S’il est certain qu’il y eut des lois avant qu’il existât des philosophes, on doit en inférer que le spectacle des citoyens d’Athènes s’unissant par l’acte de la législation dans l’idée d’un intérêt égal qui fût commun à tous, aida Socrate à former les genres intelligibles, ou les universaux abstraits, au moyen de l’induction, opération de l’esprit qui recueille les particularités uniformes capables de composer un genre sous le rapport de leur uniformité. […] La liberté fit la législation, et de la législation sortit la philosophie.Tout ceci est une nouvelle réfutation du mot de Polybe que nous avons déjà cité ( Si les hommes étaient philosophes, il n’y aurait plus besoin de religion ). Sans religion point de société, sans société point de philosophes.
Elle en est dès longtemps à ce qu’elle nomme ses fredaines de raisonnement : « L’universalité m’occupe, la belle chimère de l’utile (s’il faut l’appeler chimère) me plaît et m’enivre. » Elle juge en philosophe sa dévotion d’hier, et se l’explique : « C’est toujours par elle que commence quelqu’un qui à un cœur sensible joint un esprit réfléchi. » Son idéal d’amitié pourtant, avec la pieuse et indulgente Sophie, ne reçut point de ralentissement de ce côté-là. […] Elle a beaucoup parlé dans ses Mémoires de La Blancherie, manière d’écrivain et de philosophe qui tomba assez vite dans la fadaise et même dans le courtage philanthropique ; elle le juge de haut, et, après quelque digression avoisinante, elle ajoute lestement en revenant à lui : Coulons à fond ce personnage. […] Le premier échec qu’il essuya fut de ce qu’un jour elle le rencontra au Luxembourg avec un plumet au chapeau : un philosophe en plumet ! […] La voilà donc écrivant au philosophe de la rue Plâtrière une belle lettre dans laquelle elle annonçait qu’elle irait elle-même chercher la réponse. […] Roland, dans son bon sens d’économiste, se permet de juger l’historien philosophique des deux Indes comme un charlatan assez peu philosophe, et n’estime ses lourds volumes qu’assez légers et bons à rouler sur les toilettes.
Buffon pourtant ne devint ce philosophe et ce sage que par degrés. […] Le génie de Buffon participe du poète autant que du philosophe ; il confond et réunit les deux caractères en lui, comme cela s’était vu aux époques primitives. […] « Buffon vit absolument en philosophe, a dit un judicieux observateur47 ; il est juste sans être généreux, et toute sa conduite est calquée sur la raison. […] Une telle attitude si à part, si constante et si imperturbable, était faite pour provoquer et irriter les railleurs ; Buffon en trouvait jusque dans le camp des philosophes. […] Mais si ce détail et cette méthode scientifique laissèrent longtemps à désirer chez Buffon auprès d’un petit nombre d’observateurs avancés, il frappa tout d’abord les esprits par de grandes vues, par les plus grandes qui puissent être proposées à la méditation du physicien philosophe.
Ce n’est point l’un de ces maîtres que l’on redoute sous le nom de philosophes ou de sages, c’est un enfant à qui l’on permet de tout dire, et dont on applaudit même les saillies au lieu de s’en fâcher. […] La légèreté, la facilité, les grâces, tout ce qui fait de M. de Voltaire un philosophe si séduisant et le premier bel esprit du siècle, tout cela convient peu à la dignité de l’histoire. […] En France, il salue donc comme incomparable le siècle de Louis XIV ; et, au xviiie siècle, il ne trouve qu’une classe d’hommes supérieurs et d’une espèce particulière, la seule qui manquât au grand siècle : « Je les appellerai volontiers philosophes de génie : tels sont M. de Montesquieu, M. de Buffon, etc. » Voltaire est le seul des littérateurs purs et des poètes qui soutienne le vrai goût par ses grâces., son imagination et sa fertilité naturelle : mais, selon Grimm il ne fait que soutenir ce qui fléchissait déjà. […] Si vous voulez, d’ailleurs, ne garder aucun faux respect, aucune considération intellectuelle pour ces prétendus philosophes, tels qu’Helvétius et d’Holbach, lisez Grimm : vous les voyez réduits à leur valeur personnelle par celui qui les a le mieux connus, et qui, en les peignant si au naturel, n’a songé nullement à les dénigrer. […] Par je ne sais quel prestige, dont l’illusion se perpétue de génération en génération, nous regardons le temps de notre vie comme une époque favorable au genre humain et distinguée dans les annales du monde… Il me semble que le xviiie siècle a surpassé tous les autres dans les éloges qu’il s’est prodigués à lui-même… Peu s’en faut que même les meilleurs esprits ne se persuadent que l’empire doux et paisible de la philosophie va succéder aux longs orages de la déraison, et fixer pour jamais le repos, la tranquillité et le bonheur du genre humain… Mais le vrai philosophe a malheureusement des notions moins consolantes et plus justes… Je suis donc bien éloigné d’imaginer que nous touchons au siècle de la raison, et peu s’en faut que je ne croie l’Europe menacée de quelque révolution sinistre.
Ce qui a fait tort à Frédéric en France et ce qui crée aujourd’hui encore une prévention contre lui, c’est précisément ce qui a d’abord été cause de sa vogue et de sa faveur, je veux parler de ses relations avec nos philosophes. […] Son irréligion même, qui éclate pour nous dans ses rapports avec nos philosophes, et qui est le côté par lequel il les a le plus regardés, cette irréligion qui jure si fort avec son rôle de roi fondateur et instituteur de peuple, n’était pas au fond ce qu’accusent ses correspondances les plus connues. […] On me laisse peu de repos, mais l’intérieur est tranquille, et je puis vous assurer que je n’ai jamais été plus philosophe qu’en cette occasion-ci. […] On lit à la suite de la correspondance tous ces détails affectueux et même pieux, tristes pourtant en ce qu’on sent qu’à mesure que le temps marche et que le souvenir s’éloigne, le philosophe et le roi, tout en faisant son devoir, n’y mêle plus rien de la flamme première. […] On se demande ce que serait devenue cette incomparable amitié si M. de Suhm avait vécu, ce qu’il aurait pensé de son ami le philosophe en le voyant devenu guerroyeur et conquérant, ce qu’il aurait dit des soupers de Potsdam, des entretiens de Sans-Souci, des licences philosophiques que certains convives y apportaient, et si l’idéal premier, au milieu de l’admiration persistante, n’aurait pas subi un déchet inévitable ?
Nous sommes donc en plein mysticisme, diraient les philosophes, et c’est vrai, nous y sommes dans ce livre. […] À une époque où les philosophes étouffent la double personnalité de Dieu et de l’homme dans le je ne sais quoi bête de la substance, avoir essayé de montrer que la notion même du paradis, pour n’être pas incompréhensible, était obligée de se construire de la personnalité de Dieu et de l’homme en présence, sans diminution, ni retranchement de la créature par son créateur, est un mérite certain, mais relatifs tandis que faire une étude animée, haletante, d’une prodigieuse éloquence et pénétration sur l’âme humaine, est dans tous les temps, un mérite absolu. […] À sa manière elle a fait plus sur la question de personnalité divine que beaucoup de philosophes ; que M. […] (Voir le Ier volume des Œuvres et des Hommes, Philosophes et Écrivains religieux, Ire série.) […] Mme de Staël, dans son livre d’un sensualisme noir, intitulé de l’Influence des passions sur le bonheur, a aussi un chapitre sur la séparation par la mort, et Mme de Staël est aussi une grande âme et une enivrée de ses larmes ; mais comparez ce cruel chapitre aux pages adorables de Mme de Gasparin, et vous aurez mesuré la distance qui sépare la femme pieuse de la philosophe, même pour le bien qu’elles font à l’âme avec un livre, toutes les deux !
Renan, au fond, est un philosophe. […] Le critique n’a pas relevé le philosophe. […] Taine, dont nous parlerons plus loin, a donnée de la Science et qui permettrait à toutes les deux de faire leur travail de destruction dans la plus complète sécurité et sans s’inquiéter de savoir s’il y a une morale, une société, des gouvernements, un foyer domestique, tout un ensemble de choses organisées autour de soi, à respecter, cette définition, qu’il est si important de faire admettre à tout le monde, est la grande affaire et le coup d’État actuel des philosophes. […] Renan les met, il est vrai, à l’abri sous cette tolérance chère aux philosophes, sous ce paratonnerre où tombe le mépris ! […] Avant d’être un philosophe, avant d’être un linguiste, M.
Les habitudes de l’homme intérieur, ayant formé le philosophe, formèrent sa philosophie ; son système du monde fut produit par l’état de son âme ; sans le savoir ni le vouloir, il construisit les choses d’après un besoin personnel, Ce genre d’illusion est presque inévitable ; nous ressemblons à ces insectes qui, selon la diversité de la nourriture, filent des cocons de diverses couleurs. […] Il commençait en philosophe et finissait en théologien. […] Ici, comme ailleurs, il garde l’empreinte de ses deux natures : chrétien converti, philosophe tardif, conduit par une méthode sévère, appesanti par des souvenirs d’enfance, il s’est agité et il s’est meurtri ; la moitié de sa peine est demeurée stérile ; de ses mains inquiètes il a ouvert la science, et s’est assis blessé sur le seuil. […] Néanmoins, le prédicateur et le philosophe entretinrent longtemps un commerce d’éloges réservés et de discussions polies. […] Cousin en philosophe, le plaçait au dix-neuvième siècle, et lui donnait pour disciple M.
Le physicien est le critique de la nature ; le philosophe est le critique de l’humanité. Là où le vulgaire voit fantaisie et miracle, le physicien et le philosophe voient des lois et de la raison. […] Quand les plus grands philosophes, dit-on, sont impuissants à analyser le langage, comment les premiers hommes auraient-ils pu le créer ? […] De là leur inappréciable valeur aux yeux du philosophe. […] Les philosophes croient travailler pour l’honneur de la philosophie en abaissant les religions, et ils ont tort.
Les philosophes disent qu’on peut maîtriser son cœur et faire taire ses passions. […] C’est ce qui peut arriver aujourd’hui pour la physiologie à l’égard du poëte et du philosophe ; mais ce n’est là qu’un état transitoire, et j’ai la conviction que quand la physiologie sera assez avancée, le poëte, le philosophe et le physiologiste s’entendront tous. […] C’est ce qui fait que, tout en fuyant les systèmes philosophiques, j’aime beaucoup les philosophes, et je me plais infiniment dans leur commerce. […] Dès lors les philosophes se tiennent toujours dans les questions en controverse et dans les régions élevées, limites supérieures des sciences. […] En un mot, si les savants sont utiles aux philosophes et les philosophes aux savants, le savant n’en reste pas moins libre et complétement maître chez lui, et je pense, quant à moi, que les savants dans leurs laboratoires font leurs découvertes, leurs théories et leur science sans les philosophes.
Les philosophes, disions-nous, ont engendré le doute ; les poètes en ont senti l’amertume fermenter dans leur cœur, et ils chantent le désespoir ; ils chantent, glorieux mais tristes, entre une tombe et un berceau, entre un ordre social qui achève de s’écrouler et un nouveau monde qui va naître : et nous leur reprochions de tenir plutôt les yeux tournés vers le passé que vers l’avenir. […] Toutes les attaques des philosophes contre la noblesse et l’inégalité des rangs avaient été devancées par les attaques aussi vives de Boileau et de Molière. […] Les philosophes qui traitent de l’esthétique disent que l’industrie a pour principe l’utile, et l’art pour principe le beau. […] Et voilà, pour le dire en passant, ce qui condamne la foule des imitateurs que Scott et Cooper ont trouvés, et qui, nés sur le sol volcanisé par les Philosophes, les Jacobins et Napoléon, ont eu la maladresse de vouloir contrefaire l’allure qui sied si bien à ces enfants de l’Amérique et de l’Écosse, peignant d’après nature et selon leur propre nature. […] se plaira-t-il à toute cette grandeur contre laquelle ses pères, vassaux révoltés, luttèrent pendant tant de siècles, et qu’ils ont fini par traîner dans la poussière et dans le sang, contre laquelle ses maîtres les philosophes ont prononcé un anathème et un arrêt de mort ?
Les philosophes d’Allemagne, entourés d’institutions vicieuses, sans excuses, comme sans avantages, se sont entièrement livrés à l’examen rigoureux des vérités naturelles. […] La société ayant encore beaucoup moins d’agréments en Allemagne qu’en Angleterre, la plupart des philosophes vivent solitaires, et l’intérêt des affaires publiques, si puissant chez les Anglais, n’existe presque point parmi les Allemands. […] Il n’y a rien d’assez grand ni d’assez libre dans les gouvernements, pour que les philosophes puissent préférer les jouissances du pouvoir à celles de la pensée ; et leur âme ne se refroidit point par des rapports trop continuels avec les hommes. […] Comme ils sont naturellement penseurs et méditatifs, ils placent leurs idées abstraites, et les développements et les définitions dont leurs têtes sont occupées, dans les scènes les plus passionnées ; et les héros, et les femmes, et les anciens, et les modernes tiennent tous quelquefois le langage, d’un philosophe allemand.
« Un philosophe a le premier émis cette “absurdité” que l’esclave était un homme au même titre que son maître43. » Si l’égalitarisme est apparu d’abord dans les sociétés gréco-romaines, puis dans nos sociétés modernes, c’est qu’il s’est rencontré, ici et là, des penseurs pour l’inventer ou le retrouver ; ses créateurs, ce sont les philosophes stoïciens, les prophètes chrétiens ; plus tard, c’est Descartes, c’est Rousseau, c’est Kant. […] Les uns l’en jugent plus méprisable, la dénonçant comme un concept a priori, rêve de philosophe, « chimère de Rousseau » ; les autres, plus admirable, rappelant qu’il est le résultat précieux des longs efforts spéculatifs des plus hauts représentants de l’humanité46. — Ainsi la thèse idéologique satisfait dès l’abord à des préférences diverses. […] Admettons que la méditation consciente transfigure et « dénature » les matériaux qui lui sont apportés par le milieu : il n’en est pas moins vrai que, en poussant aussi loin que possible l’explication sociologique de ses inventions mêmes et en montrant, par exemple, comment certaines conditions sociales devaient, suivant les lois générales de la formation des idées, amener les esprits des philosophes jusqu’à l’égalitarisme, nous gagnons sur l’inconnu ; et que par suite, toutes circonstances égales, notre hypothèse, offrant un essai d’explication là où l’autre n’offre que l’adoration d’un mystère, devait être préférée.
Pour achever de nous convaincre de sa folle témérité, il n’a laissé échapper aucune occasion de fronder les Encyclopédistes & les Philosophes. […] Que ne s’étoit-il fait Philosophe, ce M.
Ce ne sont pas les philosophes, du moins ceux-là qui, négateurs impitoyables de la vérité chrétienne, pourraient s’appeler les radicaux du rationalisme moderne. […] Mais, à côté de ces philosophes qui ont l’épouvantante netteté de l’erreur complète, il y en a d’autres, à lumières équivoques et troublantes, sur les lèvres de qui, par exemple, le respect du christianisme n’est pas effacé et qui se servent de la vérité même pour détruire la vérité.
Ce philosophe a très bien senti l’insuffisance, le verbalisme où aboutissent certains efforts sociaux, tant d’enthousiasmes dépensés et tant de sang versé ; mais si le but qu’on déclarait viser, — à savoir la justice sociale — n’a pas été atteint (et cette sévérité pour l’œuvre de la Révolution, fort explicable dans la bouche d’un socialiste, ne vous étonne-t-elle pas un peu chez un admirateur des libertés anglo-saxonnes ?) […] On voudrait qu’un philosophe du xviiie siècle ou un homme de la Révolution, par exemple, lui répliquât dans les mêmes termes qu’un certain jour employa Gœthe.
Exercé à l’observation intérieure, le philosophe devrait descendre au-dedans de lui-même, puis, remontant à la surface, suivre le mouvement graduel par lequel la conscience se détend, s’étend, se prépare à évoluer dans l’espace. […] Et si, avec Spinoza et Leibniz, cette restriction disparut, balayée par la logique du système, si ces deux philosophes formulèrent dans toute sa rigueur l’hypothèse d’un parallélisme constant entre les états du corps et ceux de l’âme, du moins s’abstinrent-ils de faire de l’âme un simple reflet du corps ; ils auraient aussi bien dit que le corps était un reflet de l’âme. […] Et c’est ainsi que des philosophes tels que Lamettrie, Helvétius, Charles Bonnet, Cabanis, dont les attaches avec le cartésianisme sont bien connues, ont apporté à la science du xixe siècle ce qu’elle pouvait le mieux utiliser de la métaphysique du xviie . […] La doctrine que vous nous apportez, nous la connaissons : elle sort de nos ateliers ; c’est nous, philosophes, qui l’avons fabriquée ; et c’est de la vieille, très vieille marchandise. […] Si le travail du cerveau correspondait à la totalité de la conscience, s’il y avait équivalence entre le cérébral et le mental, la conscience pourrait suivre les destinées du cerveau et la mort être la fin de tout : du moins l’expérience ne dirait-elle pas le contraire, et le philosophe qui affirme la survivance serait-il réduit à appuyer sa thèse sur quelque construction métaphysique — chose généralement fragile.
Car la suppression du christianisme, d’un idéal religieux qui fournit une règle de vie avec une espérance de bonheur ultra-terrestre, mais infini, cette suppression seule explique la fureur de zèle humanitaire avec laquelle les philosophes veulent refaire la société pour mettre dans cette vie toute la justice et tout le bonheur. […] Ce procédé de critique fut peut-être le plus efficace et le plus fatal à l’Eglise : et ce furent les théologiens qui l’enseignèrent aux philosophes. […] Le dictionnaire de Bayle fut un des livres essentiels du xviiie siècle ; il fit les délices de Voltaire, de Frédéric II, de tous les incrédules ; c’est le magasin d’où sortit presque toute l’érudition philosophique, historique, philologique, théologique, dont les philosophes s’armèrent contre l’Église et la religion.