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1295. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Camille Jordan, et Madame de Staël »

J’ai sous les yeux un seul de ces premiers écrits volants, devenus bien rares et presque introuvables, qu’il lançait sous divers noms. […] « Je profite, mon cher Camille, d’une occasion rare pour vous écrire. […] C’est une chose rare dans les temps actuels que d’avoir traversé tous ces orages sans se faire un ennemi, et d’être suivi dans sa retraite de l’affection de ses amis et de la haute estime des indifférents. — Ce M. de Norvins est certainement un homme d’esprit. […] belle et pure et rare louange qu’il mérite !

1296. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

Des courriers arrivent annoncer que les maris ne résistent plus à leurs longues privations ; ils sont à bout ; personne n’y tient ; tout s’insurge ; les Spartiates sont en feu ; les Béotiens se meuvent : le soulèvement est général ; et le retour des femmes peut seul apaiser une si rare et si étrange insurrection. […] Tachez néanmoins de vous détromper en me lisant mieux : et persuadez-vous que si les politiques ont incité les pédants à décrier tant mon genre et mon cynisme, le fin mot, c’est qu’ils ne redoutaient que mon rare exemple de liberté. […] Devait-il produire une fable commune et basse sous les mêmes formes qu’un sujet rare et noble ? […] Je me rappelle qu’un jour un littérateur rencontrant avec moi Fabre d’Églantinep dans le foyer du Théâtre-Français, lui dit en ma présence que les sujets propres à la durée de cinq actes lui semblaient très rares. […] Cependant la fatuité, quoique plus rare chez certains peuples, est connue de toutes les nations policées. » Renvoyons l’examen de ces différences, ainsi que les particularités des caractères de profession, à l’article de la condition des mœurs dans la comédie.

1297. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 5482-9849

Il y a des langues en Europe dans lesquelles rien n’est si rare qu’un discours élégant. […] & Morale.) est l’état permanent, du moins pour quelque tems, d’une ame contente, & cet état est bien rare. […] ) ne signifie ni au propre ni au figuré mince, leger, délié, d’une contexture rare, foible, ténue ; elle exprime quelque chose de délicat & de fini. […] Rien de plus rare chez les François & chez les Germains, que de savoir écrire jusqu’aux treizieme & quatorzieme siecles : presque tous les actes n’étoient attestés que par témoins. […] L’art d’écrire étoit encore plus rare chez les Espagnols, & delà vient que leur histoire est si seche & si incertaine, jusqu’au tems de Ferdinand & d’Isabelle.

1298. (1788) Les entretiens du Jardin des Thuileries de Paris pp. 2-212

pays rare ! […] C’étoit une jeune indienne qui entroit au jardin des Tuileries, & qui, par sa beauté rare, entraînoit à sa suite un quart de Paris. […] C’est une barriere pour le vulgaire, que des mots aussi rares & aussi précieux, des mots dont il faut demander l’explication pour en avoir l’étymologie…. . […] Il est rare que la grandeur se soutienne dans les détails. […] Il est rare qu’on y trouve de ces critiques déchirantes que réprouve l’honnêteté, à moins qu’il ne soit question d’un ouvrage absolument ridicule ou dangereux, qui ne mérite nuls égards.

1299. (1894) Critique de combat

Grâces en soient rendues au journal1 où ont paru ces articles, j’ai eu (rare avantage !) […] Paris est un des rares endroits où l’on s’obstine encore à l’ignorer officiellement. […] Son livre n’en a pas moins le rare mérite de condenser en peu de pages une somme d’arguments considérable, et de finir sur des conseils très sages. […] Letourneau explique avec sagacité en se guidant sur la vraisemblance ; car, en ces époques où l’écriture était encore inconnue, vous pensez bien que les textes sont rares. […] Est-il rare de voir un sot qui descende d’un homme de talent, un grand écrivain qui sorte d’une lignée de paysans ?

1300. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « M. DE LA ROCHEFOUCAULD » pp. 288-321

Tel rare esprit qui, en causant, n’est pas moins ironique qu’un La Rochefoucauld145, le même, sitôt qu’il écrit ou parle en public, le prend sur un ton de sentiment et se met à exalter la nature humaine. […] La part que Mme de Sablé eut dans la composition et la publication des Maximes, ce rôle d’amie moraliste et un peu littéraire qu’elle remplit durant ces années essentielles auprès de l’auteur, donnerait ici le droit de parler d’elle plus à fond, si ce n’était du côté de Port-Royal qu’il nous convient surtout de l’étudier : esprit charmant, coquet, pourtant solide ; femme rare, malgré des ridicules, à qui Arnauld envoyait le Discours manuscrit de la Logique en lui disant : « Ce ne sont que des personnes comme vous que nous voulons en avoir pour juges ; » et à qui presque en même temps M. de La Rochefoucauld écrivait : « Vous savez que je ne crois que vous sur de certains chapitres, et surtout sur les replis du cœur. » Elle forme comme le vrai lien entre La Rochefoucauld et Nicole.

1301. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE RÉMUSAT » pp. 458-491

Dans cette rare et fine lignée des Sévigné ou des Motteville, Mme de Rémusat tiendrait bien sa place ; elle l’aura surtout du jour où les Mémoires qu’elle a laissés sur l’Empire pourront être publiés. […] Dans un cahier de souvenirs, dans un de ces albums alors plus rares qu’aujourd’hui et plus intimes, où on lit inscrits les noms des amis, et où l’on recherche de chacun d’eux, avec une curiosité mêlée de tristesse, quelques témoignages particuliers et déjà lointains, je saisis avec bonheur et je dérobe une page toute lumineuse signée du nom de Chateaubriand.

1302. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

Régnier, pas plus que d’autres génies nés gaulois, n’était incapable de tendresse, bien qu’il n’y ait pas abondé habituellement ; mais, comme Villon, il a eu des accents rares et sentis, ses éclairs de mélancolie d’autant plus à remarquer et plus touchants : ainsi dans ces Stances qui ont pour refrain ce vers plaintif retourné et modulé sur tous les tons : Hélas ! […] Ce xviiie  siècle, si spirituel en effet, et malgré une ou deux rares exceptions, pèche tout à fait par le style en poésie : en général, il ne s’en doute pas.

1303. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

119 Il est rare que Bertrand les croque, et Raton d’ordinaire n’est pas une dupe, mais un fripon. […] Par un retour bien rare, le loup, tyran de la brebis, est aussi à plaindre qu’elle.

1304. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

” « Quelques rares amis visitaient Marat dans sa morne solitude : c’étaient Armonville, le septembriseur d’Amiens ; Pons de Verdun, poète adulateur de toutes les puissances ; Vincent, Legendre, quelquefois Danton ; car Danton, qui avait longtemps protégé Marat, commençait à le craindre. […] Voilà comment me la dépeignait un des rares témoins de ses derniers moments : XXVI « Deux prêtres, l’abbé Lambert et l’abbé Lothringer, les mêmes qui avaient entretenu les Girondins pendant la dernière nuit, attendaient au coin du feu, dans le grand cachot, en causant avec les porte-clefs et les gendarmes, l’heure où les accusés redescendraient du tribunal.

1305. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 65-128

Ces conversations, d’abord rares et courtes, avaient fini par amener, entre elle et lui, une amitié secrète, puis enfin un amour que ni l’un ni l’autre ne savaient bien dissimuler. […] dit-elle, je donnerais tout, car le petit souffre de la faim avec mon lait, qui est si rare et si amer sans doute ; mais je n’ai plus un baïoque à donner contre du lait.

1306. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

En scrutant l’âme des plus grands hommes, il est rare de n’y pas découvrir dans une mystérieuse tendresse la source vive et cachée de l’inspiration, de la tristesse ou de la félicité. […] On y cherche les traits du Phidias chrétien, on n’y voit qu’un front proéminent creusé de rides transversales, des yeux encaissés dans des orbites osseuses, qui avaient, dit-on, les couleurs changeantes selon la pensée, des tempes profondément creusées par la vieillesse, des pommettes saillantes, des lèvres minces et fortement fermées, une barbe rare et courte, divisée sur le menton en deux bouquets, comme celle du bouc, un cou fortement noué à des épaules lourdes, l’altitude plus paysanesque que noble : en tout, point de beauté, mais une puissance plus robuste que nature, telle était l’enveloppe de cette âme, qui contenait, comme Socrate, la suprême beauté.

1307. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre I. Les chansons de geste »

Je n’en veux pour preuve que le morceau, si souvent cité et avec raison, de la mort de Raoul : cet Ernaut de Douai qui fuit devant Raoul, la main coupée, demandant grâce à son impitoyable ennemi, secours à tous les amis qu’il rencontre, reprenant haleine, chaque fois qu’un baron de son parti arrête Raoul, piquant son cheval avec désespoir, dès qu il voit son défenseur abattu, cette poursuite sans cesse interrompue et reprise, acharnée, haletante, puis Bernier enfin s’interposant, le combat de Bernier contre Raoul, et la mort de Raoul, combat et mort décomposés en chacun de leurs moments avec une vigoureuse précision, la tristesse du vainqueur, et la rage féroce d’Ernaut qui, se voyant sauvé, se venge de ses terreurs récentes sur son ennemi abattu, voilà, à coup sûr, une scène neuve, rare, émouvante. […] Mais le talent est rare : et pour quelques heureuses trouvailles, qu’on peut porter au compte des remanieurs, la somme de leurs méfaits est prodigieuse.

1308. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

(Notons que la situation même d’Athalie, si elle ne peut aussi facilement se transposer, n’est pas extrêmement rare entre rois. ) Il suit de là qu’il ne faut point un grand effort pour sympathiser avec les personnages de Racine, que nous nous sentons de plain-pied avec eux ; que c’est nous, mieux parlants et plus agités, que nous voyons souffrir et pleurer sous leur masque élégant et tragique. […] Le phénomène moral qui consiste à céder à sa passion tandis qu’on l’observe et qu’on sait où elle vous conduit, la conscience parfaite et minutieuse dans le mal, dans le consentement à la passion funeste, n’est point rare chez les hommes extrêmement civilisés, à une époque où la sensibilité est plus fine, l’intelligence plus aiguisée et la volonté moins vigoureuse.

1309. (1894) Propos de littérature « Chapitre IV » pp. 69-110

Tout au plus peut-on noter, à de rares endroits, une certaine maladresse dans la reprise d’une même voyelle. […] Mais des exemples de ce genre sont rares et l’on trouve aussi des strophes semblables aux suivantes, où le mètre nouveau s’essaie à peine à vivre de lui-même et bientôt, issu de l’alexandrin, vient s’y résoudre.

1310. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1878 » pp. 4-51

» * * * — La femme de Zola, assez souffrante cette année, tire de sa maladie une beauté rare, faite de la douceur de deux yeux très noirs, dans la pâleur comme éclairée d’un visage. […] Il me répondait que non, ajoutant que c’était une pièce très rare, très ancienne, et d’un seul morceau, et qu’il me le laisserait cependant à 1 200 francs.

1311. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Gustave Flaubert »

c’est un homme à pensées rares, qui, quand il en a une, la cuit et la recuit, et non point dans son jus ; car elle n’en a pas. […] c’est pour ces chiens d’aristocrates en littérature, qui deviennent de plus en plus rares, et non pas pour ce gros de démocrates de lettres qui ne croient pas plus dans les lettres qu’en politique au privilège de la naissance.

1312. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Balzac » pp. 17-61

c’est le don le plus rare et le plus exquis que de grands génies, et de très grands, n’ont pas toujours trouvé dans leur talent et n’ont pas déposé dans leurs œuvres : je veux dire la naïveté, sans laquelle il n’y a pas de grâce toute-puissante et absolue dans les petites choses, et la bonhomie, sans laquelle, dans les grandes, il n’y a pas de complète grandeur. […] Les éditions, les éditions correctes, soignées dans le texte et hors le texte, deviennent aussi rares que les livres.

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