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579. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bergerat, Émile (1845-1923) »

Ça vous connaît, rien que parce que votre berceau a posé sur cette terre qui a avalé depuis cent ans de la mitraille au quintal et bu du sang à la barrique. » C’est Jules Vallès, le grand écrivain croquemitaine, qui saluait ainsi, dans une retentissante préface, l’élégant Homme masqué du Voltaire.

580. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XII. Mort d’Edmond de Goncourt » pp. 157-163

Ce n’est pas autrement que Manet, dont certes le génie n’admettait nulle complaisance, nulle flagornerie pour la foule, allait chaque jour au Salon se faire une pinte de mauvais sang à écouter les drôleries débitées devant ses cadres.

581. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Méry »

Cet ouvrage en est un : il est intéressant, passionné, palpitant, comme la question qui nous prend tous, en ce moment, par le cœur ou par la pensée, par le sang ou par la fierté.

582. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIe entretien. Poésie lyrique » pp. 161-223

C’est le bruissement de la vie animale ou végétale, vie qui coule, qui écume, qui palpite et qui murmure en coulant avec la sève, avec le sang, avec la sensation, avec la pensée, dans ces torrents animés de la création. […] Il marchait d’un pas tantôt lent, tantôt précipité, comme si ses pas avaient involontairement suivi les rythmes tantôt suspendus, tantôt accélérés des mouvements du sang dans son cœur. […] Les notes de cet air ruisselaient comme un drapeau trempé de sang encore chaud sur un champ de bataille.

583. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIe entretien. La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. Phidias, par Louis de Ronchaud (1re partie) » pp. 177-240

XIII Hugo, qu’il faut toujours nommer le premier dans ces nomenclatures des belles imaginations, nous dit qu’il est par la moitié de son sang Franc-Comtois ; Rouget de Lisle, qui eut le rare bonheur d’être un jour le chant héroïque de la patrie menacée, le tocsin des cœurs, le sursum corda des baïonnettes, était Franc-Comtois ; Charles Nodier, le plus aimable des hommes, le plus fantaisiste des poètes, le plus Romain et le plus Français à la fois des ennemis de la terreur démagogique et de la tyrannie soldatesque, était Franc-Comtois ; Fourier, Considérant, Proudhon, tous ces esprits spéculatifs qui écrivent leur poésie en chiffres et qui jettent leur imagination par-dessus l’ordre social, aimant mieux inventer l’impossible que de ne rien inventer du tout, sont Francs-Comtois. XIV Et moi aussi j’ai puisé la moitié de mon sang à cette source des montagnes, j’ai la moitié de mes aïeux dans ces forêts, dans ces torrents, dans ces donjons de la vallée de Saint-Claude, et jusque dans cette ville aujourd’hui si riche, si industrielle et si pastorale de Morez. […] On murmure à voix basse que la beauté, le talent, la célébrité d’une femme d’exception, qui cache son nom comme il convient aux femmes de porter un voile dans la foule, ou aux Clorindes de revêtir une armure d’homme en combattant ; on murmure, disons-nous, que l’attrait d’esprit, le nom voilé, les éclats de célébrité de cette personne, ont fasciné d’un éblouissement désintéressé les yeux et l’âme de ce Platon de la solitude ; que, semblable à ces chevaliers dont la race et le sang coulent dans ses veines, il a senti le besoin de porter dans le cloître ou dans les combats une dame de ses pensées, et qu’il lui a voué ce qu’on appelle un culte, un servage, une foi chevaleresque, épurée de tout, hors de la joie de se dévouer !

584. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Decazes et un assassin : « Le pied lui a glissé dans le sang. » Ces mots cruels déshonorent même le pamphlet. […] C’est là la question : la première semaine après sa défaite, la presse se tait ; la seconde, elle rallie par le droit de réunion ses forces disséminées ; la troisième, elle fermente et se révèle en symptômes menaçants par des mots d’ordre et par des rassemblements sur les boulevards, au sortir des clubs ; la quatrième, elle éclate et le sang coule. […] Le premier prince du sang, tuteur naturel de son neveu, au lieu de se jeter entre le roi et le peuple, et de prendre la lieutenance générale du royaume, se cacha, se déclara chef des rebelles, puis roi des Français.

585. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série «  M. Taine.  »

Il descend des grands Italiens, hommes d’action de l’an 1400, aventuriers militaires, usurpateurs et fondateurs d’Etats viagers ; il a hérité, par filiation directe, de leur sang et de leur structure innée, intellectuelle et morale. […] Déjà le sang versé par la Révolution l’avait empli d’horreur, jusqu’à troubler, peu s’en faut, sa clairvoyance. […] Le jeu changeant des mêmes causes Emeut les sens différemment Le pinceau des lis et des roses N’est formé que de mouvement ; Un frisson venu de l’abîme, Ardent et splendide à la fois, Avant d’y retourner anime Les blés, le sang, les fleurs, les bois.

586. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

On croyait que, comme chef, il était dépositaire de la force de son sang, qu’il possédait éminemment les dons de sa race, et qu’il pouvait, avec sa salive et ses attouchements, la relever quand elle était affaiblie. […] C’était une belle et grande fille (tu ne l’as vue que fanée) ; elle avait de la sève de nature, un teint splendide, un sang pur et fort. […]  » Elle était née droite et bonne, n’eut jamais de doute sur ses devoirs ; elle n’eut d’autre tort que d’avoir des veines et du sang.

587. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre X »

La scène est cruelle, mais d’un brio diabolique ; les traits percent, les épigrammes font trou, les personnalités écorchent jusqu’au sang ; c’est un rude railleur que cet Olivier ; il tire les colombes de Vénus avec des balles de gros calibre. […] Il y a des larmes dans l’argent et de la sueur et du sang : il ne s’agit que de les extraire. […] En vérité, ce sont là des vertus bien lymphatiques pour un homme de trente ans qui doit avoir du sang dans les veines.

588. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

A la longue, je sens un afflux plus grand du sang dans la gencive, et même des battements. […] J’ai senti la chaleur, le battement du sang, le mouvement qui traverse de part en part comme un trait, enfin un léger élancement douloureux, à tel point que je me suis demandé si j’avais découvert un mal de dents sourd qui préexistait ou si j’avais moi-même réveillé la douleur endormie. […] Ces hypermnésies sont causées tantôt par une circulation fébrile du sang, qui donne une activité anormale à certaines portions du cerveau ou à certains systèmes de réflexes, tantôt par une régression qui, ayant détruit les souvenirs plus récents, ramène à la lumière des couches profondes et oubliées : par exemple des impressions et passions de la jeunesse, des croyances anciennes auxquelles il semble qu’on revient par une sorte de conversion.

589. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Division dramatique. » pp. 64-109

Voyez la belle scène du Cid, où Rodrigue vient demander la mort à son amante : N’épargnez point mon sang ; goûtez sans résistance La douceur de ma perte et de votre vengeance. […] du sang de mon père, encor toute trempée ! […] Il est teint de mon sang !

590. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1870 » pp. 3-176

Partout sont appliquées aux murs de grandes bandes de toile blanche, aux croix rouges des ambulances, que quelquefois surmonte à une fenêtre une tête de militaire, enveloppée d’un linge taché de sang. […] Et toutes sortes de voitures font défiler devant vos yeux de pâles figures, ou laissent entrevoir des pantalons rouges, où le sang fait de grandes taches noires. […] Un rassemblement d’affamés devant… C’est une fruitière dont l’étal, à moitié répandu sur le trottoir, montre, dans une mare de sang, deux grands cerfs, le cou entaillé, et les entrailles jetées dehors, comme pour une curée. […] À tout coin de rue, d’affreux tableaux : des voitures d’où l’on tire des hommes, la tête voilée d’une serviette, tachée de sang. […] permettez-moi de vous recommander le boudin ; le sang de l’éléphant, vous ne l’ignorez pas, c’est le sang le plus généreux… son cœur, savez-vous, pesait vingt-cinq livres… et il y a de l’oignon, mesdames, dans mon boudin… » Je me rabats sur deux alouettes que j’emporte pour mon déjeuner de demain.

591. (1864) Le roman contemporain

Enfin la victoire demeura aux défenseurs de la société, douloureuse victoire remportée dans une guerre où, des deux côtés, le sang français coulait ; victoire qui coûta cher aux vainqueurs comme aux vaincus, et qui fut trempée de larmes et de sang ! […] Le vent qui soufflait de Vienne et de Berlin, comme celui qui soufflait de Rome, de Venise et de Milan, apportaient une odeur de poudre et de sang. […] Le pape est rentré à Rome, dont une armée française, conduite par le duc de Reggio, lui a rouvert les portes au prix de son sang. […] Sainte-Beuve, éprouvent le besoin « de se distribuer au public dans leur chair et dans leur sang ». […] Ainsi la Convention commit des crimes effroyables, elle versa des torrents de sang, et le tout en pure perte.

592. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLe entretien. Littérature villageoise. Apparition d’un poème épique en Provence » pp. 233-312

La chanson est un véritable poème héroïque, écrit avec la poudre et le sang sur le pont d’un vaisseau démâté par le canon. […] Mais, telle qu’un enfant dans ses langes qui parfois pleure et ne sait pourquoi, j’ai quelque chose, dit-elle, qui me tourmente ; cela m’ôte le voir et l’ouïr ; mon cœur en bout, mon front en rêve, et le sang de mon corps ne peut rester calme.” […] Abandonné dans le désert des champs avec les étoiles pour compagnes, là le pauvre adolescent avait passé la nuit, et l’aube humide et claire, en frappant sur ses paupières, lui avait rouvert les yeux et ranimé la vie dans ses veines froides. » Ici le poète, pour peindre le déchirement de cœur de Mireille à l’aspect de son amoureux baigné de sang, invoque toute la pléiade fraternelle des Provençaux vivants, « Roumanille le premier, Aubanel, Anselme, et toi, Tavan, qui confonds ton humble chanson avec celle des grillons bruns qui examinent ton hoyau quand il fend la glèbe ; et toi aussi, Adolphe Dumas, qui trempes ta noble lyre dans l’écume de notre Durance débordée !  […] Nul homme ne veut descendre, et tout homme veut monter : c’est la nature ; les institutions n’y font rien ; l’Américain, qui ne reconnaît pas la noblesse du sang, adore la vile noblesse de l’or et s’insurge contre l’égalité de la couleur ; sa philosophie ne s’étend pas du blanc au noir.

593. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VII, seconde guerre médique. »

Elles lui avaient donné le goût du sang et des sacrifices homicides, elles l’avaient initié aux atrocités des conjurations et des magies scélérates. […] Sur le tout, tombent — la flamme et l’horrible Arès monté sur un char syrien ; — Il ruinera de superbes tours, et non pas seulement les vôtres ; — il embrasera les temples des Immortels — qui, déjà, ruissellent de sueur, secoués par la crainte. — Du faîte de leur toiture le sang qui pleut en gouttes noires, présage les calamités imminentes. — Sortez du sanctuaire, l’âme est en deuil !  […] Les Grecs étant du même sang, parlant la même langue, ayant les mêmes dieux et les mêmes temples, quelle bonté ce serait pour nous de trahir leur cause ! […] Il marchait ainsi, vaisseau vivant, sur les flots de sang des mêlées.

594. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1869 » pp. 253-317

Il en ressort… nous nous regardons… un regard mutuel et profond, où chacun tâte l’autre… Du sang plein la figure, plein l’œil. […] Edmond, qui a des éblouissements causés par le sang, ne me dit pas ce qu’il craint : d’avoir l’œil crevé. […] Elle nous parlait de l’extrême délicatesse de la sienne, qui est en effet fine comme un papier de soie, et qui laisse apercevoir, sous un microscope, la circulation du sang : une peau si sensible que deux journées à Marseille avaient rendu la femme presque méconnaissable, une peau qui prend dans l’ombre d’une chambre ou le séjour au lit, pendant une semaine, la blancheur du lilas poussant dans une cave. […] Et il se met à nous prêcher d’écrire pour le public, de descendre nos œuvres à l’intelligence de tous, nous reprochant presque notre effort, l’ambition de notre conscience littéraire, le travail de nos livres, pour ainsi dire, sués de notre sang, enfin la passion, que nous mettons à nous satisfaire.

595. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIe entretien. Littérature italienne. Dante. » pp. 329-408

Le ciel, la mer, les montagnes, les fleuves, la race, la langue, les religions, les grandeurs et les revers de la destinée, le passé presque fabuleux, le présent triste, l’avenir toujours prêt à renaître, et toujours trompeur, la jeunesse éternelle de ce sang italien qui roule toutes sortes de royautés déchues dans ses veines, une noblesse de peuple-roi dans le dernier laboureur de ses plaines ou dans le dernier pasteur de ses montagnes, une rivalité de villes capitales, telles que Naples, Rome, Florence, Sienne, Pise, Bologne, Ferrare, Ravenne, Vérone, Gênes, Venise, Milan, Turin, ayant toutes et tour à tour concentré en elles l’activité, le génie, la poésie, les arts de la patrie commune, et pouvant toutes aspirer à la royauté intellectuelle d’une troisième Italie, voilà les explications de cette aristocratie indélébile de l’esprit humain au-delà des Alpes. […] De plus, il y avait dans le sang toscan, écoulement du vieux sang étrusque, une sève non encore épuisée de génie littéraire et de génie artistique. […] Il avait transfusé son sang dans l’ombre du poète toscan.

596. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — II » pp. 71-89

Il semble qu’il veuille épargner ses secrétaires : c’est dommage qu’il n’est greffier du parlement de Paris, car il gagnerait plus que Du Tillet ni tous les autres. » Ayant à entrer quelquefois dans les parlements de Toulouse et de Bordeaux, quand il était lieutenant pour le roi en Guyenne, il n’en revenait pas de voir que tant de jeunes hommes s’amusassent ainsi dans un palais, vu qu’ordinairement le sang bout à la jeunesse : « Je crois, ajoutait-il, que ce n’est que quelque accoutumance ; et le roi ne saurait mieux faire que de chasser ces gens de là, et les accoutumer aux armes. » Mais toutes ces sorties contre ce qui n’est pas gloire des armes et d’homme de guerre n’empêchent pas Montluc de sentir l’importance de ce chétif instrument, la plume : il s’en sert,-sachant bien que ce n’est que par là et moyennant cet auxiliaire qu’il est donné à une mémoire de s’immortaliser, qu’il n’en sera de votre nom dans l’avenir que selon qu’il restera marqué en blanc ou en noir par les historiens ; et son ambition dernière, à lui qui a tant agi, c’est d’être lu : « Plût à Dieu, dit-il, que nous qui portons les armes prissions cette coutume d’écrire ce que nous voyons et faisons ! […] À celle nouvelle, il éprouva une impression soudaine et qu’il a rendue bien énergiquement ; tout son sang se glaça, en écoutant le gentilhomme qui lui faisait ce récit : « S’il m’eût donné, dit-il, deux coups de dague, je crois que je n’eusse point saigné ; car le cœur me serra et fit mal d’ouïr ces nouvelles ; et demeurai plus de trois nuits en cette peur, m’éveillant sur le songe de la perte. » Il se représentait la scène du conseil, sa promesse solennelle de la victoire, la conséquence incalculable dont une défaite eût été pour la France, et dans ce prompt tableau que son imagination frappée lui développa tout d’un coup, cet homme intrépide retrouva la peur à laquelle il était fermé par tout autre côté.

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