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573. (1889) Méthode évolutive-instrumentiste d’une poésie rationnelle

Et cette Poésie demeure, grande, nécessaire, digne à travers tous les temps de l’admiration profonde de tous, car ses poètes firent leur devoir : devoir le seul à des époques de sensation ; de foi et de non-savoir seuls — et ne disaient-ils dès lors en le vers seul logique et, lorsque sa loi sue permet de le délivrer de monotonie, seul magnifique, l’alexandrin. […] Mais avec l’école parnassienne se perdaient le mouvement et la force de la phrase romantique, si profonds — pour de sculpturales attitudes de périodes ou de murmurantes et trop lâches fluidités. […] Procéda de même, mais pourtant avec une logique due à sa très originale sentimentalité ironique et douloureuse, Jules Laforgue, mort si tristement à vingt-cinq ans : car l’on ne peut concevoir autres les vers aux fuyantes et sursautantes allures funambulesques de l’auteur personnel des Complaintes…   Avec ces trois poètes, dont les deux premiers très profonds et dignes de tous les respects artistes, MM. 

574. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Th. Dostoïewski »

Les lecteurs reconnurent en ces livres frustes le don suprême de susciter des émotions nouvelles ; l’on y sentit une âme farouche et sombre, interprétant le spectacle de la vie et l’agitation des âmes en sensations primitives ou barbarement subtiles ; et le sérieux profond, l’âpre signification humaine d’écrits aussi tristes qu’Humiliés et offensés, Crime et châtiment n’échappa à aucun de ceux que sollicite le penchant à comprendre ce qu’ils lisent. […] Il ne semble pas admissible qu’un crime, et qu’un seul crime, laisse, même en un cerveau vibratile, un si continu retentissement et produise de si profondes modifications, sans retour d’habitudes ; et il ne semble pas non plus que la spéculation sur soi-même puisse, chez le criminel, l’emporter autant sur le souci de son salut. […] Car le dédain de toute hiérarchie sociale, ce reniement des apparences humaines qui ne consent pas à distinguer même entre les meilleurs et les pires par un manque singulier d’approximation et d’examen, ne va pas chez Dostoïewski sans une profonde pitié et un triste amour des hommes.

575. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre I : Principe de la métaphysique spiritualiste »

Qui donc sait que dans cette entreprise commune à ces deux penseurs se rencontrait une vue neuve et profonde, qui, développée avec la patience du génie allemand, eût peut-être donné naissance à un mouvement philosophique aussi considérable dans l’histoire que l’a été le mouvement kanto-hégélien, si des circonstances favorables se fussent prêtées à un semblable développement ? […] La profonde philosophie chrétienne avait depuis longtemps avec saint Paul distingué l’homme extérieur et l’homme intérieur, le vieil homme et l’homme nouveau, la chair et l’esprit ; mais cette distinction mystique et morale n’avait point pénétré en métaphysique. […] Par rapport au phénomène, il est comme un tout ; par rapport à l’être, il est comme rien ; c’est un milieu entre rien et tout, selon la profonde expression de Pascal.

576. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Gustave Droz » pp. 189-211

Sceptique en religion ou incrédule, tirant de petites comédies du catholicisme pratiqué par les âmes frivoles, — (ce que vous pardonneront les âmes et les esprits profonds, monsieur !)  […] L’auteur d’Autour d’une source, en peignant son abbé Roque et en le faisant si grandiose, ne nous a pas donné que l’idée d’un homme exceptionnel ; il nous a donné — ce qui est bien plus profond — l’idée qu’il a de la grandeur du sacerdoce. […] Le moraliste a été assez profond dans cet esprit qui n’était qu’une rose hier encore, pour aller… oui !

577. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Note »

Je ne saurais mieux définir le sentiment de profonde affection et comme de piété que je portais alors jusque dans la critique littéraire, qu’en rappelant un passage de mon roman de Volupté, où Amaury s’écrie (chap. xxi) : « … Dans les Lettres mêmes, il est ainsi des âmes tendres, des âmes secondes, qui épousent une âme illustre et s’asservissent à une gloire : Wolff, a dit quelqu’un, fut le prêtre de Leibnitz. […] — Adieu, mon cher Béranger, croyez à mes sentiments de profond et inviolable attachement et respect, « Sainte-Beuve.

578. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Oberman, édition nouvelle, 1833 »

Vers ce même temps, et non plus dans l’ordre de l’action, mais dans celui du sentiment, de la méditation et du rêve, il y avait deux génies, alors naissants, et longuement depuis combattus et refoulés, admirateurs à la fois et adversaires de ce développement gigantesque qu’ils avaient sous les yeux ; sentant aussi en eux l’infini, mais par des aspects tout différents du premier, le sentant dans la poésie, dans l’histoire, dans les beautés des arts ou de la nature, dans le culte ressuscité du passé, dans les aspirations sympathiques vers l’avenir ; nobles et vagues puissances, lumineux précurseurs, représentants des idées, des enthousiasmes, des réminiscences illusoires ou des espérances prophétiques qui devaient triompher de l’Empire et régner durant les quinze années qui succédèrent ; il y avait Corinne et René, Mais, vers ce temps, il y eut aussi, sans qu’on le sût, ni durant tout l’Empire, ni durant les quinze années suivantes, il y eut un autre type, non moins profond, non moins admirable et sacré, de la sensation de l’infini en nous, de l’infinienvisagé et senti hors de l’action, hors de l’histoire, hors des religions du passé ou des vues progressives, de l’infini en lui-même face à face avec nous-même. […] Oberman est sourd, immobile, étouffé, replié sur lui, foudroyé sans éclair, profond plutôt que beau ; il ne se guérit pas, il ne finit pas ; il se prolonge et se traîne vers ses dernières années, plus calme, plus résigné, mais sans péripétie ni revanche éclatante ; cherchant quelque repos dans l’abstinence du sage, dans le silence, l’oubli et la haute sérénité des cieux. 

579. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES » pp. 456-468

Ceux à qui il arrive d’exprimer quelques vérités qui peuvent sembler profondes et hardies, ne doivent pas trop s’enorgueillir ; car, il faut bien se l’avouer, arrivés à un certain âge, la plupart des hommes, je veux dire des hommes qui pensent, pensent au fond de même ; mais peu sont dans le cas de produire ouvertement et de pousser à bout leur pensée. […] Dans cette ode si connue où Horace énumère tout ce qu’il nous faudra quitter bientôt à l’heure de la mort (Linquenda tellus et domus et placens uxor…), il oublie une des plus profondes douceurs, une des plus durables et des plus chères à la vie déclinante, celle de lire Horace et les Anciens : un jour viendra bientôt, charmant poëte, où nous ne te lirons plus !

580. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — I »

Assez semblable au fleuve dont parle Werther, le courant principal, si profond, si abondant en lui-même, disparut presque au milieu de toutes les saignées et de tous les canaux par lesquels on le détourna. […] Ce serait pour nous une trop longue, quoique bien agréable tâche, de rechercher dans ces volumes et d’extraire tout ce qu’ils renferment d’idées et de sentiments par rapport à l’amour, à l’amitié, à la haute morale et à la profonde connaissance du cœur ; au spiritualisme panthéistique, véritable doctrine de notre philosophe ; à l’art, soit comme théorie, soit comme critique, soit enfin comme production et style.

581. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre II. Utilité de l’ordre. — Rapport de l’ordre et de l’originalité »

Il prodiguera les vues originales, les pensées profondes, les mots d’esprit, les traits touchants : il sèmera dans son œuvre de quoi faire un chef-d’œuvre : et le lecteur, ne sachant pas où on le mène, égaré, rebuté, étourdi, aveuglé, n’y comprendra rien, bâillera, et jettera le volume : car tous les hommes ne sont pas d’humeur à refaire le livre qu’ils lisent. […] Ce qui, mal placé, est une niaiserie ou une platitude, peut-être, dans un autre lieu, une vue profonde et fertile en conséquences.

582. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les petites revues » pp. 48-62

On eût dit que les désastres de 1870 avaient creusé un fossé profond entre les pères et les fils. […] l’éparre profond d’ors extraordinaires S’est apaisé léger en ondoiement soyeux, Et son vain charme humain dit que tu dégénères, Antiquité du sein où s’épure le mieux.

583. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre V. Des trois ordres de causes qui peuvent agir sur un auteur » pp. 69-75

Qui niera que la maladie, l’âge, la vieillesse ne modifient fréquemment et d’une façon profonde nos idées, nos sentiments, notre humeur ? […] Nous remarquons, en lisant les tragédies de Racine, que tous ses personnages ont toujours un langage noble ; qu’ils gardent, même dans la passion, un sentiment profond des bienséances ; qu’Achille en fureur, que Néron prêt au crime, enveloppent de politesse leur colère et leurs desseins de meurtre ; que Mithridate expire avec une majesté théâtrale ; qu’un enfant comme Joas, qu’une nourrice comme Œnone, parlent en termes choisis où ne détonne aucune expression basse ou vulgaire ; que, en dépit d’une amitié restée proverbiale, Pylade ne tutoie pas Oreste (par lequel il est tutoyé), parce que l’un est simple citoyen, et l’autre héritier du trône d’Agamemnon.

584. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Bruyère » pp. 111-122

Or, pour la transition, un seul rapport suffit ; mais pour l’agrégation, il en faut mille ; car il faut une convenance naturelle, profonde et complète. » Ainsi défendu, quoiqu’il n’eut pas besoin de défense, La Bruyère, accepté et magnifié à tous les titres de moraliste, de philosophe, d’observateur et d’écrivain, manquait de cette page de critique qui épure la gloire d’un homme en la passant au feu d’un ferme regard, car dans la gloire, dans ce lacryma-christi de la gloire, telle que les hommes la font et la versent, il y a encore des choses qu’il faut rejeter du verre, — pour que l’ivresse en soit divine ! […] L’embryogénie littéraire est une des branches de la Critique, lorsque la Critique est profonde.

585. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Louis Nicolardot » pp. 217-228

Aussi l’étonnement doit-il être profond. […] Idée profonde !

586. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « De Cormenin (Timon) » pp. 179-190

J’avais cru qu’il était un portraitiste terrible de vérité profonde et acharnée, un Timon enfin, puisque c’était Timon, dont le livre devait être le figuier où l’on ne se pendait pas soi-même, — mais où l’on n’en était pas moins pendu. […] Et c’est là aussi que l’étonnement commence, — un étonnement profond, — quand on lit, comme je viens de les relire, ces écrits morts même avant les hommes contre lesquels on les avait tracés.

587. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Sand »

C’est, je crois, le prince de Ligne qui a dit ce joli mot profond, quoique joli : « qu’on n’est point une personne d’esprit si on n’en a pas avant d’avoir ôté son bonnet de nuit, le matin ». […] Nous n’avons pas l’âme assez profonde pour être inconsolable !

588. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Tourgueneff »

C’est un Fielding à courte haleine, alternant avec-un Topffer plus profond et moins pur, un Bas-de-Cuir élégant et civilisé, sans la mélancolie du désert et de la vieillesse, qui parle beaucoup, et, au lieu de rire tout bas, rit tout haut, mais qui rirait bien plus haut encore si le hasard apportait sous son regard, à la fois positif et sceptique, l’introduction faite à son livre et les énormes visées de son traducteur ! […] Si, pour une raison ou pour une autre, involontairement ou à dessein, il se trompe sur la portée du livre qu’il offre au public, il n’en a pas moins, dès qu’il le traduit, le sentiment profond et juste.

589. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Dante »

Ce qu’il fallait voir, avant tout, dans le Dante, c’est le poète, la profonde individualité du poète et l’originalité de son œuvre. […] Il a été résolu, attentif, voulant rester froid devant la tête de Méduse du Génie et son épouvantante beauté, et si son regard n’a pas été profond, il a souvent été juste.

590. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Swift »

Avec une vocation manifeste pour l’observation de la nature humaine, profonde et sincère, en dehors de toute mode et de tout costume, il s’est détourné de l’œuvre éternelle pour s’occuper des questions éphémères de son temps. […] Doué d’une indéniable puissance, de la force d’application anglaise, il avait une originalité profonde et laborieuse, mais il avait le génie aussi sec que le cœur.

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