Je m’en tiendrai, parmi les vivants, à ceux qui, selon les lois de la nature humaine, semblent avoir accompli leur œuvre, et qui depuis longtemps en sont récompensés par l’admiration publique. […] Les idées de de Maistre sur la papauté ont, à l’heure même où j’écris, l’éclatante fortune de faire réfléchir bien des esprits et de remuer bien des consciences, et sa théorie des révolutions, considérées comme des expiations publiques, où ceux qui tuent n’innocentent pas ceux qui sont tués, est une leçon qui n’est pas près de perdre de son à-propos. […] On reconnaît aussi, dans leurs œuvres, un dessein d’enseignement et la pensée d’une sorte de devoir public à remplir ; et ce n’est pas la moins éminente de leurs qualités que, travaillant pour l’éducation de l’esprit humain, aucun d’eux ne sente son docteur. […] Ses premiers vers avaient annoncé un poète ; ses dernières pièces promettaient un maître de la scène ; il a mieux aimé conter, et le public charmé l’a appelé le plus grand amuseur de son temps. […] Celui-ci s’est concentré dans quelques œuvres, et bien qu’ayant mis en appétit le public, il a su le rationner.
Faire connaître Wagner au public français sérieux, cela vaut-il les stalles brisées et les lustres avariés à l’Opéra-Comique, le jour de la première ? […] Je crois bien que les noms des compositeurs de cette école, fort connus chez nous, ne sont plus étrangers au public français ; je pense même que dans les théâtres ou les concerts parisiens vous entendrez bientôt, au moins en partie, les œuvres principales de MM. […] à ce qu’on appelle le grand public, à tous les gens qui, ayant des choses artistiques une première connaissance, doivent sur l’œuvre Wagnérienne acquérir des idées nettes et justes, — à ceux qui ignorent et qui veulent savoir à peu près ce que sont Tristan, la Tétralogie, les Maîtres Chanteurs. […] On voit tous les jours, par les œuvres de Wagner données dans les plus grandes villes de l’Allemagne, combien, dans un théâtre dont l’unique objet n’est point l’Art, mais qui est forcé de compter avec un Public, il est impossible de conserver le style idéal. […] Il y a encore beaucoup à faire, à créer, à Bayreuth ; et pour chaque Wagneriste, il y a à contribuer à la formation de ce public idéal, de ce « peuple d’idéalistes » que Wagner nous a décrit, non pas de gens « qui se font des idéals » dans le sens banal du mot, mais d’hommes vivant dans l’idée, voyant l’Art et y croyant.
Ils sont dans les conversations d’une sévérité égale ; leurs verdicts publics manifestent, en revanche, une indulgence universelle. […] Son esprit souriant à tout et son âme indifférente à tout lui permettent de s’assimiler rapidement n’importe quel sujet et de le traiter précisément avec les grâces de langage qu’attend son public. […] Mais un conférencier avisé sait combien son public appartient à l’instant et combien il craint tout effort intellectuel. […] Les réalités fatigueraient peut-être et Charles-Brun est un discoureur trop intelligent pour donner à son public autre chose que ce qu’il demande. […] Puisqu’il parla dans un salon et non sur les places publiques, ceux qui l’entendirent nous doivent doublement de faire revivre ce Socrate sans familiarité.
Le public qui outre tout, et qui n’entre jamais dans aucun détail, croit d’ordinaire que l’ouvrage qui lui plaît le plus dans un genre, est la perfection de ce genre-là, et il ne veut plus rien approuver dans la suite, que sur le modéle de ce qui a saisi une fois son admiration. […] Mais le public ne s’y trompe pas comme eux ; et il sçait mépriser des auteurs qui ne lui disent que ce qu’il a cent fois admiré. […] Au reste je ne ferai point ici d’avance l’apologie de mes odes ; le public n’en jugeroit pas plus favorablement. […] Ainsi je finis en me faisant honneur auprès du public, du succès qu’ont déja eu plusieurs des ouvrages que je lui offre. […] Il y a un air de vanité à exposer ainsi au public des témoignages si flateurs pour moi ; et c’est là-dessus que j’ai cru devoir me justifier.
Avec une arrière-pensée certaine, c’est que sa femme ferait lire ses lettres à la petite société de Château-Thierry, à son Académie où elle était une sorte de présidente, à sa petite académie de Château-Thierry avec une arrière-pensée probable, probable seulement, celle, précisément, de donner un jour ces lettres au public. […] Si les lettres étaient écrites pour le public, il y aurait certainement l’indication du lieu, de l’église, du palais où se trouve ce saint Michel garni de son diable. […] Vous allez voir que ceci est tout à fait une lettre familiale, une lettre qui n’intéresse guère que les membres de la famille et qui n’intéresserait pas beaucoup le public. […] Dans des lettres écrites en vue du public cette répétition serait une faute ; elle serait contre l’art. […] Donc, le goût pittoresque de Stendhal est très douteux ; mais Stendhal est incomparable lorsqu’il se met à causer avec son voisin de diligence, avec son voisin de bateau, avec l’homme qu’il rencontre en un café de Tours ou qu’il rencontre sur la place publique d’Orléans.
Sainte-Beuve avait des engagements plus pressants d’abord envers le public, et son article du Globe reste encore son dernier et unique mot sur le grand poète romain. […] Le cardinal de Polignac d’une part, en le réfutant, et d’autre part les philosophes, en l’interprétant faussement, avaient dégoûté le public éclairé de le lire. […] “En un mot, dit M. de Pongerville, le voile qui dérobait cette antique et grande production à l’estime publique s’est tellement étendu, qu’une partie considérable du poème doit être regardée comme un monument dont nous enrichirait une découverte récente.”
Chansons nouvelles et dernières Il est dans l’histoire de l’humanité un premier âge où les poëtes ont exercé une fonction publique, sacrée, un sacerdoce populaire. […] Mais en même temps, par un fonds d’ancienne humeur franche, ce bon peuple avait gardé ses facultés légères et pénétrantes, sa grâce amoureuse, son rire prompt et subtil, et ses retours épicuriens jusqu’au sein des publiques douleurs. […] Le côté individuel de son talent, les sentiments capricieux ou tendres qu’il avait si heureusement entrelacés mainte fois, comme des myrtes autour de l’épée, lui restaient sans doute ; il pouvait s’y récréer à l’aise : mais s’en tenir là, après la vaste action publique qu’il avait exercée, c’était déchoir.
Voici enfin nos siècles classiques ; les mots familiers s’effacent, la langue s’ennoblit ; le théâtre prend pour public et pour modèles les gens de salon et les seigneurs. […] Au lieu d’un public de courtisans, vous avez un public de critiques.
De bonne heure, dès que la société se fut constituée dans une forme régulière ils y apparurent comme des irréguliers, des déclassés, et, comme tels, ils excitèrent la curiosité du public honorable et rangé, sur qui la vie de bohème a toujours exercé une fascination singulière, Ils surent exploiter ce sentiment, ils se peignirent à leurs contemporains, avec un mélange curieux de servile bouffonnerie et de-touchante sincérité, qui était fait pour exciter un peu de pitié parmi beaucoup de mépris, et délier les cordons de la bourse des gens qui avaient ri. […] Mais au-dessous des compositions subtiles et savantes, en partie par réaction contre leur essentielle inanité, en partie par leur influence qui fit reconnaître la dignité des vers, et à l’aide de leurs procédés de facture, on vit se développer une poésie plus matérielle, qui donnait satisfaction à l’esprit bourgeois des auteurs et du public. […] Cette affaire mettait en jeu toutes les passions du poète : l’Université et son champion Guillaume de Saint-Amour luttaient désespérément pour interdire aux religieux des ordres mendiants, aux dominicains surtout, l’accès des chaires publiques, et pour défendre les maîtres séculiers d’une concurrence redoutable.
Cependant il serait vrai, je crois, de dire que si beaucoup d’œuvres particulières des écrivains anglais furent chez nous en crédit, aucun mouvement considérable n’a son réel point de départ en Angleterre : nous trouvons dans le courant de notre littérature même, dans les transformations de l’esprit public et des mœurs sociales, dans l’apparition enfin de certaines originalités individuelles, les raisons essentielles de l’évolution du goût et des formes littéraires. […] Paris attirait les étrangers, qui ne venaient pas seulement en dévorer les beautés extérieures et les plaisirs publics : ils voulaient vivre de sa vie, être admis dans ces salons que toute l’Europe connaissait, et dont ils gardaient toute leur vie l’éblouissement. […] Elle marque la mort de Voltaire comme un malheur public et un chagrin personnel : par ses soins, les papiers de Diderot et de Voltaire sont expédiés à Pétersbourg.
Nés à Bethsaïde 420, ils se trouvaient établis à Capharnahum quand Jésus commença sa vie publique. […] Dans le public, on le regardait comme le chef de la troupe, et c’est à lui que les préposés aux péages s’adressent pour faire acquitter les droits dus par la communauté 455. […] La circonstance rapportée dans Jean, XIX, 25-27, semble supposer qu’à aucune époque de la vie publique de Jésus, ses propres frères ne se rapprochèrent de lui.
Car il avait le signe qui, chez le poète comme chez le savant ou le philosophe, est la première marque du génie : l’égale absence d’esprit d’imitation et d’esprit de contradiction, la non-attention à la galerie, l’incurie du public, la superbe et souriante et presque inconsciente insouciance de plaire ou déplaire : Il disait à lui-même et à son amie : Quant au monde, qu’il soit envers nous irascible Ou doux, que nous feront ses gestes ? […] Il paraît que, hier, le petit épicier d’à côté est mort ou qu’il s’est marié (je ne sais plus bien) ; avant-hier, sur un banc de jardin public, un tourlourou embrassa une payse et, quoique ce fussent deux pauvres diables, leur baiser a dû être presque aussi bon que celui d’un rupin et d’une comtesse. […] « Je m’y suis toujours senti un intrus pour les initiés et un fourvoyé pour les autres. » On ne tiendra nul compte de ses protestations tardives, et ici ce n’est pas le sentiment public qui aura tort.
Villemain et Cousin comme critiques littéraires, les deux plus éloquents critiques de ce temps-ci, et comme venant de rassembler leurs titres à cet égard aux yeux du public dans des œuvres corrigées et revues avec soin. C’est déjà un salutaire exemple que de voir des hommes, si comblés par la renommée, se recueillir pour donner à des œuvres qui ont eu dès longtemps leur succès, et qui n’en sont plus à attendre la faveur publique, ce degré de perfection et de fini qui n’est sensible qu’à des lecteurs attentifs, et qui ne s’apprécie que si l’on y regarde de très près. […] Dans ses excellents rapports annuels à l’Académie, les bons juges qui savent tout saisir ne trouvent rien à désirer ; eu égard à ceux qui ne sont pas juges et au public, on voudrait plus de relief dans les jugements.
On ne chicane Riccoboni sur aucune des choses sensées qu’il dit par rapport à la différente manière de débiter un sermon, un panégyrique, une oraison funèbre ; mais on n’approuve point son idée de vouloir qu’il en fut des prédicateurs, comme des artistes & des ouvriers, qu’on admet à l’essai, & auxquels on n’accorde l’exercice public de leur profession qu’après avoir fait preuve de talent. […] Les ouvriers ne peuvent point passer maîtres, s’ils ne présentent un chef d’œuvre qui fasse connoître qu’ils méritent ce titre ; & un jeune orateur aura l’impudence de déclamer en public, sans avoir auparavant exercé ses talens en particulier, ou corrigé ses défauts en secret. » Il est étonné qu’il n’y ait pas une chaire publique pour apprendre à déclamer.
Mais, d’une fierté, d’une honnêteté niaise et sublime, Rodolphe avait la bonhomie de penser qu’il est indigne d’un artiste d’ameuter le public au bruit de la grosse caisse, et qu’il est bien de laisser cela aux marchands de crayons. — Rien qu’une démarche, une simple démarche prenait à ses yeux des proportions monstrueuses. […] La Sainte Famille ne me semble ici qu’une enseigne : par elle le public est averti que l’artiste veut le frapper d’une impression mystique. […] Lorsqu’un talent aussi rare est ignoré, n’est-ce pas un devoir pour le premier qu’un hasard amène sur le seuil désert de l’artiste d’ouvrir sa porte toute grande aux admirations publiques ?
Ceci ne regarde pas nos grands poètes vivants ; leur génie, leur succès, la voix publique les exceptent et les distinguent : mais pour la foule qui se traîne à leur suite, la carrière est devenue d’autant plus dangereuse, que la plupart des genres de poésie semblent successivement passer de mode. […] J’en appelle à ceux de nos écrivains périodiques, qui ont pour objet de recueillir ou d’enterrer les pièces fugitives, et qui à ce titre doivent tous les mois un tribut de vers au public. […] En un mot, aucune des pièces n’a paru propre à faire sur le public assemblé cette impression de plaisir, qu’il est en droit d’attendre d’un ouvrage couronné par le jugement d’une société de gens de lettres.
Ils ont beau, en effet, s’obstiner à vouloir être des républicains de pied en cap, c’est-à-dire des hommes de la chose publique, ils restent les hommes de la chose très particulière qui se nomme la fierté, la dignité, l’honneur, — sentiments individuels qui tiennent aux racines même de l’homme, et qui furent absolument inconnus à l’Antiquité. […] Or, ce n’est pas à présent, quand les pouvoirs publics perdent de leur autorité et en sacrifient chaque jour davantage, ce n’est pas quand le droit criminel, si sévère autrefois, est presque devenu, à force de s’adoucir, le droit au crime, quand des législateurs collectifs ont remplacé par l’irresponsabilité du nombre la responsabilité du législateur unitaire, qu’on peut espérer contre le duel la loi efficace qui, en France, a toujours manqué. […] on tombe rudement de haut, quand on tombe de ces maréchaux et de la fonction dont ils étaient investis par le Roi à l’intervention, sans caractère public et obscurément paternelle, de témoins choisis par les combattants qui se fient à eux ; mais, il faut bien le dire, c’est encore le meilleur moyen de moraliser le duel et d’en prévenir les conséquences désastreuses… Pour mon compte, à moi, j’aime à voir refaire la seule législation qui soit possible sur le duel au xixe siècle, libéral et républicain, avec les miettes de la législation brisée de ce despote de Louis XIV, comme on fait une petite maison avec les débris d’un palais… Mirabeau disait un jour, à propos d’un duel qu’il avait refusé : « J’ai refusé mieux !
Il a dit au public : « Puisque vous le trouvez un grand romancier, le voilà ! […] On n’arrive au public et au livre que par le feuilleton. Un homme, un inconnu, devra publier quelque chef-d’œuvre d’ordonnance, d’unité, de concentration, d’analyse, qu’il faudra, pour qu’il parvienne au libraire et au public, qu’il passe par cette filière et ce laminoir du feuilleton.