/ 1956
304. (1889) Ægri somnia : pensées et caractères

Cette joie du savant, tout intérieure, sans éclat et sans paroles, me faisait faire des comparaisons entre la condition des savants et celle des lettrés. Tandis que la joie du lettré est mêlée d’inquiétude, celle du savant est parfaite. […] Le mal avait à peine pâli ce beau visage où se révélaient à la fois le génie du savant et l’élévation morale de l’homme. […] Dans toutes les voies de l’esprit, ces savants illustres ont fait monter le niveau du travail. […] Le savant Renouard en a donné une version.

305. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

Le même savant prélat tint compte aussi pour son Denys d’Halicarnasse d’une lettre critique à ce sujet, que Leopardi adressa en 1817 à son ami Giordani. […] Ce savant et actif investigateur venait de retrouver la République de Cicéron après les Lettres de Fronton : on se demandait où s’arrêteraient de telles découvertes. […] Leopardi inséra dans les Effemeridi letterarie Romane de savants articles sur le Philon arménien d’Aucher, sur la République de Cicéron publiée par Mai ; il donna une grande dissertation critique sur la Chronique d’Eusèbe publiée par le même infatigable Mai conjointement avec Zohrab. […] Comment celle-ci peutelle se cultiver avec succès sans une profonde connaissance des langues savantes ? […] Bothe (le savant éditeur d’Homère) en a traduit quelques morceaux, et M.

306. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

Ecrire avec des termes généraux et des périphrases, c’est donner la définition de la chose au lieu de la montrer, et l’exprimer en savant ou en faiseur d’énigmes, non en poëte. […] La nature a des formes moins rigoureusement savantes, moins uniformément calculées. […] Son chant soutenu rassemble les impressions que ses accents imitatifs ont produites, et de toutes les sensations notées une à une elle compose un air. — Les gens d’esprit et savants s’y sont trompés. […] « Il dit qu’il portait pour nous seuls les fruits les plus pesants du labeur des années ; parcourant sans s’arrêter de long cercle de peines qui ramène dans nos champs, en revenant sur soi, ce que Cérès nous donne et ce qu’elle vend aux animaux ; que cette suite de fatigues avait, de tous tant que nous sommes, pour récompense force coups, peu de gré ; puis que, quand il était vieux, on croyait l’honorer toutes les fois que les hommes achetaient l’indulgence des cieux au prix de son sang. » Il fallait faire ainsi « le peseur de syllabes et le regratteur » de consonnes, et se hasarder jusqu’à la critique de Batteux et de Denys d’Halicarnasse, pour montrer que l’instinct d’un poète, même bonhomme, est aussi savant que la réflexion d’un philosophe.

307. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — II. (Suite et fin.) » pp. 341-361

Car de ce qu’un homme de mérite se présente aux suffrages d’une compagnie savante et n’est point reçu une première fois, est-ce une raison à lui de saisir aussitôt la plume, d’écrire contre cette académie, contre les membres qui en font partie et dont quelques-uns, comme les Silvestre de Sacy et les Quatremère de Quincy, sont illustres ? […] Est-ce d’une galante manière de venir les appeler tout uniment des ânes et de s’écrier : « Ce qui me fâche le plus, c’est que je vois s’accomplir cette prédiction que me fit autrefois mon père : “Tu ne seras jamais rien”… Tu ne seras jamais rien, c’est-à-dire tu ne seras ni gendarme, ni rat de cave, ni espion, ni duc, ni laquais, ni académicien. » Deux ou trois savants hasardés sont restés marqués au front de ces flétrissures brûlantes de Courier, mais lui-même s’est trouvé marqué aussi et atteint pour avoir cédé si complaisamment à sa colère. […] En lisant cette prose de Courier si méditée et si savante, on est tenté d’en étudier le secret. […] J’ai imaginé aussi (car c’est mon plaisir d’opposer ces noms à la fois voisins et contraires), j’ai plus d’une fois, dans le courant de ce travail, imaginé à Paul-Louis Courier un interlocuteur et un contradicteur plus savant et non moins fait pour lui tenir tête, dans la personne de l’illustre et respectable Quatremère de Quincy, cette haute intelligence qui possédait si bien le génie de l’Antiquité, mais qui résistait absolument aux révolutions modernes.

308. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XX. Le Dante, poëte lyrique. »

Un seigneur guerrier, Guillaume, comte de Poitiers, commençait dans sa cour féodale ces chansons d’amour qu’un autre châtelain, plus belliqueux encore, Bertrand de Born, devait renouveler avec tant d’éclat et assortir aux tons variés d’une lyre pins savante. […] Maître à la fois de l’Allemagne, du royaume de Naples et de la Sicile, savant lui-même dans les langues anciennes et dans l’arabe, curieux d’Aristote comme d’Averroès, il fondait à Palerme une académie pour la langue vulgaire ; il y inscrivait et lui-même et ses deux fils, Enze et Mainfroy, tous deux faisant des vers, sans que le génie politique du dernier fût moins perfide et moins cruel. […] Tous deux étaient savants ; et Pierre Desvignes, sacrifié, après une longue faveur, aux impitoyables soupçons de Frédéric, semble avoir renouvelé le tragique souvenir de Boèce et de Théodoric. […] L’art savant et passionné de Virgile répandu sans effort dans le langage royal et populaire que le nouveau poëte recueille de tous les coins de l’Italie, voilà l’inimitable beauté de la diction du Dante !

309. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Wallon »

Le savant en lui n’a pas tremblé devant les fausses sciences de son époque, et c’est comme savant, c’est comme historien qui y a regardé avec l’oeil impartial et scrutateur de l’historien, qu’il a maintenu la donnée divine de l’inspiration surnaturelle de Jeanne d’Arc.

310. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Bernardin de Saint-Pierre »

Mais les idées de goût qu’on se formait alors allaient à faire envisager comme sauvage et barbare tout ce qui, en pittoresque, était l’opposé de la culture savante et régulière de Versailles. […] Avait-il conçu dans ses querelles avec les savants, et sous prétexte de défendre Dieu contre les athées, des haines violentes qui s’exhalaient en toute circonstance55 ? […] Le point de vue des causes finales n’est jamais fécond pour la science, et rentre tout entier dans la poésie, dans la morale, dans la religion ; ce ne peut être au plus que le moment de prière du savant, après quoi il faut qu’il se remette à l’examen, à l’analyse. […] Mais cette union, chez Bernardin, du demi-savant, du poëte et du peintre, cette combinaison mixte qui ne pouvait se transmettre ni faire école utilement, soit pour les savants, soit pour les poëtes, fut du moins belle et séduisante en lui. […] Mais le 10 août renversait d’un coup l’édifice illusoire, et, même avant la Terreur, l’intendance du Jardin-des-Plantes devenait peu tenable, les savants n’ayant pas accueilli le grand écrivain comme aussi compétent qu’il aurait voulu64.

311. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la liberté de l’enseignement »

Saint Louis était un saint et bon roi : or on sait par Joinville l’histoire du savant juif, du rabbin, auquel eut affaire un vieux et féal chevalier dans un colloque qui allait se tenir entre clercs et juifs au monastère de Cluny ; aux premières questions du chevalier qui demanda dès le début à intervenir et qui, entrant en lice, le somma d’emblée de dire s’il croyait en la Vierge mère du Sauveur, le juif ayant répondu non, le chevalier s’emporta, le frappa à la tempe de sa canne ou de sa béquille, et le renversa roide étendu par terre, ce qui mit fin naturellement à la conférence. […] Vous ne sauriez vous figurer, messieurs, l’inexprimable attente et la faveur équitable que ce réveil et ces symptômes d’intolérance qui éclatent de toutes parts ont values dans l’école à ces mêmes savants professeurs mis en cause devant vous. […] De savants hommes toutefois, et qui ne font pas si bon marché de la métaphysique64, soutiennent que là même le jeune auteur, à la suite de ses maîtres, abuse dans les conséquences qu’il prétend tirer. […] Tantôt, au sein de l’institut, au seuil de l’Académie française, si un savant modeste, profond, exercé, un honnête homme modèle, déjà membre d’une autre classe de l’Institut, se présente, c’est un pétulant adversaire, un prélat zélé et plus que zélé (je voudrais rendre ma pensée en évitant toute qualification blessante), qui le dénonce aux pères de famille, qui le dénonce aux confrères eux-mêmes déjà prêts à l’élire, et par des considérations tout à fait extra-académiques qui ne laissent pas d’avoir action sur les timides et tes tièdes, l’écarte, l’exclut et l’empêche d’arriver. Tantôt ce sont des dénonciations et des émotions d’un autre genre qui ont pour résultat d’éliminer et de bannir de la chaire d’une de nos grandes Écoles (du Collège de France) un savant éloquent qui y avait été régulièrement porté et nommé.

312. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre III. Pascal »

En 1631, son père s’établit à Paris ; il s’occupe de sciences physiques et mathématiques ; et des savants, le Père Mersenne, Roberval, fréquentent sa maison. […] La logique de la doctrine séduisit l’esprit du savant : il se jeta dans le jansénisme avec tout l’emportement de sa fougueuse nature ; et pour première marque de son application à la théologie, il dénonça à l’archevêque de Rouen un certain frère Saint-Ange, dont la philosophie ne lui semblait pas orthodoxe. […] Et de là même sa puissance sur le monde laïque : idées, méthode, style, tout en lui est du savant et de l’honnête homme, rien du théologien. […] Pascal ne serait pas Pascal, si sa foi n’avait satisfait sa raison, et le dévot en lui n’a pas détruit, il a contenté le savant. […] Ce style de savant est un style de poète.

313. (1856) La critique et les critiques en France au XIXe siècle pp. 1-54

Sans parler du monument national des bénédictins, ouvrage savant, mais un peu ennuyeux, qui a trouvé de nos jours de dignes continuateurs8, La Harpec, dans son Lycée, entreprit de dévoiler l’imposant ensemble de toute la littérature classique. […] Elle me fait ancien par la pensée, pour que je goûte une œuvre antique, je ne serai plus choqué de la rudesse héroïque de l’Iliade : me voici par votre exposition savante, contemporain des fiers combattants d’Homère. […] Il ne permet pas qu’on l’oublie, cet illustre maître de l’histoire littéraire, cet écrivain si spirituel qu’il pourrait se passer d’être savant, si érudit que son esprit charmant semble chez lui presque un luxe inutile. […] Ses plus grands philosophes ne dédaignèrent pas de se livrer sur ce sujet à de longues et savantes recherches. […] Le Journal des Savants commença à paraître en 1665 ; le Mercure en 1672.

314. (1890) Nouvelles questions de critique

Car, il est bien certain qu’en matière de science proprement dite, l’exaltation ou le dénigrement ne peuvent qu’exciter la surprise et même l’indignation du savant. […] Hommes politiques ou avocats, savants, ou historiens de la littérature, que peut-on exiger qu’ils sachent de la grammaire de la langue d’oil ? […] De telle sorte que ni les savants, qui lui trouvent trop de « littérature » et « d’imagination » pour eux, ne l’acceptant comme l’un d’eux, ni les littérateurs, qui le trouvent trop savant et surtout trop spécial, ne le reconnaissant non plus pour un des leurs, il flotte, avec sa renommée, des savants aux littérateurs ; chacun d’eux se récuse quand il s’agit d’en porter un jugement complet ; et sa gloire ne souffre de rien tant que de ce qu’il avait cru qui l’éterniserait. […] Ce sont des savants qui écrivent ; Buffon est un écrivain qui s’empare de la science pour lui communiquer ce caractère d’universalité et de popularité que les savants ne lui donneront jamais. […] Mais, si nous hésitons à nous prononcer sur la valeur du savant, nous pouvons louer en toute assurance l’écrivain et le philosophe.

315. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome II

La parole sinistre, dite jadis à Lavoisier : « La République n’a pas besoin de savants », n’est plus prononcée. […] Ces formules outrancières révèlent un goût puéril d’étonner qui ne convient guère à un savant. […] Des littérateurs et des savants. Or, pour les savants, il existe déjà sous une autre forme, ce « crédit intellectuel ». […] Ce savant déraisonnable confond la civilisation et la culture.

316. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens, par M. Le Play, Conseiller d’État. »

Entré le second, sorti le second, — le premier dans les mines, il fut bientôt ingénieur en chef dans ce corps savant et professeur de métallurgie à l’École même des mines. […] À l’instant il prit la parole et fit dire par son truchement à la dame en colère qu’il était un savant venu de fort loin pour observer les mœurs, les coutumes des Bachkirs, et voir ce qu’il pourrait en rapporter d’utile pour son pays ; mais qu’il n’était nullement dans son intention de jeter le moindre trouble dans la famille et que, s’il était la cause involontaire de quelque dommage pour ses hôtes, il prétendait les en indemniser et au-delà. […] Le Play le problème pour une des futures livraisons des Ouvriers des Deux Mondes , et je continuerai d’examiner les savants et méritoires écrits qu’on lui doit.

317. (1875) Premiers lundis. Tome III « Sur le sénatus-consulte »

des savants, des théoriciens, répondait-on ; qu’est-ce que cela quand nous avons nos 8 millions de suffrage universel ; quelques discours, quelques écrits de plus ou de moins, qu’est-ce que cela nous fait ?   […] Ce que je dis là est si peu une fiction qu’un de mes amis, homme politique et savant, avec qui je cause de la situation sans lui faire part d’ailleurs de ce que je viens d’écrire, me dit tout naturellement (et cet ami n’est pas un littérateur proprement dit, c’est un savant dans l’ordre du droit et plutôt occupé des sciences morales et politiques, M. 

318. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre I. Les théories de la Pléiade »

Deux noms résument les tendances du groupe : Maurice Scève, compliqué, savant, singulier, obscur, avec une sorte d’ardeur intime qui soulève parfois le lourd appareil des allusions érudites et de la forme laborieuse ; Louise Labé, la fameuse cordière, qui fit le sonnet mignard aussi brûlant qu’une ode de Sapho191. […] Elle apporte, elle, un art savant, une exquise doctrine : l’art et la doctrine des Grecs et des Romains, des Italiens aussi, qui sont à l’égard de nos Français, comme on l’a déjà vu, la troisième littérature classique. […] Nous avons affaire à des hommes qui de parti pris ne veulent pas faire comme Marot et Saint-Gelais, de parti pris veulent faire comme Pindare, Horace ou Sannazar : hommes à principes, qui vont s’appliquer à n’être point vulgaires, à être bien savants.

319. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre II. Diderot »

Aussi ne peut-on parler ici de labeur artistique, de lente élaboration, de composition savante et réfléchie : toutes ces simagrées ne sont pas sa manière. […] Cela l’oblige d’être un savant et un curieux. […] Physiologie, physique, c’est de ce côté-là qu’il appelle les jeunes gens, non sans emphase ; mais son geste de charlatan souligne des idées de savant.

320. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre I. L’intuition et la logique en Mathématiques. »

Parmi les géomètres allemands de ce siècle, deux noms surtout sont illustres ; ce sont ceux des deux savants qui ont fondé la théorie générale des fonctions, Weierstrass et Riemann. […] Euclide, par exemple, a élevé un échafaudage savant où ses contemporains ne pouvaient trouver de défaut. […] Si elle est utile à l’étudiant, elle l’est plus encore au savant créateur.

321. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre VI : Règles relatives à l’administration de la preuve »

Pour le savant, elle ne fait pas question ; elle est supposée par la méthode de la science. […] Inversement, quand il s’agit de l’effet, le savant distingue souvent ce que le vulgaire confond. […] Sans doute, il ne dédaignera pas les renseignements de l’ethnographie (il n’est pas de faits qui puissent être dédaignés par le savant), mais il les mettra à leur vraie place.

/ 1956