Outre qu’il est le premier qui ait fait passer dans notre Langue tout ce qui existe des Ouvrages de cet Orateur, dont on n’avoit encore traduit que dix ou douze Harangues ; il a rendu avec une exactitude singuliere le sens de l’original. On voit qu’il a tâché de rendre aussi sa maniere ; mais son pinceau n’a pu saisir ce ton simple, mais énergique ; ces couleurs vives, mais naturelles, qui caractérisent Démosthene.
Roederer s’est beaucoup essayé dans le genre des scènes historiques ; il a tâché d’en reproduire du xvie siècle et du temps de la Ligue ; il a voulu, à l’exemple du président Hénault (lequel lui-même se ressouvenait de Shakespeare), représenter et nous rendre l’histoire en action, nous montrer les personnages avec leurs mœurs, leur ton de tous les jours et dans la familiarité. […] Peut-être l’ai-je mal rendu, et alors mon récit serait assez plat ; peut-être aussi faut-il, pour y trouver quelque sel, avoir devant les yeux le personnage lui-même, avec ses grandes culottes à la mameluck et la pipe à ses moustaches. […] Lorsque Saragosse s’est rendue, il y avait sur la place et dans les rues dix mille morts ou mourants. […] Rendez-vous en prison pour trois jours. » Et l’autre y alla. […] De toutes les scènes historiques qui se font simples et familières avec art, et qu’ont tant recherchées les vrais romantiques de notre âge, il n’en est certes point qui équivaille à celle-ci, prise sur le fait comme elle est et saisie au vol, ni qui rende mieux témoignage de la physionomie militaire de l’époque et des hommes : c’est là du naïf et du piquant en nature.
Il n’avait pas été témoin, mais il avait vu et interrogé des témoins ; il avait fait parler le prélat lui-même : il écrit comme quelqu’un qui porte un sentiment d’enthousiasme et de vie dans ces choses d’autrefois qu’il veut rendre ; on a par lui le mouvement et comme le coloris de cette jeunesse de Bossuet. […] Les succès de Bossuet dans les chaires de Paris, lorsqu’il y vient faire des apparitions périodiques et assez fréquentes pendant ses années de résidence habituelle à Metz, sont peints avec une vivacité et avec une grâce qu’on ne s’attendrait pas à trouver dans un compte rendu de sermons ; on y assiste à ce premier règne de la grande éloquence avant la venue de Bourdaloue. […] Après tous les témoignages rassemblés par Le Dieu, il n’y a plus moyen d’en douter, le caractère ordinaire des discours de Bossuet, tels qu’il les faisait avec une grande abondance de cœur et une appropriation vive de chaque parole à son auditoire, c’était d’être touchants, d’ouvrir les cœurs de tous comme il y ouvrait le sien, de faire couler les larmes, de persuader enfin, grand but de l’orateur. « Comment faites-vous donc, monseigneur, pour vous rendre si touchant ? […] Il s’était engagé à prêcher à Meaux toutes les fois qu’il officierait pontificalement, « et jamais, dit Le Dieu, aucune affaire, quelque pressée qu’elle fût, ne l’empêcha de venir célébrer les grandes fêtes avec son peuple et lui annoncer la sainte parole. » Dans ces circonstances, « on voyait un père, et non pas un prélat, parler à ses enfants, et des enfants se rendre dociles et obéissants à la voix du père commun ». […] La vraie critique, à son égard, ramène à cette conclusion, à cette consécration, et, après plus d’un circuit et d’un long tour, elle aboutit au même point que l’admiration la moins méditée. — Je n’ai rendu aujourd’hui que l’impression générale que laisse la lecture des mémoires de l’abbé Le Dieu ; il me reste à parler de son journal, qui donne une impression moins nette, moins agréable, mais qui en définitive ne permet pas de tirer un jugement différent, C’est ce qu’il n’est pas inutile de montrer.
J’ai eu quelquefois l’idée de traiter, dans une série particulière, des principaux de mes confrères en critique, de dire mon avis vrai sur chacun d’eux ; puis, au moment de prendre la plume, j’ai toujours été retenu par cette idée qu’étant obligé de refuser à chacun quelque chose, quelque qualité essentielle, d’en arriver, après une part d’éloges et une justice largement rendue, à un mais inévitable (car enfin nous-mêmes les critiques, redresseurs de tous, nous ne sommes point parfaits), je paraîtrais dénigrer des écrivains qui me valent au moins et que j’honore, et me mettre, contre mon intention, au-dessus de la plupart. […] J’ai ouï dire aux personnes qui, en ce temps-là, y étaient le plus intéressées, qu’aucun rédacteur n’excellait comme lui à rendre avec exactitude, avec une vivacité fidèle, l’ensemble d’une séance, l’impression générale qu’elle laissait, sa physionomie si l’on peut dire. […] Je lui ai entendu rendre cette justice par d’anciens jouteurs. […] Ses articles littéraires (ainsi qu’autrefois ses articles politiques) rendent bien l’ensemble de son impression, le plein effet d’une lecture récente, d’une lecture dont on est encore tout chaud, et cela sans raffinement, sans s’amuser aux hors-d’œuvre, sans se détourner aux accessoires ; car il s’attache, en toute chose, au gros de l’arbre. […] Il faut l’entendre, au sortir de ce beau fleuve romain et cicéronien où il vient de s’abreuver pour la centième fois, célébrer cette ampleur et cette finesse de parole, cette transparence lumineuse, cette riche abondance de mots, et cet art savant qui les épand si nombreux, si faciles sans qu’il y en ait jamais un d’inutile ou de perdu : Quand on se laisse simplement entraîner, dit-il, par la lecture, c’est une musique délicieuse qui vous flatte : l’esprit sent la justesse des accords sans se rendre un compte exact de son plaisir, et ne fait qu’apercevoir instinctivement une nuance délicate de la pensée sous chacune des expressions dont la phrase s’embellit.
Que rendrez-vous éclatant dans ces ténèbres ? […] Il faut soutenir chaque absurdité dont est formée la longue chaîne qui conduit à la résolution coupable ; et le caractère resterait, s’il est possible, plus intact encore après des actions blâmables que la colère aurait inspirées, qu’après ces discours dans lesquels la bassesse ou la cruauté se distillent goutte à goutte avec une sorte d’art que l’on s’efforce de rendre ingénieux. […] Ne craint-il pas la justice, la liberté, la morale, tout ce qui rend à l’opinion sa force et à la vérité son rang ? […] Si vous supposez un homme que la réflexion ait rendu tout à fait insensible aux événements qui l’environnent, un caractère semblable à celui d’Épictète ; son style, s’il écrit, ne sera point éloquent : mais lorsque l’esprit philosophique règne dans la classe éclairée de la société, il s’unit aux passions les plus véhémentes ; ce n’est pas le résultat du travail de chaque homme sur lui-même ; c’est une opinion établie dès l’enfance, une opinion qui, se mêlant à tous les sentiments de la nature, agrandit les idées sans refroidir les âmes. […] Le fanatisme de la religion ou de la politique a fait commettre d’horribles excès, en remuant les assemblées par des paroles incendiaires ; mais c’était la fausseté du raisonnement, et non le mouvement de l’âme, qui rendait ces paroles funestes.
Secrétaires, conseillers, théologiens, ils participent aux édits, ils ont la main dans le gouvernement, ils travaillent par son entremise à mettre un peu d’ordre dans le désordre immense, à rendre la loi plus raisonnable et plus humaine, à rétablir, ou à maintenir la piété, l’instruction, la justice, la propriété et surtout le mariage. […] Par ses innombrables légendes de saints, par ses cathédrales et leur structure, par ses statues et leur expression, par ses offices et leur sens encore transparent, il a rendu sensible « le royaume de Dieu », et dressé le monde idéal au bout du monde réel, comme un magnifique pavillon d’or au bout d’un enclos fangeux7. […] Légende divine, d’un prix inestimable sous le règne universel de la force brutale, quand, pour supporter la vie, il fallait en imaginer une autre et rendre la seconde aussi visible aux yeux de l’âme que la première l’était aux yeux du corps. […] Voyons de près ce qu’ils sont devenus à la fin du dix-huitième siècle, quelle portion ils ont gardée de leurs avantages, quels services ils rendent encore et quels services ils ne rendent pas.
Il ne suffit pas ici de voir par l’esprit les parties et le progrès de l’œuvre que l’on compose : il faut rendre les choses sensibles, et l’exécution matérielle importe extrêmement. […] « Les interruptions, les repos, les sections, dit excellemment Buffon, ne devraient être d’usage que quand on traite des sujets différents, ou lorsque, ayant à parler de choses grandes, épineuses et disparates, la marche du génie se trouve interrompue par la multiplicité des obstacles, et contrainte par la nécessité des circonstances : autrement, le grand nombre de divisions, loin de rendre un ouvrage plus solide, en détruit l’assemblage ; le livre paraît plus clair aux yeux, mais le dessein de l’auteur demeure obscur ; il ne peut faire impression sur l’esprit du lecteur, il ne peut même se faire sentir que par la continuité du fil, par la dépendance harmonique des idées, par un développement successif, une gradation soutenue, un mouvement uniforme, que toute interruption détruit et fait languir. » La constitution essentielle du sujet marque à l’écrivain les reposoirs naturels, où il peut reprendre haleine, et son lecteur avec lui ; elle délimite les portions où le regard peut successivement s’arrêter, quand le champ total est trop vaste et ne se laisse pas embrasser d’une seule vue. […] Pascal, dans ses Provinciales, voulant adoucir pour les gens du monde l’amertume de la théologie et en rendre agréable l’austérité, s’y est pris de telle sorte que, faisant une démonstration de l’injustice, des erreurs et des scandales de ses adversaires, il n’a rien dit qui ne serve à cette démonstration : il n’a point mis l’agrément dans son sujet, il l’en a tiré ; ce qui est ornement est aussi argument, et ce qui plaît, prouve. […] Vous pourrez disposer ou rendre vos idées de telle façon que ce que vous dites mène à ce que vous ne dites pas par un insensible engagement, et que l’on soit conduit en vous lisant à découvrir soi-même ce qu’il ne vous était pas nécessaire d’exprimer. […] Enfin il faut prendre garde que l’esprit, dans l’activité de l’invention, ne se rend pas toujours un compte exact de ce qu’il crée : il produit plus de formes que d’idées, et ne s’aperçoit pas que des images, des tours qui lui plaisent ne sont en somme que les enveloppes différentes de la même chose.
En la lisant, on se rend un compte exact de ce qu’a été ce grand désastre dès l’origine et dans ses dernières conséquences, bien mieux encore qu’en lisant des récits plus généraux et plus étendus. […] Ils remarquaient la mortalité effrayante des chevaux, qui n’avaient à manger le plus souvent que la paille des toits ; une partie de la cavalerie mise à pied, la conduite de l’artillerie rendue plus difficile, les convois d’ambulance forcés de rester en arrière, et par suite les malades presque sans secours dans les hôpitaux. […] Les Cosaques nous criaient de nous rendre, et tiraient à bout portant au milieu de nous ; ceux qui étaient frappés restaient abandonnés. […] Un officier osa même faire entendre que nous serions peut-être forcés de nous rendre. Je le réprimandai à haute voix, et d’autant plus sévèrement que c’était un officier de mérite, ce qui rendait la leçon plus frappante.
Ils rendaient une certaine justice sommaire dans leurs cantons ; ils exerçaient une hospitalité sans faste, mais libérale. […] L’espace grand devant les pas, le ciel libre sur la tête rendent l’âme vaste et l’esprit indépendant : les murs sont l’esclavage, les champs sont la liberté. […] Mais cette image est prise dans le cœur, et aucune autre image ne pourrait rendre aussi vivement ce qu’il veut faire sentir ! […] Il convoque l’assemblée du peuple ; il s’y rend : son chien, fidèle comme les nôtres, suit son jeune maître. […] Tous les gestes qu’il leur prête sont aussi fidèlement rendus que leurs sentiments.
Je songe au lendemain, j’ai soin de la dépense Qui se fait chacun jour, et si fault que je pense À rendre sans argent cent créditeurs contents. […] mon ami, ce n’est point du trop lire que me vient mon mal, mais bien de voir chaque jour le train des affaires et l’intrigue qui se joue : c’est là le livre où j’étudie et qui me rend malade. […] Si, dans l’Élégie intitulée Patriæ desiderium, il sut chanter en un latin agréable les souvenirs de l’Anjou, de son cher Liré et des rives de Loire, il fit mieux d’y revenir en français, et je ne sais pas de meilleure leçon de goût pour un jeune poète que de lui donner à lire la pièce latine, si élégante, de Du Bellay, en mettant à côté et en regard le même tableau qu’il a rendu en français dans ce petit chef-d’œuvre qu’on peut appeler le roi des sonnets. […] Il fut dénoncé au cardinal pour ses recueils de vers récemment publiés, et d’abord pour ses sonnets des Regrets, qu’on présenta comme indignes de la gravité ecclésiastique et comme faits pour compromettre la Révérendissime Éminence dont il était le serviteur, et envers laquelle, par ses plaintes rendues publiques, il se serait montré malignement ingrat. […] L’état de surdité absolue du poète lui interdisait d’aller rendre en personne ses devoirs à Madame Marguerite, au moment du départ de la princesse, et la lettre est pour s’en excuser ; cette prose émue se rejoint naturellement à ses vers, et le tout constitue pour nous la partie vivante et sympathique de l’œuvre de Du Bellay : « Monsieur et frère, ne m’ayant comme vous savez permis mon indisposition de pouvoir faire la révérence à Madame de Savoie depuis la mort du feu roi, que Dieu absolve !
Celui d’un ennemi peut rendre furieux. […] Mais si l’ironie nous avertit qu’il en est aussi de mauvaises, c’est un service qu’elle nous rendra. […] Peut-être surtout l’ironie rend-elle les choses plus aimables. […] Et l’ironie peut ainsi nous rendre les offices les plus opposés. […] Ils sont comme les préfets d’un gouvernement lointain, qui cherchent à se rendre indépendants, à substituer à la sienne leur propre volonté.
Je ne fis donc aucun effort pour rendre ma situation aussi bonne que possible. […] Vous donnez, on ne vous rend pas. […] Peut-être lui aurais-je rendu quelques services ; il ne l’a pas cru ; je suis en règle. […] Je vois trop bien que rendre un bon service à quelqu’un, c’est d’ordinaire en rendre un mauvais à un autre ; que s’intéresser à un compétiteur, c’est le plus souvent commettre un passe-droit envers son rival. […] Cela m’a rendu sans influence en ce monde.
Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. […] Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. […] Or, à un moment donné, Ulysse ayant pris sur Circé l’ascendant que d’abord elle avait pris ou voulu prendre sur lui, obtient d’elle qu’il puisse retransformer ses compagnons en hommes, les rendre à leur nature première. […] L’âne n’est pas, le moins du monde, un animal sot, mais enfin voilà l’âne selon La Fontaine, ce qui se comprend parce que, si l’âne n’est pas bête, par nos brutalités nous le rendons tel. […] On invente certains obstacles qu’elles n’ont jamais connus, et de ces obstacles, après beaucoup d’hésitations, de tâtonnements, d’incertitude et d’affolement, de ces obstacles elles finissent par se rendre maîtresses.
On instruira beaucoup plus utilement les hommes, & on remplira plus certainement les vûes de la Religion, en leur apprenant à réprimer l’esprit de dispute, à respecter les dogmes, à pratiquer la morale évangélique, qu’en employant toutes les ressources de la Logique à établir des systêmes qui peuvent bien rendre les hommes pointilleux, mais rarement meilleurs. […] A cela près, l’Auteur a su en rendre la lecture intéressante ; ce qui n’est pas un petit mérite dans un Ouvrage de pure Métaphysique.
En changeant souvent le titre de ses Journaux, il ne put parvenir à les rendre meilleurs. […] Cette Histoire, qu’une plume habile pourroit rendre si piquante & si instructive, n’est guere qu’une compilation érudite, dont le style lâche & plat dégoûte quiconque n’est pas assez dévoré de la manie des Anecdotes Littéraires & des dates, pour les acheter par beaucoup d’ennui.
Son Livre des Préadamites lui attira des disgraces, & le rendit célebre pendant quelque temps. […] Malgré cette bizarrerie, il eut le talent de se rendre agréable au grand Condé, qui le fit son Bibliothécaire.
Les Notes placées par l'Auteur à la fin du dernier volume, sont autant de Dissertations courtes & lumineuses, propres à rendre un grand jour sur plusieurs parties de l'Histoire de France. […] Puisqu'il s'étoit proposé de donner, dans cet Abrégé, la substance de sa grande Histoire, il auroit dû avoir plus d'attention à n'y faire entrer que les événements principaux, en les réduisant à une juste étendue ; au lieu que, s'étant laissé aller à l'envie de ne rien omettre, les faits y sont accumulés, & ne forment qu'une énumération qui rend cet Abrégé assez semblable à une Table des Matieres.
La littérature contemporaine, qu’on dit si éparse et sans drapeau, ne se donne plus rendez-vous qu’à de funèbres convois. […] Nos hommes distingués, nos personnages éminents dans les grandes carrières tracées, ne se rendent pas toujours bien compte de ce genre de mérite compliqué, fugitif, et sont tentés de le méconnaître. […] Ce sont parfois des poursuites, des entraînements singuliers dont les hommes positifs, les esprits judicieux et qui ne songent qu’à arriver ne se rendent pas bien compte, et auxquels ils sourient non sans quelque pitié. […] Plus d’une fois, nous l’avons vu, le matin, à quelque réunion d’amis à laquelle il était convié et dont il était l’âme : il arrivait au rendez-vous, fatigué, pâli, se traînant à peine ; aux bonjours affectueux, aux questions empressées, il ne répondait d’abord que par une plainte, par une pensée de mort qu’on avait hâte d’étouffer.