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434. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

Villers regarde comme l’opposé de la superstition, est-elle autre chose que la superstition raffinée des imaginations vives auquelles manque le contre-poids du jugement ?  […] Augustin Thierry et Cousin prenaient une vive part à ces discussions, M. […] Ampère fut sensible ; il contribua à développer en cette vive nature l’instinct qui la tournait vers les origines littéraires, à commencer par celles des Scandinaves. […] Il y apportait un sentiment vif, passionné, et qui aurait pu s’appeler de la sollicitude. […] Cette dernière biographie a donné lieu à une assez vive discussion.

435. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

Émule des Sannazar et des Vida comme poète latin, il a rimé en français plusieurs morceaux charmants, d’un goût délicat, d’une couleur vive, spirituels et enjoués. […] À la vérité cette pièce qui est fort longue et que Gautier a su émonder avec discernement, enferme plus d’une image poétique vive et harmonieuse. […] Les étoiles, éblouies d’une plus vive clarté, laissaient effacer leur blancheur et devenaient peu à peu de la couleur du ciel , etc. […] La pièce sur le Melon est vive et colorée, avec un air d’audace. […] Dans les Deux Sosies, il y a un prologue fort gracieux, et des vers émus avec grâce dans le rôle d’Alcmène ; les scènes comiques sont vives et bien menées.

436. (1900) Molière pp. -283

Le public suivait avec un vif plaisir et un réel intérêt ces jeunes savants dont la parole était si sûre, si élégante et parfois si indépendante. […] Chaque fois que la conspiration est en train, ils sont très vifs l’un pour l’autre : rien de plus cérémonieux, de plus guindé, de plus glacé que la façon dont ils se parlent quand elle n’a plus lieu. […] Et il y a à côté de cela, je regrette de dire un mot si vif, il y a un cuistre, un Sganarelle, une espèce de M.  […] Nulle part nous ne saisirons mieux au vif cette transformation que sur la scène comique. […] Ces deux dialogues témoignent d’une vive imagination portée sur une solide observation.

437. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

Le mouvement des esprits fut d’autant plus vif, qu’il succédait à une immobilité forcée. […] On eût dit que ces vives polémiques chargeaient l’atmosphère d’une électricité passionnée qui, arrivée à un certain degré d’intensité, faisait éclater la foudre. […] Rien ne manqua à son succès, les éloges enthousiastes du parti religieux, les vives attaques du parti philosophique, enfin l’intérêt général. […] Esprit plus vif que sûr, M.  […] Il faut renoncer à peindre le ravissement que tant de beaux vers, si bien dits, excitaient dans une partie de l’auditoire, la plus vive et la moins distraite alors.

438. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

Il n’y a guère que Paris où l’on puisse réunir, un soir, un si grand nombre de personnes instruites, et qui aient un goût si vif de nos vieilles œuvres. […] Je m’étais étonné de voir le jargon des Précieuses obtenir encore aujourd’hui un si vif succès de rire sur le public de 1884. […] La femme est une bonne, honnête, douce et spirituelle créature, qui n’a ni le tempérament bien impétueux, ni les passions très vives. […] C’est de la folie gaie, vive et brillante. […] L’impression serait infiniment plus vive.

439. (1903) La vie et les livres. Sixième série pp. 1-297

Vive Paoli ! Vive Mirabeau ! […] Vive l’Empereur !  […] Les étoiles brillaient toujours, vives, sur l’azur noir… Pourquoi ce carnage ? […] Cris : « Vive Kumé ! 

440. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre IV. Que la critique doit être écrite avec zèle, et par des hommes de talent » pp. 136-215

Que votre diction soit pure, et cherchez avec soin, par de très belles paroles, les pensées nobles, vives, solides et remplies d’un beau sens !  […] En attendant, rentrons au logis, faisons grand feu et grande chère, et vive la joie ! […] Pas une scène de ce drame n’explique mieux le caractère de notre héros ; enfin, savez-vous une façon plus nette et plus vive de préparer l’entrée de Don Juan dans la tombe du Commandeur et la terrible péripétie qui va venir ? […] Vive Lacenaire ! […] — bien que le vent soit vif, je vais lever l’ancre, et, pardieu !

441. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Notes et pensées » pp. 441-535

… » Et il tranche au vif, avec une incroyable facilité, ma foi ! […] Comme il apparaîtrait injecté au vif et visible à tous, même sans garance ! […] Thiers est l’esprit le plus net, le plus vif, le plus curieux, le plus agile, le plus perpétuellement en fraîcheur et comme en belle humeur de connaître et de dire. […] Saint-Marc Girardin, vif, piquant, spirituel, est le contraire du chaleureux. […] Leroux et quelques autres ne furent point de cet avis, et ils me demandèrent dans cette crise le secours plus fréquent de ma plume : j’étais jeune, vif, ardent, vacant ; je ne demandais pas mieux.

442. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

Mon compagnon de voyage demanda le propriétaire, et tout à coup un petit homme vif et gai se présenta en disant « Voici le prieur ; que lui demande-t-on ?  […] Comme diversion à cette vive escarmouche politique (M. […] Telle que nous la voyons, et avec ce mélange de qualités vives et d’oublis, l’histoire de M. […] Ces organisations du Midi ont plus que d’autres le secret, en toute chose, de la brièveté de la vie, comme elles en ont plus vive l’étincelle : Carpe diem. […] Thiers d’être l’esprit le plus net, le plus vif, le plus curieux, le plus perpétuellement en fraîcheur et comme en belle humeur de connaître et de dire.

443. (1858) Cours familier de littérature. V « XXIXe entretien. La musique de Mozart » pp. 281-360

C’est là, pour ma part, la musique entre toutes les musiques, celle qui m’a donné les plus vives ivresses d’oreille dont j’aie été enivré dans le cours de ma vie. […] Ces impressions sont si vives sur certaines natures prédisposées à l’effet de la musique que ces natures doivent se sevrer sévèrement de ce plaisir, qui dépasse leur puissance de sentir, afin de conserver l’équilibre de leur raison et l’empire sur leurs passions. […] Les murailles de pierre grise des maisons s’harmonisent merveilleusement par leur couleur avec la vive verdure des arbres et des prés baignés par les deux rivières. […] Je vous raconterai tout de vive voix. […] Je souhaite qu’elle vive encore cent ans, toujours en bonne santé : c’est ce que je demande à Dieu dans ma prière pour elle ; et pour ma sœur Nanerl, je ne puis rien lui offrir que les clochettes, les cierges bénits, les rubans que nous avons achetés à Lorette et que nous lui rapportons.

444. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

J’avais acheté et j’avais lu avec un vif intérêt ses ouvrages sur l’intimité de la révolution. […] « Le cortège sortit de la Conciergerie au milieu des cris de : “Vive la république ! […] Un long cri de : “Vive la république ! […] Elle avait conservé, indépendamment de la reconnaissance, un vif sentiment de l’amabilité, de l’élégance et de la bonté familière de ce malheureux prince ; et, tout en déplorant, comme royaliste, les entraînements et les complicités presque parricides de Philippe-Égalité, elle ne pouvait s’empêcher de nous le peindre sous les traits d’un jeune père de famille accompli dans son intérieur, et d’attribuer à sa faiblesse, plus qu’à sa nature, les égarements et les crimes qui flétrirent plus tard son nom. […] Eh bien, vive la république !

445. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE IX »

Ce que j’en admire, ce sont moins encore ses scènes de passion que ses tableaux du monde interlope, d’une touche si juste et d’un ton si fin : l’impertinence de la courtisane éconduisant ses amoureux importuns, ses gaietés nerveuses, ses ironies tristes, les mépris qu’elle a d’elle-même et des autres, et ce souper d’où les réparties jaillissent, capiteuses et vives, comme la mousse des vins. […] J’insiste sur cette figure peinte, par elle-même, dans un cruel monologue, parce qu’elle est d’une vérité poignante, d’une souffrance amère, et que, quoiqu’elle ne fasse que passer dans le drame, elle ne reste pas moins une de ses plus vives impressions. […] A cette parole moqueuse, à ce regard fébrile, à ces allures détachées et vives, à cette désinvolture de façons et de fantaisies, à la tournure cambrée, souple, hautaine et lascive de toute sa personne, vous avez reconnu la grande dame ennuyée qui cherche aventure et visite le moulin par-dessus lequel elle va jeter sa couronne de comtesse, à fleurons d’argent. […] Cependant il est, çà et là, des choses qui me blessent dans ce vif ensemble : c’est le rôle de moraliste que s’arroge le jeune peintre vis-à-vis de la femme qu’il va entraîner, tout à l’heure, dans tous les casse-cou de l’amour coupable ; c’est l’attitude vertueuse et presque contrite que prend cette femme devant l’homme auquel elle a jeté son mouchoir ; c’est, en un mot, le faux air d’entrevue de pénitente et de directeur qui déguise mal le caractère de ce profane tête-à-tête. […] Un esprit gai, ardent, subtil, joyeux et périlleux, comme le feu, répand sur ces cinq actes sa verve d’enfer : chatteries de mots, ruses d’expression, piqûres mortelles, dissimulées sous les ailes des saillies volantes, manières de tout dire, de sous-entendre plus encore et de chatouiller les plaies vives en déchirant leurs bandeaux.

446. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — II » pp. 57-80

Chamillart, dans une lettre à Catinat du 22 juillet, en demandant pardon « de s’expliquer sur une matière aussi délicate, sur laquelle il ne raisonne, dit-il, que par le bon sens que Dieu lui a donné, et sans aucune expérience », se prodigue en exhortations des plus vives : Il me semble que des troupes aussi bonnes que celles que vous avez, et en aussi grand nombre, ne doivent point appréhender l’armée de l’empereur, pourvu que vous les puissiez rassembler avant que le siège de Landau soit fini. […] Je serai plus circonspect à l’avenir, et je ressens une vive douleur de m’en être écarté… Quand on lit la suite de ses lettres, il semble toutefois que les bonnes raisons pour la conduite qu’il tint alors ne lui ont pas tout à fait manqué. […] L’envoyé de l’électeur de Bavière à Versailles, M. de Monasterol, chauffait ces discours qui nous sont revenus tout vifs et bouillants par Saint-Simon : Honteux délais de Villars ; jaloux de sa femme, etc., etc. […] Car nul cœur n’a senti plus au vif que Villars l’aiguillon de la louange, et nul aussi n’est plus affecté d’un reproche : Vous eûtes la bonté, écrit-il, de me mander que je m’étais fait maréchal de France la campagne précédente par de très grands services et de belles actions ; qu’il fallait songer à me faire connétable.

447. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

Ce n’est qu’en Allemagne que la bonté est toujours bonne… » À mesure qu’il s’avançait vers le Nord proprement dit, il sentait le calme descendre en lui, sa gaieté prête à renaître, même au milieu de la mélancolie légère que lui apportait l’aspect des landes uniformes et des horizons voilés : « L’atmosphère brumeuse était partout embellie par le caractère et la bonté des habitants. » Sortant d’un pays où il laissait ses biens en séquestre, sa réputation calomniée, où il avait entendu siffler de toutes parts l’envie, et vu se dresser la haine, il entrait dans des régions paisibles où la bienveillance venait au-devant de lui : « Les hommes, dit-il spirituellement, qui ne témoignent leur bienveillance qu’après y avoir bien pensé, me font l’effet de ces juifs besogneux qui ne livrent leur marchandise qu’après en avoir reçu le payement. » Je ne puis ici raconter tout ce qu’il apprit et découvrit dans ces régions du Nord. « Pour écrire sur l’histoire de ce pays, il faut vivre aux bords de la Baltique, avec les hommes distingués et les livres que l’on ne trouve que là. » Il ne s’en tint pas au Danemark ; il fit une petite excursion en Scanie, et en reçut des impressions vives : « Quand j’eus passé la Baltique, je me sentis dans un pays nouveau : le ciel, la terre, les hommes, leur langage, n’étaient plus les mêmes pour moi. […] Il ne s’agit point de cela avec Bonstetten, il s’agit de l’éducation des choses, de l’éducation vive, de ce qui fait dire à ceux qui en sont témoins : « Il y a des esprits diligents qui sont comme les abeilles, et qui ne rentrent que pour sortir aussitôt. » Sur cette vigilance du dedans, sur cette éducation continuelle qui fait qu’on ne se fige pas à un certain âge, qu’on ne se rouille pas, et que de toute la force de son esprit on repousse le poids des ans, — et sur l’inconvénient de ne le pas faire —, il a écrit des choses bien spirituelles, bien piquantes et aussi très élevées : La bêtise a son développement comme l’esprit, par des lois inverses de celles de l’esprit. […] Une vive douleur, la perte d’un frère tué à Silistrie, affligeait cette jeune amie : Ne faites pas comme à Genève, ne vous faites pas valoir par la douleur, mais rappelez-vous que la vie est un combat, qu’il faut y vaincre ses ennemis et non les adorer. […] — Dumont96 prend une vive part à vos peines.

448. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure »

Il ne marchande pas ce qu’il veut dire… Le public lui doit beaucoup d’avoir pris soin de ces Mémoires… Notre langue n’a plus cette naïveté et cette simplicité nécessaires pour un tel Journal, et nous n’avons point de Henri IV, à qui il échappe à tous moments des mots vifs et plaisants que l’on puisse recueillir. » Marais a exprimé en maint endroit son regret de la vieille langue et des libertés qu’elle autorisait. Il ne faudrait pas le voir pourtant trop amoureux des âges gaulois, ni trop épris des doctes personnages de la Renaissance ; il était de son siècle et n’enviait guère à ces savants hommes du passé que leur façon de s’exprimer, plus franche que la nôtre : « On avait », dit-il, « l’esprit étrangement fait du temps de Pasquier ; il admirait Ronsard, que nous ne voudrions pas lire à présent… Disons la vérité, tous ces messieurs-là étaient trop graves pour être plaisants ; il n’y a que leur langage ancien que je voudrais qui eût été conservé, et je sais bon gré à M. de Cambrai (Fénelon) d’avoir dit que ce langage se fait regretter, parce qu’il avait je ne sais quoi de court, de naïf, de hardi, de vif et de passionné. […] Je le crois aussi ; mais, monsieur le voleur, nous avez bien fait, vous ne serez pas puni pour cela, et vous auriez été couronné à Lacédémone. » Il ne tarit pas là-dessus, il est comme notre ami Sacy ; il n’en a jamais assez de la relire : « Je suis enchanté, monsieur, de la manière dont vous parlez des Lettres de Mme de Sévigné ; elles m’ont fait la même joie, et je les relis comme elle relisait les lettres de sa fille, pour faire durer le plaisir. » Sur Mme de Motteville, dont les Mémoires parurent pour la première fois en 1723, on n’a jamais mieux dit que Mathieu Marais sous l’impression toute vive d’une première lecture : « Il n’y a jamais eu ensemble tant de faits secrets, tant de caractères bien marqués, tant de portraits ressemblants et une connaissance si grande de la Cour et des familles. […] Et puisque j’en suis moi-même à aller ainsi à la picorée dans les auteurs, voici une assez belle pensée de lui sur les Grecs ; elle lui est échappée en parlant du Dialogue sur la Musique des Anciens, de l’abbé de Chateauneuf : « Nous ne sommes pas si vifs ni si chauds que les Grecs ; je m’imagine qu’ils avaient l’âme d’une âme au lieu d’un corps. » Ce n’est pas mal pour un Gaulois.

449. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [IV] »

« Tandis que quelques personnes, lui écrivait-on de Dresde, vous attribuent la présence de vos trois corps d’armée à Wurschen et vantent avec chaleur ce service à l’occasion duquel elles rappellent les autres, l’état-major retentit contre vous des plaintes les plus vives. » Ces plaintes consistaient dans un esprit d’indépendance qui aurait empêché Jomini de faire expédier ses états de situation d’après des modèles qu’on lui avait donnés. […] Jomini, tel que je me le figure alors, assez grand, mince, distingué de physionomie, à la fois vif et réservé sous sa fine moustache brune, n’avait point assurément la mine d’un sabreur ; il n’avait pas l’air de vouloir tout pourfendre amour de lui ; il était, en son temps, du petit nombre des militaires qui avaient, comme on dit, leur pensée de derrière, qui raisonnaient et critiquaient (Saint-Cyr, Dessolle, Haxo, Campredon…). […] Sur le rapport qu’il en revint faire aussitôt à l’empereur Alexandre : « Vous êtes trop vif, lui dit le monarque ; on ne prend pas les mouches avec du vinaigre : il faudra tâcher de raccommoder cela. » Rien ne se raccommoda pourtant, et l’on sut que le premier mot de Languenau à Radetzky avait été : « Il faut enterrer ce Jomini ; sinon, on lui attribuera tout ce que nous ferons de bien. » — Le mauvais vouloir de ce côté et les tracasseries à son égard furent sans trêve et se produisirent dans les moindres détails de service et de la plus mesquine manière : pour son logement, pour l’ordonnance de cavalerie qui lui était nécessaire et qu’on ne lui donnait pas, etc. […] Revenant donc de l’état-major autrichien avec sa réponse mortifiante, il ne put s’empêcher de dire à Alexandre : « Je suis vraiment peiné, Sire, du rôle qu’on fait jouer à Votre Majesté. » Le mot était vif et toucha l’épiderme.

450. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Mais ce qui nous donne à songer plus particulièrement et ce qui suggère à notre esprit mille pensées d’une morale pénétrante, c’est quand il s’agit d’un de ces hommes en partie célèbres et en partie oubliés, dans la mémoire desquels, pour ainsi dire, la lumière et l’ombre se joignent ; dont quelque production toujours debout reçoit encore un vif rayon qui semble mieux éclairer la poussière et l’obscurité de tout le reste ; c’est quand nous touchons à l’une de ces renommées recommandables et jadis brillantes, comme il s’en est vu beaucoup sur la terre, belles aujourd’hui, dans leur silence, de la beauté d’un cloître qui tombe, et à demi couchées, désertes et en ruine. […] On n’a qu’une phrase de lui qui donne suffisamment à penser et qui révèle la teinte à la direction de ses sentiments durant les orages de sa première jeunesse : « Quelques années se passèrent, dit-il (à ce métier des armes) ; vif et sensible au plaisir, j’avouerai, dans les termes de M. de Cambrai, que la sagesse demandoit bien des précautions qui m’échappèrent. […] » L’idéal de l’abbé Prévost, son rêve dès sa jeunesse, le modèle de félicité vertueuse qu’il se proposait et qu’ajournèrent longtemps pour lui des erreurs trop vives, c’était un mélange d’étude et de monde, de religion et d’honnête plaisir, dont il s’est plu en beaucoup d’occasions à flatter le tableau. […] Le sacrifice une fois consommé, la conscience lucide lui revint : « Je reconnus, dit-il, que ce cœur si vif étoit encore brûlant sous la cendre.

451. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Au sortir du collège, c’est un grand garçon maigre, dégingandé, à la physionomie vive, aux yeux pétillants d’esprit et de malice, dévoré du désir de jouir et du désir de parvenir, enfiévré de vanité, d’ambition, d’amour du luxe et du plaisir, enragé d’être un bourgeois, et se promettant bien de ne pas languir dans une étude et sur la procédure. […] C’est le caractère le plus mobile et le plus extraordinaire qu’il y ait : sensible, brusque, plein d’humeur, boudant toute une soirée pour un verre de vin du Rhin que Mme du Châtelet l’a empêché de boire parce que ce vin lui fait mal, se querellant sans cesse avec elle, déjà malade éternel, se droguant à sa fantaisie, se gorgeant de café, mourant et, l’instant d’après, vif et gaillard si un rien l’a mis en train : avec cela, travailleur acharné, infatigable. […] Il a fallu Saint-Simon pour lever tous les voiles sous lesquels Voltaire avait coulé son vif regard et qu’il avait ensuite pudiquement ramenés. […] Une vive curiosité y éclate à chaque page.

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