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181. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

Et puis, quel est ce Christus, qui joue là un rôle si étrange ? […] Chacun aura son rôle, et nous, les critiques, comme les autres. […] Il y a des pentes où le rôle de la traction se borne à retenir. […] Si les hommes qui jouent ce rôle étaient désintéressés, c’est-à-dire s’ils ne se proposaient que le plus grand progrès de l’huma-nité, ce seraient des héros ; car c’est un vilain rôle que celui de réagisseur, et peu apprécié.

182. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chateaubriand homme d’État et politique. » pp. 539-564

Ces dégoûts, ces désirs vagues, ces espérances romanesques, se confondirent, au moment de sa démission, dans un sentiment d’indignation généreuse, et firent un éclat qui lui imposait désormais un rôle. […] Il est fort à craindre en effet que quand on aborde la politique à ce point de vue, dans ces dispositions d’un génie désœuvré qui veut faire absolument quelque chose et se désennuyer en s’illustrant, on n’y cherche avant tout des émotions et des rôles. […] Après avoir, dans la première moitié de sa vie politique, poussé la Restauration dans le sens de l’ultraroyalisme, M. de Chateaubriand, dans la seconde moitié, l’a attaquée par un brusque volte-face avec toutes les forces du libéralisme, groupées autour de lui ; et, dans ce duel où un même homme a fait le double rôle, elle a fini par se briser. […] il a eu sa part, ce qu’il voulait avant tout, les plus beaux rôles, et le plaisir d’en faire fi, et de dire qu’il en aurait eu un bien plus beau encore si l’on avait voulu. […] La Restauration tombée, M. de Chateaubriand, dans cet amour des beaux rôles, crut se devoir à lui-même de lui demeurer fidèle, tout en proclamant, dans l’oraison funèbre qu’il prononça sur elle à la Chambre des pairs, qu’elle s’était perdue par la conspiration de l’hypocrisie et de la bêtise.

183. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

À peine, dans tout le rôle de Brutus, se trouve-t-il une image basse, et c’est au moment où il se laisse aller à la colère. […] Bénédick était un des rôles favoris de Garrick, qui y faisait admirer toute la souplesse de son talent. […] Le rôle de Mercutio paraît avoir coûté à son goût et à la justesse de son esprit. […] Vous croyez le voir, son équerre et son compas à la main : « Avez-vous par écrit le rôle du lion ? […] Bianca elle-même a sa physionomie tout à fait indépendante du petit rôle qu’elle joue dans l’action.

184. (1853) Portraits littéraires. Tome I (3e éd.) pp. 1-363

Toutefois il a fallu un talent singulier pour écrire quatre mille vers où le cœur et l’intelligence ne jouent aucun rôle, et je comprends que M.  […] Hugo a voulu réhabiliter la pensée et réduire le vocabulaire au seul rôle qui lui appartienne, à l’obéissance ; mais il n’était plus temps. […] Il y a tant de coquetterie et de caprice dans les comparaisons qu’il emploie, les mots jouent un si grand rôle, et l’idée un rôle si mince, que le cœur se refuse à toute sympathie. […] Hugo, Aristophane a tout au plus entrevu l’importance et le rôle du grotesque dans la poésie dramatique. […] Pourtant nous savons qu’il n’en est rien et que le clergé de France a joué dans cette affaire un rôle important, un rôle actif et dont le poète devait tenir compte.

185. (1914) Boulevard et coulisses

Les débuts d’un écrivain dépendent de tout, des mœurs, de l’état de prospérité d’un pays, de l’ordre ou du désordre qui y règne, du rôle de l’argent et de l’organisation financière, d’un tas de conditions et de nuances, de grosses et de petites choses. […] Il faudrait étudier encore, dans cette transformation de nos mœurs littéraires, le rôle de la critique qui, en France, a toujours été prépondérante. Ce rôle, la critique semble vouloir l’abandonner, et ce serait pour les lettres une perte irréparable ; car elle est le lien puissant et indispensable entre les écrivains et le public. […] Alors, elle achète des brochures, apprend des rôles, les récite devant sa glace. […] Un soir, il y a un bout de rôle vacant dans un lever de rideau.

186. (1896) Psychologie de l’attention (3e éd.)

Non que tout ait été fait ; car, à notre avis, on n’a pas assez tenu compte du rôle des états affectifs comme cause cachée d’un grand nombre d’associations. […] Cette objection écartée, nous avons maintenant à déterminer le véritable rôle des mouvements dans l’attention. […] Le rôle des mouvements dans l’attention sensorielle ne peut faire aucun cloute. […] Rappelons aussi le rôle des mouvements respiratoires dont Feehner ne parle pas. […] Jusqu’ici nous nous sommes bornés à constater leur rôle, sans rien dire de leur nature.

187. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre V : Règles relatives à l’explication des faits sociaux »

I La plupart des sociologues croient avoir rendu compte des phénomènes une fois qu’ils ont fait voir à quoi ils servent, quel rôle ils jouent. On raisonne comme s’ils n’existaient qu’en vue de ce rôle et n’avaient d’autre cause déterminante que le sentiment, clair ou confus, des services qu’ils sont appelés à rendre. […] Les dogmes religieux du christianisme n’ont pas changé depuis des siècles ; mais le rôle qu’ils jouent dans nos sociétés modernes n’est plus le même qu’au moyen âge. […] Toutefois, il résulte de tout ce qui précède qu’ils jouent dans la vie collective et, par suite, dans les explications sociologiques un rôle prépondérant. […] Ni Hobbes ni Rousseau ne paraissent avoir aperçu tout ce qu’il y a de contradictoire à admettre que l’individu soit lui-même l’auteur d’une machine qui a pour rôle essentiel de le dominer et de le contraindre, ou du moins, il leur a paru que, pour faire disparaître cette contradiction, il suffisait de la dissimuler aux yeux de ceux qui en sont les victimes par l’habile artifice du pacte social.

188. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) «  Œuvres de Chapelle et de Bachaumont  » pp. 36-55

Chapelle est, des deux, le personnage le plus littéraire, et qui joue son rôle parmi les illustres du grand siècle. […] Car des quatre grands hommes, c’était Molière surtout qui aimait à le consulter non seulement dans ses ennuis de cœur, mais dans ses embarras de directeur de théâtre (deux sortes de peines qui se mêlaient en lui volontiers) : il avait dans sa troupe trois principales actrices entre lesquelles il s’agissait de distribuer les rôles et dont il importait de mener à bien les rivalités ; et Chapelle, de la campagne, lui écrivait : Il faut être à Paris pour en résoudre ensemble, et, tâchant de faire réussir l’application de vos rôles à leur caractère, remédier à ce démêlé qui vous donne tant de peine. En vérité, grand homme, vous avez besoin de toute votre tête en conduisant les leurs, et je vous compare à Jupiter pendant la guerre de Troie… Le groupe des quatre grands poètes du xviie  siècle ne serait donc pas complet sans Chapelle, bien qu’il n’y ait eu que le moins beau rôle ; il est immortel grâce à eux ; tout aviné qu’il est et chancelant, il se voit, bon gré mal gré, reconduit à la postérité d’où il s’écarte, donnant un bras à Molière, l’autre à Despréaux.

189. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Buzot nous parle à son tour de ses relations d’amitié avec Roland, et ce n’était pas un homme à jouer avec l’un et avec l’autre deux rôles aussi opposés, Je sais bien que lorsque Buzot apprit à Saint-Émilion la mort de Mme Roland, il en perdit l’esprit pendant quelques jours ; mais l’intimité dans laquelle il vécut avec elle, l’estime qu’il eut pour ses talents, peuvent facilement expliquer cette circonstance, de la part d’une âme ardente. » Honorable héritier du nom et des sentiments de l’un des hommes les plus purs de l’ancienne Gironde, ce même M. Guadet qui, à quarante ans de distance, dans deux volumes consciencieux assez récemment publiés39, a discuté et contrôlé les récits et les dires des nouveaux historiens de la Révolution, n’a pu ni voulu se dépouiller de ce rôle d’avocat, et il le revendique hautement au contraire. […] Lorsqu’il a eu à parler de Mme Roland, comme s’il s’agissait avant tout de la disculper et de la défendre, il a essayé de diminuer son rôle actif auprès de son mari et sa part virile d’influence : il s’est refusé également à admettre qu’il se fût logé dans ce cœur de femme aucun sentiment autre que le conjugal et le légitime, ni aucune passion romanesque : « Écoutez-les, disait-il hier encore, en s’adressant par la pensée aux différents historiens ses prédécesseurs et en les indiquant du geste tour à tour : ceux-là, soit admiration sincère pour le mérite de Mme Roland, soit désir de rabaisser celui des hommes qui l’entouraient, voient dans la femme du ministre la tête qui dirige et son mari et les législateurs qui le fréquentent, et répétant un mot célèbre : Mme Roland, disent-ils, est l’homme du parti de la Gironde ; — ceux-ci, habitués à se laisser aller à l’imagination du romancier ou du poète, transforment l’être qu’ils ont créé en nouvelle Armide, fascinant du charme de ses paroles ou de la douceur de son sourire ceux qu’elle réunit dans ses salons ou qu’elle convie à sa table ; — d’autres enfin, scrutateurs indiscrets de la vie privée, se placeront entre la jeune femme et son vieux mari, commenteront de cent façons un mot jeté au hasard par cette femme, chercheront à pénétrer jusqu’aux plus secrets sentiments de son âme, compteront les pulsations de son cœur agité, selon que telle ou telle image, tel ou tel souvenir l’impressionne, et montreront sous un voile transparent l’être vers lequel s’élancent sa pensée et ses soupirs ; car à leur roman il faut de l’amour. » Et il ajoute, plein de confiance dans le témoignage qu’il invoque : « Mme Roland a raconté elle-même avec une simplicité charmante ce qu’elle a pensé, ce qu’elle a senti, ce qu’elle a dit, ce qu’elle a fait. » Eh bien ! […] Jamais elle n’avait connu ce premier attrait invincible, le plus simple, le plus éternel de tous, celui dans lequel les sens jouent leur rôle, même à leur insu, l’amour de Chloé pour Daphnis, ou même celui de Virginie pour Paul.

190. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat. »

On sourit de voir Catinat dans cette auberge, dans ce conciliabule à trois et ce guet-apens, — un guet-apens pour le bon motif, — jouer si bien le rôle qu’on supposerait chez un personnage d’un de nos mélodrames modernes. […] La marche de la petite armée de Boufflers était réglée de point en point et d’étape en étape par M. de Louvois ; le jour de l’arrivée de son infanterie sous Pignerol était marqué pour le 27 septembre, et Catinat, qui était dans cette place, après trois semaines d’une prison simulée, jetant le masque et rentrant dans son rôle actif de guerre, devait lui donner toutes les munitions et les vivres pour quatre ou cinq jours. […] c’est ce que chacun bientôt se répéta et qui retentit en tous lieux et tout d’un cri comme dans un écho ; c’est ce que Bonfflers et Catinat lui-même, dans leurs lettres à Louvois, ne purent s’empêcher de relever avec admiration comme pour un coup de théâtre où ils avaient joué leur rôle sans en sentir d’abord tout l’étonnant et toute la grandeur. […] C’est ce que j’appelle un mauvais rôle pour Catinat : il est obligé de mentir, au moins à demi ; il fait semblant de n’avoir point reçu d’ordre récent de Louis XIV, de n’obéir dans ses exigences et dans celles de M. de Boufflers qu’à la nécessité du service du roi ; il emploie tous les moyens de persuasion, même de corruption, auprès des ministres du duc : il échoué.

191. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée par le chevalier d’Arneth »

Vous conviendrez que j’aurais assez mauvaise grâce auprès d’une forge ; je n’y serais pas Vulcain, et le rôle de Vénus pourrait lui déplaire beaucoup plus que mes goûts qu’il ne désapprouve pas. » C’est spirituel et finement tourné ; nous voudrions beaucoup de lettres authentiques comme celle-là. […] Il est vrai que lorsqu’on écrit des lettres, rarement on se donne un mauvais rôle, et l’on évite de fournir des armes contre soi. […] » L’abbé de Vermond, dans ces premiers temps, joue le rôle d’un moniteur assez importun, comme lui-même il se qualifie. […] Après deux années de ce rôle assez ingrat et infructueux, il écrivait (mai 1772) : « Le mauvais ton des alentours, l’habitude de ne recevoir ni correction ni même avis du roi et de M. le Dauphin, les seules autorités légales et convenables pour Mme la dauphine, enfin l’éloignement de 300 lieues, voilà à mon avis les causes du peu d’effet des lettres de réprimande.

192. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre V »

Voilà pourquoi il a pris le rôle d’un Méphisto grand seigneur. […] Au premier acte, nous sommes chez le vieux marquis d’Auberive, ce gentilhomme, quinteux et sceptique, qui jouait, dans les Effrontés, le rôle d’un Méphistophélès de l’ancien régime. […] On croit d’abord que le poète a voulu personnifier la tartuferie juvénile, et on se dit que ce dadais joue trop bien son rôle. […] Mais la conscience de l’homme est atteinte par son agression autant que le rôle de l’écrivain.

193. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Florian. (Fables illustrées.) » pp. 229-248

Scribe indiquait, pour donner idée de l’esprit véritable de ce rôle, l’Arlequin-Lubin de La Bonne Mère de Florian. […] Grimm reconnaissait et accueillait ce caractère nouveau que l’auteur avait su donner au rôle d’Arlequin : « On est tenté de lui dire quelquefois : Vous êtes Arlequin, seigneur, et vous pleurez ! […] Une charmante actrice du Théâtre italien et de Favart, que plus d’un de nos contemporains a pu voir vieille et encore excellente dans le rôle de Ma tante Aurore, Mme Gonthier, alors très aimée de Florian (et même parfois un peu battue, dit-on), se disait qu’elle avait tout droit sur Estelle. […] Et il nous représente Florian, non pas du tout en doux Abel au teint blanc, avec des yeux bleus, mais au teint basané, avec une physionomie très peu sentimentale, animée par des yeux noirs et scintillants : « Ce n’étaient pas ceux du loup devenu berger, mais peut-être ceux du renard ; la malice y dominait… » Dans sa première jeunesse, Florian s’était livré à ce goût de contrefaire dans le rôle d’Arlequin, sa vraie création.

194. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — II. (Suite et fin.) » pp. 421-440

Mme des Ursins, entière et franche dans son rôle, accueille tout ce qui se présente sur ce théâtre du grand monde et de la Cour, et y fait son discernement : pour pénétrer jusqu’à Mme de Maintenon, il faut être déjà du sanctuaire. […] Ces deux femmes célèbres sont belles, à certains moments, chacune dans son rôle, et il est telle lettre de Mme de Maintenon (celle du 23 décembre 1708, par exemple), dans laquelle elle expose son sentiment religieux et résigné avec une justesse, une fermeté et une noblesse de ton si imposante qu’elle arrache un cri d’admiration à celle même qui la contredit. […] Mme des Ursins nous associe sans difficulté à ses sentiments et nous entraîne, tant que sa résistance à la paix semble chez elle l’inspiration directe, le cri du patriotisme et de l’honneur : on ne lui pardonne pas seulement cette opiniâtreté, on l’en admire ; mais, dès qu’on y soupçonne une ambition et une cupidité personnelle, l’impression devient toute contraire, et son rôle se gâte à nos yeux, Or, il est certain que, vers la fin de cette période sanglante et dans les négociations si lentes qui la terminèrent, elle fit tout pour obtenir des puissances contractantes une souveraineté en son nom dans les Pays-Bas ; le roi d’Espagne s’obstinait sur cette condition si peu convenable et si disproportionnée aux grands intérêts en litige, et il refusait de signer la paix avec la Hollande, si les Hollandais, non contents de mettre Mme des Ursins en possession de cette souveraineté, ne s’en faisaient, de plus, les garants vis-à-vis de l’empereur. […] Elle s’était rendu compte à l’avance de tout ce néant humain ; elle se dit, en sachant ses ennemis triomphants et ses amis consternés, qu’il n’y avait pas lieu à tant s’étonner ; que ce monde n’était qu’une comédie où il y avait souvent de bien mauvais acteurs ; qu’elle y avait joué son rôle mieux que beaucoup d’autres peut-être, et que ses ennemis ne devaient pas s’attendre à ce qu’elle fût humiliée de ne le plus représenter : « C’est devant Dieu que je dois être humiliée, disait-elle, et je le suis. » Après avoir quitté la France, où Louis XIV mourait et où le duc d’Orléans, qu’elle avait pour ennemi déclaré, devenait le maître, elle alla habiter Rome, son ancienne patrie, la ville des grandeurs déchues et des disgrâces décentes.

195. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — II. (Fin.) » pp. 246-265

On entrevoit même, dans ce temps si court, son intention précise de relever la France au-dehors et de ne pas la laisser déchoir non plus de ce rôle et de ce titre d’arbitre de la chrétienté que Henri IV avait acquis à la couronne. […] Richelieu reparaît dans ce rôle délicat, et comme agent à demi avoué. […] Tout le monde favorise la reine de ses vœux ; elle a tous les cœurs, elle a même bien des bras, et cependant elle va être vaincue en un clin d’œil : « Dieu le permit ainsi à mon avis, dit Richelieu, pour faire voir que le repos des États lui est en si grande recommandation qu’il prive souvent de succès les entreprises qui le pourraient troubler, quoique justes et légitimes. » Parlant du rôle de Richelieu en cet instant critique, quelques hommes du temps l’ont accusé d’avoir trahi les intérêts de la reine mère et des confédérés ; le duc de Rohan, ce grand fauteur de guerres civiles, l’accuse d’avoir exprès conseillé à la reine, dans une ville tout ouverte, cette défense tremblante. […] Ce rôle de l’homme d’État, qui, à chaque moment social, est le principal et le plus actuel, n’est pas le seul, et deux forces en lutte gouvernent le monde.

196. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

Il s’est, dans son nouveau rôle, posé en adversaire contre son ancienne idée qu’il s’occupe beaucoup trop de combattre face à face pour en être tout à fait guéri. […] Ce que l’auteur veut prouver, c’est que, par ce dévouement de l’un à l’autre, par ce perfectionnement continuel de leur âme dans la solitude, ils remplissent tout aussi bien leur rôle ici-bas que les autres en se lançant dans l’arène poudreuse et souvent bourbeuse. […] Mais ici, quand le roi, en hâte de partir, et dont le danger redouble à chaque minute, demande et commande à Steven des chevaux, et de lui rendre son compagnon de voyage, qu’on lui retient parce que c’est le fiancé de Mina ; quand Steven, non content de résister par piété domestique, étale cette piété, la discute, l’oppose avec faste au rôle du conquérant, quand il s’écrie : « L’homme que vous venez d’appeler un enfant se lève du sein de son obscurité pour se placer devant vous, et pour se mesurer à vous, sans orgueil comme sans crainte… Ce n’est pas parce que je commande que j’ose me comparer à vous, mais parce que j’obéis… J’ai vaincu un ennemi plus redoutable que vous…, je me suis vaincu moi-même » alors le drame cesse en ce qu’il avait de naturel et d’entraînant ; le système reparaît, se traduit de nouveau à la barre sous forme de plaidoyer.

197. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « De la question des théâtres et du Théâtre-Français en particulier. » pp. 35-48

Sans vouloir faire tort à aucun des poètes dramatiques d’alors, on accordera peut-être qu’elle possédait en Talma le premier de ces poètes, le plus naturellement inventeur, créant des rôles imprévus dans des pièces où ils n’eussent point été soupçonnés sans lui, créant aussi ces autres rôles anciens qu’on croyait connus, et sur lesquels il soufflait la vie avec une inspiration nouvelle. […] Je définirais au besoin le Théâtre-Français d’après le rôle qui, plus que jamais, lui appartient, le contraire du grossier, du facile et du vulgaire ; et, dans l’intervalle des grandes œuvres, je m’accommoderais fort bien d’y aller voir encore, comme un de ces soirs, Louison et Le Moineau de Lesbie.

198. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — IV »

Sous ce double aspect passionnel et moral, le rôle de la sensation, considérée comme but, est considérable dans la vie phénoménale : c’est elle qui prépare le spectacle, les intrigues et les complications dont l’esprit spectateur va se repaître ensuite d’un point de vue analytique ou esthétique. […] Les vérités morales, c’est-à-dire celles qui, dans l’ordre vital, semblent aussi les dernières venues et se sont constituées, comme les vérités scientifiques, avec la collaboration ou tout au moins sous le regard de la conscience humaine, les vérités morales vont aussi nous laisser voir, malgré le masque rigoureusement dogmatique qu’elles affectent durant le temps de leur règne, leur caractère éphémère et leur rôle secondaire de moyens pour procurer des fins très différentes des buts vers lesquelles elles ordonnent de tendre. […] Afin de mettre encore en lumière le rôle prépondérant de l’utilité humaine en tant qu’elle confère la puissance aux vérités propres à constituer le réel, il convient de faire remarquer que ces vérités ne survivent pas à leur utilité.

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