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917. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

J’avais en une journée cent physionomies diverses, selon la chose dont j’étais affecté : j’étais serein, triste, rêveur, tendre, violent, passionné, enthousiaste ; mais je ne fus jamais tel que vous me voyez là… » Et il ajoute, car il nous importe dès l’abord de le bien voir : « J’avais un grand front, des yeux très vifs, d’assez grands traits, la tête tout à fait d’un ancien orateur, une bonhomie qui touchait de bien près à la bêtise, à la rusticité des anciens temps. » Représentons-nous donc Diderot tel qu’il était en effet, selon le témoignage unanime de tous ses contemporains, et non tel que l’ont fait les artistes ses amis, Michel Van Loo et Greuze, qui l’ont plus ou moins manqué, à ce point que la gravure d’après ce dernier le faisait ressembler à Marmontel : « Son front large, découvert et mollement arrondi, portait, nous dit Meister, l’empreinte imposante d’un esprit vaste, lumineux et fécond. » On ajoute que Lavater crut y reconnaître des traces d’un caractère timide, peu entreprenant ; et il y a lieu de remarquer en effet qu’avec l’esprit hardi, Diderot avait le ressort de conduite et d’action un peu faible. […] Naturellement porté à négliger les défauts et à prendre feu pour les qualités, je suis plus affecté, disait-il, des charmes de la vertu que de la difformité du vice : je me détourne doucement des méchants, et je vole au-devant des bons. […] La tête de Psyché devrait être penchée vers l’Amour, le reste de son corps porté en arrière, comme il est lorsqu’on s’avance vers un lieu où l’on craint d’entrer, et dont on est prêt à s’enfuir ; un pied posé, et l’autre effleurant la terre.

918. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

Vu et lu aujourd’hui sur le papier, ce genre d’esprit, bien qu’agréable, paraît assez mince : porté brillamment alors par un homme beau, brave, généreux, à grandes manières, cela avait toute sa valeur, et tournait les têtes. […] On lui donna la coupe ; il la porta à miss Marianne en y mettant un petit billet tout préparé à l’avance, qui disait : « Sir Marmaduke étant arrivé un instant trop tard, permettez-moi de suivre ses intentions et de mettre la coupe à vos pieds. » Miss Marianne reconnaissait l’écriture de Lauzun et disait : « Il est charmant !  […] La reine avait porté cette plume dès le jour suivant ; « et lorsque je parus à son dîner, dit Lauzun, elle me demanda comment je la trouvais coiffée ?

919. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Essai sur Amyot, par M. A. de Blignières. (1 vol. — 1851.) » pp. 450-470

Il la mérite, nous dit Montaigne, excellent juge, pour la « naïveté et pureté du langage en quoi il surpasse tous les autres », pour la « constance d’un si long travail », pour la « profondeur de son savoir », ayant pu développer si heureusement un « auteur si épineux et ferré » que Plutarque (car il n’est pas besoin de savoir le grec pour sentir qu’on est porté avec Amyot dans un courant de sens continu, et que, sauf tel ou tel point de détail, il est maître de son sujet et dans l’esprit de l’ensemble). […] À un moment (en septembre 1551), il joua même un certain rôle, ayant été envoyé par son ambassadeur au concile de Trente pour y porter les lettres de protestation du roi : mais il ne faut pas s’exagérer le rôle d’Amyot, qui ne fut que très secondaire en cette rencontre comme en toutes les occasions politiques auxquelles il se trouva mêlé. […] On trouverait pourtant chez Amyot, parlant en son nom, quelques pages d’une éloquence douce et de vieillard ; mais sa force, son talent est ailleurs : il n’a son génie propre que quand il est porté par un autre et quand il traduit ; il n’est original et tout à fait à l’aise que quand il vogue dans le plein courant de pensée de l’un de ses auteurs favoris.

920. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Notice historique sur M. Raynouard, par M. Walckenaer. » pp. 1-22

Cette parole d’un seul jour, venue la première après un si long et si rigoureux silence, a suffi pour porter son nom comme citoyen et pour l’inscrire dans l’histoire1. […] À peine admis à l’Académie française, il avait songé aux moyens de corriger et d’améliorer le Dictionnaire, et cette pensée le porta à s’occuper des origines de la langue ; c’est ainsi qu’il fut insensiblement conduit à rechercher ce qui restait des anciens troubadours, et bientôt, l’horizon s’étendant devant lui, il découvrit tout un monde. […] Il portait habituellement culottes courtes, bas de laine gris, habit marron, chapeau à larges bords, cheveux blancs, un peu à la Franklin.

921. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Mémoires du cardinal de Retz. (Collection Michaud et Poujoulat, édition Champollion.) 1837 » pp. 40-61

C’est cet air de grandeur que Retz prisait le plus, qu’il ambitionna d’abord en tout, dans ses paroles, dans ses actions, et qu’il porta dans tous ses projets ; mais, s’il affectait la gloire, il avait en lui bien des qualités de premier ordre pour en former le fonds. […] Malgré sa turbulence et son impétuosité, Retz était très capable de se contraindre, quand l’intérêt de son ambition l’y portait. […] Il y revint le lendemain, ou plutôt il y fut porté sur la tête des peuples avec des acclamations incroyables. » Je n’examine pas si l’expression est proportionnée à l’importance de Broussel ; mais comme elle rend fidèlement l’impression et l’exaltation du moment !

922. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Il poussait très loin cette doctrine d’accommodement avec les penchants, et on l’a entendu dire : « Quand on a un vice, il faut savoir le porter. » Avant d’être ce que nous l’avons connu, c’est-à-dire une espèce d’amateur en politique, assis à l’orchestre, jugeant la pièce, et consulté même souvent par les auteurs ou acteurs, avant de s’être établi dans son habitude d’observer le monde « comme s’il ne remuait que pour son instruction », M.  […] Il y porta toujours beaucoup d’esprit, un ton de raison froide et piquante, un grain de gaieté, d’agrément ou même d’impertinence dans le raisonnement, qui contrastait avec les furieuses colères d’alentour. […] Vers la fin, tout ne portait pas, il y avait du triage à faire.

923. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Œuvres de Louis XIV. (6 vol. in-8º. — 1808.) » pp. 313-333

Vers ce temps (1647), le roi tomba malade de la petite vérole ; sa mère en conçut les plus vives inquiétudes ; il lui en témoignait une tendre et touchante reconnaissance : Dans cette maladie, le roi parut à ceux qui l’approchaient un prince tout à fait porté à la douceur et à la bonté. […] Mazarin mort, il n’y a plus pour Louis XIV aucun motif de différer : Je commençai donc à jeter les yeux sur toutes les diverses parties de l’État, et non pas des yeux indifférents, mais des yeux de maître, sensiblement touché de n’en voir pas une qui ne m’invitât et ne me pressât d’y porter la main, mais observant avec soin ce que le temps et la disposition des choses me pouvaient permettre. […] Il y portait « des grâces infinies, un tour noble et fin qu’on n’a vu qu’à lui ».

924. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) «  Mémoires de Gourville .  » pp. 359-379

Gourville ne fait rien pour dissimuler ses origines ; il avait porté la livrée, une casaque rouge avec des galons ; il ne s’en vante ni ne s’en excuse. […] La paix conclue, il est le premier à en porter la nouvelle à Paris ; il devance les courriers et fait pièce au gentilhomme que dépêchait M. de Vendôme. […] Le but du cardinal, d’accord avec Gourville, est de tâcher que celui-ci soit fait prisonnier, et trouve par là une occasion naturelle d’arriver au prince de Condé pour lui porter des paroles d’accommodement.

925. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Il l’a été d’autant plus dangereusement qu’il y a porté la sincérité de sa manie et un curieux arrangement de détail : il a groupé et construit sur le compte de son ancien ami quantité de minuties et de misères, pour en faire des indignités. […] Un homme d’esprit dit que l’arrivée de Manelli, le chanteur italien, en 1752, avait évité à la France la guerre civile, parce qu’autrement les esprits oisifs se seraient portés sur ces querelles du Parlement et du clergé et les auraient encore enflammées : au lieu de cela, ils se détournèrent avec fureur sur la querelle musicale et y dissipèrent leur feu. […] Meister parle des agréments de sa figure, de sa physionomie pleine de finesse et d’expression, et en même temps il ne nous dissimule pas ce que l’ensemble de sa personne avait d’irrégulier : Il portait, dit-il, la hanche et l’épaule un peu de travers, mais sans mauvaise grâce.

926. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Il ne dit jamais aux Français d’abandonner leur tragédie pour l’imitation des beautés étrangères : « Nous dirons au contraire : Français, conservez vos tragédies précieusement, et songez que, si elles n’ont pas les beautés sublimes qu’on admire dans Shakespeare, elles n’ont pas aussi les fautes grossières qui les déparent. » En jugeant la tragédie française de son temps, il en sait toutes les faiblesses et toutes les langueurs ; il a des réflexions à ce sujet, qui lui sont suggérées par le Timoléon de La Harpe, mais qui remontent et portent plus haut. […] qui porta jamais plus loin que Catherine le grand art des rois, celui de prendre et de donner !  […] Il fit, dès le premier jour, à ce grand mouvement presque universel, des objections sensées, froides, qui portaient sur tout ce qu’il y avait d’illusoire dans le vertige du moment, mais qui ne tenaient point assez compte de ce qui s’y agitait de profond.

927. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — I. » pp. 455-475

Toutes ses lettres, toutes ses confidences respirent ce noble et vertueux effort ; quelque carrière qu’il entreprenne, il n’est pas de ceux qui ne s’y portent qu’à demi ; c’est dans ces années véritablement qu’on peut dire qu’il a jeté les fondements de son âme : Pour ce qui me regarde, écrit-il (15 novembre 1737), j’étudie de toutes mes forces, je fais tout ce que je puis pour acquérir les connaissances qui me sont nécessaires pour m’acquitter dignement de toutes les choses qui peuvent devenir de mon ressort ; enfin, je travaille à me rendre meilleur, et à me remplir l’esprit de tout ce que l’Antiquité et les temps modernes nous fournissent de plus illustres exemples. […] Je voudrais, s’il se peut, en faire une terre bien fertile et ensemencée de toutes sortes de bonnes choses, afin qu’elles puissent germer à temps et porter les fruits qu’on en peut attendre. » C’est à ce même moment enfin qu’il écrivait au respectable Duhan, son ancien précepteur et maître (10 février 1738) ; « Je suis enseveli parmi les livres plus que jamais. […] Mon cœur en portera le deuil, et cela, d’une façon plus profonde qu’on ne le porte pour la plupart des parents.

928. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre VI. Des Livres qui traitent de la Rhétorique. » pp. 294-329

Par-tout on discerne un auteur sage, judicieux, mais trop fleuri & trop porté vers cette éloquence déclamatoire qui s’empara peu à peu de tous les esprits, & qui perdit entiérement le goût. […] Il exhorte dans plusieurs endroits à n’employer l’éloquence que pour porter les hommes à la vertu. […] Sur ce pied là, il faut désormais que nos Prédicateurs deviennent étiques ; il ne leur sera plus permis de se bien porter ; la jaunisse & la maigreur seront deux parties essentielles dans l’éloquence sacrée ; & voilà ce que personne n’avoit enseigné jusqu’à présent.”

929. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

Mais ce que je vois bien, c’est qu’il est de son naturel grand raillard, et que sa raillerie a porté exclusivement sur les maris trompés. […] Inspire-nous le mépris des opinions reçues, et le courage de porter la main sur les vaines idoles ! […] Les rôles portent leurs interprètes. […] Est-ce qu’elle porterait des rubans et du rouge ? […] Elle a failli se trouver mal, au coup qui lui était porté.

930. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La princesse Mathilde » pp. 389-400

Une fois, dans une fête, une cérémonie solennelle à Pétersbourg, il s’agissait pour toutes les personnes de la cour de porter le costume russe national : cette condition, qui était de rigueur et ne soutïrait pas d’exception, était pénible au cœur français, au cœur impérial de la princesse. […] Lorsque les événements vinrent changer la face de la France et la remirent elle-même à sa place sur les degrés du trône impérial, un de ses premiers soins, pour le commencement de l’année 1853, fut d’écrire à l’empereur Nicolas et de remplir envers lui ses devoirs d’usage à titre de parente ; mais sa lettre portait naturellement la marque de sa situation nouvelle : il lui répondit (10 janvier 1853) : J’ai eu grand plaisir, ma chère nièce, à recevoir votre bonne et aimable lettre.

931. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

Des proverbes d’une délicatesse exquise, de beaux vers toujours, des vers légers et qui sentaient une aisance supérieure, qui portaient un bon sens spirituel mêlé à d’aimables négligences, puis des accents soudains qui se relevaient avec chant et rappelaient les sons mélodieux d’autrefois : Étoile de l’amour, ne descends pas des cieux ! […] Un jour, un de ses amis les plus dévoués et dont la perte bien récente a dû lui porter un coup, lui être d’un fâcheux présage, Alfred Tattet, que je rencontrais sur le boulevard, me montra un chiffon de papier sur lequel étaient quelques vers tracés au crayon, et qu’il avait, le matin même, surpris sur la table de nuit de Musset, en ce moment à la campagne chez lui, dans la vallée de Montmorency59.

932. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Paroles d'un croyant »

Cette persécution du silence est la plus dure de toutes à porter, dit Pascal ; notre brûlant apôtre ne l’a pu jusqu’au bout subir. […] « Et l’on vit les enfants du peuple lever le bras contre le peuple, égorger leurs frères, enchaîner leurs pères, et oublier jusqu’aux entrailles qui les avaient portés

933. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « JULES LEFÈVRE. Confidences, poésies, 1833. » pp. 249-261

Il me semble alors que l’inspiration première de chaque pièce est comme une source qui, à son origine, serait obligée de se faire jour à travers un grand nombre de bateaux, et qui, ne pouvant les porter, ne gagnerait, à cet encombrement, que plus de lenteur et beaucoup de vase. […] On souffre de voir un fils de Pétrarque se porter à ces extrémités et répandre à toute force ses entrailles sur la lyre.

934. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Appendice sur La Fontaine »

On ne porterait de Molière qu’un jugement imparfait et hasardé si on l’isolait des vieux écrivains français auxquels il reprenait son bien sans façon, depuis Rabelais et Larivey jusqu’à Tabarin et Cyrano de Bergerac. […] Qu’il nous suffise d’avoir rappelé que, durant les vingt ans écoulés depuis l’aventure de l’ode jusqu’à la publication de Joconde (1662), il ne cessa de cultiver son art ; qu’il composa, dans le genre et sur le ton à la mode, un grand nombre de vers dont très-peu nous sont restés, et que s’il y porta depuis 1664, c’est-à-dire depuis les débuts de Boileau et de Racine, plus de goût, de correction, de maturité, et parut adopter comme une seconde manière, il garda toujours assez de la première pour qu’on reconnût en lui le commensal du vieux Colletet, le disciple de Voiture, et l’ami de Saint-Évremond.

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