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43. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre I. Les mémoires »

Ayant démontré copieusement la conformité du langage français avec son cher grec, il n’eut pas de peine à se convaincre de la précellence de notre idiome sur le parler d’Italie, qui n’est que du latin : et comme il prouvait par exemples abondants la gravité, sonorité, richesse et souplesse du français, il était naturel qu’il tâchât d’en préserver la pureté des inutiles et plutôt dangereux apports de l’italianisme. Par ses piquants et fort sensés Dialogues du langage françois italianisé, Estienne se place parmi les ouvriers de la première heure, qui préparèrent la perfection de la langue classique. Plus le langage courtisan devenait le type de l’usage littéraire, plus il était nécessaire de le soustraire à la corruption de ce jargon d’outre-monts qu’apportaient les reines et les aventuriers d’Italie, et que la servilité de nos raffinés s’empressait d’imposer à la mode. […] Apologie pour Hérodote, 1566 ; Traité de la Conformité du langage français avec le grec, s. d. (avant 1566) ; Deux Dialogues du nouveau langage françois italianisé, 1579 ; Projet du livre intitulé : De la précellence du langage françois, 1579.

44. (1870) La science et la conscience « Chapitre II : La psychologie expérimentale »

Le langage est encore un autre fait propre à l’homme. Et si l’on équivoque ici comme pour l’institution politique, en disant que l’animal parle aussi à sa façon, il n’est pas difficile de montrer qu’entre le langage des animaux et le langage humain, il n’y a pas moins de différence qu’entre la société des bêtes et la société des hommes. […] N’y a-t-il pas une école qui soutient encore aujourd’hui que le langage est d’origine divine ? Alors, si la supériorité de l’homme sur l’animal tient au langage, elle se réduirait à un pur accident, résultat d’un don gratuit. […] La supériorité du langage humain sur le langage animal tient donc à la supériorité de l’intelligence de l’homme sur l’intelligence de la bête.

45. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VI »

La musique va être le langage du « sentiment humain » ; et Richard Wagner tâche maintenant à représenter, à expliquer ; par le langage de la musique, l’homme sensationnel qu’il était. Cela, dis-je, par le langage de la musique, parce que la musique est précisément à Wagner l’expressif de la vie d’âme ; et c’est comme auxiliaires ; eux à leur tour, que d’autres arts viendront » au près, à la musique, de leurs forces littéraires et plastiques. […] » Donc, si Beethoven a osé employer le pur langage de la musique, Wagner, moins confiant en nos intelligences, ou plus soucieux d’être davantage compris, Wagner dira : « Aidons comprendre aux hommes !  […] verrait-il, l’artiste poète et musicien, qu’à dire ces pensées excellerait encore le langage de Gœthe ? […] mais ici c’est un langage précis, étonnamment grammatical (c’est-à-dire étymologique et syntaxial), d’une condensation inouïe dans la littérature allemande et d’un tel affinement ; c’est un langage de hautaine littérature, resserré en le strictement nécessaire du discours, émondé des préfixes et des particules vaines, tout de sommets, essentiel, et qui ressemble aux parodies d’un M. 

46. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIV » pp. 126-174

L’incontinence générale ne pouvait souffrir patiemment cette réserve de langage et de manières qui faisait ressortir son effronterie ; la décence gracieuse, du genre de celle de la marquise de Rambouillet, de Julie, des Sévigné, des La Fayette, importunait la cour, foyer de la dissolution générale, choquait les personnages importants de la capitale. […] Il nous en reste un monument irrécusable dans Les Dialogues concernant le nouveau langage français italianisé et autrement déguisé, principalement entre les principaux courtisans de ce temps : de plusieurs nouveautés (dans les usages) qui ont accompagné cette nouveauté de langage : de quelques courtisanismes modernes et de quelques singularités courtisanesques. […] Or le Piedmont donna commencement À ce vilain et poure changement (de langage). […] Ces bourgeoises sont de plus des pécores (peckes) sans éducation, sans esprit, de manières ignobles, qui prétendent à l’élégance du ton, des manières et du langage. […] Elle n’avait pas fixé son attention, il ne la connaissait pas, elle ne faisait plus autorité ni bruit dans le monde, quand Molière est venu à Paris ; mais il avait entendu parler d’elle, comme de l’origine de ces mœurs et de ce langage qui faisaient exception dans les mœurs et le langage de la capitale.

47. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre II. La langue française au xvie siècle »

Au surplus ai étudié tant qu’il m’a été possible de m’adonner à un commun patois et plat langage, fuyant toute affecterie de termes sauvaiges, emmasqués et non accoutumés, lesquels sont écorchés du latin. […] dira Henri Estienne, ne sera-il loisible d’emprunter d’un autre langage les mots dont le nôtre se trouvera avoir faute ?  […] L’Italie avait été un trop actif agent de notre Renaissance, pour ne pas avoir imprimé fortement sa marque jusque sur notre langage ; l’Espagne à la fin du siècle regagne du côté de l’influence intellectuelle ce qu’elle perd en influence politique ; elle nous insinue de ses manières et de ses façons de parler. […] L’exercice populaire de la parole a poli plus tôt le langage de Calvin, en a retranché l’excès et la « débauche » : tout le siècle finit par y venir.

48. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre quatrième »

Voilà, si je ne me trompe, la première fois que la philosophie chrétienne, qui bégaye dans les poésies de Marguerite de Valois, et qui ne s’y peut dégager des obscurités de la théologie, s’exprime dans un langage clair, frappant et durable. […] Pour lui, la noblesse du langage consiste dans le choix des termes empruntés soit à la profession des armes, soit à certains exercices et amusements, comme la chasse et le jeu, qui étaient le privilège des classes nobles. […] Le second paraît à Ronsard le type du langage noble, à cause des belles et magnifiques paroles : harnois, endosse. […] Ronsard confondait la noblesse du langage avec le langage des nobles. […] Il ne vit pas que les langues ne s’enrichissent que par les pensées ; que le secret de la noblesse du langage est tout entier dans la hauteur modérée et égale des pensées ; que l’harmonie est moins une musique qui flatte l’oreille, que l’effet général d’un langage qui réunit toutes les conditions de propriété de noblesse, de clarté.

49. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXI. Sainte Térèse »

Certainement il y a de l’infini dans toute âme, mais il y est, et même dans les plus grandes, à l’état latent, mystérieux, sommeillant, comme l’Esprit sommeillait sur les Eaux, tandis que dans l’âme de Térèse l’infini déchire son mystère, se fait visible et passe dans le langage où la pensée déborde les mots. […] On ne comprend plus, même le langage de Sainte Térèse, ce langage trop simple, trop raréfié, trop irrespirable pour l’épaisseur de nos esprits. […] Et ce n’est pas tout que cette incompréhensibilité relative de langage. Il y a celle de la perfection même de l’âme qui parle ce langage, inouï d’humilité, dans le fond, comme il est inouï de simplicité dans la forme.

50. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Lacordaire. Conférences de Notre-Dame de Paris » pp. 313-328

L’illusion des heures ou des années, la palpitation d’une âme passionnée qui s’est inventé un langage, tout cela meurt, et même ne met pas longtemps à mourir. […] La pureté d’âme du prédicateur préserve son langage, mais son langage a tout entr’ouvert. […] Des esprits plus sévères que justes ont, je ne l’ignore pas, reproché au révérend père Lacordaire ce qui m’a toujours semblé la meilleure raison de son influence sur les esprits, je veux dire cette hardiesse de langage qui soit quand il s’agit d’idées philosophiques, soit quand il s’agit des passions, n’hésite jamais ni sur le mot, ni sur la pensée, et parle volontiers des choses du monde, et de manière à ce que ce monde, dans l’insolence de son dédain, ne renvoie pas le dominicain à son couvent comme un pauvre religieux fort estimable sans doute, mais qui ne sait rien de la vie ! […] car les grands sermonnaires ont tous, dans une certaine mesure, été obligés d’entrer dans les préoccupations et le langage de leur temps.

51. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 16, des pantomimes ou des acteurs qui joüoient sans parler » pp. 265-295

Mais l’usage apprenoit à entendre le langage muet des pantomimes à ceux qui ne l’avoient pas étudié par méthode, à peu près comme il apprend la signification de tous les mots d’une langue étrangere, dont on sçait déja plusieurs termes, quand on vit au milieu d’un peuple qui parle cette langue. […] Quand on avoit une fois l’intelligence de ce langage, les gestes qu’on connoissoit faisoient deviner les nouveaux gestes que les pantomimes inventoient, suivant les apparences, de temps en temps, et ces gestes servoient dans la suite pour en deviner encore de plus nouveaux. […] On entend facilement un langage qu’on parle. Mais le langage des muets du grand seigneur, que leurs compatriotes n’ont pas de peine à comprendre, et qui leur semble un langage distinctement articulé, ne paroîtroit qu’un bourdonnement confus aux peuples du nord de l’Europe. […] Il enseigne dans la premiere la méthode de dire ce qu’on veut par signes et par gestes, et il montre dans la seconde partie l’utilité de ce langage muet.

52. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Jouffroy.] » pp. 532-533

Je fus admis dans le petit cénacle ; nous formions une espèce de franc-maçonnerie qui avait même son langage et son écriture hiéroglyphique. […] Les camarades ne voyaient alors en lui qu’un poète futur ou qu’un preux chevalier, je dirais presque un jeune et beau Danois, pour me servir du langage de l’époque. […] Jugez quel bouleversement, je dirai même quelle indignation un tel langage devait soulever dans mon âme, moi qui ne songeais, ainsi que tous mes camarades, qu’à la patrie et à vingt-cinq ans de gloire effacés par un jour de revers !

53. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XVI » pp. 188-192

Dans le commencement de cette période, l’esprit, les mœurs, le langage de la cour et des gens du monde de la capitale, sont plus que jamais en opposition avec les mœurs, l’esprit et le langage de la coterie dite des Précieuses. […] Les sociétés formées des débris de l’hôtel Rambouillet, les femmes de bonne compagnie, voient sans déplaisir Molière ramener au naturel les affectations de pruderie et de bel esprit ; mais elles continuent à mettre en honneur l’honnêteté, la décence des mœurs, la pureté et l’élégance du langage, et elles parviennent à en assurer le triomphe.

54. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre dixième. Le style, comme moyen d’expression et instrument de sympathie. »

Mais, si la fonction du langage est primitivement la simple communication intellectuelle entre les hommes, le langage des arts, de la littérature, de la poésie, est autre chose qu’une machine à transmission d’idées, qu’une sorte de télégraphe à signaux rapides et clairs. […] La métaphore et même le mythe sont essentiels à la formation du langage ; ils sont la démarche la plus primitive de l’imagination. […] Les Grecs, ce peuple tout intellectualiste, ont trop considéré les figures de langage à un point de vue purement logique (synecdoche, métonymie, etc.) ; ils n’ont pas assez fait la psychologie du langage imagé. […] Bossuet parle naturellement le langage de la Bible. […] La poésie est un bien commun au même titre que la logique ou la clarté : il est donc juste qu’elle puisse trouver son expression, et son expression entière, dans le langage commun à tous.

55. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Samuel Bailey »

Il n’est point cependant si épris d’algèbre qu’il ne cède aux entraînements de l’éloquence, quand c’est le lieu : et il a revendiqué les droits de la science, dans un langage si ferme et si élevé, qu’il faut traduire : « Quoi ! salués d’applaudissements de triomphe, des milliers de savants s’emploieront à des investigations physiques presque infinitésimales ; à rechercher la composition atomique et la structure microscopique du corps ; à explorer les formes innombrables de la vie animale et végétale, invisibles à l’œil tout seul ; à découvrir des planètes qui ont parcouru, inconnues pendant des siècles, leurs orbites obscurs ; à condenser, par la puissance du télescope, en soleils et systèmes, ce qui était regardé récemment encore comme la vapeur élémentaire des étoiles ; à traduire en formules numériques l’inconcevable rapidité des vibrations qui constituent ces rayons, si fermes en apparence que les plus forts vents ne les ébranlent pas ; à mettre ainsi en vue les parties les plus mystérieuses de l’univers matériel, depuis l’infiniment loin jusqu’à l’infiniment petit ; mais l’analyse exacte des phénomènes de conscience, la distinction entre les différences, si fines pourtant et si petites, des sentiments et des opérations ; l’investigation attentive des enchaînements les plus subtils de la pensée, la vue ferme mais délicate de ces analogies mentales qui se dérobent au maniement grossier et négligent de l’observation vulgaire, l’appréciation exacte du langage et de tous ses changements de nuances et de tous ses expédients cachés, la décomposition des procédés du raisonnement, la mise à nu des fondements de l’évidence : tout cela serait stigmatisé comme un exercice superflu de pénétration, comme une perte de puissance analytique, comme une vaine dissection de cheveux, comme un tissage inutile de toiles d’araignées ? […] « Si la psychologie, dit-il276, étudiait les affections et opérations au lieu des facultés, et réglait son langage en conséquence, il semble qu’on se débarrasserait d’un bon nombre de questions embarrassantes parmi lesquelles il faut mettre la controverse sur la liberté de la volonté, ce qui est littéralement la liberté d’une non-existence. » La question examinée de près se réduit, suivant l’auteur, à se demander, non pas si nous sommes libres d’agir dans certains cas comme il nous plaît, — car personne, je pense, ne conteste que nous le soyons ; — mais s’il y a des causes régulières qui nous mettent en état de « vouloir » agir comme nous agissons. […] Ainsi lorsqu’on laisse de côté le langage vague sur la liberté de la volonté — qui est, comme on l’a dit, la liberté de quelque chose qui n’existe pas — la véritable question se présente sous une forme qui ne laisse plus guère de place à une divergence d’opinions.

56. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre II. Qu’il y a trois styles principaux dans l’Écriture. »

Cette simplicité de langage, en raison inverse de la magnificence des faits, nous semble le dernier effort du génie. […] Homère et Platon, qui parlent des dieux avec tant de sublimité, n’ont rien de semblable à cette naïveté imposante : c’est Dieu qui s’abaisse au langage des hommes, pour leur faire comprendre ses merveilles, mais c’est toujours Dieu. […] Il est vrai que les images empruntées de la nature du midi, les sables brûlants du désert, le palmier solitaire, la montagne stérile, conviennent singulièrement au langage et au sentiment d’un cœur malheureux ; mais il y a dans la mélancolie de Job quelque chose de surnaturel. […] Le langage de cet apôtre est pur et élevé : on voit que c’était un homme versé dans les lettres, et qui connaissait les affaires et les hommes de son temps.

57. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vaugelas. Discours de M. Maurel, Premier avocat général, à l’audience solennelle de la Cour impériale de Chambéry. (Suite et fin.) »

Il avait publié précédemment, en 1638, des Considérations sur l’Éloquence française de ce temps, dans lesquelles il avait pris les devants et s’était élevé contre les raffineurs du langage. […] M. de La Mothe, en esprit solide, le sentait : « Ce n’est pas, disait-il, que je veuille établir ici l’opinion de quelques philosophes, qui se sont déclarés ennemis capitaux du beau langage. […] » L’A est, selon Dupleix, une lettre incomparablement plus noble, plus mâle, et il en donnait, entre autres, cette raison superlative : « Le langage des premiers hommes, qui fut inspiré de Dieu à Adam, en fait preuve, puisque ce même grand-père de tous les hommes a son nom composé de deux syllabes avec A, et Abraham, le père des croyants, de trois syllabes aussi en A. […] Demandez plutôt à Larchey, ce témoin spirituel et fin des Excentricités du Langage 63; lui aussi, il sait l’usage, il l’écoute, il l’épie en tous lieux, le mauvais comme le bon. […] Les Excentricités du langage, par M. 

58. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre II. La parole intérieure comparée à la parole interieure »

La principale est que, pour employer le langage de la psychologie anglaise, la parole extérieure est un état fort, la parole intérieure un état faible. […] Le langage intérieur est notre chose ; nous en usons à notre fantaisie ; le plus adéquat à notre pensée et le plus conforme à notre humeur est le meilleur. Il peut être en grande partie personnel, ce qui n’est pas permis au langage audible, lequel est essentiellement un instrument de société. […] L’enfant grandit et perfectionne son langage ; ce qu’il veut, c’est toujours se faire entendre ; il juge s’il a bien dit ce qu’il voulait d’après les sons qu’il émet et qu’il entend, et non d’après les tacta buccaux ; et ceux-ci lui deviennent de plus en plus indifférents à mesure que son langage devient plus facile et plus correct, c’est-à-dire à mesure que ses organes vocaux sont mieux assouplis, mieux adaptés à toutes les variétés du langage audible ; alors, en effet, il n’est aucunement besoin de réfléchir aux moyens, il lui suffit de vouloir le but. […] Emile Pouvillon, Césette (1880) qui retrace les mœurs et le langage de l’Aveyron.

59. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Voilà déjà le langage de la comédie : encore un pas, et nous aurons les caractères et les mœurs ; et ce langage, déjà si ferme, nourri de pensées plus sérieuses, prendra plus de corps et s’épurera. […] Que dire du langage de ces comédies ? […] Le droit du poète sur ce langage se réduit à en ôter les fautes de français. […] A l’époque où Molière conçut sa pièce, on était entêté de beau langage. […] Est-ce bien là le langage d’un bon bourgeois de Poitiers en 1658 ?

60. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

En un mot, la prose a été le langage de la raison, la poésie a été le langage de l’enthousiasme ou de l’homme élevé par la sensation, la passion, la pensée, à sa plus haute puissance de sentir et d’exprimer. La poésie est la divinité du langage. […] Je vous défie de parler, en face de ces merveilles, le langage vulgaire. […] La sensualité et l’intellectualité de son être devaient s’associer à un certain degré dans son langage poétique. La partie sensuelle ou musicale de ce langage poétique devait peut-être prédominer alors sur la partie intellectuelle et immatérielle de la pensée.

61. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIe entretien. Sur la poésie »

L’homme, par un instinct occulte, mais fatal, semble avoir senti, dès le commencement des temps, le besoin d’exprimer dans un langage différent ces choses différentes. Placé lui-même pour les sentir et pour les exprimer sur les limites de ces natures humaines et divines qui se touchent et se correspondent en lui, l’homme n’a pas eu longtemps le même langage pour exprimer l’humain et le divin des choses. […] En un mot, la prose a été le langage de la raison, la poésie a été le langage de l’enthousiasme ou de l’homme élevé par l’impression, la passion, la pensée, à sa plus haute puissance de sentir et d’exprimer. […] IV À l’exception de l’extrême douleur qui brise les cordes de l’instrument et qui leur arrache un cri inarticulé, cri qui n’est ni prose, ni vers, ni chant, ni parole, mais un déchirement convulsif du cœur qui éclate, quand l’émotion de l’homme est modérée et habituelle, l’homme se sert pour l’exprimer d’un langage simple, tempéré et habituel comme son émotion. […] Je vous défie de parler en sa présence le langage vulgaire.

62. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

Il faut espérer que, quand elle verra la mort de plus près, elle changera de langage comme font d’ordinaire la plupart de ces gens qui font tant les fiers quand ils se portent bien. […] Dans un très-beau cantique sur la Charité, imité de saint Paul, il dit lui-même, en des termes assez semblables, et dont notre ami paraît s’être souvenu : En vain je parlerais le langage des Anges, En vain, mon Dieu, de tes louanges Je remplirois tout l’univers : Sans amour ma gloire n’égale Que la gloire de la cymbale, Qui d’un vain bruit frappe les airs. […] L’amour dont une âme est pleine, et qui cherche un langage, s’empare de tout ce qui l’entoure, en tire des images, des comparaisons sans nombre, en fait jaillir des sources imprévues de tendresse. […] Villemain a déjà remarqué que, dans Euripide, le vieillard qui tient la place d’Arcas n’a qu’un langage simple, non figuré, conforme à sa condition d’esclave : « Pourquoi donc sortir de votre tente, ô roi Agamemnon, lorsque autour de nous tout est assoupi dans un calme profond, lorsqu’on n’a point encore relevé la sentinelle qui veille sur les retranchements ?  […] il ne s’agissait que d’achever la fusion ; l’œuvre de réforme dramatique qui se poursuit maintenant sous nos yeux eût été dès lors accomplie. — C’est que, sans doute, dans la tragédie telle qu’il la concevait, Racine n’avait nullement besoin de ce franc et libre langage ; c’est que les Plaideurs ne furent jamais qu’une débauche de table, un accident de cabaret dans sa vie littéraire ; c’est que d’invincibles préjugés s’opposent toujours à ces fusions si simples que combine à son aise la critique après deux siècles.

63. (1889) Méthode évolutive-instrumentiste d’une poésie rationnelle

Seulement, comme étrange fut l’air de croire inventer cela : car de toute éternité de la matière en devenir le Symbole étant virtuel en la Nature et attendant qui l’en tirera, depuis qu’existent geste et langage n’en sort-il pas peu à peu ? […] Le langage scientifiquement est musique : Helmoltz a, en effet, démontré que, aux timbres des instruments de musique et aux timbres de la voix, ou voyelles, sont les mêmes les Harmoniques. […] Or, compris comme plus haut et c’est ainsi qu’on le doit comprendre, le langage est au-dessus de la musique, car il décrit, suggère, et définit strictement le sens. […] Car le simple raisonnement ne pouvait-il faire prévaloir cette vérité : que le langage est musique ? Il n’est doute, en effet, qu’à l’époque seulement de la pensée naquit le langage : et ainsi la parole est liée fatalement et essentiellement, et quant à ses sonorités !

64. (1887) La banqueroute du naturalisme

Ni Une Page d’amour, ni Au bonheur des Dames n’ont pu dépasser de beaucoup le cinquantième mille : et ce ne sont point des romans « chastes », et les fonctions du ventre y tiennent assez de place, et la grossièreté de langage dont M.  […] Ce qui n’est enfin ni moins grave que le reste, ni d’ailleurs moins faux dans La Terre, c’est la grossièreté du langage. […] D’autant qu’ils parleraient un langage plus conforme à la réalité, ils paraîtraient d’autant moins réels et moins vrais, puisque c’est eux, et non point leur incapacité de s’analyser eux-mêmes qu’il s’agit de nous montrer. […] Rosny, l’auteur du Bilatéral, médiocre imitation des mœurs et surtout du langage de Germinal et de L’Assommoir. […] et, ne se rencontrant pas plus dans le langage, comme l’on voit, que dans les mœurs et dans les caractères, où est la vérité ?

65. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VII. Les hommes partagés en deux classes, d’après la manière dont ils conçoivent que s’opère en eux le phénomène de la pensée » pp. 160-178

Dans le premier cas, l’invention du langage serait un résultat nécessaire de la forme même, si l’on peut parler ainsi, de notre intelligence : les langues seraient alors comme un ensemble de signes convenus, devenu graduellement plus ou moins complet, graduellement perfectionné, à mesure que de nouveaux besoins se seraient fait sentir. […] Le roi n’avait de compte à rendre à personne ; c’est devant Dieu seul qu’il péchait, selon le langage de l’Écriture. […] Lorsque nous établirons, plus tard, que la société est une des conditions de notre nature, et que, par conséquent, la société a été imposée à l’homme, nous trouverons la liaison des deux questions, si distinctes en apparence, de l’origine du pouvoir et de l’origine du langage. […] Sachez donc que ce palladium n’a point été brisé par ceux que vous en accusez, mais par le temps ; ainsi vous devez leur rendre votre estime et votre amour. » La question de l’origine du langage a souvent occupé les philosophes depuis quelques années. […] Il n’était pas venu dans la pensée d’imaginer que l’invention du langage pût être au pouvoir de l’homme.

66. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Sainte Térèse » pp. 53-71

Certainement, il y a de l’infini dans toute âme, mais il y est, et même dans les plus grandes, à l’état latent, mystérieux, sommeillant, comme l’Esprit sommeillait sur les eaux, tandis que dans l’âme de Térèse l’infini déchire son mystère, se fait visible, et passe dans le langage où la pensée déborde les mots. […] On ne comprend plus, même le langage de sainte Térèse, ce langage trop simple, trop raréfié, trop irrespirable pour l’épaisseur de nos esprits. […] Et ce n’est pas tout que cette incompréhensibilité relative de langage. Il y a celle de la perfection même de l’âme qui parle ce langage, inouï d’humilité dans le fond, comme il est inouï de simplicité dans la forme.

67. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre premier. » pp. 5-11

Le berceau de cette révolution fut l’hôtel de Rambouillet, cet hôtel regardé, depuis la fin du siècle passé, comme l’origine des affectations de mœurs et de langage, et qui fut dans le grand siècle, et pour tous les grands écrivains qui l’illustrèrent, pour Corneille, pour Boileau, pour La Fontaine, pour Racine, pour Molière même, oui pour Molière, plus que pour aucun autre, l’objet d’une vénération profonde et méritée. […] Les écrivains qui accréditent cette erreur ne remarquent pas que si leur opinion était juste, la gloire de Molière, qu’ils croient rehausser, serait au contraire rabaissée : car, s’il était vrai qu’il eut fait la guerre à la marquise de Rambouillet, à sa fille Julie, aux Sévigné, aux La Fayette, aux La Suze, au lieu de la faire seulement aux Scudéry, on pourrait dire qu’il est sorti vaincu d’un côté, étant vainqueur de l’autre, un effet, s’il a purgé la langue et les mœurs des affectations hypocrites et ridicules des Peckes, d’un autre côté les femmes illustres, qui ont survécu à l’hôtel de Rambouillet et en avaient fait partie, ont banni du langage et des mœurs des grossièretés et des scandales qu’il protégeait, et y ont apporté des délicatesses et des larmes dont elles ont eu les premières le sentiment. […] La même méprise, qui fait imputer à l’hôtel de Rambouillet la préciosité des manières et du langage, fait méconnaître les services qu’il a rendus aux mœurs, à la langue même et à la littérature, et lui dérobe une gloire qui lui appartient.

68. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre V. Observations philosophiques devant servir à la découverte du véritable Homère » pp. 268-273

Le langage se composait encore d’images, de comparaisons, faute de genres et d’espèces qui pussent définir les choses avec propriété ; ce langage était le produit naturel d’une nécessité, commune à des nations entières. — C’était encore une nécessité que les premières nations parlassent en vers héroïques (livre II, page 158). — 15. De telles fables, de telles pensées et de telles mœurs, un tel langage et de tels vers s’appelèrent également héroïques, furent communs à des peuples entiers, et par conséquent aux individus dont se composaient ces peuples.

69. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Tissot. Poésies érotiques avec une traduction des Baisers de Jean Second. »

Décidément, doué d’une âme d’artiste, et pressé de la produire, tour à tour peintre, sculpteur, graveur, c’est-à-dire toujours poète, il semblait essayer tous les langages imparfaits de la poésie, comme s’il n’en trouvait aucun d’assez expressif et qui lui allât à son gré. Qu’il fût né aussi bien sous le ciel d’Italie, sans doute il n’eût pas tant cherché ce langage. […] Qui le lirait, hors les savants, si le choix du sujet ne faisait passer sur le choix du langage ?

70. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Argument » pp. 93-99

Ces figures du langage, ces créations de la poésie, ne sont point, comme on l’a cru, l’ingénieuse invention des écrivains, mais des formes nécessaires dont toutes les nations se sont servies à leur premier âge, pour exprimer leurs pensées. […] Corollaires relatifs aux caractères poétiques employés comme signes du langage par les premières nations. […] Ces ornements du style naquirent, dans l’origine, de l’indigence du langage.

71. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Un certain langage de convention s’était emparé de la comédie. […] Cependant le langage, qui prend à chaque instant une couleur et une forme différentes, suivant l’individu et suivant l’impression qu’il éprouve ; le langage, qui est redevable de tous ses effets, non pas à la représentation des objets, mais à la peinture des affections de l’âme excitées par ces objets, le langage démentait sans cesse tout le système de métaphysique et de grammaire. […] Ainsi l’algèbre est le langage qui convient le mieux pour rechercher ce genre de vérités. […] On lui a reproché d’avoir copié sans goût et sans fidélité le langage de la société de son temps. […] Le langage ne pouvait avoir ni persuasion ni verve dans de tels moments.

72. (1841) Matinées littéraires pp. 3-32

Mais il faut bien se garder de confondre, comme on l’a fait souvent, la parole avec le langage. […] L’art de combiner ces sons, au moyen d’articulations distinctes, est né pour nous du besoin de vivre en société : le langage est une convention des hommes. […] Il importe donc de réunir l’action à l’élocution, la pantomime au langage, pour que la pensée arrive pleine et entière, de l’homme qui parle à l’homme qui écoute. […] L’art du débit oral est-il autre chose que l’application des facultés de notre intelligence au perfectionnement de l’instrument du langage et du jeu de la pantomime ? […] Les vices de lecture deviennent des vices de langage.

73. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IV. De la philosophie et de l’éloquence des Grecs » pp. 120-134

Les systèmes métaphysiques et politiques de Platon ont bien moins contribué à sa gloire, que la beauté de son langage et la noblesse de son style. […] La métaphysique qui n’a ni les faits pour base, ni la méthode pour guide, est ce qu’on peut étudier de plus fatigant ; et je crois impossible de ne pas le sentir, en lisant les écrits philosophiques des Grecs, quel que soit le charme de leur langage. […] Ils avaient besoin de recourir au mouvement et à l’exaltation produite par le langage animé de la conversation ; ils cherchaient ce qui pouvait agir sur l’imagination, avec autant de soin que les métaphysiciens exacts et les moralistes sévères en mettent, de nos jours, à se garantir de toute parure poétique. L’éloquence philosophique des Grecs fait encore effet sur nous, par la noblesse et la pureté du langage.

74. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Seconde partie. Émancipation de la pensée » pp. 300-314

Schlegel surtout, en prouvant que la question de l’origine du langage devait être traitée historiquement, et non point par des théories spéculatives ; en prouvant ensuite, par les faits nombreux que lui-même a rassemblés ; en prouvant, dis-je, que cela était possible, ôte à ces sortes de recherches ce qu’elles avaient de conjectural et de hasardé, et vient déterminer ainsi un des plus grands pas qui puissent être faits dans la science réelle de l’homme. […] Ancillon s’est donc arrêté à une cause seconde sans chercher s’il était possible de remonter à une cause première ; mais ce qui a dû se passer dans son entendement lorsqu’il a été retenu ainsi sur les dernières limites du système de l’invention du langage par l’homme, est un exemple de plus ajouté à tous ceux que j’ai cités et aux autres faits que j’ai présentés pour prouver l’émancipation de la pensée. […] Ceci expliquerait assez bien, au reste, comment plusieurs philosophes ont été portés à attribuer l’invention du langage à l’homme. […] C’est ainsi qu’on a été graduellement amené à penser que tout était d’invention humaine ; c’est ainsi que, ne pouvant expliquer les prodiges de l’harmonie ancienne, on a trouvé plus simple de les nier, ou de les attribuer à des causes indépendantes de l’essence même de la musique primitive ; c’est ainsi qu’on a imaginé d’établir en théorie que l’homme avait pu fonder la société et parvenir à instituer le langage, sans savoir toutefois ce qu’il faisait.

75. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VII. Dernières preuves à l’appui de nos principes sur la marche des sociétés » pp. 342-354

Puis lorsqu’il y eut un langage articulé, les contractants s’assurèrent de la volonté l’un de l’autre en joignant au nœud des paroles solennelles qui exprimassent d’une manière certaine et précise les stipulations du contrat. […] Concluons : l’homme n’étant proprement qu’intelligence, corps et langage, et le langage étant comme l’intermédiaire des deux substances qui constituent sa nature, le certain en matière de justice fut déterminé par des actes du corps dans les temps qui précédèrent l’invention du langage articulé.

76. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XI. La littérature et la vie mondaine » pp. 273-292

Le langage s’en ressent aussitôt. […] On fleurira son langage d’images chatoyantes. […] Le langage des précieuses, une fois engagé dans cette voie, pouvait être défini : l’art de ne pas appeler les choses par leur nom. […] Il les charme par l’élégance d’un langage toujours aussi bien peigné que lui-même. […] Le langage, lui aussi, s’ennoblit à l’excès.

77. (1875) Premiers lundis. Tome III « Du point de départ et des origines de la langue et de la littérature française »

Tel d’entre eux qui, avec ses égaux, ne fait usage que du patois du pays, est très-mortifié et se montre parfois très-piqué, si quelqu’un d’une classe plus élevée vient à lui adresser la parole en ce même patois ; c’est en effet lui dire tacitement : Je juge à votre air et à vos manières que vous ne devez pas comprendre le langage des gens bien élevés. […] et vous tous dont l’idiome vulgaire se rattache aux idiomes de ces peuples, vous êtes sans doute surpris et charmés des identités frappantes, des analogies incontestables que vous découvrez sans cesse entre vos langages particuliers. Permettez-moi de vous en expliquer la cause : c’est qu’il a existé, il y a plus de dix siècles, une langue qui, née du latin corrompu, a servi de type commun à ces langages. […] Néanmoins ses données sont en général fort exactes, et j’en ai souvent profité. « Les règles grammaticales étaient les mêmes pour tous les dialectes de la langue d’oïl : tous, sans exception, étaient régis par la même grammaire. « Après avoir posé cette règle générale, Fallot divise le vieux langage français en trois dialectes principaux, qu’il nomme non point du nom d’une province dans laquelle ils fussent exclusivement parlés, mais du nom de celle dans le langage de laquelle leurs caractères se trouvent le plus saillants, le mieux réunis et le plus complètement en relief : normand, picard, bourguignon. […] Francis Wey, dans son Histoire des révolutions du Langage français (1848), avait très-bien parlé, avant Génin, de quelques épisodes où figure Roland soit dans la Chanson de Roncevaux, soit dans celle de Gérard de Vienne.

78. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Première partie. Les idées anciennes devenues inintelligibles » pp. 106-113

On plaide toujours avec gêne devant des juges prévenus, surtout lorsque l’on diffère de langage avec eux ; on voudrait vaincre des répugnances, faire des concessions pour être écouté avec moins de défaveur, s’accommoder aux temps et aux lieux ; couvrir, s’il est permis de parler ainsi, par le néologisme du langage, l’archaïsme des idées et des sentiments. […] Vous avez vu, en effet, soutenir le droit par les mêmes arguments que le fait, le juste par les mêmes arguments que l’utile ; d’un autre côté, le fait et l’utile avaient des champions qui puisaient leurs moyens de défense dans les doctrines sur lesquelles reposent le droit et le juste ; la légitimité était confondue avec l’hérédité, avec l’hypothèse de l’élection continue ou du pacte primitif : il en résultait une grande confusion de langage ; mais tout, dans ce combat inégal, tournait au profit des idées nouvelles, parce que ce sont elles seulement qui sont douées de la force expansive.

79. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » p. 117

Quand on donne des préceptes de langage, il faut bien se garder d’avoir soi-même un langage qui prête à la censure & au ridicule.

80. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VIII. »

De même que, sous le beau climat de l’Ionie et de la Grèce orientale, le spectacle éblouissant de la terre et des cieux suscitait des hymnes de louanges, et, en quelque sorte, une apothéose de la nature, ainsi l’étude réfléchie de ses merveilles, la recherche de leurs causes, l’interprétation de leurs symboles, firent naître un autre enthousiasme, qui prit bientôt le même langage. […] Il faut aussi louer l’homme qui, en buvant, ne décèle rien que d’honnête, dont la mémoire et la pensée s’entretiennent de vertu, et ne pas redire, d’ailleurs, les combats des Titans ou des Géants, ni l’histoire des Centaures, fictions des vieux temps, et toutes ces rixes où il n’y a rien d’utile, mais avoir toujours présente la providence des dieux. » Ce langage n’est-il pas d’un sage et religieux réformateur, plutôt que d’un panthéiste ou d’un sceptique ? […] Ainsi peut s’expliquer le langage inspiré, l’enthousiasme d’Empédocle parlant de lui-même et invoquant la foi docile de ses concitoyens. […] Ce n’est pas là, nous dirait-on, l’enthousiasme d’une intuition divinatrice : ce sera, si vous voulez, le langage de ceux qu’Aristote appelle des naturalistes théologiens. […] En même temps que, dans ses vers, il se donnait pour un être surnaturel, ou du moins pour un être humain rendu de nouveau à la terre, après avoir passé par les cieux, tout son langage recommandait le culte des dieux et le respect de la vertu.

81. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre septième. »

J’omets quelques noms, comme moins marquants, non comme méprisables une certaine jeunesse et naïveté de langage donnait du prix aux plus obscurs de ce temps-là. […] Tels sont les défauts des écrivains penseurs du xvie  siècle ; et j’entends par défauts, non les taches de détail qui gâtent un ouvrage excellent, mais de mauvaises conditions pour voir la vérité et pour l’exprimer dans un langage durable. […] Ces nuances innombrables dans la pensée engendrent d’innombrables subtilités dans le langage. […] Les images abondent, par cette illusion de l’esprit qui, n’ayant pas en vue une proposition considérable à prouver, donne à chaque détail un prix exagéré et force le langage, moins pour tromper les autres que parce qu’il se trompe lui-même. […] Mais ce langage du maître, dans l’imitation travaillée du disciple, jure au milieu de cet appareil de divisions et de subdivisions symétriques, de définitions, de distinctions dont Charron hérisse son livre, pensant le rendre plus clair et plus frappant.

82. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

Toute la femme parle ; elle est le langage même. […] L’expression animale des émotions n’est pas un langage, car elle ne saurait feindre ; le langage vrai commence avec le mensonge. […] L’art est un langage, et il n’est que cela. […] La femme est le langage, mais le langage élémentaire, le langage utile ; son rôle n’est pas de créer, mais de conserver. […] La voici en langage clair.

83. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Quitard »

La philologie s’occupe des signes et de l’anatomie du langage. […] À l’origine des sociétés tout commence par des despotes, dans la pensée et dans le langage comme dans le reste des choses humaines. […] Rivarol, qui avait eu un prix à l’Académie de Berlin sur une question de langue française, n’en était pas moins compétent en matière de langage et a pu n’être pas compromis par son prix. […] Et pourquoi, puisque Quitard écrit un Dictionnaire ou rêve une Histoire des Proverbes, se priverait-il des plus énergiques, des plus pittoresques, des plus populaires, sous prétexte qu’ils sont grossiers, comme si, la grossièreté étant parfois dans l’esprit humain, elle ne devait pas avoir son expression dans le langage ?

84. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIII. Des panégyriques en vers, composés par Claudien et par Sidoine Apollinaire. Panégyrique de Théodoric, roi des Goths. »

La douce harmonie du langage des Cicéron et des Virgile a disparu. […] Ainsi, dans l’espace de près de cinq cents ans, les lois, les mœurs, les arts, le gouvernement, la religion, le langage même, tout avait changé ; et dans le pays où César et Caton, Cicéron et Auguste avaient parlé aux maîtres du monde, en attestant souvent les dieux de l’empire et près de l’autel de la victoire, un Gaulois, chrétien et évêque, haranguait en langage barbare, un roi goth venu avec sa nation des bords du Pont-Euxin pour régner au Capitole.

85. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

Comme pour approcher de l’autel le prêtre idolâtre s’était paré d’un vêtement plus précieux et avait ceint sa tête de bandelettes, de même il avait relevé son langage par le mètre et l’harmonie. […] Mais pourtant, quelle dignité dans ce langage encore, quelle simplicité douce et tendre ! […] Le contrecoup de tant de luttes et comme le long souvenir de ces vives douleurs se retrouve aussi dans ses poésies, langage familier de son âme, non moins naturel pour lui que la prédication ou la prière. […] Par le langage même, par une couleur d’expression toute païenne, Synésius, sous une réminiscence involontaire, s’éloigne encore plus du christianisme qu’il professe. […] L’inspiration souffre de ce travail érudit ; mais l’amour des lettres était devenu pour ces demeurants du polythéisme une passion à la fois subtile et sacrée, dont le langage a sa poésie comme sa sincérité.

86. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

L’âme passionnée est moins exposée à cette sorte d’illusion : la passion est essentiellement intérieure, et le langage qui l’exprime n’est pas destiné aux oreilles d’autrui. […] La voix, comme telle, est unique et l’expression d’une même sagesse ; c’est toujours « le parler et le langage des anges » ; l’apparence visible qui l’accompagne varie seule. […] La métaphore a donc pu s’introduire dans l’acception des mots parler, cri, langage, etc., par d’autres voies que celle que nous signalons ici. […] C’est une loi du développement du langage qu’un même mot éveille successivement des idées différentes, alternativement simples et complexes. […] Jeanne d’Arc craignit quelque temps d’être hantée par un mauvais esprit ; l’apparition la rassura peu à peu et pour toujours, par ce fait que son langage était celui des anges.

87. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIX. De la littérature pendant le siècle de Louis XIV » pp. 379-388

Aucune pensée, aucun sentiment ne perd pour cela de son énergie ; l’élévation du langage conserve seulement cette dignité de l’homme en présence des hommes, à laquelle ne doit jamais renoncer celui qui s’expose à leurs jugements ; car cette foule d’inconnus qu’on admet, en écrivant, à la connaissance de soi-même, ne s’attend point à la familiarité ; et la majesté du public s’étonnerait avec raison de la confiance de l’écrivain. […] La galanterie envers toutes les femmes, introduite par les lois de la chevalerie, la politesse des cours, le langage élégant que l’orgueil des rangs se réservait comme une distinction de plus, tout multipliait les convenances que l’on devait ménager. […] Une sorte d’esprit madrigalique attestait le sang-froid lors même qu’on voulait peindre l’entraînement ; et l’on se servait souvent d’un langage qui n’appartenait ni à la raison ni à l’amour.

88. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre XI. De l’ignorance de la langue. — Nécessité d’étendre le vocabulaire dont on dispose. — Constructions insolites et néologismes »

Je ne parle pas de ces néologismes nécessaires, qui manifestent la vie même de la langue et lui font suivre par son incessante transformation l’évolution de la pensée : si le progrès des sciences et de l’industrie, les révolutions politiques, sociales, religieuses, économiques, ont fait éclore des idées nouvelles dans le cerveau de l’homme, ont revêtu les idées anciennes d’une forme nouvelle, il est inévitable que bien des choses ne puissent être désignées par les mots anciens, et il serait absurde de s’opposer à l’admission dans le langage de ce qu’on admet dans la pensée. […] Mais il faut être très attentif à ne recevoir que les nouveautés nécessaires en fait de langage. […] Quant au vocabulaire, il faut distinguer entre les sens et les mots nouveaux que la mode met en vogue, qui tiennent à ce qu’il y a de plus fugitif, de plus léger dans les mœurs et les idées d’une époque, et les acquisitions définitives du langage, qui répondent aux mouvements décisifs de l’esprit, et aux transformations réelles de la société.

89. (1911) La valeur de la science « Introduction »

Elle ne peut donner au physicien qu’un langage commode ; n’est-ce pas là un médiocre service, dont on aurait pu se passer à la rigueur ; et même, n’est-il pas à craindre que ce langage artificiel ne soit un voile interposé entre la réalité et l’œil du physicien ? Loin de là, sans ce langage, la plupart des analogies intimes des choses nous seraient demeurées à jamais inconnues ; et nous aurions toujours ignoré l’harmonie interne du monde, qui est, nous le verrons, la seule véritable réalité objective.

90. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Léon Feugère ; Ambroise-Firmin Didot »

Léon Feugère ; Ambroise-Firmin Didot Essai sur la vie et les ouvrages de Henri Estienne, suivi de la Conformité du langage français avec le grec ; Essai sur la Typographie. […] Homme de son temps et, il faut bien le dire, de sa fonction, Feugère n’a pas choisi par simple caprice d’intelligence cette vie d’Henri Estienne pour nous la raconter et cet ouvrage de la Conformité du langage français avec le grec 8 pour nous en donner une édition qu’on ne lui demandait pas. […] Et qu’est ce livre de la Conformité du langage français avec le grec, sinon, sous la forme la plus innocente, car elle est la plus superficielle, la preuve, essayée vainement par un érudit, de cette origine et de cette descendance que les païens de la Renaissance ont toujours cherché à établir entre le monde moderne et l’antiquité ?

91. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 415-416

Son nom est consacré parmi les Grammairiens ; il a été, & est encore aujourd'hui, par un reste de vénération, un oracle décisif en matiere de langage. […] Il en est peut-être des scrupuleux, en matiere de langage, comme de ceux qui le sont en toute autre chose : ils doutent long-temps, ils hésitent sans cesse, & ne se décident que par nécessité.

92. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Alexis de Tocqueville »

Les meilleures lettres qu’on ait de lui ne peuvent valoir, par le détail de l’observation (son seul mérite réel), les livres qu’elles rappellent par leur langage raisonnable, tranquille et d’une pâle élégance, quand il est le mieux réussi. […] Du reste, ce que nous avons dit de la Course au lac d’Onéida et des Quinze jours au Désert, il faut le dire de toutes les lettres et de l’ensemble des deux volumes : c’est le langage d’un homme bien élevé, mais qui ressemble trop au langage de tous les hommes qui sont bien élevés. […] Il a, dans le langage, de l’écriture américaine, qui ressemble à toutes les écritures, cet Américain !

93. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice de Guérin »

Pour lui, pour Maurice de Guérin, — et celui qui écrit ces lignes a été profondément mêlé à sa vie, — l’émotion désintéressée que donne le génie et la perfection de son langage étaient bien au-dessus de tous les profits, toujours grossiers et vains, de la renommée ! […] Et comme justement ils différèrent par l’inspiration et l’observation poétique, ils différèrent autant par le langage. Tous les deux écrivirent également en prose et en vers ; mais l’un (André Chénier), le poète du fini, parla mieux la langue des vers, qui est le langage du fini, et l’autre (Maurice de Guérin), le poète de l’infini, parla mieux la langue de la prose, dans laquelle la nature et la pensée semblent avoir plus d’espace pour s’étendre et tenir tout entières. […] Et cependant, moi qui connais le langage poétique que Guérin a laissé derrière lui, j’aurais voulu qu’on eût ajouté aux quelques pièces éditées plusieurs autres, inférieures aussi d’art, de rhythme, et même de rime, mais qui n’en serviraient pas moins à caractériser le génie personnel d’un poète qui n’a cherché à imiter personne !

94. (1913) Le bovarysme « Avertissement »

Il résulte de cette croyance que toute constatation de fait tend, en langage humain, à se formuler en règle morale ; car l’illusion engendrée par le reflet de l’activité dans la conscience est si forte qu’elle domine les formes du langage et qu’elle a laissé dans les mots son empreinte.

95. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure »

Il ne faudrait pas le voir pourtant trop amoureux des âges gaulois, ni trop épris des doctes personnages de la Renaissance ; il était de son siècle et n’enviait guère à ces savants hommes du passé que leur façon de s’exprimer, plus franche que la nôtre : « On avait », dit-il, « l’esprit étrangement fait du temps de Pasquier ; il admirait Ronsard, que nous ne voudrions pas lire à présent… Disons la vérité, tous ces messieurs-là étaient trop graves pour être plaisants ; il n’y a que leur langage ancien que je voudrais qui eût été conservé, et je sais bon gré à M. de Cambrai (Fénelon) d’avoir dit que ce langage se fait regretter, parce qu’il avait je ne sais quoi de court, de naïf, de hardi, de vif et de passionné. […] Mais nous voyons déjà le caractère du Journal de Mathieu Marais ; il s’est plu à consigner par écrit des nouveautés en usant des franchises du vieux langage ; il ne craint pas d’appeler les choses par leur nom, sauf à garder ses historiettes sous clef et, après deux ou trois lectures à huis clos, à les resserrer dans son tiroir. […] Il varie dans son langage selon les circonstances. […] On lui doit quelques détails de plus sur les désagréments que ce bel esprit si lancé s’attira à plusieurs reprises pour ses indiscrétions et ses pétulances de langage. […] Les plus grands hommes ont été exposés à ces sortes d’injustices ; rendez donc au plus tôt vos ouvrages publics, et marchez à la gloire que vous méritez. » Voilà un noble langage.

96. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre premier. »

Il en reçut, non l’âme poétique qui ne se donne pas, mais de belles parures de langage, quelques grains d’or pur, qu’il étendit en feuilles minces et brillantes dans le tissu de sa diction laborieuse. […] La ressemblance, l’affinité ne tient pas ici à quelques imitations littérales, ou à quelques rencontres accidentelles de langage : elle est plus générale et plus intime. […] Une autre disposition encore rapprochait naturellement le langage de l’évêque moderne et celui du chantre thébain. […] On verrait des deux côtés le même mélange de la plus haute élévation et du langage le plus simple, et une sorte de naïveté dans la magnificence. […] Mais, son cœur resta dorien et monarchique, si cet anachronisme de langage est permis.

97. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre III. »

Et, chose extraordinaire, en même temps qu’elle conserve au plus haut degré l’empreinte d’une race particulière et séparée, elle est, par la force et la vérité des mouvements, par l’abondance de la passion, le langage qui parle le mieux au plus grand nombre des âmes humaines. […] Alors, ce semble, apparut l’enthousiasme lyrique dans sa plus haute expression : élévation du sujet, immensité du chœur, sublimité du langage. […] D’une part, on a le langage de ce prophète illuminé de Dieu, que le ciseau de Michel-Ange nous représente avec des cornes de feu : d’une autre part, les premières expressions mêmes du poëte vous annoncent un messager du dieu Mercure, un adroit orateur pour l’intelligente et indocile Athènes. […] Mais, loin dans l’antiquité, avant ces merveilles de la muse attique, contemporaines et toutes voisines des grandeurs du génie dorien dans Thèbes et dans Syracuse, ne peut-on pas reconnaître, à travers les obscurités et les défigurements du langage, une forme de poésie enracinée dans le cœur d’un peuple, et toute inspirée de ses périls et de ses délivrances ? […] Et plus tard, et toujours, quand la Bible devient la principale nourriture des âmes, combien ce langage, approprié sans cesse par la passion aux hommes qui s’en servaient, n’eut-il pas de pouvoir sur l’esprit et la volonté !

98. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

Leur langage cesserait de ressembler à la vérité. […] N’est-ce pas le propre langage de la fatuité ? […] Dans la comédie de caractère, il ne porte que sur le langage et les humeurs des personnages. […] quelle délicatesse en notre langage ! […] Or les hommes de quelques pays et de quelques temps qu’ils soient, seront frappés de son langage.

99. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7172-17709

) c’est un idiotisme françois, c’est-à-dire une façon de parler éloignée des lois générales du langage, & exclusivement propre à la langue françoise. […] L’essence du gallicisme consiste en effet à être un écart de langage exclusivement propre à la langue françoise. […] Or ce sont les mots indéterminés qui, dans le langage des Grammairiens gouvernent ou régissent les noms déterminans. […] C’est un idiotisme grec, c’est-à-dire, une façon de parler exclusivement propre à la langue grecque, & éloignée des lois générales du langage. […] C’est encore le même langage chez l’auteur du Manuel des Grammairiens.

100. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « II. Jean Reynaud »

Seulement voici où l’embarras commence… Si la Critique prend au sérieux ce gros livre de Terre et Ciel que d’aucuns regardent comme un monument ; si elle se croit obligée d’entrer dans les discussions qu’il provoque et d’accepter ces formes préméditées d’un langage scientifique assez semblable au latin de Sganarelle, mais moins gai, la voilà exposée à asphyxier d’ennui le lecteur, comme elle a été elle-même asphyxiée ; — et cependant, d’un autre côté, si on touche légèrement à une chose si pesante, d’honnêtes esprits s’imagineront, sans doute, que c’est difficulté de la manier ! […] Nous savons bien, — et lui aussi, probablement — ce qui resterait du christianisme, après cet élargissement à la Diderot ; mais pour les simples de cœur et d’esprit qui se laissent pétrir par la main de toutes les propagandes, un tel langage a sa séduction. […] Jean Reynaud des qualités métaphysiques d’un degré inférieur, sans pureté et sans force réelle, un langage trouble toujours et souvent contradictoire. […] Sa pensée ne domine pas tous ces divers langages et ne les fait pas tourner autour d’elle, avec leurs clartés différentes, dans la convergence de quelque puissante unité.

101. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Funck Brentano. Les Sophistes grecs et les Sophistes contemporains » pp. 401-416

… Je ne sais rien de lui, sinon qu’il est professeur, comme il nous l’apprend, du reste, dans le titre même de son livre, et qu’il a, malgré son nom allemand, la précision française du langage, et un mépris très français aussi pour les idées allemandes… Il range, en effet, Kant et Hégel — mais trop en passant, il est vrai, — parmi les sophistes dont il écrit l’histoire. […] Funck Brentano, qui devrait croire à la philosophie puisqu’il la professe, le sophiste n’existe point en soi… Le sophiste, c’est toujours un philosophe dépravé qui déprave une philosophie antérieure, qui abuse de cette philosophie, qui en fausse le principe, les idées, le langage, et cela est vrai si la philosophie est elle-même une vérité. […] prenez, dans ce chef-d’œuvre de discussion meurtrière contre Stuart Mill et Herbert Spencer, le chapitre intitulé : « Le Conte », et dites s’il est possible d’être, en même temps, et plus fort dans le fond des choses, et d’une légèreté de langage plus lumineuse et plus plaisamment cruelle ! […] Il a un accent à lui dans les matières où la plupart des hommes parlent uniquement ce langage des abstractions et des généralités, qui, d’ordinaire, n’a pas d’accent… Il n’a rien du cuistre que voulait Cousin et dont s’honorait Cousin !

102. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Xavier Aubryet et Albéric Second » pp. 255-270

… Toujours est-il que cette fulminante sensitive qui se rétracte en lui, avec la furie du dégoût, au moindre contact des mains canailles qui à cette heure s’allongent partout et manient tout avec de si indignantes familiarités, se montre aussi parisienne épanouie, dans La Vengeance de Madame Maubrel 27, qu’on l’est dans La Vie parisienne, par exemple, où l’on eût pu très bien publier ce livre si complètement parisien de langage, et qui n’aurait troublé en rien les habitudes de la maison. […] Tout y est parisien au plus haut degré : les événements, les figures, le langage, la plaisanterie, et, comme dans La Semaine des trois jeudis (un autre roman très réussi d’Albéric Second), jusqu’aux crimes. […] Cela s’appelait L’Amour impossible, et cela était parisien de mœurs, de langage, de corruption raffinée et nauséabonde, d’ennui et de préciosité. […] sa grande vie dans l’avenir et sa grande gloire, ce sera d’avoir créé des caractères et fouillé l’âme qui est infinie jusque dans ses dernières profondeurs, et cela sans petite couleur locale de temps et d’espace, et dans des langages immortels comme l’esprit humain !

103. (1874) Premiers lundis. Tome I « Madame de Maintenon et la Princesse des Ursins — II »

Il est curieux de la voir, dans cette correspondance, protester à tout propos contre l’idée qu’on pouvait avoir de son crédit : « Je ne suis qu’une particulière assez peu importante ; je ne sais pas les affaires, on ne veut point que je m’en mêle, et je ne veux point m’en mêler. » Tantôt elle se compare avec pruderie à une ingénue de quinze ans : « Je suis un peu comme Agnès, je crois ce qu’on me dit, et ne creuse pas davantage. » Tantôt elle se vieillit avec une complaisance qui fait sourire : « Si vous me voyiez, madame, vous conviendriez, que je fais bien de me cacher : je ne vois presque plus ; j’entends encore plus mal ; on ne m’entend plus, parce que ma prononciation s’en est allée avec mes dents, la mémoire commence à s’égarer ; je ne me souviens plus des noms propres, je confonds tous les temps, et nos malheurs joints à mon âge me font pleurer comme toutes les vieilles que vous avez vues. » Sans croire tout à fait à ce renoncement absolu au monde, on est pourtant forcé de reconnaître qu’il y a dans ce langage de madame de Maintenon plus de manie que d’hypocrisie, et qu’à force de se faire, en paroles, insignifiante et inactive, elle l’était sur la fin réellement devenue. […] Mais ce qui est commun à toutes deux, et ce qu’on retrouve également chez mesdames de Sévigné et de La Fayette, c’est cette franchise et cette naïveté d’un langage toujours pur, malgré ses négligences et ses familiarités. […] Avant de s’ajuster exactement aux différentes espèces d’idées, le langage est jeté à l’entour avec une ampleur qui lui donne l’aisance et la grâce ; mais quand le siècle d’analyse a passé sur la langue et l’a travaillée à son usage, on ne peut plus qu’admirer et regretter ce charme à jamais évanoui du grand âge littéraire ; on essayerait en vain d’y revenir à force d’art ; et la critique, qui sent tout ce qu’il a d’exquis, est dans l’impuissance de le définir sans l’altérer.

104. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — III » pp. 476-491

On peut dire de Mme de Caylus que sa parole fut sans tache dès qu’elle la bégaya, et qu’elle eut la perfection innée du langage. […] Ce n’est plus Rousseau qui vient, c’est Chateaubriand : il étonne, il trouble et bouleverse à son tour et les jeunes cœurs et les vieilles formes de langage ; il frappe les têtes, il séduit à tort et à travers, à droite et à gauche, et projette jusque dans les rangs de ses adversaires ses fascinations éclatantes. […] L’atticisme, c’est-à-dire le pur langage naturel français, reposé, coulant de source, et jaillissant des lèvres avant toute coloration factice, est-il donc fini à jamais, et doit-il être rejeté en arrière parmi les antiquités abolies qu’on ne reverra plus ? […] Le petit écrit de la vicomtesse de Noailles n’est pas seulement une peinture de cette ancienne politesse et de cette finesse comme naturelle du ton et du langage, il en est presque partout un modèle. […] Tant il est vrai que les langages les plus purs courent des risques par le voisinage, et se ressentent toujours plus ou moins de l’air du dehors.

105. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre I : Sensations et idées. »

Depuis Aristote qui disait : « Nous ne pensons pas sans images, et ce sont des images que les mots », jusqu’au groupe presque contemporain des idéologues, l’école sensualiste a compris de tout temps l’importance du langage. […] Elle traite le langage à la manière de la logique et non de la psychologie. […] Findlater conclut que si cette analyse du verbe est correcte, l’affirmation de l’existence ne trouva pas d’expression dans les premières périodes du langage : la copule réelle liant le sujet avec le prédicat était la préposition contenue dans le cas oblique de l’affixe pronominal. […] Voir sur ce point Renan : De l’oriqine du langage ; Max Millier, Science du langage, tome II, principalement.

106. (1785) De la vie et des poëmes de Dante pp. 19-42

Le lecteur s’élève et respire avec eux : il entend partout le langage consolant de l’espérance, et ce langage se sent de plus en plus du voisinage des Cieux. […] L’effet qu’il produisit fut tel, que, lorsque son langage rude et original ne fut presque plus entendu, et qu’on eut perdu la clef des allusions, sa grande réputation ne laissa pas de s’étendre dans un espace de cinq cents ans, comme ces fortes commotions dont l’ébranlement se propage à d’immenses distances. […] J’ai donc pensé qu’elles devraient servir également à la gloire du poëte qu’on traduit, et au progrès de la langue dans laquelle on traduit ; et ce n’est pourtant point là qu’il faut lire un poëte, car les traductions éclairent les défauts et éteignent les beautés ; mais on peut assurer qu’elles perfectionnent le langage. […] Un idiome étranger, proposant toujours des tours de force à un habile traducteur, le tâte pour ainsi dire en tous les sens : bientôt il sait tout ce que peut ou ne peut pas sa langue ; il épuise ses ressources, mais il augmente ses forces, surtout lorsqu’il traduit les ouvrages d’imagination, qui secouent les entraves de la construction grammaticale, et donnent des ailes au langage.

107. (1923) Au service de la déesse

Les dieux ont leur, langage ; et, comme ils ont leur langage, ils ont leurs idées. […] Claudel pour un écrivain parfait, de prendre le langage de M.  […] Mais il n’est pas joli non plus d’offenser le bon langage français. […] Elle invente un langage ! […] Giraudoux consent à employer le commun langage.

108. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

Il vaut mieux ne pas parler en vers de choses dont on n’ose pas parler simplement dans le langage de tous. […] En effet, un langage où tout est rythmé et régulier économise l’attention, l’effort intellectuel. […] Le principe dernier du langage rythmé, comme de tout langage, est donc la pensée, et c’est elle qui, en se modifiant, peut seule modifier profondément le rythme et l’harmonie du vers. […] En résumé, le langage du vers correspond physiologiquement à une certaine tension du système nerveux, psychologiquement à une certaine puissance de la pensée émue ; une fois débarrassé de tout artifice, ce langage vibrant et fait pour ainsi dire de passion restera le langage naturel de toute émotion grande et durable. […] Aussi le langage poétique est-il en somme le langage actif et primitif par excellence : quand il exprime les idées les plus hautes, c’est par les moyens les plus simples, et l’idée grandit dans cette simplicité même de l’expression.

109. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre premier. Prostitués »

Le mot n’est plus qu’un terme historique dans les langages civilisés. […] les langages seuls se civilisent. […] Je leur apprendrai ensuite le langage persuasif qui fait de la plus mauvaise cause la meilleure.

110. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre IV. Comparaison des variétés vives et de la forme calme de la parole intérieure. — place de la parole intérieure dans la classification des faits psychiques. »

Enfin, la parole intérieure calme n’est pas seulement le langage naturel de la froide raison ; elle est aussi la seule expression convenable de la tristesse d’une âme découragée et abattue. […] Si l’on a pu dire ironiquement de la parole extérieure qu’elle a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée, on pourrait dire aussi que la forme vive de la parole intérieure est souvent le langage de l’illusion et du mensonge, du moins du mensonge involontaire ; la parole intérieure calme, au contraire, est l’expression toujours véridique de ce qu’il y a en nous de plus sincère, de plus raisonnable et de plus intime35. […] Observons en terminant que l’imagination est, en pareil cas, dirigée par la pensée, dont elle ne fait qu’exprimer les opérations ; elle innove plus ou moins dans le langage selon que l’entendement innove plus ou moins dans les idées. […] Serait-il d’un bon langage scientifique de dire que la parole intérieure est une hallucination, mais une hallucination dont nous ne sommes pas dupes, une hallucination presque constante en chacun de nous, une hallucination parfaitement normale ? […] Chacun des mots, chacune des locutions de notre langage usuel est en nous une habitude positive ; toutes ces habitudes particulières sont spécifiquement distinctes, mais en même temps analogues les unes aux autres, et une habitude positive totale est la synthèse de ces habitudes élémentaires.

111. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre X. Des Romains ; de leurs éloges, du temps de la république ; de Cicéron. »

Enfin, peu accoutumés à méditer, la partie du langage qui peint les idées abstraites et les mouvements de l’âme se repliant sur elle-même, leur devait être presque inconnue. […] Les poètes parcourent dans la nature tout ce qui donne des impressions ou agréables, ou fortes, et transportent ensuite ces beautés ou ces impressions dans le langage ; ils attachent par une sensation un corps à chaque idée, donnent aux signes immobiles et lents la légèreté, la vitesse ; aux signes abstraits et sans couleur, l’éclat des images ; aux êtres qui ne sont vus et sentis que par la pensée, des rapports avec tous les sens. […] Leurs artistes même, en les accoutumant à porter un œil plus attentif sur la nature pour bien juger, et du degré d’imitation, et du choix des objets, contribuèrent peut-être à étendre les idées de ce peuple et son langage ; mais les Romains, pendant près de six cents ans, furent privés de tous ces secours. […] Chez les anciens, la liberté républicaine permettait plus d’énergie aux sentiments, et de franchise au langage.

112. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

Et c’est au duc de Bourgogne qu’il tenait ce langage. […] Quoi qu’il en soit, il demandait des remèdes à celui d’où lui venait le mal ; mal aimé, entretenu, selon le langage du temps. […] C’est comme si un contemporain de Cicéron ou de Virgile eût blâmé, dans la langue latine, l’usage des inversions et l’incommodité du sens suspendu, et demandé le langage direct. […] Langage vraiment chimérique, qui réunirait ainsi les qualités les plus locales des autres langues, les inversions du latin, les composés du grec et notre langage direct ! […] Bossuet accuse-t-il de timidité notre langage direct, et ne s’est-il pas fait, dans la syntaxe des grammairiens, une syntaxe particulière pour toutes ses hardiesses sublimes, pour l’impétuosité de son naturel, pour son langage à la fois si surprenant et si logique ?

113. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mistral, Frédéric (1830-1914) »

Il ne renonce pas à l’élégance, mais quel sentiment hardi de la réalité, quelle énergie redoutable dans ses peintures, soit qu’il chante la Belle d’août et qu’avec une grâce funèbre il associe toute la nature éplorée aux malheurs de son héroïne ; — soit que, dans l’étrange pièce intitulée : Amarum, il attaque le débauché, le secoue, le flagelle, et l’enferme, épouvanté, au fond du sépulcre infect ; — soit que, devant un épi de folle avoine, son ironie vengeresse châtie l’oisiveté insolente, toujours il y a chez lui une pensée généreuse, une imagination agreste, un langage imprégné des plus franches odeurs du terroir. […] Il est un de ceux qui ont pris le plus à cœur la restauration du pur langage d’autrefois. […] Us oublient Leibnitz, Rousseau et quelques autres, — mais comme ils disent en leur langage : « La Patrie avant tout !

114. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre IV. Le mécanisme cinématographique de la pensée  et l’illusion mécanistique. »

Perception, intellection, langage procèdent en général ainsi. […] Mais la première manière de s’exprimer est seule conforme à nos habitudes de langage. […] Et telle est aussi l’opération essentielle du langage. […] Survient alors une philosophie qui tient pour légitime la dissociation ainsi effectuée par la pensée et le langage. […] Il lui faudra pour cela, il est vrai, des signes autrement précis que ceux du langage.

115. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre IV. Pourquoi le génie d’Homère dans la poésie héroïque ne peut jamais être égalé. Observations sur la comédie et la tragédie » pp. 264-267

Les sentiments, le langage, les actions qui leur sont appropriés, ont, par leur violence et leur atrocité même, quelque chose de merveilleux, et toutes ces choses sont au plus haut degré conformes entre elles, et uniformes dans leurs sujets. […] Dans le caractère d’Ulysse, principal sujet de l’Odyssée, ils firent entrer tous les traits distinctifs de la sagesse héroïque, la prudence, la patience, la dissimulation, la duplicité, la fourberie, cette attention à sauver l’exactitude du langage, sans égard à la réalité des actions, qui fait que ceux qui écoutent, se trompent eux-mêmes.

116. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

L’Essai sur les Institutions sociales exprimait la théorie fondamentale du langage, selon M. […] La question de l’origine de la société se ramène exactement à celle de l’origine du langage. […] Les ultra-royalistes ou illibéraux devaient croire à la société instituée divinement, au langage révélé, à l’autorité de la tradition ; et les libéraux, à la société formée par contrat, au langage inventé par l’homme, à l’émancipation graduelle et au progrès. […] Il n’a donc tenu qu’à se faire l’organe d’un certain esprit général et intime avec lequel il se sentait en communication, et il a pris d’avance son parti sur l’invraisemblance (je parle de l’invraisemblance poétique) du langage et de beaucoup de peintures. […] Ballanche ; les vieilles expressions latines, les étymologies essentielles de Vico ont passé intégralement dans leur langage ; et tout à côté de ces paroles anticipées, ce sont des chants qui appartiennent à la lyre antique, des expressions orphéennes tirées comme avec un plectre d’or.

117. (1904) En méthode à l’œuvre

Or, et sans nous attarder à d’ingénieux instruments-parlants par la suite inventés, alors qu’Helmotz a pu, en ordonnant divers groupes de diapasons, donner les sons tels qu’articulés, de toutes les Voyelles : il est avéré que les diverses Voyelles, « voix » du langage, sont divers instruments-vocaux. […] S’il est commode, pour la matérielle activité des humanités surmenées ne demandant au langage quotidien que transmettre vite des idées à moitié devinées par le regard, que les mots soient surtout une sorte de gesticulation, une suite de graphiques parlés : ce ne peut être une sanction à l’inattention apportée au premier et générateur élément des langues, sinon à sa presque suppression. […] Il est universel et de tous les temps que le langage poétique, et des lettrés, de plus en plus s’éloigne du langage des Foules : l’un ne pouvant être, ainsi que nous le disions, qu’un rapide intermédiaire, de quotidien et précis usage et aux seules qualités de concision, — et l’autre exigeant, de par son origine double, tous les apports de musique verbale, et picturaux et plastiques — et rythmiques, en perceptions et représentations les plus rares et retravaillées sans cesse. […] Triple mode dont l’origine unique est l’instinct, d’où retenir que le langage est, en même temps, un développement multiple et varié du cri, — et un dessin complexe et évoluant du rythme : qui s’harmonisent en le processus de l’Idée. […] L’on ne peut mieux exprimer que toute origine de langages a été, sous l’empire des sentiments, phonétique : tandis que les langues et les musiques d’Extrême-Orient apportent l’exemple tout pur à sa dernière et précieuse remarque, — et, dirons-nous pour les avoir pratiqués, particulièrement la musique et les idiomes où si sensitivement demeurent unis le sens et les sons, malaïo-Javanais…   Mais le principe entendu, n’est-il point d’intuitions partielles, médiatrices des déductions que nous en tirons pour tout à l’heure nouer les solides et naturels rapports de la Pensée et de la Parole-instrumentale ?

118. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Victor Hugo » pp. 106-155

Kussmaul (Troubles du langage) expose que l’acte de parler se décompose en trois phases : l’impulsion interne, intellectuelle et émotionnelle ; l’expression intérieure ; l’expression proférée. […] Un esprit présentant cette anomalie de ne penser guère qu’en paroles, devra s’exprimer en antithèses et en images, devra simplifier et grossir la réalité, devra parfaitement rendre le mystérieux et le monstrueux, en vertu du mécanisme même de notre langage. […] On verra ainsi que la nature ne contient pas de choses opposables, et que seul le langage crée des mots qui le sont. […] Mais ici, le langage qui a compromis l’œuvre de M.  […] Mais cette localisation qui paraît juste pour le mécanisme musculaire de la parole, ne peut-être celle du langage.

119. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XI. »

Mais, à cette heure, comment quitter encore ce sublime Eschyle, d’une âme si haute, d’une imagination si forte, d’un langage si magnifique, grand jusqu’à l’excès, dit un ancien, et offrant le passage du cantique céleste et de la prophétie à l’entretien des hommes ? […] Le vers ïambique s’y trouve rarement, et n’appartient guère qu’au langage simple du gardien qui veille sur les signaux de la tour, et au langage froid et bref des deux époux ennemis qui s’observent. Autour d’eux, en dehors de leur défiant et sinistre langage, tout, dans l’expression et dans le rhythme, est entraîné, interrompu, coupé, comme la joie et la douleur. […] comment n’avez-vous pas renouvelé, dans votre admirable langage, ce qui se devine à peine ici du charme si pur de l’original ? […] « Il n’y avait pas, en effet, une race d’immortels, avant que l’Amour eût tout rapproché, et que des uns mêlés avec les autres fussent nés le Ciel, l’Océan, la Terre et la race incorruptible des dieux immortels ainsi nous sommes les plus anciens de tous les êtres divins. » Ce qui suit cette étrange cosmogonie, ce qui s’y mêle d’allégories fantasques et de parodies bouffonnes, ne pourrait parfois se traduire ; mais il suffisait de retrouver ici, au début solennel de ce cantique, la majesté des hymnes grecs, dans ce hardi langage où le moqueur public d’Athènes, maître de tous les tons de la lyre, se joue des caprices de son génie et des perfections de sa langue, tour à tour sublime et bouffon, grave et licencieux, mais toujours poëte et s’égalant aux plus grands poëtes, soit qu’il les raille, soit qu’il les imite.

120. (1824) Discours sur le romantisme pp. 3-28

Un Anglais du seizième siècle, génie sublime et inculte, ignorant les règles du théâtre, et les suppléant par tous ces artifices qu’un heureux instinct suggère, avait, dans ses drames monstrueux, étendu indéfiniment l’espace et la durée, renfermé des lieux et des années sans nombre, confondu les conditions et les langages, méconnu ou violé le costume distinctif des époques et des contrées diverses ; mais, observateur attentif et peintre fidèle de la nature, il avait répandu, dans ses compositions désordonnées et gigantesques, une foule de ces traits naïfs, profonds, énergiques, qui peignent tout un siècle, révèlent tout un caractère, trahissent toute une passion. À la même époque, un Espagnol, doué de la plus riche imagination, connaissant les préceptes et les modèles de la scène antique, mais, comme il le disait lui-même, les tenant enfermés sous dix clefs, pour ne pas succomber à la tentation de suivre les uns et d’imiter les autres, s’était condamné à l’extravagance, pour plaire à sa nation, amoureuse de l’élévation démesurée des sentiments, de la pompe emphatique du langage, et de la complication fatigante des événements. […] Tous les autres genres ont sans doute participé à cette révolution, mais seulement sous le rapport des idées et du langage, et par un effet de cette influence que le théâtre, le plus populaire de tous les plaisirs de l’esprit, exerce infailliblement sur la société et sur la littérature. […] Si je vois l’élégant Racine prêter quelquefois à des personnages de la Grèce héroïque, les sentiments raffinés et les expressions polies des courtisans de Louis XIV, je vois plus souvent le sauvage Shakespeare transporter dans tous les temps et dans tous les pays où l’entraîne sa Muse vagabonde, les idées, les préjugés, les mœurs et le langage des bourgeois de Londres sous la reine Élisabeth. […] Certains mots, bizarrement figurés ou violemment détournés de leur acception ordinaire, véritables tics de langage, sont reproduits à tout propos, hors de propos surtout, et marquent d’un sceau ridicule les productions de la nouvelle école.

121. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre I. Les théories de la Pléiade »

4° On ne craindrait pas de mêler au langage courtisan les meilleurs mots de tous dialectes et patois français, « principalement ceux du langage wallon et picard, lequel nous reste par tant de siècles l’exemple naïf de la langue française ». […] On voit que le provignement de Ronsard n’est que l’imitation réfléchie de révolution spontanée du langage ; si d’impression sont sortis impressionner, impressionnable, impressionnabilité, n’est-ce pas un provignement opéré par l’instinct naturel du peuple ? […] D’autre part, si curieux qu’ait été Ronsard de s’éloigner du vulgaire, il n’a jamais hésité à condamner les auteurs turbulents qui, « voulant éviter le langage commun, s’embarrassent de mots et manières de parler dures, fantastiques et insolentes ».

122. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — I. La Poësie en elle-même. » pp. 234-256

D’autres ont cru puérilement que la poësie avoit été le premier langage de l’homme, qu’il avoit rendu par elle les mouvemens rapides de son ame, ces transports de reconnoissance dont il dut être saisi à la vue du spectacle de l’univers. […] Il prétend que les premiers philosophes hermétiques, c’est-à-dire, ceux qui travaillèrent au grand-œuvre & à faire de l’or, sont les pères de la mythologie ; qu’elle leur étoit un langage particulier ; qu’ils l’avoient imaginé, pour dérober au public la connoissance de leurs secrets ; que la poësie représentoit la théorie de leur art ; qu’il leur servoit à parler énigmatiquement pour les autres, & très-intelligiblement pour les adeptes, à peu près comme les francs-maçons, qui se reconnoissent à certains mots & à certains signes. […] Leur langage mystérieux fut adopté insensiblement, & se répandit dans toutes les parties du monde. […] Ils veulent qu’il parle sans emblêmes ; qu’il n’ait qu’un langage, celui de la vérité.

123. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

C’est là que certains curieux, certains gourmets toscans vont chercher la pureté de ce langage chéri. […] La précision du langage demandait y irez-vous ? […] Elle est également reconnaissable dans Shakspeare, dans cet homme du Nord, qui a chargé son langage de tant d’orientalismes. […] Nous avons marqué comment le langage français se forma ; nous avons indiqué les origines de la mythologie du moyen âge. […] Les étrangers y apprenaient le français et s’exerçaient à l’écrire, comme un beau et savant langage.

124. (1730) Des Tropes ou des Diférens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue. Traité des tropes pp. 1-286

Flêchier la termine en cet éxemple, par une autre figure qu’on apèle interrogation, qui est encore une façon de parler fort triviale dans le langage ordinaire. […] Hors un petit nombre de figures semblables, reservées pour le stile élevé, les autres se trouvent tous les jours dans le stile le plus simple, et dans le langage le plus comun. […] D’ailleurs ce n’est point là, ce me semble, la marche, pour ainsi dire, de la nature, l’imagination a trop de part dans le langage et dans la conduite des homes, pour avoir été précédée en ce point par la nécessité. […] Dans le langage de l’eglise, les jours de la semaine qui suivent le dimanche sont apelés féries par extension. […] La fortune, le hazard et la destinée, que l’on personifie si souvent dans le langage ordinaire, ne sont que des termes abstraits.

125. (1846) Études de littérature ancienne et étrangère

et leur langage, fut-il vrai pour nous, peut-il être bon pour traduire Hérodote ? […] Ses essais étaient marqués par une imitation du vieux langage et un goût d’expressions antiques dont Auguste se moquait. […] L’empereur l’avertit souvent d’être plus réservé dans son langage ; et sur la récidive, il lui interdit son palais. […] À la fantasque bouffonnerie du langage, au caprice des inventions, on dirait quelquefois Rabelais faisant des comédies. […] Les règles vulgaires du langage y sont parfois violées.

126. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Le langage commun, dont on se sert familièrement, diffère du langage travaillé, quoique étant composé des mêmes éléments de diction, autant que l’expression des traits et la rusticité de l’homme grossier diffèrent de la grâce élégante de l’homme façonné par la politesse des cours et par les mœurs des capitales. […] Notre Racine nous apprendra cet art de soumettre l’alexandrin, consacré à l’épopée, au langage noblement familier des passions théâtrales. […] Il ne saurait se priver des deux tiers des éléments du langage pour s’exprimer avec choix et composer de bons vers. […] À peine entre-t-il en son sujet qu’il établit la distinction du langage particulier du poète et de celui du prosateur. […] Cette espèce de drame est moins élevée par le langage que la tragédie, et plus haute que la comédie ordinaire.

127. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VI. La Mère. — Andromaque. »

Les anciens n’arrêtaient pas longtemps les yeux sur l’enfance ; il semble qu’ils trouvaient quelque chose de trop naïf dans le langage du berceau. […] Quand la veuve d’Hector, dans l’Iliade, se représente la destinée qui attend son fils, la peinture qu’elle fait de la future misère d’Astyanax a quelque chose de bas et de honteux ; l’humilité, dans notre religion, est bien loin d’avoir un pareil langage : elle est aussi noble qu’elle est touchante.

128. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre IV. Suite des précédents. — Julie d’Étange. Clémentine. »

Voulez-vous un autre exemple de ce nouveau langage des passions, inconnu sous le polythéisme ? […] Il y a toutefois dans ce morceau un mélange vicieux d’expressions métaphysiques, et de langage naturel.

129. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Silvio Pellico »

Et pour tous ceux qui savent s’élever au-dessus des rubriques des partis et de leurs hypocrites langages, la vraie et la seule grandeur n’est-elle pas ici du côté de la vérité de l’Histoire ? […] C’était un langage inconnu il est vrai, à la plupart de ceux qui ont fait entendre aux hommes l’éloquence de leurs chaînes et qui se sont bâti un palais de publicité avec les murs de leur prison. […] Au lieu de cette conduite sage et chrétienne, je croyais que l’on pouvait professer ouvertement l’opposition, et j’avais la folie de voir sous un aspect avantageux les sociétés secrètes qui pullulaient en Italie. » Voilà, à toute page de la Correspondance, le langage de Silvio Pellico.

130. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVII. Silvio Pellico »

Et pour tous ceux qui savent s’élever au-dessus des rubriques des partis et de leurs hypocrites langages, la vraie et la seule grandeur n’est-elle pas ici du côté de la vérité de l’histoire ? […] C’était un langage inconnu, il est vrai, à la plupart de ceux qui ont fait entendre aux hommes l’éloquence de leurs chaînes, et qui se sont bâti un palais de publicité avec les murs de leur prison. […] Au lieu de cette conduite sage et chrétienne, je croyais que l’on pouvait professer ouvertement l’opposition, et j’avais la folie de voir sous un aspect avantageux les sociétés secrètes qui pullulaient en Italie. » Voilà à toute page de la correspondance le langage de Silvio Pellico.

131. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Mistral. Mirèio »

Écrite en provençal, dans ce langage qui semble l’écho de tous les dialectes du monde italique, cette longue bucolique, où l’air qui vient de Grèce sur les flots de la Méditerranée a déferlé et se maintient grec sur les larges pipeaux de ce singulier pâtre du pays des Troubadours, peut soulever plus d’une question, mais non celle du talent. […] Ruines d’idiomes ou retards de langage, est-ce que le Génie, lorsqu’il naît au sein des patois, ne les relève pas si ce sont des ruines, ne les avance pas si ce sont des retardements ?… Est-ce que partout où brille le Génie il ne se fait pas un langage avec les éléments les plus indociles et les plus ingrats ?

132. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre II. De la multiplicité des états de conscience. L’idée de durée »

Comme le moi ainsi réfracté, et par là même subdivisé, se prête infiniment mieux aux exigences de la vie sociale en général et du langage en particulier, elle le préfère, et perd peu à peu de vue le moi fondamental. […] Nous tendons instinctivement à solidifier nos impressions, pour les exprimer par le langage. […] Cette influence du langage sur la sensation est plus profonde qu’on ne le pense généralement. Non seulement le langage nous fait croire à l’invariabilité de nos sensations, mais il nous trompera parfois sur le caractère de la sensation éprouvée. […] Si chacun de nous vivait d’une vie purement individuelle, s’il n’y avait ni société ni langage, notre conscience saisirait-elle sous cette forme indistincte la série des états internes ?

133. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Introduction »

Une science toute humaine, cultivée d’abord par les philosophes, un peu au hasard, mais dont importance ne leur a jamais échappé, c’est la science du langage. […] L’histoire dans son sens large, l’esthétique, la science du langage, la jurisprudenceμ l’économie politique même, pourraient en réclamer leur part. […] Dans la science du langage, la question chère aux philosophes est celle d’origine. […] Hobbes, Locke, Leibnitz, Hume ont plus d’une fois critiqué ce langage inexact sans parvenir eux-mêmes à l’éviter. […] Locke et Condillac parlent le même langage.

134. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Lettres de Madame de Sévigné »

nous courions risque d’admirer comme une beauté de langage et comme un tour singulier d’une plume incomparable ce qui n’était qu’un arrangement du chevalier de Perrin. […] On trouvera, dans le mouvement habituel du langage, dans le courant et la suite de l’entretien, des libertés, des grâces, des familiarités et des effusions plus vives encore que par le passé ; Mme de Sévigné osera tout, et avec plus d’abandon, avec plus d’abondance encore qu’on ne lui en connaissait : c’est ce qu’on aura surtout gagné. […] On savait qu’elle se passait bien des choses en causant ; il se voit maintenant qu’elle se les passait en écrivant aussi : les preuves de ces libertés et de ces salaisons de langage sont des plus significatives, et telles qu’on n’en saurait désirer de plus fortes. […] et que de largeur et d’opulence de langage… une pataude blanche comme de la neige… une nourrice qui a du lait comme une vache.

135. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre V. La Fontaine »

La Fontaine a l’intuition psychologique, et il a le sens du réel : il a peint des hommes de tout caractère et de toute condition, rois, seigneurs, bourgeois, curés, savants, paysans, orgueilleux, poltrons, curieux, intéressés, vaniteux, hypocrites, chacun dans l’attitude et avec le langage qui lui conviennent et l’expriment. […] Chaque personnage est caractérisé dramatiquement, par ses actes, et par son langage : rien de vague, rien d’abstrait ; le type est général, la forme qui l’exprime est concrète ; tout est précis, individuel et vivant. […] Comme Molière, il a refusé de s’enfermer dans le langage académique et dans l’usage mondain : mettant en scène toute condition et tout caractère, il lui faut des mots de toute couleur et de toute dignité. […] En son léger et clair langage d’homme du monde, il a laissé couler dans quelques pièces et dans quelques lettres une fine tristesse, sans éclat et sans espoir, dont l’emplissaient la vue de la vanité des choses, le sentiment de l’irrévocable passé, de son être, tout entier ; pour jamais écoulé, et par ces douces sensations même où il aspirait.

136. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre troisième. L’idée-force du moi et son influence »

La pensée sociale ou logique sociale a son expression dans le langage, et l’intime union des deux vient de ce que la pensée, comme le langage, est au fond un moyen de communication et de communion entre l’individu et le groupe. […] Il en est résulté une adaptation progressive aux conditions sociales d’intelligibilité et de compréhensibilité ; la logique s’est développée comme un langage pratique et actif avant de devenir une langue abstraite, théorique et contemplative. […] Nous n’irons cependant pas jusqu’à dire avec un disciple de Kant, Riehl, que le moi intellectuel soit tout entier un produit des relations sociales, car ces relations ne peuvent que développer ce qui était déjà en germe dans les individus : le logique n’est pas tout entier de l’historique ; mais ce qui est vrai, c’est que Kant projette dans un monde de noumènes un complexus de tendances à la fois logiques et sympathiques, qui lui paraît ainsi une sorte de moi intemporel et rationnel, quand ce moi est au contraire le produit du temps, des relations sociales, enfin de cette sorte de quintessence d’actions et réactions collectives qu’on appelle le langage.

137. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

Baudelaire est depuis longtemps familiarisé avec tous les secrets de la métrique et toutes les délicatesses du langage ; esprit ouvert et écrivain laborieusement distingué, il nous paraît avoir condensé dans le morceau suivant quelques-unes de ses meilleures qualités. […] Oui, si par bien peindre et être bon poète, on peut entendre ne manquer ostensiblement à aucune règle convenue, s’exprimer couramment dans le langage de tout le monde et savoir relier habilement par des procédés connus des phrases apprises et des poncis. […] De sorte qu’à force d’exprimer ses propres sentiments avec le langage des maîtres, on arrive à penser à leurs frais et finalement à ne plus penser du tout. […] On emprunte les pensées avec le langage ; ou plutôt on se sert d’une langue riche pour déguiser le néant de sa pensée et la nullité de son tempérament. […] N’avons-nous pas vu récemment un écrivain religieux d’un grand zèle tenter « s’il ne serait pas possible de composer un roman avec des personnages, des sentiments et un langage chrétiens3 » ?

138. (1903) La pensée et le mouvant

Elle subit le problème tel qu’il est posé par le langage. […] Voilà le langage que nous tenons au philosophe. […] Or, quelle est la fonction primitive du langage ? […] Le langage transmet des ordres ou des avertissements. […] C’est elle que le langage continue à exprimer.

139. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre II. Lois de la renaissance et de l’effacement des images » pp. 129-161

Pendant quelque temps, cette circonstance fut inexplicable, jusqu’à ce que, sur enquête, on trouva qu’elle était née dans le pays de Galles, qu’elle avait parlé le langage de ce pays pendant son enfance, mais qu’elle l’avait entièrement oublié dans la suite. » — Des impressions fugitives, qu’on n’a point remarquées, peuvent aussi surgir de nouveau, avec une puissance étrange et une exactitude automatique. […] Tel est aussi le cas fréquent et bien constaté de soldats qui, dans la fougue de la bataille, ne remarquent pas leur blessure, et celui des extatiques, des somnambules, des personnes hypnotisées. — Tous ces exemples authentiques et toutes ces métaphores du langage mettent en lumière le même fait, à savoir l’annulation plus ou moins universelle et complète de toutes les sensations, images ou idées, au profit d’une seule ; celle-ci est persistante et absorbante, produite et prolongée avec toute la force qui, d’ordinaire, se disperse entre plusieurs. […] On dit à ce propos, dans le langage ordinaire, qu’une impression plusieurs fois renouvelée se grave plus profondément et plus exactement dans la mémoire. […] Partant, si ces accompagnements qui s’excluent ont une tendance égale à renaître, ni l’un ni l’autre ne renaîtra, et nous nous sentirons tiraillés en sens contraires par des tendances contraires qui n’aboutissent pas ; les images resteront à l’état naissant et composeront ce qu’on nomme en langage ordinaire une impression. […] Mais quel que soit le phénomène, rudimentaire et normal, ou anormal et complet, il montre comment nos images, en se liant, composent ce groupe qu’en langage littéraire et judiciaire on appelle la personne morale.

140. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Taine » pp. 231-243

., pleins de ténèbres et de clartés vives, d’un langage à lui comme le langage des solitaires… Intuitif et visionnaire tout à la fois, Carlyle est également mystique et grossier, ivre de ses idées comme on l’est de gin, mais voyant dans l’ivresse comme tous les ivrognes, qui ont dans l’ivresse détonnantes et d’inexplicables perceptions. […] Taine a incarné le positivisme anglais (l’épithète ne fait rien à la chose), n’est rien de plus qu’un soldat de la compagnie du centre dans le régiment philosophique pour l’heure en marche, et quelque jour nous nous chargerons, ses livres en main, de le démontrer… C’est un esprit d’une certaine force d’observation et de déduction, on ne le nie pas, mais qui ne fait guère que mettre en langage moderne l’expérience de Bacon et la sensation de Locke, — ayant pour grands amis, comme dit M. 

141. (1910) Muses d’aujourd’hui. Essai de physiologie poétique

Ne pourrait-on pas trouver aussi dans le leit-motif de Wagner comme un essai de langage musical rationnel ? […] Les poètes sont de grands amoureux. » Le langage est la plus active fonction de l’homme, la plus importante : c’est son arme d’attaque et de défense ; aussi « la zone du langage sera la plus importante des zones du cortex ». Le langage a ses « centres de mémoires d’images spéciales ». […] L’écriture est donc un langage direct, les gestes de la main, un langage également. […] C’est puéril de leur emprunter la forme de leur langage.

142. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

La morale d’une société humaine est en effet comparable à son langage. […] Écoutons leur langage ; il ne fait que traduire en représentations l’émotion particulière d’une âme qui s’ouvre, rompant avec la nature qui l’enfermait à la fois en elle-même et dans la cité. […] Notre intelligence et notre langage portent en effet sur des choses ; ils sont moins à leur aise pour représenter des transitions ou des progrès. […] Il faut qu’il se mêle au peuple, qu’il se fasse peuple, que son langage rejoigne le parler populaire. […] Laissons de côté l’analyse du respect, où nous trouverions surtout un besoin de s’effacer, l’attitude de l’apprenti devant le maître ou plutôt, pour parler le langage aristotélicien, de l’accident devant l’essence.

143. (1923) Paul Valéry

Bergson, tout en s’ignorant réciproquement, paraissent exprimer en deux langages une intuition analogue. […] Ce grand art exige de nous un langage admirablement exact. […] Le langage d’ailleurs nous y conduit. […] Or le langage correspond, comme la main, à un ensemble de mouvements extériorisés, déployés sur un plan, facilement intelligibles. […] Le langage ordinaire appelle univers la totalité supposée du monde sensible qui nous entoure.

144. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre II. Les directions divergentes de l’évolution de la vie. Torpeur, intelligence, instinct. »

Les sociétés d’Insectes ont sans doute un langage, et ce langage doit être adapté, comme celui de l’homme, aux nécessités de la vie en commun. […] Il faut donc un langage qui permette, à tout instant, de passer de ce qu’on sait à ce qu’on ignore. […] Cette tendance du signe à se transporter d’un objet à un autre est caractéristique du langage humain. […] Le langage a beaucoup contribué à la libérer. […] On sait quels vastes territoires le langage occupe dans le cerveau humain.

145. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre premier. Du rapport des idées et des mots »

Si l’on veut en effet se faire une fois le spectateur de sa réflexion solitaire, on s’apercevra qu’on ne pense point avec le langage de tout le monde, et que la rapidité de la conception crée à chaque moment un langage nouveau, hiéroglyphique, symbolique, sténographique surtout, où les mots prennent des sens étranges, lointains, méconnaissables à tous, où ils s’associent selon des affinités créées par les caprices les plus imprévus de notre mémoire, où ils se groupent selon les lois d’une grammaire et d’une syntaxe qui sont un perpétuel défi à la grammaire et à la syntaxe établies.

146. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre II. Du sens et de la valeur des mots »

Les plus légères nuances de la pensée, les plus fugitifs mouvements de la sensibilité peuvent être rendus par le langage : tout ce qui peut être senti, peut être nommé. […] C’est ce qui fait aussi que la plus belle poésie puisse se contenter du langage de tout le monde et de tous les jours, et qu’« une douzaine de mots ordinaires, assemblés d’une façon ordinaire9 », puissent ravir l’âme et la pénétrer jusqu’au fond.

147. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Gustave Flaubert. Étude analytique » pp. 2-68

Cette réduction de tout un développement intellectuel, en l’ascendant de quelques formes verbales, la contradiclion entre les facultés d’un esprit expliqué, par la contradiction entre les diverses parties d’un système de style, c’est, dans l’investigation du mécanisme intellectuel de Flaubert, passer de la psychologie à la théorie du langage. […] C’est ce que nous avons appelé le style statique précis, et il n’y a là rien d’anormal, mais simplement la perfection du langage usuel. […] Car il est l’excès et le contraire même de la faculté du langage. […] Il fut impossible de reconnaître dans son langage des traces de style romantique. […] Au réveil du sujet, aucune des trois listes ne détermina chez lui soit un courant particulier, d’idées, soit une modification de langage qui le forçât à exprimer des pensées habituellement étrangères.

148. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre onzième. »

Ne dites pas : C’est beau de langage, mais c’est faux de pensée : ce sont là de vaines paroles ; les grands écrivains se trouveraient fort peu dédommagés du reproche d’avoir mal pensé par la louange d’avoir bien dit. La vie ne peut pas être à la surface des œuvres de l’esprit et n’être pas dans le fond ; la beauté du langage n’est pas un fard mensonger, c’est la couleur inaltérable de la vie. […] Aucun autre, par conséquent, n’offre plus d’occasions et d’attraits pour cette étude si intéressante, qui cherche sous la vérité du langage la vérité de la pensée. […] C’est la première fois que la morale universelle s’exprime en France dans un langage définitif ; car, à l’époque où parurent les Maximes, on ne connaissait pas encore les Pensées de Pascal.

149. (1912) L’art de lire « Chapitre IV. Les pièces de théâtre »

Il y a plus : le langage change, non seulement selon les conditions, mais selon les caractères, ou plutôt le langage change selon les conditions et le style change selon les caractères. […] Vous observerez que nos tragiques du XVIe siècle font parler leurs personnages tous de la même façon et qu’il en résulte une monotonie cruelle ; que Corneille est excellent pour donner à Félix, à Stratonice, à Polyeucte et à Sévère des styles qu’on ne peut pas confondre ; que Racine, quoiqu’il y faille de meilleurs yeux, par des nuances, au moins très sensibles, sait fort bien distinguer le langage de Néron de celui de Narcisse, et aussi de celui d’Agrippine. […] De même Elmire, qui a un style si court, si direct et si franc dans la scène trois du troisième acte, parce qu’elle n’est nullement une coquette, quoi que d’aucuns en aient cru, change de style, non seulement en ce sens qu’elle parle un tout autre langage, comme le lui fait remarquer Tartuffe (« Madame, vous parliez tantôt d’un autre style ») ; mais aussi dans le sens grammatical du mot, quand elle a pris un caractère d’emprunt ; et le style alambiqué, torturé de la coquette, ou bien plutôt de la femme qui ne l’est point et qui s’efforce péniblement de l’être, lui vient aux lèvres et marque tout justement ce changement momentané de caractère et avertirait et mettrait en défiance le convoiteux, s’il n’était étourdi par sa convoitise.

150. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 272-292

Jamais la vertu n’emprunta, pour parler aux hommes, un langage plus enchanteur, & n’eut plus de droit à notre amour. […] Il falloit peut-être se prêter aux idées du Tribunal qui devoit adjuger la couronne à son Discours ; il falloit rendre un hommage à l’Auteur de la Henriade, qui ne viendra cependant jamais à bout d’obtenir parmi nous les honneurs exclusifs de l’Epopée ; il falloit prendre le ton du siecle, parler au moins d’après le langage de convention établi dans certains départemens. […] Cette anecdote impertinente a été démentie sur des preuves sans réplique ; & quand ces preuves nous auroient manqué, il eût suffi de dire : « Philosophes, Fénélon eût été votre plus grand adversaire, ne lui imputez pas votre langage ».

151. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIV. Siècles de barbarie. Renaissance des lettres. Éloges composés en latin moderne, dans le seizième et le dix-septième siècles. »

Ce sont les mœurs d’un peuple qui donnent la vie à son langage. Que ces mœurs s’anéantissent, la plus grande partie du langage périt ; les mots ne sont plus que des simulacres froids, qu’il est impossible de ranimer. […] Pour affaiblir cette résistance, l’orateur ou l’écrivain tâchera d’emprunter avec le langage, et d’adopter, autant qu’il est possible, les passions, les goûts, et pour ainsi dire les idées religieuses, politiques et civiles du peuple dont il veut imiter la langue.

152. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Addition au second livre. Explication historique de la Mythologie » pp. 389-392

Les serpents qu’étouffe Hercule au berceau, l’hydre, le lion de Némée, le tigre de Bacchus, la chimère de Bellérophon, le dragon de Cadmus, et celui des Hespérides, sont autant de métaphores que l’indigence du langage força les premiers hommes d’employer pour désigner la terre. […] La transaction qui termine cette révolution, est caractérisée par Mercure, qui, dans l’orgueil du langage aristocratique, porte aux hommes les messages des dieux……

153. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre deuxième »

C’était, d’une part, un sujet, c’est-à-dire un corps de vérités sur une matière déterminée, d’où il résultât un enseignement pour la conduite de l’esprit et de la vie ; d’autre part, un langage exact et naturel, approprié à ces vérités. […] Il nous fallait un sujet, un corps de vérités, d’où sortît un enseignement pratique ; un langage approprié, naturel, où les mots ne fussent que les signes nécessaires des choses. […] C’est ainsi que Descartes allait jusqu’à ce paradoxe, qu’il n’est pas plus du devoir d’un honnête homme de savoir le grec et le latin que le langage suisse ou bas-breton. […] Cette clarté admirable, cette précision, cette généralité du langage, dans une matière d’un intérêt si grand, ôtent tout prétexte de reculer ou de s’abstenir. […] Ne calomnions pas même les écrivains faux, jusqu’à dire que, pouvant prétendre à la gloire de la vérité exprimée dans un beau langage, ils ont mieux aimé la notoriété qui s’attache aux scandales du talent.

154. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Tout en était si vrai, caractères, situations, langage ! […] Quelle joie dut causer à nos pères ce langage si bien approprié à la diversité des sentiments qu’il exprime, si haut et si fier dans les scènes d’explication et de défi, si naïf et si fin dans les scènes d’amour combattu, si poétique dans les épisodes ! […] Son séjour presque continuel à Rouen, loin de la cour, expliquerait tout au plus les locutions provinciales qui gâtent son beau langage. […] Un amour épisodique n’inspirera pas au poète un langage touchant, pathétique, durable, et s’il l’emploie comme embellissement, il risque de ne donner qu’une image bientôt surannée de la manière dont on comprenait l’amour de son temps. […] Alors il peut recevoir toutes les beautés du langage ; car, au lieu d’être imité du tour d’imagination d’une époque, il est tiré du fond du cœur humain, cette source inépuisable où Boileau nous conseille d’en aller chercher la peinture.

155. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Celui qu’un vrai démon presse, enflamme, domine, Ignore un tel supplice : il pense, il imagine ; Un langage imprévu, dans son âme produit, Naît avec sa pensée, et l’embrasse et la suit. […] On l’a dit, il y a parfois du Delille chez André Chénier, non sans doute dans le sentiment poétique, mais dans certaines formes du langage poétique, dont il n’a pu complètement s’affranchir. […] Mais aussitôt et dans la suite du même morceau, voici le langage mythologique qui recommence, précisément pour exprimer le vœu que la mythologie soit chassée de la poésie. […] Et qu’enfin Calliope, élève d’Uranie, Montant sa lyre d’or sur un plus noble ton, En langage des dieux fasse parler Newton ! […] De plus en plus les esprits s’habituent au langage de la science ; les méthodes se sont popularisées, sinon dans leurs procédés les plus subtils et les plus délicats, au moins dans quelques-unes de leurs opérations les plus simples et dans leurs instruments les plus élémentaires ; leurs principaux résultats sont admis par tous et compris dans leur généralité.

156. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre III. De l’organisation des états de conscience. La liberté »

. — On s’expose cependant ici à une confusion grave, qui tient à ce que le langage n’est pas fait pour exprimer toutes les nuances des états internes. […] Cependant le langage désigne ces états par les mêmes mots chez tous les hommes ; aussi n’a-t-il pu fixer que l’aspect objectif et impersonnel de l’amour, de la haine, et des mille sentiments qui agitent l’âme. […] C’est donc une psychologie grossière, dupe du langage, que celle qui nous montre l’âme déterminée par une sympathie, une aversion ou une haine, comme par autant de forces qui pèsent sur elle. […] Nous avons ajouté que, pour la commodité du langage et la facilité des relations sociales, nous avions tout intérêt à ne pas percer cette croûte et à admettre qu’elle dessine exactement la forme de l’objet qu’elle recouvre. […] Il convient donc de se placer à ce nouveau point de vue, et de chercher, abstraction faite des influences externes et des préjugés du langage, ce que la conscience toute pure nous apprend sur l’action future ou passée.

157. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

Mais nous aimons mieux nous attacher aux impressions de Poule, et plus spécialement à l’audition du langage articulé, parce que cet exemple est le plus compréhensif de tous. […] FÉRÉ, Le langage réflexe (Revue philosophique, janvier 1896). […] BALLET, Le langage intérieur, Paris, 1888, p. 85 (Félix Alcan, éditeur). […] STRICKER, Du langage et de la musique, Paris, 1885. […] V. en particulier BALLET, Le langage intérieur, p. 153.

158. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre X. De la simplicité du style »

Il est des jeunes gens qui écrivent d’un style naturel et simple, quand ils s’abandonnent, et ne songent pas à ce qu’ils font : quand ils croient penser, quand ils veulent écrire, arrivent les grands mots et les belles phrases, le style drapé, guindé, important, à moins que ce ne soit le langage maniéré, alambiqué, quintessencié, qui coupe les idées en quatre, et danse sur les pointes d’aiguilles. […] L’ignorance de la langue est une des causes les plus communes de l’affectation et de l’emphase du langage.

159. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Préface » pp. -

Voyons, est-ce le langage d’un ennemi, d’un écrivain prêt à dénaturer méchamment les paroles de l’homme, dont il redonne les conversations ? N’est-ce pas plutôt le langage d’un ami de l’homme, mais parfois, je l’avoue, d’un ennemi de sa pensée, ainsi que je l’écrivais dans la dédicace du volume, qui lui était adressé.

160. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

De là, ces très spécial langage des poèmes Wagnériens, que Wagner a nommé « la conversation idéale », le langage ordinaire réel, mais condensé, affiné, abstrait, quintescencié, idéalisé. […] Et, attendant le succès, qui jamais n’arrivera, que peuvent faire ceux qui veulent Introduire en leur langage ces poèmes ? […] Wilder est plutôt une fluctuation de langage (des vers tour à tour parnassiens, classiques, romantiques) ; mais le public comprend, et c’est le premier point. […] Par les mots des langages, la littérature recréa les notions. […] Mais ce progrès ne sera possible que si nous reconquérons d’abord à la littérature un langage aujourd’hui prostitué.

161. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre V. L’Analyse et la Physique. »

Toutes les lois sont donc tirées de l’expérience ; mais pour les énoncer, il faut une langue spéciale ; le langage ordinaire est trop pauvre, il est d’ailleurs trop vague, pour exprimer des rapports si délicats, si riches et si précis. […] Le premier nous montrera comment il suffit de changer de langage pour apercevoir des généralisations qu’on n’avait pas d’abord soupçonnées. […] Ces théories semblent des images calquées l’une sur l’autre ; elles s’éclairent mutuellement, en s’empruntant leur langage ; demandez aux électriciens s’ils ne se félicitent pas d’avoir inventé le mot de flux de force, suggéré par l’hydrodynamique et la théorie de la chaleur.

162. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre III »

Avec deux signes (un peu retors, il est vrai), avec, par exemple, le mot chum (cloche) et un déterminatif, les Chinois disent : « Son que produit une cloche dans le temps de la gelée blanche » ; avec trois signes ils disent : « Son d’une cloche qui se fait entendre à travers une forêt de bambous16. » Voilà sans doute l’idéal de tous ceux qui ignorent que, grâce à ce délicieux système, il faut une quarantaine d’années pour s’assimiler les « finesses » de ce langage immense mais immobile . […] Ainsi le langage devient plus clair, plus maniable, plus sûr ; il donne, avec le moindre effort, le rendement le plus haut. […] On peut se figurer un langage sans adjectifs ; alors pour dire un homme rapide (qui-court-vite) on dit un homme cheval (un coureur jadis reçut ce sobriquet) ; si le second terme passe définitivement à ridée générale de rapidité, la langue, pour exprimer l’idée de cheval, lui substitue un autre mot ; les langues bien vivantes ne sont jamais embarrassées pour si peu.

163. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 13, de la saltation ou de l’art du geste, appellé par quelques auteurs la musique hypocritique » pp. 211-233

On remarquera que Suetone emploïe ici les termes de chanter et de prononcer, comme des termes sinonimes en langage de théatre, et qu’il emploïe de même le mot de danse et celui de faire les gestes. […] Le geste des peuples qui sont à notre midi étant plus marqué que le nôtre, il est beaucoup plus facile de comprendre son langage quand on le voit sans rien entendre, qu’il ne l’est de concevoir en une pareille circonstance, ce que notre geste signifie. […] Nous verrons par ce que saint Augustin dit des pantomimes, que le rapport qui étoit entre le geste et la chose signifiée n’étoit pas si bien marqué, qu’on pût toujours le deviner sans interprete, lorsqu’on n’avoit pas appris le langage de la danse antique.

164. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Alexandre de Humboldt »

Lorsque les savants, qui seuls parlent d’eux avec compétence, auront assez répété à la masse ignorante et superficielle ce que furent Geoffroy Saint-Hilaire, Ampère et Cuvier, ce triumvirat de génie, ces grands hommes, trop enterrés dans leur science même et la technicité de leur langage, ne seront plus cachés par l’éclat de personne et auront sur leur nom autant de rayons qu’on leur en doit. […] Du reste, il n’y a pas que ce beau langage, à triple détente ou à triple illusion, qui fait croire peut-être aux savants qu’ils sont des poètes, — aux poètes qu’ils sont des savants, — et aux ignorants sans imagination (la foule) qu’ils sont des poètes et des savants tout à la fois, — il n’y a pas que cette langue confuse, qui plaît aux esprits troublés dont elle augmente le trouble, avec quoi l’on puisse expliquer la popularité de Humboldt et le prosternement général devant son génie. […] On n’est pas méchant pour se tromper sur le compte de Philarète Chasles et pour l’appeler « vulgaire dans les idées comme dans le langage », lui qui est à l’autre extrémité du vulgaire en toutes choses, et qui courtise parfois la prétention.

165. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIV. Alexandre de Humboldt »

Lorsque les savants qui seuls parlent d’eux avec compétence auront assez répété à la masse ignorante et superficielle ce que furent Geoffroy Saint-Hilaire, Ampère et Cuvier, ce triumvirat de génie, ces grands hommes, trop enterrés dans leur science même et la technicité de leur langage, ne seront plus cachés par l’éclat de personne et auront sur leur nom autant de rayons qu’on leur en doit. […] Du reste, il n’y a pas que ce beau langage, à triple détente ou à triple illusion, qui fait croire peut-être aux savants qu’ils sont des poëtes, — aux poëtes qu’ils sont des savants — et aux ignorants sans imagination (la foule) qu’ils sont des poëtes et des savants tout à la fois, il n’y a pas que cette langue confuse qui plaît aux esprits troublés, dont elle augmente le trouble, avec quoi l’on puisse expliquer la popularité de Humboldt et le prosternement général devant son génie. […] Philarète Chasles et pour l’appeler « vulgaire dans les idées comme dans le langage », lui qui est à l’autre extrémité du vulgaire, en toutes choses !

166. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules De La Madenène » pp. 173-187

. — Or, après Miréio, voici un autre livre, différent d’inspiration, de composition, de langage, et cependant ayant beaucoup de consanguinités et de saveurs communes avec le poëme de M.  […] II Or, c’est la vérité que M. de La Madelène a voulu exprimer, la vérité locale, qui n’est jamais que locale en matière de paysan, la vérité des mœurs, des traditions et du langage d’une contrée entre toutes les autres, la vérité étroite, exacte, mais vivante cependant, car M. de La Madelène est un artiste qui a puissance de vie, et l’analyse chez lui double l’action sans l’étouffer. […] Les idiotismes les plus charmants, ces locutions de terroir si difficiles à traduire dans leur grâce native il les transporte dans la langue qu’il écrit et il l’en parfume, et c’est ainsi qu’il ajoute à l’individualité de son talent et de son langage l’individualité de son pays.

167. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

Nés tous deux du langage instinctif, ils se sont attachés chacun à l’un des deux ^éléments qui le composaient ; le premier a travaillé sur les cris et les inflexions qui expriment les différents sentiments ; le second sur les sons qui sont devenus des mots exprimant des idées. […] Son union étroite avec elles est prouvée déjà par ce fait que beaucoup d’expressions leur sont communes : la chose est facile à remarquer dans le langage de la critique. […] L’œuvre de Jean de Meung sera plus tard attaquée et censurée comme contraire aux bonnes mœurs, et il est de fait que le langage de dame Raison, de Vénus et d’autres personnages encore se distingue par une verdeur et une crudité singulières. […] Ces jeux peuvent avoir disparu depuis longtemps ; mais quelque dicton, quelque métaphore entrée dans le langage courant en conservent le souvenir. […] Ces curiosités du langage abondent.

168. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

il débuta de la sorte : Sire,   Si le monde parlait ici à la place de Jésus-Christ, sans doute il ne tiendrait pas à Votre Majesté le même langage. […] Prendre un texte de l’Écriture et nous l’interpréter moralement selon nos besoins actuels, le déplier et retendre dans tous les sens en nous le traduisant dans un langage qui soit nôtre et qui réponde à tous les points de nos habitudes et de nos cœurs, faire ainsi des tableaux sensibles qui, sans être des portraits, ne soient point des lieux communs vagues, et atteindre à la finesse sans sortir de la généralité et de la noblesse des termes, c’est là en quoi Massillon excelle. […] Est-ce Massillon, est-ce Bernardin de Saint-Pierre plus chrétien, est-ce Chateaubriand faisant parler le père Aubry à la mourante Atala, mais dans un langage plus pur et que Fontanes aurait retouché, — lequel est-ce des trois, on pourrait le demander, qui a écrit cette belle et douce page de morale mélodieuse, cette plainte humaine qui est comme un chant ? […] Ici on croit entendre dans Massillon celui à qui Louis XIV avait adressé quelques-unes de ces paroles si justes, si flatteuses, si parfaites, et qui, amateur passionné du noble et bon langage, avait regretté de ne point puiser plus souvent à cette source élevée, de ne point entendre plus souvent dans son roi l’homme de France qui parlait avec le plus de propriété et de politesse.

169. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. »

Royer-Collard avait raison en ceci, et il était un peu inconséquent en cela ; M. de Ronald fit bien dans la question du divorce, il frappait à côté et à faux sur les autres points ; M. de Villèle pouvait manquer de bonne foi, il tenait du moins un langage constitutionnel. […] comment cet homme qu’on a connu depuis si modéré, si bienveillant et si courtois de langage, comment crut-il devoir s’y prendre pour sauver ses pauvres clients, et peut-être pour s’excuser lui-même d’oser les défendre ? […] Il n’est pas moins vrai que d’autres plus calmes, plus purement politiques, étaient obligés de conformer leur langage au ton que commandaient les circonstances, et de faire aux passions déchaînées quelques concessions apparentes, ou même réelles, pour tenter de les désarmer et de les réduire. […] On voyait en première ligne, en tête de ces partisans des rigueurs salutaires, un Bonald, à l’air respectable et doux, métaphysicien inflexible et qui prenait volontiers son point d’appui, non pas dans l’ancienne monarchie trop voisine encore à son gré, mais par-delà jusque dans la politique sacrée et dans la législation de Moïse : oracle du parti, tout ce qu’il proférait était chose sacro-sainte, et quiconque l’avait une fois contredit était rejeté à l’instant, répudié à jamais par les purs ; — un La Bourdonnaie, l’homme d’action et d’exécution, caractère absolu, dominateur, un peu le rival de Bonald en influence, mais non moins dur, et qui avec du talent, un tour d’indépendance, avec le goût et jusqu’à un certain point la pratique des principes parlementaires, a eu le malheur d’attacher à son nom l’inséparable souvenir de mesures acerbes et de classifications cruelles ; — un Salaberry, non moins ardent, et plus encore, s’il se pouvait ; pamphlétaire de plume comme de parole, d’un blanc écarlate ; — un Duplessis-Grenedan, celui même qui se faisait le champion de la potence et de la pendaison, atroce de langage dans ses motions de député, équitable ailleurs, par une de ces contradictions qui ne sont pas rares, et même assez éclairé, dit-on, comme magistrat sur son siège de justice ; — M. de Bouville, qui eut cela de particulier, entre tous, de se montrer le plus inconsolable de l’évasion de M. de Lavalette ; qui alla de sa personne en vérifier toutes les circonstances sur les lieux mêmes, et qui, au retour, dans sa fièvre de soupçon, cherchait de l’œil des complices en face de lui jusque sur le banc des ministres ; — et pour changer de gamme, tout à côté des précédents, cet onctueux et larmoyant Marcellus, toujours en deuil du trône et de l’autel, d’un ridicule ineffable, dont quelque chose a rejailli jusqu’à  la fin sur son estimable fils ; — et un Piet, avocat pitoyable, qui, proposant anodinement la peine de mort pour remplacer celle de la déportation, disait, dans sa naïveté, qu’entre les deux la différence, après tout, se réduisait à bien peu de chose ; ce qui mettait l’Assemblée en belle humeur et n’empêchait pas le triste sire de devenir bientôt, par son salon commode, le centre et l’hôte avoué de tous les bien pensants ; — et un Laborie que j’ai bien connu, toujours en quête, en chuchotage, en petits billets illisibles, courtier de tout le monde, trottant de Talleyrand ou de Beugnot à Daunou, mêlé et tripotant dans les journaux, pas méchant, serviable même, mais trop l’agent d’un parti pour ne pas être inquiétant et parfois nuisible.

170. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

Les hommes, à la guerre, s’excitent aux mouvements de fureur qui doivent les animer, en se servant sans cesse du langage le plus grossier. […] Le bon goût dans le langage et dans les manières de ceux qui gouvernent, inspirant plus de respect, rend les moyens de terreur moins nécessaires. […] Au sein de sa famille, la modestie et la simplicité suffisent pour maintenir les égards qu’une femme doit exiger ; mais au milieu du monde, il faut plus encore ; l’élégance de son langage, la noblesse de ses manières, font partie de sa dignité même, et commandent seules efficacement le respect. […] Il se peut même que l’on oublie des torts graves, des craintes inspirées peut-être à juste titre par l’immoralité d’un homme, si la noblesse de son langage fait illusion sur la pureté de son âme.

171. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Il existe une telle connexion entre toutes les facultés de l’homme, qu’en perfectionnant même son goût en littérature, on agit sur l’élévation de son caractère : on éprouve soi-même quelque impression du langage dont on se sert ; les images qu’il nous retrace modifient nos dispositions. […] La pureté du langage, la noblesse des expressions, image de la fierté de l’âme, sont nécessaires surtout dans un état fondé sur des bases démocratiques. […] Que pouvez-vous sur la volonté libre des hommes, si vous n’avez pas cette force, cette vérité de langage qui pénètre les âmes, et leur inspire ce qu’elle exprime ? […] Les philosophes de tous les pays nous exhortent et nous encouragent ; et le langage pénétrant de la morale et de la connaissance intime du cœur humain, semble s’adresser personnellement à tous ceux qu’il console. […] Mais, parce que des hommes cruels ont prostitué dans leur langage des expressions généreuses, s’ensuivrait-il qu’il n’est plus permis de se rallier à de sublimes pensées ?

172. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre quatrième. Les émotions proprement dites. L’appétit comme origine des émotions et de leurs signes expressifs. »

Mais, si le langage naturel de la physionomie et des gestes est métaphorique, il ne faut pas croire pour cela qu’il se compose de symboles et d’images plus ou moins arbitraires, comme les figures de discours ou les signes conventionnels du langage humain. […] Le langage de la passion est éminemment communicatif et, comme dit Mantegazza, « apostolique ». […] On voit la nécessité, pour expliquer le langage des sentiments, de subordonner le point de vue biologique de l’évolution aux lois de la physiologie. […] Ce sont là deux nouveaux signes dans le langage naturel. […] Ce concert, cette société est si bien ie caractère essentiel de l’émotion et de son langage, que c’est l’absence même d’accord et de consonance entre toutes les parties de l’organisme qui nous fait distinguer les émotions feintes des véritables.

173. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

N’est-il pas trop évident que la colère du poète, bien que née d’un sentiment généreux, devient banale, et n’a plus de prise sur le lecteur dès qu’il renonce à lui prêter un langage rapide, elliptique, abondant en images, un langage, en un mot, qui ne puisse être confondu avec le langage de la vie ordinaire ? […] La modération même de son langage ajoute à la puissance de ses railleries. […] Certes, un pareil langage ne ressemble en rien aux paroles adressées par don Salluste à Ruy Blas. […] Ce défaut n’appartient pas tant à la pensée qu’aux formes du langage. […] Un tel langage, à coup sûr, n’est pas fait pour convertir un cœur de vingt ans.

174. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

Le langage populaire traduit d’une •façon saisissante cet état d’exaltation ; de celui qui le subit, il dit naïvement : Il est parti. […] Elle est une sorte de langage non articulé, inexprimable, qui nous conduit aux limites de l’infini et nous donne le pouvoir d’y plonger pendant quelques instants. […] Une exécution fidèlement historique paraîtrait un langage fantomal s’adressant à des fantômes. […] C’est ce qui explique la diversité du langage musical. […] Ainsi la musique n’est pas un langage absolument universel ; elle est comme tout langage articulé, comme toute langue déterminée, un moyen de communication sentimentale entre des hommes d’une même race et d’une même culture.

175. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

Tout ce qui émerge de son exposé, c’est le mépris affecté de toute préparation, de toute étude préalable, de toute méthode le langage sans grammaire, l’insouciance de la forme et du style. […] Puis j’exprime le tout dans un langage conforme à la réalité. […] Rompu au langage des tribunaux de commerce et à la rédaction des huissiers, les formules de papiers timbrés n’avaient plus de secrets pour lui. […] Ce qu’il y a par exemple, de particulièrement original, c’est l’introduction de l’affectation, du maniérisme et du lyrisme dans la grossièreté du langage. […] Rien d’extraordinaire que le langage fût souvent libre et ordurier.

176. (1772) Éloge de Racine pp. -

Le premier il connut le langage de la vraie grandeur, l’art de lier les scènes, l’art de l’exposition et du dialogue. […] C’est lui qui sut marquer par des nuances sensibles cette différence de langage qui tient à la différence des sexes : il n’ôte jamais aux femmes cette décence, cette modestie, cette délicatesse, cette douceur touchante, qui distinguent et embellissent l’expression de tous leurs sentimens, qui donnent tant d’intérêt à leurs plaintes, tant de grace à leurs douleurs, tant de pouvoir à leurs reproches, et qui ne doivent jamais les abandonner, même dans les momens où elles semblent le plus s’oublier. […] Quel homme que Burrhus qui ne prononce pas une seule sentence sur la vertu, mais qui lui prête un langage assez touchant, pour en faire sentir tous les charmes même à Néron ! […] Combien la cour de Louis XIV, cette cour polie, brillante et voluptueuse, devait goûter ce langage enchanteur qu’on n’avait point encore entendu ! […] Vous vous écrierez alors dans votre juste admiration : quel art que celui qui me domine si impérieusement, que je ne puis y résister sans démentir mon propre coeur ; qui force ma raison même d’approuver des fictions qui m’arrachent à elle ; qui avec des douleurs feintes, exprimées dans un langage harmonieux et cadencé, m’émeut autant que les gémissemens d’un malheur réel ; qui fait couler, pour des infortunes imaginaires, ces larmes que la nature m’avait données pour des infortunes véritables, et me procure une si douce épreuve de cette sensibilité dont l’exercice est souvent si amer et si cruel !

177. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIIe entretien. Tacite (1re partie) » pp. 57-103

Il faut ensuite qu’il soit philosophe, c’est-à-dire qu’il ne se borne pas à la surface des faits, mais qu’il les creuse et qu’il les interroge pour leur faire rendre le sens caché qui est en eux, ou la sagesse des choses humaines ; car les événements ne sont pas une vaine accumulation de faits et de personnages, passant devant les yeux de Dieu et devant les yeux des hommes, sans autre langage que ce fracas du temps, qui roule tumultueusement dans son cours les religions, les institutions et les empires. Ces événements, bien vus, bien écoutés, bien compris, ont un langage parfaitement intelligible qui s’appelle l’expérience, la leçon, la moralité, la sagesse, la philosophie des choses. Il faut que l’historien, profondément sage, comprenne ce langage des événements pour l’interpréter aux autres hommes. […] Othon sent enfin la nécessité de rétablir la discipline dans les troupes de Rome et de réprimer l’anarchie ; il parle aux prétoriens le langage de la raison et de la sévérité : XXVII « Il est des choses dans le gouvernement, leur dit-il, que le soldat doit savoir ; il en est d’autres qu’il doit ignorer.

178. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IV. Des figures : métaphores, métonymies, périphrases »

Elle a été un des procédés les plus féconds qui aient contribué à former le langage humain ; et dans le développement et l’évolution de chaque langue, son rôle a été immense. […] Quelle exubérante fantaisie, quelle richesse d’inventions grotesques et imprévues le langage vulgaire fournirait, si l’on voulait rappeler à leur sens propre toutes les métaphores qu’on fait sans cesse sans s’en douter et sans pouvoir faire autrement ! […] Sinon, en voulant y faire reparaître le sens métaphorique, on s’exposerait à parler le langage des Précieuses ridicules. […] Qu’y a-t-il de ridicule dans ce langage ?

179. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Étienne Pasquier. (L’Interprétation des Institutes de Justinien, ouvrage inédit, 1847. — Œuvres choisies, 1849.) » pp. 249-269

Le bon sens de Pasquier le préserva, dès le premier jour, de cet excès qui avait accompagné le triomphe de la Renaissance, et qui faisait que les doctes dédaignaient d’employer d’autre langage que celui des anciens Romains : Les dignités de notre France, disait Pasquier, les instruments militaires, les termes de notre pratique, bref la moitié des choses dont nous usons aujourd’hui, sont changées et n’ont aucune communauté avec le langage de Rome. […] Il trouve que le langage y est beaucoup trop amolli et trop efféminé. […] « Je suis d’avis, nous dit Pasquier, que cette pureté n’est restreinte en un certain lieu ou pays, mais éparse par toute la France. » Il faut donc colliger en quelque sorte le bon langage, il le faut composer et rassembler de plus d’un endroit, et il nous en indique les moyens, sans négliger ce qu’on peut emprunter chemin faisant aux langues anciennes.

180. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Avertissement sur la seconde édition. » pp. 23-54

Son langage est ordinairement si froid, ses effets sont si incertains ou si foibles, qu’un zele sage est souvent obligé de s’aiguiser & de s’animer, pour ne pas être infructueux. […] Ce n’est pas tout ; qu’on compare notre prétendue malignité, ses intentions & son langage, avec les intentions & le langage de ceux qu’on nous accuse d’avoir immolés avec trop peu de ménagement.

181. (1904) La foi nouvelle du poète et sa doctrine. L’intégralisme (manifeste de la Revue bleue) pp. 83-87

Nous déclarerons donc qu’à notre sens la Poésie n’est pas l’apanage exclusif de la littérature, et même des vers, mais que les vers constituant la forme de langage qui tend à la plus haute expression du rythme, et le rythme étant la condition essentielle de toute poésie, il s’ensuit que ladite forme est la plus apte à réaliser celle-ci. […] Le vers, quel qu’il soit, en tant qu’élément de cette forme de langage, ne se peut définir que par les règles de sa construction. […] Et pour aller jusqu’au bout de notre pensée, nous déclarerons encore que le langage des vers, s’il ne doit exprimer que des choses mille fois redites, ou même simplement connues de tous, nous apparaît comme une futilité, vouée aux railleries sous cape des gens d’esprit.

182. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre II. De la métaphysique poétique » pp. 108-124

Toutes les nations païennes crurent posséder cette langue dans la divination, laquelle fut appelée par les Grecs théologie, c’est-à-dire, science du langage des dieux. […] Ces peuples, durent être tous poètes, puisque la sagesse poétique commença par cette métaphysique poétique qui contemple Dieu dans l’attribut de sa Providence, et les premiers hommes s’appelèrent poètes théologiens, c’est-à-dire sages qui entendent le langage des dieux, exprimé par les auspices de Jupiter. […] Et pour en commencer l’énumération, Jupiter fut le ciel chez les Chaldéens, en ce sens qu’ils croyaient recevoir de lui la connaissance de l’avenir par l’observation des aspects divers et des mouvements des étoiles, et on nomma astronomie et astrologie la science des lois qu’observent les astres, et celle de leur langage ; la dernière fut prise dans le sens d’astrologie judiciaire, et dans les lois romaines Chaldéen veut dire astrologue. — Chez les Perses, Jupiter fut le ciel, qui faisait connaître aux hommes les choses cachées ; ceux qui possédaient cette science s’appelaient Mages, et tenaient dans leurs rites une verge qui répond au bâton augural des Romains.

183. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre III. De la sécheresse des impressions. — Du vague dans les idées et le langage. — Hyperboles et lieux communs. — Diffusion et bavardage »

. — Du vague dans les idées et le langage. — Hyperboles et lieux communs. — Diffusion et bavardage Dans l’état ordinaire des choses, l’esprit sommeille les trois quarts du temps. […] Jamais on n’a mieux donné tort au mot hardi de Condillac, que le langage est un merveilleux instrument d’analyse.

184. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 46, quelques refléxions sur la musique des italiens, que les italiens n’ont cultivé cet art qu’après les françois et les flamands » pp. 464-478

En effet, le chant des paroles doit imiter le langage naturel des passions humaines, plûtôt que le chant des tarins et des sereins de Canarie, lequel notre musique s’attache tant à contrefaire avec ses passages et ses cadences si vantées. […] Ainsi elle n’en est point plus propre à la tragédie, parce qu’elle flate l’oreille, puisque l’imitation et l’expression du langage inarticulé des passions, sont le plus grand mérite de la musique dramatique.

185. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVI »

L’idée même de patrie peut se lire, plus ou moins vive et volontaire, en la physionomie du langage : c’est là que toute maladresse ethnique se trahit, à fleur de peau — marbrures50 !  […] Nous eussions aimé voir de ces petites âmes, qui vivent de notre âme au contact des choses, évoluer dans le langage, etc. »‌ Le singulier livre que j’aurais écrit, si j’eusse suivi le conseil de ces messieurs !

186. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paria Korigan » pp. 341-349

Ce n’est pas une bretonne Bretonnante, car, si elle l’était, elle le serait en bas-breton, c’est-à-dire en langage celtique, qui est une magnifique langue et que nous n’entendrions pas. […] Et si un tel livre, qui à toute page fait oublier qu’il en est un, n’est au fond qu’un bouquet d’histoires recueillies dans le pays de cette Luçotte, qui est, par le langage, un chef-d’œuvre de vieille paysanne bas-bretonne, il faut féliciter sincèrement la femme qui les a réunies de tous les bonheurs de sa mémoire, et d’avoir gardé si fidèlement l’âme de son pays dans son âme.

187. (1739) Vie de Molière

Trois des plus grands auteurs du siècle de Louis XIV, Molière, La Fontaine, et Corneille, ne doivent être lus qu’avec précaution par rapport au langage. […] Il y a très peu de défauts contre la langue, parce que lorsqu’on écrit en prose, on est bien plus maître de son style ; et parce que Molière ayant à critiquer le langage des beaux esprits du temps, châtia le sien davantage. […] Le style du Cocu imaginaire l’emporte beaucoup sur celui de ses premières pièces en vers ; on y trouve bien moins de fautes de langage. […] Mais la folie du bourgeois est la seule qui soit comique, et qui puisse faire rire au théâtre : ce sont les extrêmes disproportions des manières et du langage d’un homme, avec les airs et les discours qu’il veut affecter, qui font un ridicule plaisant ; cette espèce de ridicule ne se trouve point dans des princes ou dans des hommes élevés à la cour, qui couvrent toutes leurs sottises du même air et du même langage ; mais ce ridicule se montre tout entier dans un bourgeois élevé grossièrement, et dont le naturel fait à tout moment un contraste avec l’art dont il veut se parer. […] L’oreille est aussi plus flattée de l’harmonie des beaux vers tragiques, et de la magie étonnante du style de Racine, qu’elle ne peut l’être du langage propre à la comédie ; ce langage peut plaire, mais il ne peut jamais émouvoir, et l’on ne vient au spectacle que pour être ému.

188. (1911) Enquête sur la question du latin (Les Marges)

On ignore encore si les jeunes gens soumis à ce nouveau régime seront, en effet, des maîtres de la vie « moderne », mais ce qu’on sait déjà, c’est qu’ils ne seront jamais des maîtres en fait de langage… « La valeur exacte des mots est par eux de plus en plus ignorée : d’où des confusions croissantes entre les mots d’aspect à peu près semblable, confusions qui font écrire : “Il était compatible aux malheurs d’autrui. […] Il y a un esprit breton, un esprit picard, un esprit normand, un esprit gascon, etc., etc., esprits tous très différents les uns des autres, surtout si nous les apprécions à travers leurs langages particuliers. […] Je ne suis pas autorisé pour répondre à votre question, je vous parle sans savoir, sans érudition ; mais je crois instinctivement que l’esprit français n’a rien à voir avec l’esprit de Caïus Julius-César, le spirituel reporter qui fit couper les poings à nos bonnes grand’mères d’Uxellodunum parce qu’elles parlaient le fruste langage celtique. […] Depuis plusieurs années, j’étais frappé de l’absence presque totale de culture chez un grand nombre de jeunes gens, de l’indifférence de ces derniers pour les beautés de notre littérature et de leur méconnaissance du bon langage. […] — Serait-ce que le latin fut longtemps la langue universelle et qu’il est resté le langage de l’Église ?

189. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

R. madame la Dauphine ; en vivant on s’appelle M. de Lacretelle, et dans la guerre civile on parle aux habitants des campagnes, le sincère et tout-puissant langage de la raison. […] Cet art tout féminin de cacher sa pensée sous la perfection du langage, Marivaux l’a possédé, à ce point qu’il pourrait en remontrer aux femmes les plus habiles. […] La langue qu’il parle est si retenue en ses plus vifs emportements, elle a quelque chose de si réservé, même quand elle ose le plus, elle est si bien le langage de la meilleure compagnie, même quand elle passe par la bouche de Frontin ou de Lisette, qu’il est impossible, aux femmes les plus sévères, de ne pas écouter, malgré elles, et même assez volontiers, ces beaux discours fleuris, à rencontre des choses du cœur, ces folles dissertations d’amour, cette éloquence enivrante qui appartient beaucoup plus aux sens et à l’esprit qu’elle ne vient de l’âme. […] Cependant vous demandez pourquoi donc ce langage à part, cette langue de Marivaux qui est si loin d’être le langage de la nature, et pourquoi donc cette comédie exceptionnelle, qui est si loin d’être la comédie de tout le monde, comme l’entendait, comme la faisait Molière, ont-ils trouvé grâce et faveur parmi les partisans les plus dévoués de Molière lui-même ? […] C’en était fait des plus vifs plaisirs du théâtre pour les hommes qui aimaient, d’une foi sincère, le beau langage, les nobles traditions, les vivants souvenirs.

190. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

Les nations les plus éloignées par les temps et par les lieux suivent dans leurs révolutions politiques, dans celles du langage, une marche singulièrement analogue. […] Toutes les nations barbares ont été forcées de commencer ainsi, en attendant qu’elles se formassent un meilleur système de langage et d’écriture. […] Les idées, et les perfectionnements du langage ont dû suivre cet ordre. […] Passer de la poésie à la prose, c’était abstraire et généraliser ; car le langage de la première est tout concret, tout particulier. […] Étranger (hostis), dans leur langage, est synonyme d’ennemi.

191. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre quatrième. L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art. »

Comment ne pas sourire quand nous entendons appeler Virginie « cette vertueuse demoiselle », et cependant ce langage-là a été vrai et sincère il y a cent ans. […] L’humanité peut un jour se débarrasser entièrement de ces modes risibles ; elle peut aussi se débarrasser de certaines affectations de style ; elle peut faire consister la convention dans des formes toujours moins écartées du langage le plus simple, c’est-à-dire du signe spontané et presque réflexe de la pensée. […] Ajoutons que le signe d’un sentiment spontané et intense, c’est un langage simple ; l’émotion la plus vive est celle qui se traduit par le geste le plus voisin du réflexe et par le mot le plus voisin du cri, celui qu’on retrouve à peu près dans toutes les langues humaines. C’est pour cela que le sens le plus profond appartient en poésie au mot le plus simple ; mais cette simplicité du langage ému n’empêche nullement la richesse et la complexité infinie de la pensée qui s’y condense.

192. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse esthétique »

Enfin on peut imaginer une troisième sorte de moyen expressif : le symbole, le leit-motif, le langage symbolique, la peinture de Chenavardct et de Kaulbachcu, où l’artiste s’exprime en vertu d’une convention particulière entre lui et l’auditeur. […] Cependant on peut tout au moins attendre de ces tentatives de mensuration l’utilité de fixer, une fois pour toutes, dans le langage critique, le sens des adjectifs : médiocre, faible, moyen, fort, intense, extrême, qui s’emploient aujourd’hui au hasard. […] Les mots de « suggestion » et de « symbole » sont bien évidemment à rattacher au contexte de toute une époque qui médite, en contrepoint du positivisme, sur les formes du langage indirect. […] Une note de l’article de la Revue contemporaine qu’Émile Hennequin consacra à Flaubert (octobre 1885) nous apprend que le critique suisse entra en contact avec Féré pour mieux connaître les phénomènes inconscients d’acquisition du langage (p. 169).

193. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’inter-nationalisme »

L’inter-nationalisme Dans le langage de la tribune, du journal et du barreau, dans le langage quotidien, le mot que j’inscris en tête de cet article, est presque toujours employé comme synonyme de crime et de trahison, pour le moins, dans un sens de mépris. […] Pourquoi dès lors ne pas accepter dans le langage courant, un terme qui exprime un fait essentiellement naturel, normal et universel ? […] Colomb, Magellan, El Cano avaient constaté, les premiers, l’unité matérielle de la terre, mais la future unité normale que désiraient les philosophes n’eut un commencement de réalisation qu’au jour où des travailleurs anglais, français, allemands, oubliant la différence d’origine et se comprenant les uns les autres malgré la diversité du langage, se réunirent pour ne former qu’une seule et même nation, au mépris de tous les gouvernements respectifs. »48‌ C’est dans le même but que furent instituées tant d’autres associations permanentes ou temporaires dont le principe se résume toujours en ceci : constituer un groupe autour d’une idée par-delà les groupements nationaux.

194. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre V. Figures de construction et figures de pensées. — Alliances de mots et antithèses »

Il y a sans doute des lois secrètes de la pensée et du langage, qui peuvent dispenser parfois un écrivain d’obéir au code de la grammaire : mais c’est la postérité qui prononce dans ce cas s’il y a abus ou beauté, et, en tout cas, ces libertés ne sont pas à l’usage de ceux qui apprennent à écrire. […] Quant aux figures dépensées, ou figures de passion, d’imagination, de raisonnement, elles ont été en général constituées par des grammairiens et des rhéteurs, qui, regardant le discours par le dehors, ont pris pour adresse de langage ce qui était le mouvement naturel de l’intelligence et de l’âme.

195. (1888) La critique scientifique « Appendice — Plan d’une étude complète d’esthopsychologie »

Renan : De l’origine du langage.) […] Interprétation physiologique Prédominance probable, dans l’organisme cérébral de Victor Hugo, des éléments figurés du langage et de la troisième circonvolution frontale.

196. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre V. Que l’incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. »

Où sont ces hommes aux figures calmes et majestueuses, au port et aux vêtements nobles, au langage épuré, à l’air guerrier et classique, conquérant et inspiré des arts ? […] Sur leur front dur respirent l’égoïsme et le mépris de Dieu ; ils ont perdu et la noblesse de l’habit et la pureté du langage : on les prendrait, non pour les fils, mais pour les baladins de la grande race qui les a précédés.

197. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 33, de la poësie du stile dans laquelle les mots sont regardez en tant que les signes de nos idées, que c’est la poësie du stile qui fait la destinée des poëmes » pp. 275-287

Ils parlent le langage du coeur. […] Où j’apperçois de l’affectation, je ne reconnois plus le langage du coeur.

198. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MADAME TASTU (Poésies nouvelles.) » pp. 158-176

Victor Hugo les vers suivants : Heureux qui, dans l’essor d’une verve facile, Soumet à ses pensers un langage docile ; Qui ne sent point sa voix expirer dans son sein, Ni la lyre impuissante échapper à sa main, Et, cherchant cet accord où l’âme se révèle, Jamais n’a dû maudire une note rebelle ! […] La jeune fille de treize ans s’essaya, non plus à des couplets, mais à de vraies pièces de vers, à des idylles sur les diverses fleurs ; il y avait grand emploi, comme on peut croire, du langage mythologique. […] Ces deux dames, Mme Émile de Girardin et Mme Tastu, depuis leur application au réel, ont essayé quelquefois de mettre la poésie à la portée de l’enfance et de lui faire parler le langage de la morale ou de la prière.

199. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

Il me reste le langage de la logique. […] Cette atténuation progressive du sens des phrases est certainement la chose la plus intéressante dans le langage de ce poème. […] Nous avens donc un premier acte avec un langage toujours précis, et très attrayant psr la variété de sa précision. […] Au moins remarquera-t-on la différence, dans le début de cette scène, entre le langage d’Isolde et celui de Tristan. […] La découverte d’un nouveau langage », dit Wagner. « était une nécessité métaphysique de notre époque… le développement moderne de la musique a répondu à an besoin profondément senti de l’humanité… (VII, 149).

200. (1835) Critique littéraire pp. 3-118

Comment s’est-il plu à dénombrer avec une telle recherche, une telle coquetterie de langage, toutes les misères de cette passion médiocre ? […] Ainsi, la volupté, dans le langage de M.  […] Il s’est trouvé au milieu d’un peuple renouvelé par le fer et par le feu, et il a parlé un langage nouveau. […] Ceux même qui semblent le plus solitaires dans leur vie et dans leur génie, ne sont pas affranchis de cette loi ; ils sont de leur temps ; ils parlent un langage que comprennent les contemporains. […] Mais la vieille dame (c’est la Compagnie anglaise, dans le langage des Indiens) a généreusement pourvu à ces dépenses.

201. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Comme le langage des arts plastiques, et comme celui des arts littéraires, le langage de la musique fut d’institution purement humaine. […] Le langage initial de la musique fut constitué, œuvre de hasards séculaires. […] Un fait également certain est l’absolue différence du langage musical employé par ces premiers artistes, et de notre langage moderne. […] Un nouveau langage musical était constitué, déjà plus riche et plus complexe que le langage antérieur des Grecs. […] Et déjà chaque province avait un langage mélodique spécial.

202. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Essai de critique naturelle, par M. Émile Deschanel. »

Mais il n’en est pas moins vrai qu’écrire pour être lu du public est de moins en moins une rareté et une marque à part, que tout le monde aujourd’hui est sujet à se faire imprimer plus d’une fois dans sa vie, et que le maniement du langage dans ses emplois les plus divers n’a plus rien de mystérieux. […] Les virtuoses de la parole et de la plume ont vu leur domaine se rétrécir d’autant, et aussi les plus habiles, les plus avisés d’entre eux n’ont rien trouvé de mieux, pour ne pas se laisser tout à fait dépouiller et amoindrir, que de se mettre en campagne à leur tour, de s’emparer de toutes ces langues spéciales, techniques et plus ou moins pittoresques, que s’interdisait autrefois le beau langage, de s’en servir hardiment, avec industrie et curiosité, se promettant bien d’ailleurs d’y répandre un vernis et un éclat que les spéciaux n’atteignent ni ne cherchent. […] Deux nuits entières il lutta, les mains jointes, contre cette vision ; elle disparut enfin et le laissa meurtri, brisé, mais saintement humilié et persuadé qu’il avait choisi la bonne part13. » Voilà des miracles de la littérature exquise, de celle qui ne brille que par l’étendue et la rapidité des aperçus, la justesse heureuse des touches, les ménagements et le choix des couleurs et du langage. […] Sans doute les très belles et touchantes parties, les endroits pathétiques et pleins de larmes, les adieux d’Hector et d’Andromaque, les douleurs de Priam, étaient sentis ; mais tout ce qui tenait aux mœurs, à la sauvagerie d’alors, à la naïveté et à la crudité des passions et du langage, échappait ou s’éludait grâce aux commentateurs ou traducteurs, et se défigurait vraiment à travers l’admiration des Eustathe et des Dacier.

203. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Rollin. » pp. 261-282

Une autre ordonnance du recteur Rollin, c’est de faire réciter chaque jour aux élèves, dans toutes les classes, quelques passages choisis des Écritures et particulièrement des Évangiles : « Car, dit-il, si nous empruntons aux écrivains profanes l’élégance des mots et tous les ornements du langage, ce ne sont là que comme ces vases précieux qu’il était permis de dérober aux Égyptiens sans crime, mais gardons-nous d’v verser le vin de l’erreur. » — Par ces diverses prescriptions et ordonnances, qui datent de son rectorat, on voit combien Rollin était peu novateur, combien il s’acheminait lentement et avec circonspection dans les pas qu’il faisait vers le siècle. […] Leur démarche est hardie, leur langage superbe et dédaigneux : la vieillesse est déconcertée à leur aspect… Hélas ! […] En face de telles générations, quel langage tenir ? […] Il faut, en un mot, des vues et un langage que je ne me charge pas de trouver, que quelques-uns sont en voie de découvrir peut-être, mais qui auraient pour effet ce qu’il y a de plus difficile au monde : créer de nouveau un besoin élevé, réveiller un désir !

204. (1759) Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général

Cette définition convient à l’éloquence même du silence, langage énergique et quelquefois sublime des grandes passions ; à l’éloquence du geste, qu’on peut appeler l’éloquence du peuple, par le pouvoir qu’elle a pour subjuguer la multitude, toujours plus frappée de ce qu’elle voit que de ce qu’elle entend ; enfin, à cette éloquence adroite et tranquille, qui se borne à convaincre sans émouvoir, et qui ne cherche point à arracher le consentement, mais à l’obtenir. […] La plupart des poètes, accoutumés au langage ordinaire de la versification, le transportent comme malgré eux dans leur prose : ou s’ils font des efforts pour la rendre simple, elle devient contrainte et sèche ; et s’ils s’abandonnent à la négligence de leur plume, leur style est traînant et sans âme. […] Les préfaces de Racine sont faiblement écrites, celles de Corneille sont aussi défectueuses par le langage, qu’excellentes par le fond des choses ; la prose de Rousseau est dure, celle de Despréaux pesante, celle de La Fontaine insipide. Rien n’est donc plus opposé au style facile, et par conséquent au bon goût, que ce langage figuré, poétique, chargé de métaphores et d’antithèses, qu’on appelle, je ne sais par quelle raison, style académique, quoique les plus illustres membres de l’Académie Française l’aient évité avec soin et proscrit hautement dans leurs ouvrages.

205. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « AUGUSTE BARBIER, Il Pianto, poëme, 2e édition » pp. 235-242

Son poëme se divise en quatre masses principales ou chants : 1° le Campo Santo à Pise ; c’est le vieil art toscan catholique au Moyen-Age que l’auteur y ranime dans la personne et dans l’œuvre du peintre Orcagna, contemporain de Dante ; 2° le Campo Vaccino, ou le Forum romain ; solitude, dévastation, mort ; la majesté écrasante des ruines encadrant la misère et l’ignominie d’aujourd’hui ; 3° Chiaia, la plage de Naples où pêchait Masaniello : c’est un mâle dialogue entre un pêcheur sans nom, qui sera Masaniello si l’on veut, et Salvator Rosa ; les espérances de liberté n’ont jamais parlé un plus poétique langage ; 4° Bianca, ou Venise, c’est-à-dire cette divine volupté italienne que l’étranger du nord achète et profane comme une esclave. — Telle est la distribution générale du poëme, à laquelle il faut joindre, pour en avoir l’idée complète, un prologue et un épilogue, puis, dans l’intervalle de chaque chant, un triple sonnet sur les grands statuaires, peintres et compositeurs, Michel-Ange, Raphaël, Cimarosa, etc. ; l’ordonnance en un mot ne ressemble pas mal à un palais composé de quatre masses ou carrés (les quatre chants), avec un moindre pavillon à l’extrémité de chaque aile (prologue et épilogue), et avec trois statues (les sonnets) dans chaque intervalle des carrés, en tout neuf statues. […] Le poëte, en des vers pleins de tendresse, conjure cette belle contrée, alors qu’elle pourra renaître, de ne s’adresser jamais qu’à ses enfants : Dans tes fils réunis cherche ton Roméo, et il repousse d’elle avec effroi toute intervention de l’étranger, du barbare, comme il dit, dans cette délivrance sacrée : Car ce qui n’est pas toi ni la Grèce ta mère, Ce qui ne parle pas ton langage sur terre, Et tout ce qui vit loin de ton ciel enchanteur, Tout le teste est barbare et marqué de laideur.

206. (1874) Premiers lundis. Tome I « Tacite »

Alors, on se piqua de les écrire avec pureté, correction, élégance, et d’en faire des thèmes de beau langage avant tout. […] L’exemple de Paul-Louis Courier vient d’être réfuté par des raisons trop solides et trop ingénieuses, pour être renouvelé de longtemps ; et d’ailleurs cette sorte d’espièglerie érudite, de laquelle il se tirait si bien, ne convenait qu’à lui seul ; mais, sans se réduire, ainsi qu’il le faisait, aux ressources du vieux langage, on ne doit pas absolument se les interdire.

207. (1897) La crise littéraire et le naturisme (article de La Plume) pp. 206-208

Un changement dans le langage ne peut avoir lieu sans une révolution préalable dans les mœurs, les intelligences et la sensibilité. […] Seule la violence impétueuse de l’idée a le pouvoir de régénérer, à la fois le langage et les coutumes.

208. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre IV Le Bovarysme des collectivités : sa forme imitative »

Remy de Gourmont 8, l’invasion des mots grecs : introduits par les savants qui ne font état que de leur valeur significative, n’ayant pas été accommodés et mis au point par le gosier et l’oreille populaire, ces mots ne parviennent pas à se fondre dans la substance sonore du langage ; ils y résonnent comme do fausses notes. […] Les écrivains du xviie  siècle réformèrent, la fausse conception que l’on s’était faite de nos nécessités verbales sous l’empire d’un enthousiasme aveugle ; les mots mal venus et qui n’étaient point en harmonie avec nos formes sonores furent en partie chassés du langage.

209. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Comte de Gramont »

Tout y est effet du passé, tout, jusqu’au langage, jusqu’à la forme, qui est la fille de la Renaissance, — et ceci pour nous est un reproche ! […] Benvenuto Cellini du langage, il taille chaque vers de ses petits poèmes comme les facettes d’une pierre précieuse ; mais dans cette glyptique nouvelle, ce qui fait le prix de la pierre ce n’est pas l’iris éblouissant qui, grâce à son art, en jaillit, mais la tache d’une larme ou d’une goutte de sang qu’il y a laissée et qu’on ne voudrait pas effacer.

210. (1900) Molière pp. -283

Or l’exactitude et la justesse sont la passion, l’instinct, le besoin de Molière : il est juste et exact avant tout, surtout dans le langage qu’il prête aux personnages qu’il crée. […] Il attrape de même dans Le Misanthrope le langage de la société la plus polie, comme, dans les scènes de paysans, le langage des paysans les plus mal façonnés. […] Ainsi, la justesse du langage est complète ; et Molière y a d’autant plus de mérite, c’est d’autant plus un fait de génie, que le langage que lui a donné la nature, et que son temps lui donne aussi, n’est pas encore bien débrouillé ni assoupli. […] Il n’a jamais écrit de morceau plus joli, c’est le plus achevé de tous, le plus digne d’être mis, comme facilité de langage poétique, à côté des plus jolis morceaux de Regnard. […] N’accusons pas le langage léger qu’affecte l’esprit.

211. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

Ce monument, ce poème, c’est le langage. […] Mais que, parmi les idiomes dont la connaissance nous est possible, il y en ait qui plus que d’autres aient conservé la trace des procédés qui présidèrent à la naissance et au développement du langage et sur lesquels ait passé un travail moins compliqué de décomposition et de recomposition, ce n’est point là une hypothèse, c’est un fait résultant des notions les plus simples de la philologie comparée. Il faut le dire : l’arbitraire n’ayant pu jouer aucun rôle dans l’invention et la formation du langage, il n’est pas un seul de nos dialectes les plus usés qui ne se rattache par une généalogie plus ou moins directe à un de ces premiers essais qui furent eux-mêmes la création spontanée de toutes les facultés humaines « le produit vivant de tout l’homme intérieur » (Fr.  […] Si l’homme perdait le langage, il l’inventerait de nouveau. […] Ils donnent un langage et une voix à ces instincts muets qui, comprimés dans la foule, être essentiellement bègue, aspirent à s’exprimer, et qui se reconnaissent dans leurs accents : « Ô poète sublime, lui disent-ils, nous étions muets, et tu nous as donné une voix.

212. (1870) La science et la conscience « Chapitre I : La physiologie »

Moreau, de Tours, se laisse aller à dire que les lobes cérébraux veulent la contraction musculaire sans l’exciter, sauf à rectifier son langage quelques lignes plus bas. […] Il semble que l’auteur ait assisté à ce travail, tant il met de précision dans son langage. […] Je ne crois pas que le matérialisme ait le droit de dire que le groupement de ces molécules et leurs mouvements expliquent tout10. » En réservant la question métaphysique que tout positiviste regarde comme insoluble, nous croyons que la sagesse scientifique ne peut tenir un autre langage. […] Faire de l’organe le sujet et la cause des phénomènes psychiques, c’est confondre l’organe avec l’être lui-même, et trancher ainsi la question contrairement aux révélations de la conscience et à toutes les habitudes du langage. […] Si le langage ne nous permet pas de dire la cellule cérébrale pensante, ce n’est point par un reste de préjugé antiscientifique ; c’est que l’être réel ne réside pas dans la variété de l’appareil organique, mais dans l’unité individuelle de la vie.

213. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 64-81

Je pourrais ajouter, si ce n’était ici une digression, qu’il y en a un troisième, celui qu’on rencontre par hasard dans le monde, doux, poli, non tranchant, modeste dans son langage, d’un coup d’œil et d’un ton de voix affectueux, presque caressant ; il est impossible de l’avoir rencontré quelquefois et d’avoir causé avec lui sans avoir reconnu dans cet ogre tant détesté, et qui a tout fait pour l’être, l’homme doué de bien des qualités civiles et sociales. […] Il y apparaît éloquent, enthousiaste, religieux à la fois et bon Français, et, pour parler son langage, « tout rayonnant des meilleures ardeurs de la vie. » Je ne saispas, en vérité, de plus noble prose ni dont la presse doive être plus fière. […] Vrai langage des rois et des maîtres du monde, Tu donnes à l’idée un corps ferme et vaillant.

214. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. (Suite et fin.) »

Il suivit de près son maître et se mit en route pour Dresde le 5 février 1810 : « Il quittait, après un séjour de près de quatre ans, nous dit-il, cette France, pays privilégié du Ciel, à tant de titres, où la civilisation, plus ancienne et plus complète qu’ailleurs, a donné aux lois de l’honneur et de la probité cette fixité d’axiomes qui, sans les faire peut-être observer davantage, ne laisse en problème ni en discussion rien de ce qui appartient aux bases des rapports sociaux et du commerce des hommes entre eux ; pays où le langage a une valeur mieux déterminée, où tous les ressorts de la vie sociale ont un jeu lus aisé, ce qui en fait, non comme ailleurs un combat, mais une source de jouissance. » J’aime de temps en temps ces définitions de la France par un étranger ; elles sont un peu solennelles sans doute et ne sont pas assurément celles que nous trouverions nous-mêmes ; nous vivons trop près de nous et trop avec nous pour nous voir sous cet aspect ; le jugement d’un étranger homme d’esprit, qui prend son point de vue du dehors, nous rafraîchit et nous renouvelle à nos propres yeux : cela nous oblige à rentrer en nous-mêmes et nous fait dire après un instant de réflexion : « Sommes-nous donc ainsi ?  […] Bignon, envoyé à Varsovie dès les premiers mois de 1811, n’était pas en mesure de tenir un pareil langage, eût-il observé les choses du même œil. […] Gley, principal au collège d’Alençon, avec des notes relatives à l’ambassade de M. de Pradt à Varsovie (un vol. in-8°, 1816). — Trop empreint d’ailleurs du langage et des passions du temps, ce volume renferme quelques bons traits qui ne sont que là et qui portent leur cachet d’authenticité.

215. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Préface » pp. 1-22

Par l’abstraction et le langage, nous isolons des formes persistantes, des lois fixes, c’est-à-dire des couples d’universaux soudés deux à deux, non par accident, mais par nature, et qui, en vertu de leur liaison stable, résument une multitude indéfinie de rencontres. […] Il faudrait noter chez des enfants et avec les plus menues circonstances la formation du langage, le passage du cri aux sons articulés, le passage des sons articulés dépourvus de sens aux sons articulés pourvus de sens, les erreurs et les singularités de leurs premiers mots et de leurs premières phrases. […] De même, les lacunes que présente aujourd’hui la linguistique, surtout dans les questions d’origine, ne seront probablement comblées que lorsque les observateurs, ayant constaté par la psychologie la nature du langage, auront noté les plus menus détails de son acquisition par les petits enfants.

216. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIV. »

Mais cette poésie, on peut le dire, faisait partie de l’action même ; elle était comme l’appareil et le langage sacramentel du patriotisme et du courage. […] quelle douceur de langage, quelle pure élégance dans les six comédies conservées de Térence ! […] La meilleure postérité de Priam, à tes yeux, c’est une autre que moi : ma douleur, c’est que je sois importune et eux utiles, que je gêne et qu’ils plaisent. » Bientôt, d’une douleur en apparence résignée, la jeune fille, emportée par sa terreur prophétique, s’élève à ce langage : « La voici, la voici la torche enveloppée de flamme er et de sang : elle resta cachée, longues années.

217. (1890) Dramaturges et romanciers

De ces anciennes lectures qui l’enchantaient, il n’a plus retenu qu’une leçon, l’art d’exprimer la passion et de lui faire parler un langage digne d’elle. […] Ces excentricités le préoccupent singulièrement, et on distingue à son langage qu’il a naguère éprouvé des éblouissements en face de ces dangereux météores. […] Le marivaudage est le seul langage qui puisse convenablement exprimer cette situation un peu bizarre, et M.  […] Phidias n’a pas trouvé dans la nature cette physionomie presque humaine et ce regard qui est presque un langage. […] Que le vers est le langage d’une telle sagesse sentencieuse et d’une telle justice contemplative, tout l’ancien théâtre français est là pour l’attester.

218. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Appendice » pp. 511-516

Il a été dit, au sein de la commission, beaucoup de choses très fines et très ingénieuses sur les mérites de l’ouvrage en ce sens ; ample justice a été rendue à ces quatre premiers actes surtout, qui sont presque en entier excellents, si nets d’allure et de langage, coupés dans le vif, semés de mots piquants ou acérés, et d’une comédie toute prise dans l’observation directe et dans une réalité flagrante. […] En considérant de plus près les termes de l’arrêté du 12 octobre 1851, il a semblé par moments à la commission que les circonstances sociales, très différentes d’alors, dans lesquelles nous vivons, permettraient peut-être aujourd’hui d’exprimer un conseil autre et de parler un langage différent.

219. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VI. De la littérature latine sous le règne d’Auguste » pp. 164-175

Cependant le langage vrai d’une sensibilité profonde et passionnée est extrêmement rare, même chez les Romains du siècle d’Auguste. […] Il existe des histoires appelées avec raison histoires philosophiques ; il en existe d’autres dont le mérite consiste dans la vérité des tableaux, la chaleur des récits et la beauté du langage ; c’est dans ce dernier genre que les historiens grecs et latins se sont illustrés.

220. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 8-23

Par-tout une poésie noble, tendre, harmonieuse, toujours conforme aux regles du langage & de la versification, présente des charmes aussi séduisans pour l’oreille, qu’ils l’ont été pour le cœur. […] Non seulement ses Héros conservent en général les inclinations & les intérêts que l’Histoire leur attribue, mais encore chaque passion est approfondie dans ses sources, développée avec ses diverses nuances, manifestée par le langage qui lui est propre, sans s’écarter en rien de la Nature.

221. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Lettres portugaises » pp. 41-51

Dès qu’on parle de l’expression enflammée d’une passion vraie, il est de bonne rhétorique de citer les Lettres portugaises, et les esprits les plus forts d’appréciation comme les plus faibles, les esprits qu’on bride le plus et les esprits qu’on bride le moins, ou qui sans bruit vont sur la foi d’autrui, reprennent alors la phrase d’admiration qui traîne partout et y ajoutent leur petite arabesque… Écoutez tous ceux qui ont dit leur mot sur les lettres de la Religieuse portugaise, depuis madame de Sévigné, la Célimène de la maternité… — et qui ne sait pas plus que l’autre Célimène ce que c’est qu’une passion trahie, ce que c’est que cette morsure de l’Amour, qui s’en va après l’avoir faite, — jusqu’à Stendhal, le Dupuytren du cœur, et qui n’aurait pas dû se tromper sur les tressaillements de ses fibres, et vous entendrez de tous côtés le même langage : une symphonie de pâmoisons. […] Nous avons nié la religieuse ; un autre que nous a nié la femme… un autre qui se connaissait aux passions et à leur langage : « Je parierais que les lettres de la religieuse portugaise sont d’un homme ! 

222. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre II. Des éloges religieux, ou des hymnes. »

Son style est quelquefois mystérieux comme l’être à qui il parle ; son oreille même cherche dans les sons une harmonie inconnue ; et comme pour donner une habitation à la divinité, il a élevé des colonnes, exhaussé des voûtes, dessiné des portiques ; comme pour la représenter, il a agrandi les proportions et cherché à faire une figure imposante ; comme pour en approcher dans les jours de fêtes, il a substitué à la marche ordinaire des mouvements cadencés et des pas en mesure ; ainsi, pour la louer, il cherche, pour ainsi dire, à perfectionner la parole ; et joignant la poésie à la musique, il se crée un langage distingué en tout du langage commun.

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