.

214. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre III. Des moyens de trouver la formule générale d’une époque » pp. 121-124

Cette universalité, même restreinte aux limites d’un seul pays, est un idéal à peu près inaccessible, comme tout idéal, mais, comme tout idéal aussi, utile pour guider les pas du chercheur, pour lui montrer le but lointain, dont il peut sans cesse approcher tout en désespérant de l’atteindre jamais complètement. […] Il arrive parfois, dans l’exécution d’une cantate par une société musicale, que les chanteurs, basses, barytons, ténors, se groupent au fond du théâtre et forment en sourdine un chœur puissant, tandis que, sur le devant de la scène, en pleine lumière, se détache une prima donna ; elle chante et sa voix domine toutes les autres, sans cesser cependant d’être en harmonie avec elles.

215. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « La course à la mort » pp. 214-219

Rod arrive à ce dernier repliement sur soi, où s’interrogeant sans cesse, oubliant de vivre à force de s’analvser, il en vient à ne plus être sûr de ses propres sentiments ; les désirs remuent à peine et s’étiolent, les passions deviennent circonspectes et douteuses. […] L’étrange héros de la Course à la Mort n’aime pas, on doute du moins qu’il aime et se sent douter, interroge sans cesse son pâle cœur, ne sait que résoudre et se résigne à son atonie.

216. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

Il faudra qu’elle tire de son propre fonds, par une opération naturelle, l’occasion sans cesse renouvelée de se manifester extérieurement. […] Il y a des visages qui paraissent occupés à pleurer sans cesse, d’autres à rire ou à siffler, d’autres à souffler éternellement dans une trompette imaginaire. […] Elle voudrait fixer les mouvements intelligemment variés du corps en plis stupidement contractés, solidifier en grimaces durables les expressions mouvantes de la physionomie, imprimer enfin à toute la personne une attitude telle qu’elle paraisse enfoncée et absorbée dans la matérialité de quelque occupation mécanique au lieu de se renouveler sans cesse au contact d’un idéal vivant. […] Il faut qu’elle change à chaque instant, car cesser de changer serait cesser de vivre. […] Nous ne commençons donc à devenir imitables que là où nous cessons d’être nous-mêmes.

217. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

Le poème, ici, descend à la précision sans cesser d’être sublime. […] cessez de calomnier cette verte jeunesse de l’esprit humain dans l’antiquité ! […] La nature entière devient poésie sans cesser d’être la nature. […] Non, je ne cesserai point de pleurer ta mort, toi qui fus toujours doux envers moi !  […] de ton lit funèbre tu ne m’as pas tendu ta main, tu ne m’as point dit les dernières paroles, dont je me serais souvenue sans cesse, et les jours et les nuits, en versant des larmes ! 

218. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLIXe Entretien. L’histoire, ou Hérodote »

Crésus, de plus en plus mécontent, cessa de faire cas du sage, et le renvoya. […] » « Le pâtre cessa de parler, et découvrit l’enfant qu’il portait. […] Quand il eut reçu l’enfant, je lui prescrivis de l’exposer dans le lieu le plus désert des montagnes, de l’observer et de bien s’assurer qu’il avait cessé de vivre. […] Si donc vous êtes ce que je crois, cessez sur-le-champ d’obéir à Astyage. » « Les Perses, fatigués depuis longtemps de la domination des Mèdes, charmés d’avoir un chef, se livrèrent à sa conduite, et se déclarèrent libres. […] Il revint une seconde fois, puis une troisième, et remarquant toujours une diminution nouvelle dans le trésor (les voleurs ne cessaient d’y puiser), il fut obligé de recourir à la ruse, et fit fabriquer des piéges qu’il tendit dans le voisinage des vases.

219. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre III. De l’organisation des états de conscience. La liberté »

L’associationnisme a donc le tort de substituer sans cesse au phénomène concret qui se passe dans l’esprit la reconstitution artificielle que la philosophie en donne, et de confondre ainsi l’explication du fait avec le fait lui-même. […] Mais à mesure que l’on creuse au-dessous de cette surface, à mesure que le moi redevient lui-même, à mesure aussi ses états de conscience cessent de se juxtaposer pour se pénétrer, se fondre ensemble, et se teindre chacun de la coloration de tous les autres. […] Elles différeraient alors sans cesse par quelque endroit, puisqu’elles ne se représenteraient le même corps à aucun moment de leur histoire. […] Il est vrai que vous revenez ensuite, sans y prendre garde, à votre première hypothèse, parce que vous confondez sans cesse la ligne MOXY se traçant avec la ligne MOXY tracée, c’est-à-dire le temps avec l’espace. […] Ce serait oublier que les éléments psychologiques, même les plus simples, ont leur personnalité et leur vie propre, pour peu qu’ils soient profonds ; ils deviennent sans cesse, et le même sentiment, par cela seul qu’il se répète, est un sentiment nouveau.

220. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

Elle a cessé. […] Les maîtres de la spiritualité reviennent sans cesse sur ce point. […] » me répétait sans cesse Poncet. « Des trésors, ces malheureux ! […] Cela signifie qu’il doit sans cesse cultiver en lui l’endurance physique et morale, se préparer sans cesse au danger et sans cesse pratiquer l’obéissance dans la discipline. […] Ce cœur n’a pas cessé de battre parmi nous.

221. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Le dilettantisme a cessé de passer pour une élégance, et M.  […] Nous nous échappons sans cesse à nous-mêmes ; cela est triste, quand on y songe. […] Le cœur est resté chrétien pendant que la raison cessait de l’être. […] Les littératures cessent d’être traitées comme des choses mortes. […] La pensée humaine est sans cesse en mouvement, et, dans l’ordre scientifique, on peut dire qu’elle est sans cesse en progrès.

222. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires relatifs à la Révolution française. Le Vieux Cordelier, par Camille Desmoulins ; Les Causes secrètes ou 9 thermidor, par Villate ; Précis du 9 thermidor, par Ch.-A. Méda, Gendarme »

Né avec des affections vives et tendres, passionné pour les vers, il eût été probablement poète, si la Révolution n’était pas venue ; l’un des premiers, il s’y jeta ; dès le 12 juillet, il était populaire, et depuis, journaliste et clubiste sans cesse haletant, il se vantait d’avoir toujours eu six mois d’avance sur l’opinion publique ; tour à tour ami de Mirabeau et de Brissot, il les dépassa dès qu’il les jugea trop lents, et ne s’arrêta qu’à Danton. […] A ses instants de loisir, il relisait sans cesse Paul et Virginie, et, après le 10 août ou le 30 mai, il revenait, à son humble foyer, cacher son âme émue dans le sein de sa jeune épouse.

223. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 12, qu’un ouvrage nous interesse en deux manieres : comme étant un homme en general, et comme étant un certain homme en particulier » pp. 73-80

Tel est l’interêt que prend une nation au poëme qui décrit les principaux évenemens de son histoire, et qui parle des villes, des fleuves et des édifices sans cesse présens à ses yeux. […] Si le poëte change les principales circonstances de l’action que nous devons supposer être un évenement generalement connu, son poëme cesse d’être vraisemblable.

224. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

Les deux fiancés dont nous avons suivi le sort avec tant d’anxiété, ont cessé de vivre. […] La vie apparaît sans cesse composée d’éléments plus subtils. […] Ainsi l’art restitue, par degrés, une vie de notions plus détaillée : il prend un sujet total sans cesse plus restreint, afin d’en mieux tracer les éléments. […] A des esprits préparés sa doctrine fut le geste décisif : la France et le monde n’ont plus entièrement cessé, depuis, être cartésiens. […] Lorsqu’il y a deux rôles dans un roman, l’artiste doit, alternativement, les vivre l’un et l’autre : c’est une nécessité, pour lui, de modifier sans cesse ses visions.

225. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

D’ordinaire ils ont débuté par chanter l’amour ; tout autre intérêt, tout autre charme se perdait dans celui-là : mais, à mesure que ce ravissement intérieur a cessé, leur âme s’est élargie vers plus d’objets. […] Quand la sublime illusion cesse, quand l’amour a revolé aux cieux, tout le monde d’alentour reparaît, dans une ombre d’abord, mais bientôt tout s’éclaire comme d’une aube croissante ; l’humanité reprend sa place dans l’univers. […] Mais, pour un livre déjà lu, dans lequel (comme je le suppose) on reprend, on relit sans cesse ; dans lequel le frère, déjà étudiant, ou la sœur aînée choisit les morceaux à lire à haute voix, le soir, autour de la table à ouvrage, cette abondance, cette richesse extrême, qui laisse au choix tant de liberté heureuse, et qui rassemble en chaque endroit tant de genres de beautés, a bien aussi ses avantages. […] Ce qu’il nous raconte, ou plutôt ce qu’il raconte à sa sœur et ce qu’il se rappelle à lui-même, ce n’est pas vieux et apaisé qu’il y revient ; depuis cette dernière maladie à laquelle il manque de succomber, peu après la mort de Laurence, le manuscrit cesse. […] Dans la région où Jocelyn habite, à la hauteur de Valneige, le mal cesse par degrés ; les miasmes des villes expirent et se dissipent dans cet air vif des sapins et des mélèzes.

226. (1860) Cours familier de littérature. X « LXe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 401-463

II Toute diplomatie avait cessé d’exister pour M. de Talleyrand du jour où Napoléon, promu à l’empire par sa propre volonté et par les victoires de ses armées, avait résolu de substituer les conquêtes aux alliances, et de détruire au profit de la France tout l’équilibre européen. […] Cette volonté diplomatique du roi Louis-Philippe était sans cesse contrariée et contrainte par les cabales parlementaires, qui reprochaient à ce gouvernement sa seule vertu, et qui lui remettaient sans cesse sous les yeux, comme un contraste, les grandeurs de Napoléon, sans parler jamais des catastrophes et des expiations de ce génie qui avait dépensé deux fois la France pour payer sa gloire personnelle. […] Ils inventèrent pour la France ce qui n’avait jamais été inventé avant eux en diplomatie, l’alliance avec les petites puissances, c’est-à-dire l’alliance de la force avec la faiblesse, l’alliance de la grandeur avec la petitesse, l’alliance de quarante millions d’hommes avec des puissances de trois ou quatre cent mille sujets, l’alliance d’un budget d’un milliard avec des indigents et des nécessiteux qui ont à peine de quoi solder la sentinelle veillant à leur porte ; alliance qui compromet sans cesse les grands États dans la cause des petits, sans que les petits États aient d’autres secours à porter aux grands que leur faiblesse et leur insignifiance ; alliance qui donne pour ennemis éventuels à la France l’Angleterre, la Russie, la Prusse, l’Autriche, et qui lui donne pour amis Bade ou Turin ! […] » me disaient quelques-uns d’entre eux avec un air de triomphe. « Écrivez, leur répondis-je, que d’ici à six mois la maison d’Orléans aura cessé de régner en France. » Ils sourirent d’incrédulité, comme on sourit à un paradoxe. […] Si la diplomatie civilisée n’a point ce principe dirigeant dans ses conseils, ce n’est plus la diplomatie : c’est la barbarie, la violence, l’astuce, l’ambition, l’égoïsme national, bouleversant partout et sans cesse les sociétés humaines, et ne reconnaissant de juste que son intérêt, de morale que la victoire.

227. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

De ce jour, Chateaubriand cessa d’être un ennemi complaisant de l’empire, mais il devint le coryphée de la Restauration. […] Pouvait-il se figurer que, dans un pays où la main est si près de la tête, l’opinion excitée et armée d’une multitude pouvait combattre sans danger la raison froide et calme de la raison publique ; ou bien pouvait-il livrer de gaieté de cœur sa patrie à l’éternelle agression d’une majorité désordonnée, parlant ou écrivant réunie sur un seul point de l’empire, sans contrôle et sans modération, contre une société sans cesse attaquée, quoique sans cesse victorieuse ? […] LV Il lui fallait, cependant, une amie à laquelle il pût offrir, au moins en apparence, ce culte qu’il avait sans cesse gardé à la beauté et à l’esprit. […] La prétention n’en est que le masque : ce masque, au lieu de montrer un homme racontant simplement les pensées et les événements de sa vie, montre sans cesse un personnage en attitude de pose devant le lecteur, pour se faire admirer ; voilà pour la naïveté, il n’y en avait point, il ne pouvait y en avoir, l’attitude est l’inverse de la nature, la volonté tue le génie : c’est de la naïveté de commande, c’est-à-dire de la naïveté voulue. […] LIX Les Mémoires d’outre-tombe, où M. de Chateaubriand avait prétendu enserrer toute l’histoire de son temps, et se mettre sans cesse lui-même en scène, en équilibre, en opposition avec Bonaparte, n’eurent donc pas le succès que ses amis en avaient attendu.

228. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie militaire du général comte Friant, par le comte Friant, son fils » pp. 56-68

« La rapidité et la précision de votre marche, lui écrivait le général Bonaparte, vous ont mérité la gloire de détruire Mourad Bey. » Mais Mourad Bey détruit renaissait sans cesse. « Je désire fort, lui récrivait le général Bonaparte, que vous ajoutiez aux services que vous n’avez cessé de nous rendre, celui bien majeur de tuer ou de faire mourir de fatigue Mourad Bey. […] Davout et les divisions Morand, Friant, Gudin, qui formaient le noyau de ce 3e corps invincible, sont comme un seul nom indissolublement enchaîné dans la mémoire quand on a lu une fois dans un récit rapide les opérations de ces guerres ; c’est comme un seul homme inséparable qui frappe et agit sans cesse, et dont le triple coup retentit. — Friant est une des principales articulations dans ce grand corps appelé la Grande Armée.

229. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « À M. le directeur gérant du Moniteur » pp. 345-355

La morale, qu’on met sans cesse aux prises avec l’art, ne me paraît point devoir lui être si constamment opposée et confrontée. […] » En France et dans notre société, c’est moins encore l’idée de beauté que celle de morale qui fait ce même office de pavé accablant, et dont on s’arme sans cesse, qu’on jette à la tête de tout nouveau venu, avec une vivacité et une promptitude qui ne laissent pas d’être curieuses, si l’on songe à quelques-uns de ceux qui en jouent de la sorte. […] J’ai eu beau me tâter, je n’ai pu me repentir ; mais, mon cher directeur, je suis pourtant resté un peu effrayé de voir à quel point la critique littéraire devient difficile, quand on n’y veut mettre ni morgue ni injure, quand on réclame pour elle une honnête liberté de jugement, le droit de faire une large part à l’éloge mérité, de garder une sorte de cordialité jusque dans les réserves, Depuis, en effet, que j’ai parlé des deux romans qui, dans ces dernières années, ont le plus piqué l’attention du public et auxquels je n’avais accordé, ce me semble, que des éloges motivés et tempérés, je n’ai cessé, en toute occasion, d’être dénoncé par des confrères vigilants comme un critique peu moral, presque un patron d’immoralité.

230. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XV. De l’imagination des Anglais dans leurs poésies et leurs romans » pp. 307-323

L’invention des faits surnaturels a son terme ; ce sont des combinaisons très bornées, et peu susceptibles de cette progression qui appartient à toutes les vérités morales, de quelque genre qu’elles soient : lorsque les poètes s’attachent à revêtir des couleurs de l’imagination les pensées philosophiques et les sentiments passionnés, ils entrent en quelque manière dans cette route où les hommes éclairés avancent sans cesse, à moins que la force ignorante et tyrannique ne leur enlève toute liberté. […] Ce sont eux qui ont osé croire les premiers, qu’il suffisait du tableau des affections privées, pour intéresser l’esprit et le cœur de l’homme ; que ni l’illustration des personnages, ni l’importance des intérêts, ni le merveilleux des événements n’étaient nécessaires pour captiver l’imagination, et qu’il y avait dans la puissance d’aimer de quoi renouveler sans cesse et les tableaux et les situations, sans jamais lasser la curiosité. […] Les saisons, qui parcourent sans cesse ce monde en discorde, retrouvent à leur retour ces deux êtres toujours heureux ; et le printemps applaudissant à leurs belles destinées, répand sur leur tête sa guirlande de roses.

231. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La Plume » pp. 129-149

… L’écol’ romane est bien ici, Mais jamais elle ne donne. » Deschamps, qui n’a cessé de crier depuis l’ouverture de la séance : « Silence, Dubus ! […] Mais soudain le rire cesse : le Pierrot famélique s’est transfiguré ; le pitre fait place au poète et c’est une voix émouvante et passionnée qui rythme de vivants sanglots : Pour devenir un jour celui que tu recèles, Et qui pourrait périr avant d’avoir été, Sous le poids d’une trop chamelle humanité, Ô mon âme ! […] De là cette inquiétude d’esprit qui fait que les meilleurs d’entre vous ne cessent pas d’évoluer et de changer de manière ! 

232. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVIII. Caractère essentiel de l’œuvre de Jésus. »

S’être fait aimer, « à ce point qu’après sa mort on ne cessa pas de l’aimer », voilà le chef-d’œuvre de Jésus et ce qui frappa le plus ses contemporains 1237. […] Les évangélistes eux-mêmes, qui nous ont légué l’image de Jésus, sont si fort au-dessous de celui dont ils parlent que sans cesse ils le défigurent, faute d’atteindre à sa hauteur. […] Son culte se rajeunira sans cesse ; sa légende provoquera des larmes sans fin ; ses souffrances attendriront les meilleurs cœurs ; tous les siècles proclameront qu’entre les fils des hommes, il n’en est pas né de plus grand que Jésus.

233. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre premier. L’ubiquité de la conscience et l’apparente inconscience »

Et cette association est un phénomène qui se produit sans cesse dans la vie normale. […] Si la suggestion est possible, c’est que l’idée suggérée, dont la conscience est distincte, appartenait à un tout donné d’une manière indistincte ; quand cette idée surgit du sein de la masse, le reste demeure non pas « au-dessous du seuil de la conscience », comme on le répète sans cesse, mais fondu dans l’état général de la conscience, dans l’énergie psychique totale de l’organisme. […] Il y a entre les diverses parties du cerveau un commerce, un échange de tensions qui fait que l’activité mentale change sans cesse de centre, de forme et d’objet.

234. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre III : Le présent et l’avenir du spiritualisme »

Est-il possible, au contraire, de s’affranchir, de s’émanciper, d’ouvrir son intelligence à de nouvelles lumières, de transformer et de développer ses idées et ses opinions, sans paraître mettre en question le fond des croyances que l’on soumet ainsi à un examen sans cesse renaissant ? […] Dans le catholicisme, par exemple, il est évident que la discussion ne peut pas porter sur le dogme lui-même, car celui qui mettrait en doute une seule lettre du symbole, qui voudrait modifier le dogme en quoi que ce soit, cesserait par là même d’être catholique. […] En un mot, nous n’entendons pas qu’entre nos mains la philosophie redevienne ce qu’elle a cessé d’être depuis longtemps, la servante de la théologie.

235. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre premier. Astronomie et Mathématiques. »

La vraie philosophie est l’innocence de la vieillesse des peuples, lorsqu’ils ont cessé d’avoir des vertus par instinct, et qu’ils n’en ont plus que par raison : cette seconde innocence est moins sûre que la première ; mais, lorsqu’on y peut atteindre, elle est plus sublime. […] La perfection de l’agriculture, en Angleterre, est moins le résultat de quelques expériences scientifiques, que celui du travail patient et de l’industrie du fermier obligé de tourmenter sans cesse un sol ingrat. […] Que les mathématiciens cessent donc de se plaindre, si les peuples, par un instinct général, font marcher les lettres avant les sciences !

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