De là, sur notre scène, trois espèces d’œuvres bien distinctes : l’une vulgaire et inférieure, les deux autres illustres et supérieures, mais qui toutes les trois satisfont un besoin : le mélodrame pour la foule ; pour les femmes, la tragédie qui analyse la passion ; pour les penseurs, la comédie qui peint l’humanité. […] On le voit, le drame tient de la tragédie par la peinture des passions, et de la comédie par la peinture des caractères. […] De cette façon, les deux électricités opposées de la comédie et de la tragédie se rencontrent, et l’étincelle qui en jaillit, c’est le drame. […] Don Salluste serait le drame, don César la comédie, Ruy Blas la tragédie. Le drame noue l’action, la comédie l’embrouille, la tragédie la tranche.
Ainsi elle n’en est point plus propre à la tragédie, parce qu’elle flate l’oreille, puisque l’imitation et l’expression du langage inarticulé des passions, sont le plus grand mérite de la musique dramatique. […] Il est contre la vrai-semblance, me dira-t-on, que des acteurs parlent toûjours en vers alexandrins, comme ils le font dans nos tragédies ordinaires. […] On pleure donc aux scénes touchantes des opera, ainsi qu’aux scénes touchantes des tragédies qui se déclament. […] Despreaux auroit pû dire de l’actrice qui faisoit le personnage d’Iphigenie dans l’opera de Duché il y a vingt et un ans, ce qu’il a dit de l’actrice qui faisoit le personnage dans la tragédie de son ami.
Lebrun, Pierre (1785-1873) [Bibliographie] Coriolan, tragédie (1797). — Jeanne d’Arc, Ulysse (1814). — Marie-Stuart, tragédie (1820). — Pallas (1822). — Le Cid d’Andalousie (1825). — Voyage en Grèce, poèmes (1828). — Œuvres complètes (1844). […] Édouard Fournier Il échapperait à notre temps, s’il était resté ce que son âge, — il naquit en 1785, — voulait qu’il fût d’abord : un arrière-classique, un poète de l’Empire, rimant des Odes sur la Guerre de Prusse, sur la Campagne de 1807 et des tragédies telles qu’Ulysse et Pallas, fils d’Évandre ; mais il lui appartient, par la part qu’il prit au mouvement rénovateur, avec sa pièce de Marie Stuart assez fièrement imitée de celle de Schiller et surtout avec son brillant Voyage en Grèce, l’œuvre la plus sincère, la plus vraie de couleur et la plus éclatante qui ait été inspirée chez nous par la guerre des Hellènes.
— C’est considérer la tragédie comme un opéra ! — La tragédie grecque est un opéra. La tragédie française n’en est pas un ; mais parce qu’elle ne laisse pas d’être inspirée de la tragédie grecque, et surtout parce qu’elle a en elle l’esprit même de la tragédie, il lui arrive, du moins par le souci des groupements à la fois savants et naturels, aussi par les morceaux lyriques qu’elle admet, d’avoir avec l’opéra des analogies qui ne sont pas douteuses et qui sont très loin d’être une dégradation ou de marquer une déchéance. En tout cas, lorsqu’on lit une tragédie ou une comédie, il faut s’habituer à la voir. […] Il le lui dit plus solennellement : mais c’est le ton de la tragédie qui le veut ainsi.
Observations sur la comédie et la tragédie L’absence de toute philosophie que nous avons remarquée dans Homère, et nos découvertes sur sa patrie et sur l’âge où il a vécu, nous font soupçonner fortement qu’il pourrait bien n’avoir été qu’un homme tout à fait vulgaire. […] Homère, venu si longtemps avant les philosophes, les critiques et les auteurs d’Arts poétiques, fut et reste encore le plus sublime des poètes dans le genre le plus sublime, dans le genre héroïque ; et la tragédie qui naquit après fut toute grossière dans ses commencements, comme personne ne l’ignore. […] La tragédie, bien différente dans son objet, met sur la scène les haines, les fureurs, les ressentiments, les vengeances héroïques, toutes passions des natures sublimes.
Devenu magistrat sans en avoir l’air, reçu président au Parlement avec dispense d’âge (1706), il ne concourait pas moins pour les prix de l’Académie française, faisait des tragédies, qui tombaient comme déraison (c’est Collé qui le dit), mais sous un autre nom que le sien, des chansons, au contraire, qui avaient la vogue, et il prenait pied partout dans la meilleure société, et bientôt même en Cour. […] Sa musique n’était point savante, mais agréable ; sa poésie n’était point sublime ; il a pourtant essayé de faire une tragédie : elle est faible, mais sans être ni ridicule ni ennuyeuse. […] En janvier 1713 le président donnait à la Comédie-Française, sous le nom de Fuselier, une tragédie, Cornélie vestale, qui n’eut que cinq représentations. […] Ce qui lui manquait, c’était le travail qui creuse, l’attention qui concentre, c’était la puissance de talent qui réalise : Tout rappelle à notre esprit, disait-il dans la préface de son François II, les objets où il se plaît davantage ; et comme je m’occupe assez volontiers de l’histoire, je n’ai presque vu que cela dans Shakespearei… En voyant la tragédie de Henri VI, j’eus de la curiosité de rapprendre dans cette pièce tout l’historique de la vie de ce prince, mêlée de révolutions si contraires l’une à l’autre et si subites qu’on les confond presque toujours, malgré qu’on en ait… Et tout à coup, oubliant que je lisais une tragédie, et Shakespeare lui-même aidant à mon erreur par l’extrême différence qu’il y a de sa pièce à une tragédie, je me suis cru avec un historien, et je me suis dit : Pourquoi notre histoire n’est-elle pas écrite ainsi ? […] Littérairement, il a parlé de Fontenelle avec étendue et prédilection ; de La Motte, il a dit à merveille : Il a traité de presque tous les genres de belles-lettres, tragédie, comédie, églogue, poème, fable, chanson, dissertation critique, etc.
Quant à ses tragédies, c’est un peu moins médiocre, mais toujours médiocre. […] Les vers blancs sans rime dans lesquels il écrit ses tragédies sont une prose cadencée, qui ne donne pas même à l’oreille le plaisir de la difficulté vaincue et de la complète harmonie des mots. […] Aussi ses tragédies ne méritent-elles pas ce nom ; ce sont des dialogues des morts, où trois ou quatre acteurs causent ensemble avec une passion furieuse, et finissent au cinquième acte par s’entre-tuer : voilà les tragédies de ce grand homme de volonté, quelquefois éloquent par tirades, mais toujours fastidieux par sécheresse. […] Il a traduit en vers une tragédie de chaque auteur grec, les Perses d’Eschyle, Philoctète de Sophocle, Alceste d’Euripide, et il a fait une Alceste à son imitation, ainsi qu’une tragi-mélodie d’Abel, qui est moitié tragédie et moitié pour chanter, afin de donner aux Italiens le goût de la tragédie : ce seront les premières choses que je ferai imprimer pour finir son théâtre. […] Et pendant que le sang coule à Paris, il joue à Florence ses rôles de tragédie.
Lemiére, que des cerveaux les chanterelles élastiques s’accordent à réprouver ses Tragédies, comme des Poëmes d’une versification propre à les roidir & à les ruiner. […] Telle est l’histoire tragique des Tragédies de M. […] Vers de la Tragédie de Guillaume Tell.
Rien donc d’étonnant à cette précipitation des esprits vers le roman, cette forme actuellement populaire de la pensée littéraire du dix-neuvième siècle, mais rien d’étonnant non plus à son avilissement par sa popularité… Il en arrivera du roman (et dans un avenir très-prochain) ce qui est arrivé de la tragédie. La tragédie a eu ses jours d’empire et même de despotisme, comme le roman de notre temps. Autrefois, tout ce qui se croyait une destinée littéraire dans le cerveau faisait sa tragédie, identiquement comme aujourd’hui on fait son roman ou son volume de contes, car le conte, c’est le roman en raccourci… Malheureusement, les popularités ne sont jamais bien longues, et l’amour des foules est mortel. Ce n’est pas un Racine qu’il faudrait maintenant pour ranimer la tragédie morte. […] Ponsard, et la tragédie tuée resta tuée.
a propos de la tragédie de virginie, par m. latour de saint-ibar, au théatre-français. — état de l’art dramatique en france. — espérances déçues. Le succès de la tragédie de Virginie se soutient au Théâtre-Français ; c’est le succès de mademoiselle Rachel plus encore que celui de l’œuvre elle-même. […] Le succès même de ces deux dernières tragédies, Virginie et Lucrèce, peut servir à mieux mesurer la décadence et la déchéance des hautes pensées et des espérances ambitieuses qu’on avait d’abord conçues dans cette carrière dramatique, telle qu’elle se rouvrait il y a vingt-cinq ans.
Pour peu qu’on ait la connoissance du Théatre, sa Tragédie de Didon paroîtra toujours le début d’un génie capable d’égaler les plus Grands Maîtres, & particuliérement Racine que personne n’a atteint de plus près. […] Racine le fils, sur les Tragédies de son pere ; sa Traduction des Dialogues de Lucien, celle des Tragédies d’Eschyle sur-tout, sont autant de travaux qui déposeront en faveur de son génie, de son savoir, de ses lumieres, de son zele pour le progrès des Arts, contre les esprits jaloux qui l’ont attaqué sans le valoir ; contre les esprits superficiels qui l’ont jugé sans le connoître ; contre les Philosophes qui l’ont décrié sans pouvoir lui nuire ; ils prouveront encore, avec ses autres Ouvrages, l’énorme différence qu’il y a entre l’Honnête homme qui sait faire un noble usage de ses talens, & l’Ecrivain dangereux qui en abuse pour dépriser ceux de ses Rivaux.
La comédie, qu’on peut définir l’art de faire servir la malignité humaine à la correction des mœurs, est presque aussi ancienne que la tragédie ; et ses commencements ne sont pas moins grossiers. […] Alors la comédie prit pour modèle la tragédie, inventée par Eschyle ; et ce fut là proprement l’origine grossière de la comédie grecque, dont on distingue trois époques remarquables, qui la divisent en ancienne, moyenne et nouvelle. […] La véritable comédie doit être composée des mêmes parties que la tragédie, c’est-à-dire, exposition, nœud, dénouement.
Duval : « Un jeune homme, dès sa sortie du collège, où il avait déjà pris le goût du théâtre, qu’il y avait étudié, plein d’admiration pour ses auteurs anciens, et pour les chefs-d’œuvre des Racine, des Corneille, des Molière, s’empressait de composer, d’après leurs principes, une tragédie ou une comédie. […] Des petits vers, quelques couplets, quelques brochures légères, deux tragédies, quelques comédies en un, deux ou trois actes, le conduisaient doucement à l’Académie, où la considération et les pensions l’attendaient. » Il y a dans ce dernier trait quelque chose d’équivoque et de presque épigrammatique à quoi l’on pourrait se méprendre ; mais M. […] La pleine décadence du Théâtre-Français, le décri absolu où est tombé surtout l’ancien genre tragique, l’ennui profond que causent à la scène, non pas seulement tant de plates amplifications de notre temps, non pas même ces tragédies de Voltaire décorées du nom de chefs-d’œuvre, mais jusqu’aux pièces si belles et si accomplies de Racine, tout cela peut se déplorer avec plus ou moins d’affliction et d’amertume, mais à coup sûr ne saurait plus se nier. […] Même après la Révolution, durant les dix années de l’empire, l’absence seule de liberté n’a-t-elle pas suffi à faire vivre l’ancienne tragédie monarchique, si étrange, si disparate, Corneille excepté, auprès d’Austerlitz et d’Iéna ? […] Rappelons que ces deux ouvrages les Vêpres siciliennes (1819) et la Princesse Aurélie (1828), sont le premier, une tragédie, le second, une comédie de Casimir Delavigne 15.
L’histoire de l’Italie a la beauté poignante d’une tragédie. […] — À la voir dans l’ensemble, cette histoire est une tragédie, et c’est de ce point de vue que je la résume ici en quelques traits essentiels. […] C’est la tragédie qui recommence ; quiconque étudie cette histoire dans le détail, sans parti pris, sent grandir dans son cœur la pitié, et, avec le remords, le désir de réparer par l’amour la brutalité de nos pères. […] Au théâtre nous avons les « formes » régulières de la tragédie et de la comédie, mais pas de vie dramatique, sauf quelques exceptions dans la comédie. […] Le même état d’âme se retrouve dans les romans historiques de Massimo D’Azeglio, de Guerrazzi, de Nievo, dans les tragédies de Manzoni, de Niccolini, et même encore dans ce chef-d’œuvre épique : I promessi sposi.
. — Ton sang, tragédie contemporaine précédée de la Lépreuse, tragédie légendaire (1898) […] Tout le long de la tragédie, l’idée est portée par le rythme comme selon une danse où les coups de sabots font des poses douloureuses.
Il étoit impossible de persuader au public qu’il ne fut pas touché aux représentations de Thesée et d’Atys, mais on lui faisoit croire que ces tragédies étoient remplies de fautes grossieres qui ne venoient pas tant de la nature vicieuse de ce poëme, que du peu de talent qu’avoit le poëte. […] Racine a-t-il mis au jour une tragédie dont on n’ait pas imprimé une critique qui la rabaissoit au rang des pieces médiocres, et qui concluoit à placer l’auteur dans la classe de Boyer et de Pradon. […] La prédiction de Monsieur Despreaux sur les tragédies de Racine s’est accomplie en son entier.
Je désire que vous ne soyez pas mécontent de cette nouvelle tragédie, dont je vous prie de vouloir bien accepter l’exemplaire ci-joint. […] Suit Je viens de terminer une nouvelle tragédie : c’est Admète et Alceste, sujet tiré de notre Euripide. […] Pourquoi ne puis-je causer avec vous une demi-heure, et vous voir dans les morceaux terribles de cette admirable tragédie ! […] Il ne s’avisa de tragédie que vers l’âge de trente-six ans, et il marqua vite ; en quoi il l’emportait sur les La Harpe, les Chamfort, les gens d’esprit et de goût sans étincelle. […] C’est en effet, bien réellement, une forme nouvelle de tragédie qui succède à l’autre, et bien qu’éphémère elle-même, elle était digne d’être saluée et intronisée à son jour.
Quand il fit la tragédie de Théagène, sur laquelle il consulta Molière, & celle des Frères ennemis, dont ce comique lui donna le sujet, il portoit encore l’habit ecclésiastique. […] Il ne travailla plus qu’à des tragédies saintes : mais sa dévotion ne réforma point son caractère naturellement caustique. […] Ils l’emportèrent enfin, & la tragédie de Pradon fut jugée la meilleure. […] Lorsque Racine fit voir à Corneille sa tragédie d’Alexandre, Corneille lui donna des louanges & lui conseilla, en même temps, d’abandonner la poësie dramatique, comme étant un genre qui ne lui convenoit pas.