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48. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 35, de la mécanique de la poësie qui ne regarde les mots que comme de simples sons. Avantages des poetes qui ont composé en latin sur ceux qui composent en françois » pp. 296-339

Comme les romains ne connoissoient pas les choses dont le traducteur doit parler, les romains n’avoient point de termes propres pour les signifier. Ils n’avoient point de mots propres pour dire un mortier, et l’angle saillant d’une contrescarpe, parce qu’ils n’avoient pas ces choses là. […] Ainsi le latin est toujours plus court que le françois dès qu’on écrit sur des sujets pour lesquels les deux langues sont également avantagées de termes propres. […] Non seulement le latin est plus avantageux que le françois par rapport à la poësie du stile ; mais il est encore infiniment plus propre que le françois pour réussir dans la mécanique de la poësie, et cela par quatre raisons. […] C’étoit à l’oreille du poëte à chercher quel étoit le mélange de ces sons le plus propre à produire une harmonie agréable et convenable au sens des vers.

49. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre I : Des sens, des appétits et des instincts. »

Répandues dans tout le corps, en particulier dans les viscères, elles n’ont point d’organes qui leur soient propres. […] La digestion, comme la respiration, offre toutes les conditions d’un sens ; un objet externe, la nourriture ; un organe propre, le canal alimentaire. […] elle montre qu’on s’est complètement mépris sur les procédés propres au sens de la vision. […] La pure spontanéité s’arrête donc en deçà de ce qu’il faudrait faire pour notre propre conservation. […] Les sensations propres à la migraine, à l’indigestion, aux palpitations, nous empêchent d’ignorer où sont les organes même sans avoir disséqué, dit ce dernier.

50. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VIII. Quelques étrangères »

Sur ce sujet, l’éloquence de Stelio-Gabriele est intarissable ; ses phrases et ses mains, en un interminable tremblement heureux, caressent sur le corps des lévriers son propre prurit de tuer. […] Mais, parodiste des sentiments romantiques, Flaubert écrit une langue romantique, de sorte que l’avenir ne trouvera rien de plus comique chez lui que sa propre grandiloquence. […] Un être sans consistance, comme Emma Bovary, comme Bouvard, comme Pécuchet, n’intéresse pas longtemps les hommes et, si l’auteur a l’air de croire que de telles absences d’âmes nient toute l’âme, il ne prouve que son propre vide intérieur. […] Voici comment elle nous définit Lucie Altimare, « l’aventureuse », la plus significative de ses héroïnes : « Au fond, un cœur froid et aride, sans une palpitation d’enthousiasme ; au-dehors une imagination trompeuse qui grandissait toute sensation, qui augmentait toute impression… Au fond, un manque absolu de sentiment ; au-dehors, des rêveries sur les nobles utopies humanitaires, des aspirations flottantes vers un idéal incertain. » Et on nous fait connaître longuement « l’artifice de sa personne, un artifice si naturel, si absolu, si complet, qu’il la trompait elle-même, en lui donnant une fausse sincérité ; en devenant son véritable caractère, son tempérament, son sang, ses nerfs ; en la persuadant de sa propre bonté, de sa propre vertu, de sa propre supériorité ». […] Le plus souvent par la bouche de Suzanne, quelquefois par celle des autres personnages, et aussi en son propre nom, Thomas Hardy fait une critique victorieuse de ce « contrat permanent basé sur un sentiment éphémère », de cet « abominable contrat qui m’engage à sentir d’une manière particulière dans une chose dont l’essence même est la spontanéité ».

51. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre troisième. De la sympathie et de la sociabilité dans la critique. »

Tout le travail préparatoire entrepris par la critique historique n’aura servi qu’à déterminer ce point de vue, à nous faire connaître les types vivants conçus par l’auteur en analogie avec sa propre vie et sa propre nature : nous verrons alors jusqu’à quel point il a réalisé ces types, ou, pour mieux dire, s’est réalisé lui-même, s’est objectivé et comme cristallisé dans son œuvre, sous les aspects multiples de son être. […] Dans ces moments-là, le maître devient, pour ainsi parler, son propre disciple. […] C’est aussi bien souvent la faute du critique quand il ne fait pas bonne moisson : le critique est jugé par la stérilité de sa propre critique. […] Pauvre Boileau, qui attachait une si capitale importance aux opinions de l’Académie, et aux siennes propres ! […] Taine, nous avons fait d’effort pour comprendre les littératures étrangères, pour nous replacer dans le milieu où tel chef-d’œuvre a pris naissance, pour nous dépouiller de notre propre esprit et de nos préjugés personnels.

52. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre VIII. Des romans. » pp. 244-264

Ils périrent, dit un bel esprit, comme ces vastes Empires, dont l’histoire nous raconte la chûte, accablés sous le poids de leur propre grandeur. […] Les surprises en sont bien ménagées ; les sentimens sont délicats ; les passions y parlent le langage qui leur est propre. […] La peinture trop peu voilée de certaines foiblesses est plus propre à inspirer le vice, qu’à le corriger. […] Leur mérite particulier est d’être propres à être accommodés au théâtre : aussi depuis qu’ils ont paru, il y a eu un débordement d’opéras comiques sur le Parnasse. […] Il le désavoua, & pour qu’on ajoutât foi à ce désaveu, il réfuta son propre ouvrage dans une assez plate production intitulée : l’Histoire justifiée contre les Romans.

53. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 5, explication de plusieurs endroits du sixiéme chapitre de la poëtique d’Aristote. Du chant des vers latins ou du carmen » pp. 84-102

La tragedie met donc sous les yeux les objets mêmes dont elle prétend se servir pour exciter la terreur et la compassion, sentimens si propres à purger les passions. […] Les beautés de la melodie couloient encore d’une source particuliere, je veux dire du choix des accens ou des tons convenables aux paroles et propres par conséquent à toucher le spectateur. […] Il répond à cette question que ces deux tons sont propres à l’expression des passions emportées des hommes d’un grand courage, ou des heros qui font ordinairement les premiers rolles dans les tragedies, au lieu que les acteurs qui composent le choeur sont supposez être des hommes d’une condition ordinaire, et dont les passions ne doivent point avoir sur la scene le même caractere que celles des heros. […] Il devoit y avoir des modes qui convinssent mieux que d’autres modes à l’expression de certaines passions, comme il y a des modes dans notre musique plus propres que d’autres à les bien exprimer. […] Mais carmen originairement signifioit autre chose, et d’ailleurs il étoit le mot propre pour signifier la déclamation, et détermine encore à sa premiere et veritable acception, par l’endroit même où il étoit emploïé.

54. (1805) Mélanges littéraires [posth.]

Malgré le peu de cas que l’on paraît faire, dans les collèges, de l’étude de l’histoire, c’est peut-être l’enfance qui est le temps le plus propre à l’apprendre. […] Ce que nous venons de dire du sens précis, par rapport au sens vague, nous le dirons du sens propre par rapport au sens métaphorique ; la définition ne doit jamais tomber que sur le sens propre, et le sens métaphorique ne doit y être ajouté que comme une suite et une dépendance du premier. […] serait-ce que cette même forme, ou du moins le vers pentamètre qui y entre, aurait une sorte de légèreté et de facilité propres à exprimer la joie ? […] Il est vrai que ces sortes de règles ne donnent ni à l’orateur ni au musicien du talent et de l’oreille ; mais elles sont propres à l’aider. […] 1°. à n’employer que des idées propres au sujet ; c’est-à-dire, simples dans un sujet simple, nobles dans un sujet élevé, riantes dans un sujet agréable ; 2°. à n’employer que les termes les plus propres pour rendre chaque idée.

55. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Préface pour les Maximes de La Rochefoucauld, (Édition elzévirienne de P. Jannet) 1853. » pp. 404-421

On a tant écrit sur La Rochefoucauld, et j’ai moi-même autrefois traité ce sujet avec tant d’application et de prédilection, que je serais embarrassé aujourd’hui d’y revenir, si le propre de ces grands et féconds esprits n’était pas d’exciter perpétuellement ceux qui les relisent et de renouveler les sources d’idées au voisinage des leurs. […] Toutefois, après qu’on s’est emparé de ses propres aveux à lui-même, après qu’on a écouté sur son compte des adversaires tels que Retz et qu’on a recueilli leurs paroles, il n’y a plus qu’à passer outre sans insister. […] Cousin est l’exagération, et le propre de cette belle époque est la mesure. […] Nos deux célèbres contemporains, par ces oppositions manifestes, ne font que déclarer leur propre nature, proclamer ce qui leur manque, et deviner dans le passé ceux qui les auraient finement pénétrés et raillés avec sourire, ou simplement critiqués par leur exemple. […] [NdA] Saint Paul, parlant le langage de la grâce, a dit, pour marquer cette diversité des conditions et des vocations : « Chacun tient de Dieu son don propre, l’un d’une façon, l’autre d’une autre. » (Première épître aux Corinthiens, chap. 

56. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Cours de littérature dramatique, par M. Saint-Marc Girardin. (2 vol.) Essais de littérature et de morale, par le même. (2 vol.) » pp. 7-19

Saint-Marc Girardin pratiqua, pour son propre compte, ce conseil si juste, et prêcha d’exemple. […] c’est ce mouvement propre au poète que je ne sens jamais dans le spirituel critique. […] À cela près, le procédé est le même ; mais l’homme d’esprit l’a fort développé et renouvelé en l’appliquant ; il se l’est rendu tout à fait original et propre. […] Si j’osais lui emprunter son propre langage ou du moins essayer de lui appliquer sa propre méthode pour le caractériser, voici comment je m’y prendrais. […] Elle dissimule l’inquiétude propre aux modernes sous la mobilité, sous une agilité sémillante et gracieuse.

57. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 12, des masques des comédiens de l’antiquité » pp. 185-210

Car les gens de théatre croïoient alors qu’une certaine phisionomie étoit tellement essentielle au personnage d’un certain caractere, que pour donner une connoissance complette du caractere de ce personnage, ils pensoient qu’ils devoient donner le dessein du masque propre à le représenter. […] Pollux dans l’ouvrage que nous citons, dit quelque chose qui me paroît propre à confirmer la conjecture ingénieuse et sensée dont je viens de parler. […] Suivant les apparences, les anciens n’auroient pas souffert ce désagrément dans les masques s’ils n’en avoient point tiré quelque avantage, et je ne vois pas que cet avantage pût être autre chose que la commodité d’y mieux ajuster les cornets propres à rendre plus forte la voix des acteurs. […] Ces masques qui étoient de bois, comme nous l’apprenons dans les vers que prudence a fait contre Symmaque, étoient propres à recevoir cette incrustation. […] On peut juger par l’attention que les anciens faisoient sur toutes ces choses, s’ils avoient négligé de chercher des inventions propres à faire faire aux masques de théatre l’effet, qui, suivant Aulugelle, leur avoit fait donner le nom de persona.

58. (1899) Préfaces. — Les poètes contemporains. — Discours sur Victor Hugo pp. 215-309

Aussi, faut-il le dire hautement, il n’est rien de plus inintelligent et de plus triste que cette excitation vaine à l’originalité, propre aux mauvaises époques de l’art. […] L’ignorance des traditions mythiques et l’oubli des caractères spéciaux propres aux époques successives ont donné lieu à des méprises radicales. […] Les piqûres envenimées, les insultes, les négations, ses propres efforts au besoin, ne le transformeront pas. […] Il faut réduire à ce qu’elle vaut cette prétention comique, propre aux Français, de penser et d’exiger qu’on pense. […] C’est à ce prix qu’on sauvegarde la dignité de l’art et la sienne propre.

59. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

La médiocrité, non plus, n’est guère propre à faire naître en nous un sentiment d’espèce si délicate ; l’impression qu’elle cause n’a rien que de stérile, et ressemble à de la fatigue ou à de la pitié. […] Avec infiniment moins d’ambition qu’aucun, il a son point sur lequel il est autant hors de ligne : Manon Lescaut subsiste à jamais, et, en dépit des révolutions du goût et des modes sans nombre qui en éclipsent le vrai règne, elle peut garder au fond sur son propre sort cette indifférence folâtre et languissante qu’on lui connaît. […] Il y était propre toutefois, mais il l’était aussi à trop d’autres matières plus attrayantes. […] En retour, quand Prévost a eu à parler de lui-même et de ses propres livres, il l’a fait de bonne grâce, et ne s’est pas chicané sur les éloges. […] Walter Scott, de nos jours, n’a-t-il pas écrit ainsi, sans plus de façon, des articles d’éloges sur ses propres romans ?

60. (1694) Des ouvrages de l’esprit

Quelques habiles prononcent en faveur des anciens contre les modernes ; mais ils sont suspects et semblent juger en leur propre cause, tant leurs ouvrages sont faits sur le goût de l’antiquité : on les récuse. […] Il ne faut point de vols, ni de chars, ni de changements, aux Bérénices et à Pénélope : il en faut aux Opéras, et le propre de ce spectacle est de tenir les esprits, les yeux et les oreilles dans un égal enchantement. […] c’est le propre d’un efféminé de se lever tard, de passer une partie du jour à sa toilette, de se voir au miroir, de se parfumer, de se mettre des mouches, de recevoir des billets et d’y faire réponse. […] Si cependant il est permis de faire entre eux quelque comparaison, et les marquer l’un et l’autre par ce qu’ils ont eu de plus propre et par ce qui éclate le plus ordinairement dans leurs ouvrages : peut-être qu’on pourrait parler ainsi. […] L’on n’écrit que pour être entendu ; mais il faut du moins en écrivant faire entendre de belles choses : l’on doit avoir une diction pure, et user de termes qui soient propres, il est vrai ; mais il faut que ces termes si propres expriment des pensées nobles, vives, solides, et qui renferment un très beau sens ; c’est faire de la pureté et de la clarté du discours un mauvais usage que de les faire servir à une matière aride, infructueuse, qui est sans sel, sans utilité, sans nouveauté : que sert aux lecteurs de comprendre aisément et sans peine des choses frivoles et puériles, quelquefois fades et communes, et d’être moins incertains de la pensée d’un auteur, qu’ennuyés de son ouvrage.

61. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — H — article » pp. 489-496

S’il nous est permis de faire quelques réflexions sur son caractere, nous serons autorisés à dire, que l’amour de la célébrité & trop de penchant à se laisser séduire par des insinuations artificieuses, ont été la vraie cause de l’abus qu’il a fait de ses talens, propres d’ailleurs à le faire estimer. […] Nous pouvons assurer, d’après nos propres observations, qu’elle étoit dans lui une espece de manie involontaire, fruit de ses premieres liaisons, plutôt qu’une morgue arrogante & systématique. […] pour celui-ci, M., il n’est pas permis d’en rire : c’est un fatras morne, langoureux, indigeste ; une triste doléance de M. de Voltaire, qui y parle en son propre nom. […] La crainte d’une inimitié redoutable put bien imposer silence à son indignation, pendant que le Philosophe Géometre m’accabloit d’injures en style de Crocheteur : elle ne put ni étouffer le mépris que méritoit un tel procédé, ni l’empêcher de me dire le lendemain en propres termes : Ces vilains Philosophes dégradent perpétuellement les Lettres.

62. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 17, s’il est à propos de mettre de l’amour dans les tragedies » pp. 124-131

Tous les discours qui nous ramenent à nous-mêmes, et qui nous entretiennent de nos propres sentimens, ont pour nous un attrait particulier. […] non ignara mali miseris succurrere disco. il est encore ordinaire de juger des mouvemens naturels du coeur en general, par les mouvemens de son propre coeur. […] Suivant leur sentiment ce sont des hommes moins propres à joüer un rolle sur la scene, qu’à être reclus dans ces maisons où les nations polies renferment une partie de leurs fols. Les transports forcenez d’un ambitieux, au desespoir qu’on lui ait préferé pour remplir un poste éminent et l’objet de ses desirs, celui de ses rivaux qu’il méprisoit davantage, peuvent donc bien interesser vivement ceux qui sçavent par leur propre experience que la passion que le poëte dépeint peut exciter dans le coeur humain ces mouvemens furieux : mais toutes ces agitations, que quelques écrivains nomment la fievre d’ambition, toucheront foiblement les hommes à qui leur tranquillité naturelle a permis de se nourrir l’esprit de reflexions philosophiques, et qui plusieurs fois se sont dit à eux-mêmes que les personnes qui distribuent les emplois se déterminent souvent dans tous les païs et dans tous les tems par des motifs injustes ou frivoles.

63. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. » pp. 432-452

La Révolution le sauva : en le rejetant par-delà les mers et dans la diversité des exils, elle lui permit de grandir par lui-même, de se développer sur son propre fonds, d’écouter la muse inconnue dans la solitude, de se reconnaître et de se tremper directement dans les épreuves. […] Pour le prouver, il suffirait d’opposer à M. de Chateaubriand lui-même ses propres souvenirs et ses témoignages, qu’il a consignés dans le livre de l’Essai, publié en 1797. […] Si M. de Chateaubriand ne traite pas mieux ses parents poétiques, Jean-Jacques et Bernardin de Saint-Pierre, il n’a guère plus d’indulgence pour sa propre postérité, pour ses propres enfants en littérature. […] Ne me fiant pas entièrement à ma propre impression sur ces Mémoires d’outre-tombe, j’ai voulu ainsi m’éclairer en consultant l’impression des autres, et j’ai recueilli un certain nombre de ces jugements, qui sont divers, mais dont aucun ne se contredit. […] » qui se croit privilégiée en douleur, en malheur ; qui a des étonnements, des attendrissements sur elle-même, sur ses propres fortunes ; qui, à chaque chance humaine qui lui arrive, se dit : « Cela n’arrive qu’à moi ! 

64. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — II. (Fin.) » pp. 246-265

C’est alors que les amis actifs de Richelieu, le père Joseph, Bouthillier, se remuent, et font songer à lui comme au négociateur le plus propre pour ramener et adoucir l’esprit de la reine, à laquelle il n’avait cessé d’être agréable. […] Affamés d’honneurs et de biens, et sans aucune ambition patriotique, ils accaparent les gouvernements, les charges, les places de guerre et châteaux ; ils achètent et marchandent pour eux les compagnies des corps royaux et d’élite ; les deniers levés sur les peuples sont détournés à ces traités particuliers : « En un mot, dit Richelieu, si la France était tout entière à vendre, ils achèteraient la France de la France même. » Richelieu est dans l’opposition, comme nous dirions : il est trop patriote, à cette heure, pour n’en pas être, mais il en est encore d’une manière qui lui est propre. […] En France, le meilleur remède qu’on puisse avoir est la patience… » Et il exprime à ce propos sur notre légèreté, si fertile en revers, des idées fâcheuses qui seraient trop décourageantes si lui-même, homme d’autorité et d’établissement, ne venait bientôt, par son propre exemple, les combattre et les corriger. […] Mais précisément, c’est que Richelieu n’est rien moins qu’un Robert Walpole : c’est un homme qui croit à Dieu, au caractère des rois, à une certaine grandeur morale dans les choses publiques, à une vertu propre en chaque ordre de l’État, à une rectitude élevée dans le clergé, à la générosité et à la pureté du cœur dans la noblesse, à la probité et à la gravité dans les parlements ; voilà ce qu’il veut à tout prix maintenir ou restaurer, tandis que l’autre ministre n’a que beaucoup d’habileté, un art de manipulation humaine et de corruption consommée, et de la bonne humeur […] Il ne saurait admettre que, dans un État, tout le monde indifféremment soit élevé pour être savant : « Ainsi qu’un corps qui aurait des yeux en toutes ses parties serait monstrueux, dit-il, de même un État le serait-il, si tous ses sujets étaient savants ; on y verrait aussi peu d’obéissance que l’orgueil et la présomption y seraient ordinaires. » Et encore : « Si les lettres étaient profanées à toutes sortes d’esprits, on verrait plus de gens capables de former des doutes que de les résoudre, et beaucoup seraient plus propres à s’opposer aux vérités qu’à les défendre. » Il cite à l’appui de son opinion le cardinal Du Perron, si ami de la belle littérature, lequel aurait voulu voir établir en France un moindre nombre de collèges, à condition qu’ils fussent meilleurs, munis de professeurs excellents, et qu’ils ne se remplissent que de dignes sujets, propres à conserver dans sa pureté le feu du temple.

65. (1856) Cours familier de littérature. II « XIIe entretien » pp. 429-507

Apparemment que leur présence, leur silence, leur physionomie sont pour Job un miroir dans lequel ses propres misères se réfléchissent et lui paraissent plus terribles à contempler qu’en lui-même. […] » Il s’attendrit de nouveau sur son propre supplice ; il amollit son discours ; il a pitié de lui-même, il essaye d’apitoyer ses accusateurs. […] Et que vous dit de plus cette intelligence sur sa propre existence ? […] L’homme n’aurait plus eu sa part d’action propre dans sa propre destinée ; en cessant d’être libre il aurait cessé d’être homme ; sa vertu forcée l’aurait dégradé de sa vertu volontaire. […] » Il y a un amer plaisir et un âpre orgueil à chanter ainsi son propre avilissement et sa propre honte.

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