Mais il paraît que le bœuf aussi a la même horreur pour ce qui brille… Aux yeux de ces sortes d’esprits, Léopold Ranke, passant de l’état d’historien qui sent, se passionne et peint sa pensée, à l’état d’historien systématique et décoloré, est un grand esprit qui s’élève ; et si, à cette suppression de sentiment ou de mouvement, à cette recherche amoureuse sans amour de l’expression abstraite, à cette généralisation vague quand elle n’est pas fausse et fausse dès qu’elle s’avise de préciser, on ajoute la gravité, ce masque des têtes vides qui cache si bien, dans tant de livres contemporains, la platitude de la niaiserie sous l’imposance du sérieux, vous avez un de ces historiens composés de qualités négatives tels que les rationalistes philosophiques et littéraires conçoivent leur historien — leur caput mortuum — et l’ont souvent réalisé. […] Ranke, dont le Protestantisme a subi l’action des doctrines philosophiques qui tendent à le remplacer, n’est pas même le fantôme d’Agrippa, cet homme qui vécut si fort, et qui s’étonnerait, s’il revenait au monde, que la question religieuse qui dominait les esprits des grands protestants du xvie siècle, ne fût plus la question première pour les historiens, leurs successeurs.
Après Hegel, voici du Renan, ce lâche hégélien que Hegel aurait méprisé : « Nous nous consolons de passer à travers le souvenir de la pensée universelle, comme passent les êtres à travers la vie, dans l’immensité de l’inconnu. » « La dispute philosophique, — dit encore, par la plume d’Armand Hayem, le vaniteux mandarin des mandarins qui veut constituer à son profit l’aristocratie de l’écritoire, — la dispute philosophique est le privilège de quelques esprits, jusqu’aux temps où ils pourront ouvrir à l’humanité des vues et des destinées nouvelles.
A quoi bon envelopper une doctrine politique dans une théorie philosophique au risque de l’y étouffer ? […] Il leur conteste leur génie militaire, leur génie philosophique, leur génie scientifique. […] Cette scolastique philosophique, il en est plein. […] Voilà qui serait encore singulièrement « philosophique ». […] L’originalité de la pensée littéraire, philosophique, politique, elle va l’acquérir et la montrer.
Sa petite Comédie lyrique du Bûcheron est pleine d’agrément, de gaieté, & est bien mieux assortie au vrai goût du Théatre Italien, que le jargon philosophique qu’on a eu la mal adresse d’y admettre.
Savinien Lapointe était un enfant chéri de notre grand poète ; aussi retrouve-t-on parfois dans l’élève, et très certainement à sa gloire, la manière naturelle, simple ou élevée quand il le faut, mais toujours populairement philosophique, qui distingue les œuvres du grand maître de la chanson de nos jours.
Eugène Ledrain Penseur et artiste, elle fait preuve, pareillement, surtout dans la partie philosophique d’Un mystérieux amour, de connaissances aussi précises qu’étendues.
Louis Malosse pour dire que, quelquefois, chez lui, le fragment épique s’élève aisément à la hauteur d’un poème philosophique et alors ne manque pas d’une réelle grandeur.
surtout, cette étude de nos origines linguistiques et littéraires, qui est en cours de développement, n’a cessé de marcher : de laborieux et nombreux défricheurs n’ont cessé de publier des textes ; des esprits ingénieux ont multiplié les remarques, les conjectures, les rapprochements ; enfin, des esprits philosophiques, tels que ne l’était pas Raynouard, tels que l’étaient déjà Fauriel et M. […] Fauriel, qui a rectifié Raynouard, qui l’a réfuté avec avantage sur plus d’un point, et qui était un esprit bien plus ouvert et plus philosophique (Raynouard était surtout doué d’une grande sagacité philologique pratique), a eu sa part de système aussi, ou du moins de prévention. […] Littré, j’ai bon espoir ; il me semble que c’est d’un concours et non d’un conflit que sortira le progrès désiré, et que l’expérience, l’esprit philosophique, la méthode philologique et la pratique consommée des textes s’appuient de tous côtés, se corrigent et se complètent : ……………………. […] Edélestand Du Méril ne voit, dans ce passage et dans l’emploi qu’on y fait des mots de (celtice, gallice, que quelque chose de plus vague ; il n’attribue pas à ces mots d’autre sens que celui de langage grossier ; comme qui dirait : « Parle nous patois, parle nous wetche, pourvu que tu nous parles de Martin. » (Essai philosophique sur la formation de la Langue française, p. 113.) — A si grande distance et dans la pénurie de documents, on s’attache à ce que l’on peut, à des vestiges. […] Journal des Savants, 1856, p. 232. — C’est la vue la plus opposée à celles d’autres érudits, qui cherchent la source du roman dans la seule corruption du latin et qui disent : « L’origine du roman remonte donc au premier barbarisme que les Gaulois ajoutèrent à la langue latine. » (Edélestand Du Méril, Essai philosophique sur la formation de la langue française, 1852, p. 135.)
Le poète de Stuttgart, Schwab, que nous avons visité nous-mêmes dans sa demeure philosophique, auprès du toit paternel de Schiller, attribuait comme nous à l’influence tendre et rêveuse de cette mère le germe de la sensibilité poétique dans le génie de Schiller. […] — « Me voilà revenu, écrit Schiller, mais mon esprit est toujours avec vous à Weimar. » Goethe lui envoie à Iéna les premiers volumes de son roman philosophique, William Meister, œuvre énigmatique que les initiés seuls peuvent bien comprendre, et que nous-même nous avouons ne pas comprendre suffisamment pour en parler. […] Il écrivit sa profession de foi désormais philosophique en ces termes : « Heureux temps, jours célestes où, les yeux fermés, je suivais avec abandon le cours de la vie ! […] Ce mépris est la base de l’indifférence philosophique ou politique ; cette indifférence laisse à la sensibilité son calme, à l’esprit son sang-froid et sa clarté. […] Si c’est dans l’ordre philosophique et littéraire, comme Goethe ils conservent leur indépendance de pensée et leur originalité de conception à travers toutes les vagues passagères de la médiocrité subalterne et toutes les aberrations du mauvais goût ; si c’est dans l’ordre politique, comme le prince Talleyrand ils conservent et grandissent leur haute influence à travers tous les événements secondaires et tous les écroulements du siècle ; ils se servent des vagues pour exhausser, pour gouverner leur navire au lieu de s’y noyer avec l’équipage.
À la comtesse de Grammont, railleuse et piquante, Fénelon conseillait de jeûner de conversation mondaine ; au duc de Chevreuse, spéculatif et renfermé en lui-même, il conseille de jeûner de raisonnement : « Quand vous cesserez de raisonner, vous mourrez à vous-même, car la raison est toute votre vie… Plus vous raisonnerez, plus vous donnerez d’aliment à cette vie philosophique. […] Telle est la vie secrète d’un esprit curieux, tourné au raisonnement, qui se possède par méthode philosophique, et qui veut posséder de même tout ce qui l’environne… Qui voudrait à tout moment s’assurer qu’il agit par raison, et non par passion et par humeur, perdrait le temps d’agir, passerait sa vie à anatomiser son cœur, et ne viendrait jamais à bout de ce qu’il chercherait. […] Il l’exhorte à mourir « à ses goûts d’esprit, à ses curiosités et à ses recherches philosophiques, à sa sagesse intempérante, à ses arrangements étudiés, à ses méthodes de persuasion pour le prochain » ; à ne pas être un affairé d’esprit à tout propos et hors de propos, un ardélion de la vie intérieure.
Lorsque Buffon, dans le cours de ses descriptions ou de ses considérations, rencontre quelqu’une de ces idées que Cuvier a appelées des idées de génie, et qui doivent faire la base de toute histoire naturelle philosophique, nous en sommes discrètement avertis. […] Isidore Geoffroy Saint-Hilaire voit le mérite de Buffon autre part encore : mais il me semble que Cuvier et M. de Blainville ne restreignaient point si fort ses titres à la reconnaissance de la postérité ; ils lui accordaient aussi des idées de génie soit en physiologie philosophique, soit pour les grandes distributions géographiques des êtres. […] Ses idées relatives à l’influence qu’exercent la délicatesse et le degré de développement de chaque organe sur la nature des diverses espèces, sont des idées de génie qui doivent faire la base de toute histoire naturelle philosophique, et qui ont rendu tant de services à l’art des méthodes qu’elles doivent faire pardonner à leur auteur le mal qu’il a dit de cet art.
Il l’avertit plus d’une fois combien il importe, en cas d’événement imprévu, qu’il soit au fait de toutes les choses qui concernent l’État, il ne cesse enfin de considérer en lui son héritier présomptif ; car un des caractères philosophiques de Frédéric, c’est de penser habituellement à la mort, mais d’y penser en homme-roi et en vue de pourvoir à la sûreté de l’État après lui. […] Les lettres, qui remplissent les années 1761-1762, sont pleines de verve et de bonne humeur de la part du roi, d’une bonne humeur un peu brusque et âcre : aux détails militaires il se mêle, entre son frère et lui, des lambeaux de dissertations philosophiques. […] Pendant que je la lisais, je me rappelais bien souvent cette autre correspondance récemment publiée, si étonnante, si curieuse, si pleine de lumière historique et de vérité, entre deux autres frères, couronnés tous deux, le roi Joseph et l’empereur Napoléon ; et, sans prétendre instituer de comparaison entre des situations et des caractères trop dissemblables, je me bornais à constater et à ressentir les différences : — différence jusque dans la précision et la netteté même, poussées ici, dans la correspondance impériale, jusqu’à la ligne la plus brève et la plus parfaite simplicité ; différence de ton, de sonoréité et d’éclat, comme si les choses se passaient dans un air plus sec et plus limpide ; un théâtre plus large, une sphère plus ample, des horizons mieux éclairés ; une politique plus à fond, plus à nu, plus austère, et sans le moindre mélange de passe-temps et de digression philosophique ; l’art de combattre, l’art de gouverner, se montrant tout en action et dans le mécanisme de leurs ressorts ; l’irréfragable leçon, la leçon de maître donnée là même où l’on échoue ; une nature humaine aussi, percée à jour de plus haut, plus profondément sondée et secouée ; les plaintes de celui qui se croit injustement accusé et sacrifié, pénétrantes d’accent, et d’une expression noble et persuasive ; les vues du génie, promptes, rapides, coupantes comme l’acier, ailées comme la foudre, et laissant après elles un sillon inextinguible54.
Jamais bailli n’avait été si fêté, si applaudi : il unissait le désintéressement bernois et la franchise helvétique à la politesse française et à la condescendance philosophique. […] La bévue se reconnut à la frontière ; on voulut absolument y voir une pasquinade philosophique, et tous mes efforts pour justifier de mes distractions incurables n’ont pu jusqu’à cette heure rétablir ma réputation auprès des couvents savoyards. » — On voit que si Bonstetten avait des distractions et des absences, il avait beaucoup de présence d’esprit pour les raconter et s’en ressouvenir. […] C’était là un genre d’expérience qui manquait à son éducation morale et philosophique.
Si c’est là en effet le dernier mot de l’incrédulité, il faudra désormais autant et plus de foi pour croire à ces conséquences dites philosophiques ou historiques, à ces conjectures écloses et nées d’un seul cerveau, qu’à nous, chrétiens, pour continuer de croire à la tradition, à l’Église, au miracle visible d’un établissement divin toujours subsistant, au majestueux triomphe où l’évidence est écrite, au consentement universel tel qu’il résulte du concert des premiers et seuls témoins… » J’abrège. […] Renan, avec ses réserves qui font partie de sa force, me paraît être le champion philosophique le mieux approprié à cette seconde moitié du XIXe siècle, de cette époque dont le caractère est de ne point s’irriter ni se railler des grands résultats historiques, mais de les accepter et de les prendre à son compte, sauf explication. […] Renan est aussi une adoration, mais à l’usage des esprits libres et philosophiques.
Lorsque la génération qui a si cruellement souffert fera place à une génération qui ne cherchera plus à se venger des hommes sur les idées, il est impossible que l’esprit humain ne recommence pas à parcourir sa carrière philosophique. […] L’on a employé les formes de la démonstration pour expliquer la théorie des facultés intellectuelles ; c’est une conquête pour l’esprit philosophique. […] Certains systèmes philosophiques menacent aussi la morale individuelle d’une dégradation semblable.
Après avoir épuisé sa série de curiosités de tout genre relatives à l’homme, il conclut par quelques réflexions philosophiques sur les Mânes, et sur ce qui suit la sépulture. […] L’Antiquité aussi a eu son xviiie siècle, j’entends par là sa manière philosophique de penser. […] Cuvier insiste moins que Buffon sur les mérites littéraires et philosophiques de Pline ; il les reconnaît pourtant, et fait la part de tout avec une stricte mais incontestable justesse.
À vingt-quatre ans, l’abbé Gerbet annonçait un talent philosophique et littéraire des plus distingués ; en Sorbonne, il avait soutenu une thèse latine avec une rare élégance ; il avait naturellement les fleurs du discours, le mouvement et le rythme de la phrase, la mesure et le choix de l’expression, même l’image, ce qui, en un mot, deviendra le talent d’écrire. […] Par cette seule vue d’un christianisme antérieur et disséminé à travers le monde, par cette espèce de voyage à la recherche des vérités catholiques flottantes par tout l’univers, l’enseignement de la théologie se serait trouvé singulièrement agrandi et élargi ; l’histoire des idées philosophiques s’y introduisait nécessairement. […] Le Mémorial catholique, à peine fondé, piqua d’honneur les jeunes écrivains du camp philosophique.
Il a publié l’histoire d’une célèbre école philosophique ; c’est son seul ouvrage : le reste dort en lui, enseveli par les exigences du métier et par la volonté de trop bien faire. […] De ce groupe de dispositions morales, on peut déduire tous les détails importants de la constitution romaine ; et il se déduit lui-même de la faculté égoïste et politique que vous avez d’abord détachée. — Portez-la dans la vie privée : vous verrez naître l’esprit intéressé et légiste, l’économie, la frugalité, l’avarice, l’avidité, toutes les coutumes calculatrices qui peuvent conserver et acquérir, les formes minutieuses de transmission juridique, les habitudes de chicane, toutes les dispositions qui sont une garantie ou une arme publique et légale. — Portez-la dans les affections privées : la famille, transformée en institution politique et despotique, fondée, non sur les sentiments naturels, mais sur une communauté d’obéissance et de rites, n’est plus que la chose et la propriété du père, sorte de province léguée chaque fois par une loi en présence de l’État, employée à fournir des soldats au public. — Portez-la dans la région : la région, fondée par l’esprit positif et pratique, dépourvue de philosophie et de poésie, prend pour dieux de sèches abstractions, des fléaux vénérés par crainte, des dieux étrangers importés par intérêt, la patrie adorée par orgueil ; pour culte une terreur sourde et superstitieuse, des cérémonies minutieuses, prosaïques et sanglantes ; pour prêtres des corps organisés de laïques, simples administrateurs, nommés dans l’intérêt de l’État et soumis aux pouvoirs civils. — Portez-la dans l’art : l’art, méprisé, composé d’importations ou de dépouilles, réduit à l’utile, ne produit rien par lui-même que des œuvres politiques et pratiques, documents d’administration, pamphlets, maximes de conduite ; aidé plus tard par la culture étrangère, il n’aboutit qu’à l’éloquence, arme de forum, à la satire, arme de morale, à l’histoire, recueil oratoire de souvenirs politiques ; il ne se développe que par l’imitation, et quand le génie de Rome périt sous un esprit nouveau. — Portez-la dans la science : la science, privée de l’esprit scientifique et philosophique, réduite à des imitations, à des traductions, à des applications, n’est populaire que par la morale, corps de règles pratiques, étudiées pour un but pratique, avec les Grecs pour guides ; et sa seule invention originale est la jurisprudence, compilation de lois, qui reste un manuel de juges, tant que la philosophie grecque n’est pas venue l’organiser et le rapprocher du droit naturel. […] Peu à peu se forme la pyramide des causes, et les faits dispersés reçoivent de l’architecture philosophique leurs attaches et leurs positions.