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884. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Les partis ne cherchent pas la vertu, mais les services dans ceux qui se mettent à leur tête ; il fut certainement alors une des causes de la chute de la monarchie des Bourbons en 1830 ; il avait juré de se venger, sa vengeance porta plus loin que sur les ministres, elle porta sur le trône ; elle embarrassa le roi et désaffectionna l’opinion qu’il avait le premier fanatisée pour les Bourbons en 1814. […] LVI De 1830 à 1848, M. de Chateaubriand, au milieu de ses pamphlets politiques et de ses voyages officiels aux lieux d’exil de la famille de ses rois, dont il professait le culte officiel, mais dont il portait le mépris secret, à son retour à Paris, en fut réduit à briguer la place de gouverneur du duc de Bordeaux. […] LXVI En 1844, les légitimistes imaginèrent de porter un défi impudent à cette révolution en passant avec éclat une revue de leurs forces à Londres : c’était la revue des ombres.

885. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Plus avancés aujourd’hui, nous devons porter sur ce livre un jugement plus philosophique encore, en le rattachant à toute la littérature contemporaine. […] Nous disions : « Depuis que la philosophie du Dix-Huitième Siècle a porté dans toutes les âmes le doute sur toutes les questions de la religion, de la morale et de la politique, et a ainsi donné naissance à la poésie mélancolique de notre époque, deux ou trois génies poétiques tout à fait hors de ligne apparaissent dans chacune des deux grandes régions entre lesquelles se divise l’Europe intellectuelle, c’est-à-dire d’une part l’Angleterre et l’Allemagne, représentant tout le Nord, et la France qui représente toute la partie sud-occidentale, le domaine particulier de l’ancienne civilisation romaine. […] Byron nous semblait porter le signe de deux destinées : d’une destinée qui s’achève, et d’une destinée qui commence ; d’un monde qui s’engloutit, et d’un monde qui surgit. […] Ce n’est pas avec des débris de vieilles idoles, ce n’est pas non plus en aplatissant nos âmes et en vulgarisant nos intelligences, qu’ils résoudront ce problème d’une poésie qui, au lieu de nous porter au suicide, nous soutienne dans nos douleurs.

886. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

Il était conseiller au parlement de Bordeaux à l’âge de 21 ans ; plus tard, gentilhomme de la chambre du roi Charles IX ; du reste, n’ayant pas connu l’ambition, dont sa fortune le dispensait ou, s’il en sentit un moment les atteintes dans sa jeunesse, s’en étant bientôt défait, « avec le conseil de ses bons amis du temps passé », y dit-il, et parce que l’ambition n’est convenable « qu’à celui à qui lafortune refuse de quoi planter son pied146. » Mais s’il n’en connut pas le principal mobile, il en put du moins considérer les objets d’assez près pour en porter des jugements purs d’illusions et de préventions. En effet, quoique fort épris du loisir et jaloux de sa commodité, il ne put se dérober tellement aux affaires publiques, qu’on ne le forçât de s’y mêler dans cette mesure qu’il portait en toutes choses. […] Dans ce court passage aux affaires, où il avoue s’être « porté trop laschement et d’une affection languissante », il se serait corrigé, s’il eût été nécessaire, des illusions du travail spéculatif ; il y amassa des expériences pour autoriser ses pensées, et des souvenirs pour les provoquer. […] La paresse même de sa mémoire, qu’il a peut-être exagérée par vanité, et cet usage de ne penser qu’à propos ou à la suite des pensées d’autrui, le portaient aux raisons extraordinaires et malaisées.

887. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 février 1885. »

C’est qu’elle a été vraiment aux mains d’un homme, et que la griffe du maître a porté. » Témoin encore ces lignes qu’il écrivit dans une correspondance au Ménestrel : « Dès les premières notes de l’introduction, vous sentez qu’un monde harmonique nouveau vient de s’ouvrir ; vous êtes surpris, quelque chose se révolte en vous, et ce n’est pas sans effroi que vous consentez à suivre le compositeur. […] Ce qui reste d’une fusée d’artifice après qu’on l’a tirée. » On ne peut mieux terminer qu’avec le jugement, modèle en l’espèce porté sur Tristan d’un philosophe esthéticien, M.  […] — Messire, dit-elle, vous m’avez requis en cet endroit pour vous plaindre à moi de la haine que vous portent le nain du roi et certains larrons qui ne cessent de vous nuire. […] — En présence de Dieu et des saintes reliques, que je vois ici, s’écria Yseult, je jure que nul homme autre que le roi ne m’a tenu dans ses bras, si ce n’est le pauvre ladre qui vient de me porter pour passer le ruisseau ! 

888. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — La déformation  »

Ne portant que sur les différences, nos règles sont nécessairement caduques ; nous comparons infatigablement l’orange nouvelle au fruit de l’an passé et nous sommes portés à condamner comme incongrue celle qui est encore à moitié verte et qui agace les dents. […] Il est porté constamment à la rendre différente ; il ne peut la rendre mauvaise. […] C’est donc du dehors que sont venues nécessairement toutes les atteintes portées à la beauté et à l’intégrité de la langue française. […] Les fruits dont les arbres sont inconnus portent le même nom que cet arbre.

889. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Victor Hugo » pp. 106-155

Que l’on observe que les Châtiments sont l’ironique antiparaphrase des paroles officielles placées en épigraphes, qu’il n’est presque point de volume de poèmes qui ne soit digne de porter en titre l’antithèse de Rayons et Ombres, que tous les romans et les drames sont les développements d’une psychologie, d’une situation ou d’une thèse bipartites. […] Hugo sait être tout à tous les sujets, et l’on réfléchit que sa faconde verbale même, si l’on y ajoute par hypothèse, une certaine débilité intellectuelle, doit le porter à chercher des thèmes à phrases, dans tous les cycles de l’histoire et de la légende. […] Les mots ombre, antre, nuit, pris verbalement et portés à leur plus haute énergie, désignent des lieux ou des temps dans lesquels les sens de l’homme sont forcément inactifs, c’est-à-dire ne nous donnent plus aucun renseignement. […] Que l’on suppose jointe à la faculté verbale qui l’a produite, les facultés analytiques et réalistes d’un Balzac, la grâce d’un Heine, ce serait Shakespeare ; que l’on joigne encore à cette intelligence reine, la pensée encyclopédique d’un Goethe, l’on aurait un poète transcendant, qui porterait en sa large cervelle toutes les choses et tous les mots.

890. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Division dramatique. » pp. 64-109

Albin, confident d’Othon, conseille à son maître de s’attacher à Camille, nièce de l’empereur, qui lui portera l’empire en dot. […] Au reste, cet usage dura peu chez les Grecs, c’était dans les chœurs que les poètes portaient le plus loin la licence, et c’est sur les chœurs principalement que tombe la réforme qui sert d’époque à la comédie nouvelle. […] Le récit dramatique qui termine ordinairement nos tragédies, est la description d’un événement funeste, destiné à mettre le comble aux passions tragiques, c’est-à-dire, à porter à leur plus haut point la terreur et la pitié, qui se sont accrues durant tout le cours de la pièce. […] Le but de nos récits étant donc de porter la terreur et la pitié le plus loin qu’elles puissent aller, il est évident qu’ils ne doivent renfermer que les circonstances qui conduisent à ce but.

891. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XIII] »

Par les dons de l’esprit placés aux premiers rangs, Ils ont parlé d’en haut aux peuples ignorants ; Leur voix montait au Ciel pour y porter la guerre ; Leur parole hardie a parcouru la terre. […] Courtisan de l’envie, il la sert, la caresse, Va dans les derniers rangs en flatter la bassesse, Jusques aux fondements de la société Il a porté la faux de son égalité ; Il sema, fit germer, chez un peuple volage, Cet esprit novateur, le monstre de notre âge, Qui couvrira l’Europe et de sang et de deuil. […] Le czar Pierre s’est instruit chez les autres peuples ; il a porté leurs arts chez lui, mais Louis XIV a instruit les nations : tout, jusqu’à ses fautes, leur a été utile. Les protestants, qui ont quitté ses États, ont porté chez vous-même une industrie qui faisait la richesse de la France.

892. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VII. M. Ferrari » pp. 157-193

Ferrari a porté coup à son talent même. […] Ferrari est un artiste, et un érudit, et son érudition a porté à sa tête d’artiste. […] Mais il n’y a rien compris, ou peut-être n’y a-t-il rien voulu comprendre ; et l’aveugle volontaire ou involontaire a nié le soleil dont il portait et sentait le poids sur ses yeux. […] Ferrari, à ne voir que son livre actuel, et malgré ses erreurs nombreuses, est un des hommes les plus richement doués de tous ceux-là qui, dans les sciences ou dans les lettres, aiment à porter ce nom si sec d’esprits positifs, et ne s’occupent que de l’objet de leur recherche, disant du reste, le : Cela ne me regarde pas, qu’autrefois écrivait Descartes, et cependant voilà que ce positif, qui ne voit que les faits dans le monde, et qui ne se soucie même pas de leur raison d’exister, finit en chimérique un livre où les faits seuls devaient se montrer glorifiés.

893. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre III. De la logique poétique » pp. 125-167

Plus tard, la puissance d’abstraire se fortifiant, ces vastes imaginations se resserrèrent, et les mêmes objets furent désignés par les signes les plus petits ; Jupiter, Neptune et Cybèle devinrent si petits, si légers, que le premier vola sur les ailes d’un aigle, le second courut sur la mer porté dans un mince coquillage, et la troisième fut assise sur un lion. […] Celles de l’Égypte ressemblaient à l’alphabet vulgaire des Phéniciens, qui, dans leurs voyages de commerce, l’avaient sans doute porté en Égypte. […] Par exemple, trois épis, ou l’action de couper trois fois des épis, pour signifier trois années. — Platon et Jamblique ont dit que cette langue, dont les expressions portaient avec elles leur sens naturel, s’était parlée autrefois. […] Ils portaient avec eux leur signification ; ainsi trois épis, ou le geste de couper trois fois des épis, signifiait naturellement trois années ; d’où il vint que caractère et nom s’employèrent indifféremment l’un pour l’autre, et que les mots nom et nature eurent la même signification, comme nous l’avons dit plus haut.Ces armoiries, ces armes et emblèmes des familles, furent employés au moyen âge, lorsque les nations, redevenues muettes, perdirent l’usage du langage vulgaire.

894. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LV » pp. 213-214

Au fait, quel que soit le vote, le coup moral est porté.

895. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 78-80

Les mêmes sentimens l'ont porté à s'élever contre les Philosophes modernes dans des Epîtres moins mauvaises que ses Odes, mais toujours foibles, & dans les Discours préliminaires placés à la tête de ses divers Ouvrages de Poésie.

896. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — VIII. Les calaos et les crapauds »

L’oncle calao avala par mégarde un des morceaux et surpris d’y trouver si bon goût, il porta l’autre morceau au grand-père calao en lui disant : « Baba !

897. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XIV. Le procès funèbre de la bouche »

La tête, qu’on avait interrogée la première, déclara ne pas vouloir entendre parler de cette corvée-là « C’était toujours la bouche qui se plaignait d’être fatiguée quand, moi seule, je portais les fardeaux !

898. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De l’état de la France sous Louis XV (1757-1758). » pp. 23-43

Au reste, dans ce que nous aurons à dire cette fois, nous prendrons Bernis bien moins comme ministre que comme témoin et rapporteur de la situation déplorable qu’il a contribué à créer, et à laquelle il assiste sans avoir force ni crédit pour y porter remède. […] Il est certain que cet événement est glorieux en apparence, et qu’il donne à M. de Richelieu la facilité de se porter en avant ; mais gare les suites ! […] Son illusion était de croire qu’après avoir été ministre influent et en première ligne, il pourrait se replier à volonté, s’associer un collègue et non un rival, se fondre intimement avec lui, et, sous cette forme agréable qu’il définit lui-même familièrement de deux têtes dans un bonnet, faire le bien de l’État, sans plus porter seul tout l’odieux et en décomposant le fardeau : Je vous parle comme je pense, écrivait-il à Choiseul ; répondez-moi de même et franchement.

899. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Malherbe et son école. Mémoire sur la vie de Malherbe et sur ses œuvres par M. de Gournay, de l’Académie de Caen (1852.) » pp. 67-87

Ce qu’on peut dire au point de vue du talent, c’est que tous ces retards, ces contrariétés qui barrèrent si longuement sa carrière, furent utiles à Malherbe : elles l’empêchèrent de se classer décidément comme poète avant l’heure voulue, et de débuter trop en public dans un temps où il aurait encore porté des restes de couleur de l’école poétique finissante. […] Sa verve même, quand elle lui vient, se combine avec une certaine habitude raisonnable qui est le propre de la race française en poésie, et qu’il a contribué à fortifier, jusque dans les familiarités et les inélégances de sa conversation, il avait cela du poète que, s’il parlait peu, « il ne disait mot qui ne portât ». […] Roi de ses passions, il a ce qu’il désire : Son fertile domaine est son petit empire, Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau ; Ses champs et ses jardins sont autant de provinces Et, sans porter envie à la pompe des princes, Se contente chez lui de les voir en tableau.

900. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire de la maison royale de Saint-Cyr, par M. Théophile Lavallée. » pp. 473-494

En abordant ce sujet délicat, il y a porté de sa rigueur d’historien, et, en retour, ce sujet lui a rendu de sa douceur et de son élégance. […] Mme de La Maisonfort était de ces personnes rares comme on en connaît quelques-unes en tout temps, qui se portent d’abord au sommet de toutes les curiosités de leur époque, juges suprêmes et raffinés des ouvrages de l’esprit, oracles et prosélytes des opinions en vogue : elle eût fait agréablement du jansénisme avec Racine ou avec M. de Tréville, comme elle distillait du quiétisme avec Fénelon, comme au xviiie  siècle elle se fût éprise de David Hume avec la comtesse de Boufflers, comme au xixe elle eût brillé dans un salon doctrinaire, eût discuté sur la psychologie ou l’esthétique, et peut-être eût poussé jusqu’aux Pères de l’Église, non sans effleurer le socialisme en passant. […] Entourée à Versailles d’hommes qui ne l’aimaient pas ou de femmes qu’elle méprisait, lisant dans leur cœur à travers leurs hommages intéressés et leurs bassesses, excédée de fatigue et de contrainte auprès du roi et de la famille royale qui usaient et abusaient d’elle, elle arrivait à Saint-Cyr pour s’y détendre, pour s’y plaindre, pour y laisser tomber le masque qu’elle portait sans cesse.

901. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

Il est vrai que, si je suis venue en France, c’est par pure obéissance pour mon père, pour mon oncle et pour ma tante l’électrice de Hanovre ; mon inclination ne m’y portait nullement. […] Elle fit abjuration à Metz… Madame, en effet, fut sincère dans sa conversion : pourtant elle y porta quelque chose de sa liberté d’esprit et de son indépendance d’humeur : « Lors de mon arrivée en France, dit-elle, on m’a fait tenir des conférences sur la religion avec trois évêques. […] On l’a vu donner à ce prince mourant des larmes amères, en donner même à sa mémoire, le chercher dans ce superbe palais qu’il remplissait de l’éclat de sa personne et de ses vertus, dire souvent qu’il y manquait, et porter toujours depuis sa mort une plaie profonde, dont toute la gloire de son fils n’a pu lui ôter le sentiment.

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