Une preuve certaine que nous dégénérons en tout, c’est qu’on remarque, en lisant les Mémoires de cette Académie, que plus on s’éloigne des temps de sa fondation, plus les Dissertations deviennent foibles, maigres, stériles ; cependant, en matiere d’érudition, le progrès du temps doit augmenter les richesses : tout dépend de savoir les recueillir, les digérer, & les mettre en œuvre.
La nouvelle édition corrigée, que l’Auteur en donna quelque temps après, n’eut pas le pouvoir de le réhabiliter. […] Il se démit de son Evêché, afin d’avoir plus de temps à donner à l’étude, & se retira ensuite à la Maison Professe des Jésuites de Paris, où il passa les vingt dernieres années de sa vie.
MONTAGNE, [Michel de] né dans le Château de Montagne, près de Bordeaux, en 1533, mort en 1592 ; Auteur original, en vogue dès les premiers temps de notre Littérature, plus encore de nos jours, depuis que ses Essais sont devenus une Mine féconde, où nos Philosophes ne cessent de puiser. […] Un Esprit aisé, profond, indépendant ; une imagination féconde, forte, hardie, & presque toujours agréable ; un langage familier, naïf, quelquefois énergique ; une érudition vaste, choisie, & le talent assez rare de s’en parer à propos, auront toujours des charmes propres à établir la réputation d’un Auteur, & le pouvoir de soutenir son Ouvrage contre l’inconstance des temps, malgré les défauts multipliés qu’on y remarque.
Victor Giraud comme le seul critique de notre temps. […] Dans l’hypothèse du mythe platonicien une seule et même idée suffit pour toute la lignée des génies à travers l’espace et le temps. […] Pierre On ne peut passer tout son temps à s’instruire. […] Paul Oui, pendant quelque temps, mais cela finit presque toujours par se gâter. […] Il fut bien un temps où Brunetière et Faguet refusaient de le prendre au sérieux, et où M.
Quant aux mots essentiels, les « splendeurs de Walhall », ils s’en tirent comme ils peuvent, sous le temps faible de la phrase musicale. […] — Et pendant ce temps, il paraît à Paris des douzaines de livres sur Wagner : nulle part on ne trouve une semblable surexcitation, un tel besoin de communiquer au public ses idées et ses appréciations sur ce maître. […] La sonorité d’abord faible, augmente, et à la y mesure les syncopes disparaissent, le rythme se carre dans un forte qui se répartit en deux chefs : un sur le premier temps ; un sur le troisième, où il est appelé par la division inégale et attractive du second temps. Puis la force s’épuise beaucoup dans le quatrième temps et dans la première moitié du premier temps de la mesure suivante. […] Hoffart de Munich achève un buste colossal de Wagner en marbre de Carrare ; le buste sera placé dans une niche de la maison Heckel, à Maanüeitn, eu Wagner a reçu pendant quelque temps l’hospitalité de son ami Emil Heckel.
Je ne puis trouver son choix mauvais, moi qui dans Manette Salomon, ai chanté ces deux professions, comme fournissant les plus picturaux modèles de femmes de ce temps, pour un artiste moderne. […] * * * — Il est des maris de ce temps, qui traitent leurs femmes comme des filles. […] On a, tout le temps, trop chaud, trop froid, trop soif, trop faim, et tout le temps, on est trop mal couché, trop mal servi, trop mal nourri, pour beaucoup trop d’argent et de fatigue. […] * * * — En province, toute puissance de travail se perd, au bout de quelque temps, dans le farniente plantureux de la vie matérielle. […] De mon temps, il y en avait des baquets dans les hôpitaux… J’en ai eu besoin dernièrement, pour mon cours, je n’ai pu m’en procurer… Et sans un vieux médecin, vous savez Pasteur ?
Il répond d’un même geste aux enquêtes qu’il a manquées, aux manifestations qui ont scellé le groupe surréaliste, en un temps où il subissait d’autres attractions : Tzara à l’heure des soirées houleuses du Cœur à barbe, la revue Aventure, puis Dés, le Surréalisme d’Yvan Goll. […] De son temps, sans doute n’était-il pas encore de mode de parler d’acte gratuit, mais son exemple déjà nous vaut de savoir que, pour qui veut s’affirmer, rien ne saurait distraire sa pensée de la mort, des sentiments ou des gestes qui la donnent. […] Le pittoresque vague d’une telle formule d’ailleurs ne pouvait que lui assurer un succès et la quasi universelle vanité se réjouit de ces mots où sa prétention a trouvé de quoi être doucement flattée, de quoi prendre sa revanche des épreuves que nul n’ignore dans notre lopin de temps et d’espace. […] Le livre de ses songes, il le lit comme ces leçons de choses où son enfance essaya d’apprendre à connaître l’économie du monde, la marche du temps, les caprices des éléments et les mystères des trois règnes. […] Roman de Maurice Barrès daté de Charmes, juillet-octobre 1921, publié en 1922, qui se situe en Orient au temps des croisades.
Il avait joui en son temps et dans sa saison d‘une certaine célébrité poétique ; on le citait pour ses madrigaux, pour ses épigrammes ; il y eut un couplet de lui qui se chantait partout en 1663. […] Il est possible à tout le monde aujourd’hui de se bien représenter le genre d’existence et le caractère du bon Maucroix, qui est un des derniers types, et les plus polis, de la grâce et de la naïveté du vieux temps. […] Ces nuances ou plutôt ces distinctions très nettes et très intimes sont essentielles pour caractériser l’esprit des temps. […] Les lettres qu’il écrit durant le temps de ce séjour à Paris à son ami le chanoine Favart nous peignent à ravir et au naturel sa situation d’esprit : « Vous connaîtrez, si je ne me trompe, au style de cette lettre, dit-il dès les premiers jours, que je suis un peu sombre ; il est vrai que je le suis : que sert de dissimuler ? […] Je parlerai peu des traductions de Maucroix, bien qu’elles fussent très estimées dans le temps.
Il y a depuis quelque temps comme un concours ouvert sur d’Aubigné. […] Entré dans l’arène vers le temps où le vieux Montluc en sortait, et de cinquante ans plus jeune, il offre dans les rangs calvinistes, et aussi dans la série des écrivains militaires, une sorte de contrepartie de ce chef catholique vaillant et cruel. […] Au fond, d’Aubigné dans sa jeunesse avait été un académicien à la mode de son temps. […] D’Aubigné voyait dans ce dévouement et cette vaillance une preuve du bon droit : « Il arrive peu souvent, pensait-il, que l’injustice ait les meilleures épées de son côté, parce que c’est la conscience qui émeut la noblesse et la porte aux extraordinaires dépenses, labeurs et hasards. » D’Aubigné, si on l’avait pressé, eût peut-être été dans l’embarras de fixer ce beau temps où l’épée de la noblesse était toujours pour le parti le plus juste ; dans les souvenirs de la fin de sa vie, il confond involontairement ce temps idéal avec celui de sa jeunesse, le bel âge pour tous : quand il devint vieux, il ne fut pas des derniers à crier à la décadence. […] Il continuait sur ce ton élevé : Oui, il faut montrer notre humilité ; faisons donc que ce soit sans lâcheté ; demeurons capables de servir le roi à son besoin et de nous servir au nôtre, et puis ployer devant lui, quand il sera temps, nos genoux tout armés, lui prêter le serment en tirant la main du gantelet, porter à ses pieds nos victoires et non pas nos étonnements.
Dans son rapport sur l’Hôtel-Dieu et sur la réforme à opérer dans les hôpitaux, il servait avec un soin et dans un détail touchants un besoin philanthropique qui était celui du temps et le sien. […] C’était le langage du temps, et c’est parce qu’on croyait trop alors à ces anges répandus partout sur la terre qu’il y a eu tant de crimes possibles tout à côté. […] Comme il est écrit qu’avec Bailly on ne sortira des âges d’or qu’à la dernière extrémité, on rencontre ici le moins prévu assurément de tous ces âges fortunés en temps de révolution, celui dans lequel il se donne comme le plus heureux des présidents d’assemblée. […] » C’est par ces effronteries cent fois répétées, et mêlées aux calomnies sérieuses, qu’en temps de trouble et de passions politiques on achemine les esprits aux ignobles vengeances, et qu’on prépare au besoin les échafauds. […] Debure, qui avait fait les frais d’impression de cet opuscule, était le libraire de Bailly, dont il avait imprimé les grands ouvrages ; Mérard de Saint-Just, un des plus féconds amateurs de la poésie légère à la fin du xviiie siècle, avait droit de s’intituler l’ami intime de Bailly dans tous les temps.
Il ne fut d’ailleurs jamais prêtre ; son humeur naturellement impétueuse, son tempérament poétique et glorieux qui triompha toujours de ses projets de réforme, l’avertit à temps de son peu de vocation, et, en faisant de lui le plus étrange des religieux, l’arrêta du moins sur le seuil de l’autel. […] Cependant il se formait à cette époque, et surtout chez les jésuites, toute une génération polie, assez mondaine, qui avait un pied dans la littérature du temps et un autre dans la littérature scolaire, et qui sut faire de la poésie latine une branche de côté, une plate-bande étroite, mais encore admise dans le riche parterre du grand règne. […] Un homme d’esprit plus impartial que Despréaux, et qui y apportait moins de vivacité de goût, le docte Huet, a jugé Santeul avec beaucoup de vérité quand il a dit : Si l’on avait dressé à cette date (vers 1660) une pléiade des poètes, comme autrefois en Égypte du temps de Ptolémée Philadelphe, ou comme au siècle passé en France, on y aurait certainement donné place à Pierre Petit, médecin, à Charles du Périer et à Jean-Baptiste Santeul, de la congrégation de Saint-Victor à Paris. […] La Fontaine, une si parfaite et si naïve image du poète, a trop d’esprit, de finesse, de goûts différents et d’oubli pour exprimer ce qu’ici je veux dire, et ce que Santeul nous personnifie plus au naturel : car ce n’est pas seulement la verve et l’inspiration que j’entends, c’est l’amour-propre, la jactance, l’emportement, l’infatuation de soi-même et de ses vers, c’est l’animal-poète dans toute sa belle humeur et dans toute sa gloire : ne le demandez pas à un autre que Santeul ; les curieux de son temps le savaient bien, et il est encore à montrer comme tel à ceux du nôtre. […] J’ai déjà nommé du Périer, un des grands poètes latins de ce temps-là, et aujourd’hui tout à fait oublié ; il était neveu de cet autre du Périer, le seul connu, parce qu’une belle ode de notre Malherbe a couronné son nom : Ta douleur, du Périer, sera donc éternelle !
Les plus spiritualistes ont des faiblesses avec l’âge et se sentent vaincus du temps. […] Elle voudrait même, moyennant un certain raisonnement, faire de la vieillesse « le point du milieu. » — Mais voici qui est décidément trop fort : « Connaissant la valeur du temps (dans la vieillesse), on aspire à le sauver, à le mettre en œuvre ; par l’ardeur du désir qu’on a de l’exploiter, l’âme va plus vite que les organes ; on est comme cette Ariane de Dannecker (dans la galerie Bethmann, à Francfort), qui va évidemment plus vite que la panthère qui la porte. […] Et sans sortir de mon sujet, je me contenterai de dire avec Mme de Lambert : « Il vient un temps dans la vie qui est consacré à la vérité, qui est destiné à connaître les choses selon leur juste valeur. » Or, ce n’est pas apprécier les choses à leur juste valeur que de se grossir démesurément le soleil couchant. […] Mais on assiste au travail et au conflit ; il fut long et pénible ; il lui fallut du temps avant d’apaiser et d’éteindre en Dieu ce qu’elle appelait son ardeur de personnalité. […] Seulement si ses amis sont sages, ils la loueront avec un peu plus de sobriété qu’ils ne font depuis quelque temps ; ils exigeront pour elle un peu moins qu’ils ne sont en train de réclamer ; car le public français qu’on mène si loin et qui, par moments, se laisse faire le plus docilement du monde, a ses brusques impatiences et ses retours.
Les érudits en ces matières l’avaient signalé depuis quelques années comme particulier et peut-être unique en son genre : il offre, en effet, le premier exemple d’un genre de drame historique national, trop peu cultivé de tout temps, quoique si indiqué, dont les rares productions se comptent, et qui n’a eu son retour tardif qu’au xviiie siècle dans le Siège de Calais de du Belloy, et dans les Templiers de Raynouard, sous le premier Empire. […] Ce n’est pas un reproche qu’on fait à Boileau, lequel n’était pas obligé de savoir l’histoire littéraire mieux qu’on ne la connaissait de son temps : Chez nos dévots aïeux le théâtre abhorré Fut longtemps dans la France un plaisir ignoré. […] On revit là ce qui s’était déjà produit dans l’Antiquité aux origines de la tragédie : on le sait, la tragédie antique ne fut dans les premiers temps qu’une ode sacrée, toute simple, puis chantée par un double chœur qui tournait et retournait autour de l’autel ; le dialogue s’y introduisit subsidiairement et n’y fut d’abord que secondaire. […] L’Église, en autorisant ces variantes et ce luxe de la liturgie, recommençait, ai-je dit, le théâtre : il est donc tout naturel que de savants religieux de notre temps, tels que le Père Cahour et aussi l’un des Bénédictins de Solesmes, Dom Piolin, se soient occupés presque en critiques littéraires, et avec prédilection, de cette branche dramatique sacrée : quand tout se passe et se joue devant l’autel et que rien ne dépasse le jubé, les La Harpe, les Duviquet peuvent être très convenablement des clercs et des religieux ayant stalle au chœur. — Un autre écrivain très-versé en ces matières du moyen âge, et qui a même porté dans ses travaux sur les chants d’Église une sagacité originale et une investigation de première main, M. […] Moland, c’est cette même arrière-pensée de miséricorde, terminant la sentence divine qui-a-inspiré plus tard à Milton de faire descendre, pour juger l’homme déchu, non le Père, mais le Fils, le futur Rédempteur en personne, le « doux juge et intercesseur à la fois », venant porter la sentence avec une colère tranquille « plus fraîche que la brise du soir » ; et même temps qu’il condamnait les coupables en vertu de la loi de justice, les revêtant incontinent, corps et âme, dans leur nudité, les aidant en ami, et faisant auprès d’eux, par avance, l’office du bon serviteur, de celui qui lavera un jour les pieds de ses disciples : admirable et bien aimable anticipation du rachat évangélique et des promesses du salut !
On n’est pas impunément poète en ce temps-ci : à peine a-t-on prouvé qu’on l’était bien et dûment, avec éclat ou distinction, que chacun à Fenvi vous sollicite de cesser de l’être. […] Je n’en sais, parmi les poètes de ce temps-ci, qu’un seul, Brizeux, qui fasse exception et qui ait tenu bon jusqu’au bout pour la vertu poétique immaculée. Je me rappelle qu’en 1831, vers le temps où parut sa gracieuse idylle de Marie, comme je le visitais en compagnie d’un ami, directeur d’un journal, nous le trouvâmes au lit, dans une assez pauvre chambre d’hôtel où il logeait, et assez mécontent du sort ; nous l’engageâmes à travailler et à se joindre à nous pour quelques articles littéraires : à quoi il nous répondit d’un ton sec : « Non, je veux que ma carte de visite reste pure. » Ce qui, je dois le dire, nous parut légèrement impertinent, à nous qui alors étions jusqu’au cou dans la prose. […] Le roman de Fortunio, où la fantaisie de l’auteur s’est déployée en toute franchise et où il a glorifié tous ses goûts, se rapporte à ce temps de collaboration. […] Je le vois encore tel qu’il était à cette date et à cette époque fortunée, dans toute la force et la superbe de la seconde jeunesse, dans toute l’ampleur et l’opulence de la virilité ; aspirant la vie à pleins poumons, à pleine poitrine ; ayant sa mise à lui, et, sur cette large poitrine dilatée, étalant pour gilet je ne sais quelle étoffe couleur de pourpre, une cuirasse pittoresque, de même que Balzac avait eu dans un temps sa canne à la pomme merveilleuse.
La Paix de Nimègue, qui aurait pour longtemps rempli les vœux d’un souverain modéré, n’était qu’un temps d’arrêt, une trêve pour Louis XIV, et il comptait bien ne pas s’y tenir. […] On n’entendait pas déclarer et fulminer en un rien de temps une réunion sommaire et en bloc à la Couronne, ce qui eût fait crier en Europe ; on devait y aller plus doucement et pas à pas : « Je vous prie, lui disait Louvois, de vous bien mettre dans l’esprit qu’il n’est point question d’avoir réuni en un ou deux mois à la Couronne les lieux que l’on croit être en état de prouver qui en dépendent, mais bien de le faire de manière que toute l’Europe connaisse que Sa Majesté n’agit point avec violence, ne se prévaut point de l’état de supériorité où sa vertu l’a mise sur tous les princes de l’Europe pour usurper des États, mais seulement qu’elle rend justice à des Églises dont les biens ont été usurpés, desquelles Églises Sa Majesté est demeurée protecteur et souverain, eu même temps que, par le Traité de Munster, l’Empire a renoncé, en sa faveur, à tous les droits qu’il pouvait y avoir… « Il faut donc se contenter de faire assigner à la requête des évêques, abbés, etc., les maires et échevins des lieux qu’ils prétendent leur avoir été usurpés par les ducs de Lorraine ou avoir été engagés par leurs prédécesseurs. De cette manière, le roi paraîtra faire justice et la fera en effet, et la Chambre, en adjugeant à l’évêque ce qui lui appartient, réunira à la couronne de Sa Majesté la souveraineté des lieux que les évêques auront fait assigner… Afin de ne point faire trop de bruit, il ne faut comprendre dans une même requête que cinq ou six villages, et, de huitaine en huitaine, en faire présenter sous le nom de chacun desdits évêques, moyennant quoi, en peu de temps, l’on aura fait assigner tous les lieux qu’on peut prétendre avoir été autrefois desdits évêchés. » La tactique est assez nettement indiquée ; on voit la marche de cette politique rongeante qui bientôt ne se contenta point d’absorber les petits feudataires enclavés, mais qui s’essayait parfois à sortir du cercle et à pousser jusqu’en pays allemand, à la grande clameur des seigneurs, princes ou même rois qui se sentaient atteints. […] Casai au contraire, en Italie, à l’extrémité du Piémont, Casai, que les troupes françaises eurent ordre d’occuper dans le même temps, est la pointe la plus avancée, la plus aventurée, une des grosses erreurs ambitieuses de ce ministre insatiable, et qui ne croyait jamais que les raisins fussent trop verts.
De l’Allemagne, nous avons connu surtout, de première ou de seconde main, le matérialisme scientifique de Büchner923, l’évolutionnisme systématique de Hæckel ; le pessimisme de Schopenhauer nous a conquis ; et M. de Hartmann a mis pour un temps l’inconscient à la mode. […] Il y a un point où l’histoire se réduit à l’archéologie, qui se confond à son tour dans l’anthropologie ; et la curiosité historique, qui est un des caractères de ce temps, a valu des lecteurs inattendus à des travaux tout à fait techniques926 . […] C’est ainsi que récemment le Suisse Amiel nous a été découvert après sa mort : type remarquable d’impuissance pratique et d’activité interne, esprit tout occupé à l’analyse de soi, perdant à s’étudier le temps et la faculté d’agir, subtil, pénétrant, triste de clairvoyance aiguë, et, il faut bien le dire, quelquefois insupportable par sa manie de tout compliquer pour décomposer tout933. […] Quelques personnages considérables de notre temps, toutefois, ont déjà fait parvenir au public leurs souvenirs, presque toujours leurs apologies : ainsi Chateaubriand, Guizot et Tocqueville. […] Trois de ces Mémoires me paraissent se distinguer dans la foule : ceux de Mme de Rémusat943, qui a pour ainsi dire donné le branle, une femme intelligente, curieuse, un peu commère ; ceux de Marbot944, un soldat, très brave et pas du tout paladin, qui nous donne la note très juste et très réelle de l’héroïsme militaire du temps, mélange curieux de naturelle énergie, d’amour-propre excité et d’ambition d’avancer ; ceux enfin de Pasquier945, un honnête homme sans raideur, excellent serviteur de tous les régimes pour des motifs légitimes, fidèle à ses maîtres sans servilité, à sa fortune sans cynisme, et très clairvoyant spectateur de toute l’intrigue politique ou policière qui se machinait derrière le majestueux tapage des batailles946.
La coutume barbare de l’internat est une vieille institution, mais s’il y a là des épreuves communes à la jeunesse de tous les temps, il faut reconnaître qu’à aucune époque, l’enfance n’avait eu l’âme si impressionnable et ne s’en était montrée si douloureusement affectée. […] Cette discipline fastidieuse du temps de paix, ces corvées de quartier, cette vie mécanique de garnison n’étaient pas faites pour eux. […] À peine a-t-on le temps d’effleurer des yeux, comme ces visiteurs pressés qui se bousculent, à l’heure de visite des musées et auxquels le guide, d’une voix blanche, récite sa leçon. […] Elle est douée de facultés lui permettant d’agir en dehors de la sphère sensuelle, se communiquer à distance, dans les phénomènes télépathiques, de voir à travers les corps opaques de traverser l’espace et le temps, de lire le livre du Passé, comme le livre non écrit de l’Avenir. » À ceux qui s’étonneraient de la hardiesse de cette affirmation, M. […] La jeunesse n’était pas instruite de ces choses, mais elle les respirait dans l’air du temps et en recevait, à son insu, une fièvre de spiritualité et tous se sentaient aussi aspirés par un besoin effréné d’affranchissement qui leur vient d’une autre source, du fond des doctrines libertaires.
Elle est l’éternelle affirmation du génie toujours mobile de l’homme, de ses recherches d’un idéal que modifient les temps et les lieux, mais qui, sous ses formes changeantes, demeure cependant l’idéal. […] Chaque époque — la nôtre comme les autres — produit, à côté d’une foule d’œuvres qui dépendent de la mode du moment et disparaissent avec elle, quelques œuvres d’une portée plus, sérieuse, destinées à survivre un temps plus ou moins long, dignes en tout cas d’être examinées et reconnues : les écrivains sont trop disposés à consacrer par des admirations exagérées les productions éphémères dont ils subissent l’attrait ; l’Université englobe trop souvent dans le même mépris les écrits insignifiants et les œuvres durables. […] Avec plus d’étude, les écrivains apprendraient, par la connaissance du passé et par la comparaison, à mieux juger leur propre temps ; ils seraient moins hardis dans leurs tentatives, et, partant, dépenseraient moins de forces en pure perte ; ils développeraient leur sens critique d’autant plus utilement, que l’époque est passée où les grandes œuvres se produisaient inconsciemment, comme par l’effet de quelque mystérieux travail de la nature, et que la critique est devenue la meilleure source d’inspiration. […] Elle ne songe point à les proscrire, elle est autre chose qu’eux, voilà tout ; et plus tard, quand le siècle sera passé, quand il faudra qu’elle compulse et analyse l’énorme production littéraire de notre temps, elle les acceptera pour la guider dans ses triages, et quelquefois comme des documents aussi significatifs que tel roman, tel poème ou telle comédie. […] Posnett part de cette observation de Karl Otfried Müller, que les trois degrés du développement politique des Grecs se trouvent en quelque sorte reflétés dans leur littérature : la période épique correspondant à la période monarchique, la poésie lyrique aux temps les plus agités et au progrès du gouvernement républicain, le drame à l’hégémonie d’Athènes et à la période de liberté.