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52. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Lamartine »

Les autres poètes du temps, tous poètes plus ou moins littéraires : Sainte-Beuve, Théophile Gautier, de Musset, de Vigny, Émile Deschamps, reconnaissaient sa royauté, bien plus littéraire que géniale. […] L’idéalité de la politique de Lamartine a été moins comprise que ne l’avait été l’idéalité de sa poésie ; car la France de ce temps-là, qui valait mieux que celle de ce temps-ci, fut littéralement enivrée, quand elles parurent, de l’éther pur de cette poésie inconnue des Méditations, qu’on n’avait jamais respirée. […] Le livre délicieux que Lamartine a écrit sur ses premières années de jeunesse ne sera probablement pas plus apprécié par la critique vulgaire de ces temps que ne le sont les Harmonies. […] Les détails de ce temps de jeunesse, qui va de la vie presque pastorale de l’enfant à la vie militaire du jeune homme, sont de l’intérêt le plus contrasté et le plus attachant. […] Les petitesses de ce temps ont fait oublier cette grandeur inconsciente de Lamartine.

53. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Nouveaux documents sur Montaigne, recueillis et publiés par M. le docteur Payen. (1850.) » pp. 76-96

Montaigne, âgé de cinquante ans, rentrait donc dans la vie publique un peu malgré lui et à la veille des troubles civils qui, apaisés et sommeillant depuis quelque temps, allaient renaître plus terribles au cri de la Ligue. […] sans s’aviser que plusieurs pires choses se sont vues, et que les dix mille parts du monde ne laissent pas de galler le bon temps ce pendant (de prendre du bon temps) : moi, selon leur licence et impunité, admire de les voir si douces et molles. […] Un jugement de Montaigne m’a frappé, en ce qui concerne les hommes de son temps, et il se rapporte assez bien également à ceux du nôtre. […] Il ne voyait pas de vrai et entier grand homme de son temps, qui était cependant celui des L’Hôpital, des Coligny, des Guises. […] On vient de voir qu’il a plus d’un conseil utile et d’une consolation directe à l’usage de l’honnête homme né pour la vie privée et engagé dans les temps de trouble et de révolution.

54. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Marguerite, reine de Navarre. Ses Nouvelles publiées par M. Le Roux de Lincy, 1853. » pp. 434-454

Notre Marguerite ne fit rien de tel ; elle laissait de son temps ce rôle aux duchesses d’Étampes. […] Ainsi s’écoule le temps sans que personne croie avoir passé la mesure de la gaieté permise ni avoir fait un péché. […] Les sujets sont ceux du temps, et il y a un moment où l’on s’écrie avec dame Oisille : « Mon Dieu ! […] » On sent que même les honnêtes gens et les femmes comme il faut de ce temps-là sont, quoi qu’ils fassent, des contemporains de Rabelais. […] C’est le temps où les honnêtes femmes disent et débitent hautement des contes à la Roquelaure.

55. (1887) Discours et conférences « Discours à l’Association des étudiants »

Le temps où les autres s’amusent fut pour moi un temps d’ardent travail intérieur. […] Le temps qu’on donne au travail n’est pas seulement celui qu’on passe devant sa table et son écritoire. […] Vous verrez peut-être un temps où l’on en connaîtra des dizaines. […] Et, de fait, c’est au bout de ce temps que les gouvernements peuvent se mettre à essayer quelque chose de bon. […] En somme, le temps où vous vivez n’est pas plus mauvais que bien d’autres.

56. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Les regrets. » pp. 397-413

Qu’est-ce donc que ce mal dont est visiblement atteinte depuis quelque temps une partie de la société brillante et pensante ? […] Votre faible a été, de tout temps, de vous croire privilégiés, ne vous y fiez pas trop ; vous êtes hommes aussi, vous êtes dans une époque critique ; ne vous fixez pas dans le dépit. […] Ainsi de tout temps pour l’homme de pouvoir : il n’est jamais seul. […] Je n’avais pas oublié les bontés qu’il m’avait témoignées dans le temps de sa gloire. […] Il est permis à l’un de ceux qui se tiennent debout à regarder, de leur répondre : Non, le monde n’est pas en train d’aller plus mal depuis hier seulement ; s’il dégénère, c’est de votre temps et du temps de vos pères que cela a commencé, non pas du jour où vous n’y avez plus la haute main.

57. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre II. Marche progressive de l’esprit humain » pp. 41-66

Enfin l’esprit humain a, ainsi que l’homme, ses âges et ses temps critiques. […] On sait seulement qu’elles se succèdent dans le temps, et qu’elles héritent les unes des autres. […] L’existence si diverse et si variée de ces peuples est une poésie tout entière, depuis leurs temps héroïques et fabuleux jusqu’à leur décadence et à leur mort. […] La remarque de M. de Bougainville s’appliquait seulement aux temps historiques de la Grèce ; j’ai voulu l’étendre à tous les temps qui ont illustré cette péninsule si célèbre dans les fastes de l’esprit humain : c’était pour la rendre plus générale, et par conséquent plus vraie. […] Lorsqu’il est remonté sur le trône de ses ancêtres, les traditions monarchiques s’étaient effacées ; il était obligé d’enseigner de nouveau la liberté à ses peuples, et le temps lui manquait pour consolider la royauté, comme le temps avait manqué à Bonaparte pour consolider le despotisme.

58. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 10, continuation des preuves qui montrent que les anciens écrivoient en notes la déclamation » pp. 154-173

On commençoit donc du temps de Ciceron à changer la déclamation théatrale. […] En lisant l’art poëtique d’Horace, on voit bien que le vice reproché par Quintilien à la déclamation théatrale de son temps, venoit de ce qu’on l’avoit voulu rendre plus vive, plus affectueuse et plus expressive, tant du côté de la récitation que du côté du geste, qu’elle ne l’avoit été dans les temps anterieurs. […] C’est Ciceron même qui nous apprend que la prononciation des romains de son temps étoit bien differente de la prononciation de leurs ancêtres. […] Aussi mon intention n’est-elle pas, en rapportant tous ces passages, de prouver que les romains aïent eu tort de changer leur maniere de déclamer, mais bien de montrer qu’ils la changerent réellement, et que ce fut du temps de Ciceron qu’ils commencerent à la changer. […] Peut-être avoit-on fait mieux dans les temps anterieurs, mais on étoit déchu.

59. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIV. Siècles de barbarie. Renaissance des lettres. Éloges composés en latin moderne, dans le seizième et le dix-septième siècles. »

Chez les Grecs, le temps de Photius et de Léon le philosophe, ou le neuvième siècle, fut le temps le plus célèbre pour les connaissances ; mais les crimes du palais, la superstition du schisme, la petitesse du gouvernement et les fureurs scolastiques étouffèrent tout. […] Enfin, le temps arriva, et la lumière partit du fond de l’Italie ; mais elle ne se répandit que peu à peu sur le reste de l’Europe. […] À Athènes et dans l’ancienne Rome, l’éloquence et les lettres eurent un grand éclat dans des temps orageux, quand la liberté disputait ses droits contre la tyrannie qui s’avançait. […] L’éloquence et les discours de ces temps-là étaient donc bien loin d’avoir cette rudesse originale et forte, qu’il semblerait qu’on dut attendre au sortir des siècles de barbarie. […] Ajoutez que, dans les temps dont nous parlons, la plupart des écrivains étaient étrangers à leur pays et à leur siècle.

60. (1864) Études sur Shakespeare

Les couleurs ternies par le temps en furent rafraîchies en 1748, par les soins de M.  […] Voilà sous quel poids a succombé quelque temps la popularité du premier poëte dramatique de l’Angleterre. […] C’est à l’homme que, malgré les habitudes de son temps, Shakespeare sentit qu’il fallait demander ce grand effet. […] Le système classique est né de la vie et des mœurs de son temps ; ce temps est passé : son image subsiste brillante dans ses œuvres, mais ne peut plus se reproduire. […] Écrivain qui vivait environ cinquante ans après Shakespeare, et qui a recueilli des souvenirs et des traditions de son temps.

61. (1773) Discours sur l’origine, les progrès et le genre des romans pp. -

Les femmes jouerent dans tous les temps un très grand rôle parmi nous. […] L’ouvrage de Furetiere fut goûté dans son temps, & n’est point encore méprisé dans le nôtre. […] Il parut dans le même temps, & même quelque temps après, d’autres fictions plus piquantes que scrupuleuses. […] Il fut, je l’avoue, un temps où le bon Hubert eût bien mal figuré à l’ouverture d’un Roman. Grace aux progrès de la raison, les temps & la maniere de voir sont changés.

62. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre premier. Considérations préliminaires » pp. 17-40

Il sentait avec inquiétude que la sanction du temps et de l’opinion lui manquait toujours. […] Comparons à présent Louis XVIII à Bonaparte : l’un efface toutes les traditions, crée un peuple dans un peuple, profane les tombeaux, et c’est profaner les tombeaux que dédaigner l’esprit des ancêtres ; l’autre unit les temps anciens aux temps qui vont éclore, professe sans idolâtrie le culte des ancêtres, admet les choses nouvelles, sans toutefois repousser dans l’opprobre les choses anciennes. […] S’il n’eût pas agi ainsi, il aurait fait une faute immense ; car il se serait porté héritier de la révolution faite par les hommes, au lieu d’adopter la révolution faite par le temps. […] Si le mouvement des opinions peut être rapide, celui des mœurs est toujours mesuré par la longueur du temps. […] Tout ce qui a pu contrarier la marche des choses, dans cet intervalle de temps, ne doit être évalué que comme obstacle.

63. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Seconde partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère de la littérature et des arts » pp. 326-349

Les temps où régna la parole furent les temps de l’imagination ; ceux où régna la pensée indépendante doivent être ceux de la raison. […] Nous devons la prendre où les sages de tous les temps l’ont placée : voilà tout le secret. […] Toutes les poésies originales des temps modernes tournent autour de Charlemagne et des croisades. […] La vie de l’homme est courte ; il faut lui abréger, le plus possible, le temps d’apprendre. […] Nous sommes arrivés à un temps où la science doit aider à l’instinct, et le diriger.

64. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

Voilà le cadre ; mais aurai-je jamais le temps, et me trouverai-je la capacité nécessaire pour le remplir ? […] De tous les hommes du temps, M.  […] C’est en grande partie la faute du temps où je suis né et que j’ai traversé. […] Vous me demandez pourquoi, et quand donc il sera temps. […] Vous représentez, monsieur, un autre temps que le nôtre, des sentiments plus hauts, des idées, une société plus grandes.

65. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIe entretien. Balzac et ses œuvres (1re partie) » pp. 273-352

» ai-je dit moi-même dans un autre temps. […] Il craignit de manquer de temps pour bien remplir ces triples fonctions. […] … Oui, mais ils passent leur temps entre le gruyère et le savon. […] C’est au surplus le temps que Rossini lui assigne pour son compte. […] C’est son général, soit pour un jour, soit pour un temps.

66. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Ces temps sont insolents et grossiers. […] Charles X, cette victime du temps, forcera un jour le temps à lui faire réparation sur sa tombe. […] … L’esprit du temps parfois est ingrat. […] Mais un regard sur le temps actuel fait bientôt cesser l’étonnement. […] Elle a le temps !

67. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XI » pp. 89-99

. — Naissance dans le même temps du mot de précieuses. […] Montausier était calviniste ; il lui fallut le temps d’abjurer ; il abjura en 1645, âgé de trente-cinq ans, comme je l’ai dit, et alors il épousa Julie, qui avait trois ans plus que lui. […] Cette maison, naguère si brillante, ne devait plus que s’entrouvrir aux consolations de l’amitié et à celles que lui apportaient de temps à autre la tendresse de sa fille Julie et le respect de son gendre. […] On n’a pas le droit de remarquer leur mauvais goût, sans remarquer aussi qu’elles étaient une école de bonnes mœurs dans un temps de dépravation invétérée. […] Les étrangers y admiraient cette naïveté, cette aisance, cette délicatesse si naturelle aux Français, jointes à une modestie, à une candeur digne des premiers temps.

68. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Appendice. »

Le parfait normalien de ce temps-là fut formé à son image et selon cette doctrine philosophique, rationnelle, noble, élevée, modérée, admettant sa part de croyance. […] De tout temps il avait eu une bibliothèque philosophique des plus complètes, — la plus complète, je crois bien, qui existe. […] Sainte-Beuve avait faites, en divers temps, de ce célèbre écrivain ; il a reçu, à cette occasion, de M.  […] Guizot a été indigne pour moi », répétait-il jusque dans les derniers temps. […] Pasquier mourut, je me considérai comme obligé par reconnaissance de payer un hommage à sa mémoire ; j’attendis quelque temps jusqu’à ce qu’une occasion favorable se présentât.

69. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Léon XIII et le Vatican »

Le caractère et l’unité dans la vie, c’est-à-dire, après tout, les qualités les plus mâles et les plus rares toujours, mais particulièrement dans ce temps d’inconséquence et d’amollissement universels ! […] Serait-il, dans un temps donné, dont, certes ! […] ni au temps des querelles et des déchirements du Sacerdoce et de l’Empire, ni quand Luther rompit avec Rome, ni, plus tard, quand la foi, ébranlée, ne pouvant pas tomber plus bas, chuta dans la philosophie. En ces temps néfastes, l’Église n’était que partiellement entamée dans son unité souveraine, mais sa mort n’était ni résolue ni voulue avec l’épouvantable unanimité des temps actuels. […] Humainement, historiquement, pour ceux-là qui regardent toutes choses à travers l’Histoire, l’Église peut être perdue dans le temps ; mais si elle l’est, elle est vengée !

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