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620. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

Jean-Baptiste Massillon, né à Hyères en Provence le 24 juin 1663, fils d’un notaire du lieu, montra de bonne heure ces grâces de l’esprit et de la personne, ces dons naturels de la parole et de la persuasion qui ont distingué tant d’hommes éminents sortis de ces mêmes contrées et qui semblent un héritage ininterrompu de l’ancienne Grèce. […] N’oublions jamais en le lisant qu’il y manque celui qui les animait de son action modérée et de sa personne, celui dont la voix avait tous les tons de l’âme, et dont le grand acteur Baron disait après l’avoir entendu : « Voilà un orateur ! […] s’écrie-t-il, vous qui vîtes dans leur naissance les dérèglements des pécheurs qui m’écoutent et qui, depuis, en avez remarqué tous les progrès, vous savez que la honte de cette fille chrétienne n’a commencé que par de légères complaisances et de vains projets d’une honnête amitié : que les infidélités de cette personne engagée dans un lien honorable n’étaient d’abord que de petits empressements pour plaire, et une secrète joie d’y avoir réussi : vous savez qu’une vaine démangeaison de tout savoir et de décider sur tout, des lectures pernicieuses à la foi, pas assez redoutées, et une secrète envie de se distinguer du côté de l’esprit, ont conduit peu à peu cet incrédule au libertinage et à l’irréligion : vous savez que cet homme n’est dans le fond de la débauche et de l’endurcissement que pour avoir étouffé d’abord mille remords sur certaines actions douteuses, et s’être fait de fausses maximes pour se calmer : vous savez enfin que cette âme infidèle, après une conversion d’éclat, etc. […] Il a pourtant d’agréables et justes passages, comme celui-ci par exemple, qui peint Louis XIV dans son caractère de familiarité grave et de haute affabilité : De ce fonds de sagesse sortait la majesté répandue sur sa personne : la vie la plus privée ne le vit jamais un moment oublier la gravité et les bienséances de la dignité royale ; jamais roi ne sut mieux soutenir que lui le caractère majestueux de la souveraineté. […] M. de Sacy, à qui l’on doit cette remarque, s’étonne que personne n’ait jamais indiqué ce sermon au nombre des meilleurs et des plus beaux de Massillon.

621. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — II. (Fin.) » pp. 62-79

Si quelques personnes viennent me rendre visite, je ne les vois qu’un moment, je parle de la pluie et du beau temps ou bien des nouvelles du jour, et je me réfugie ensuite dans ma retraite. […] Cependant « Le Malade imaginaire n’est pas celle des comédies de Molière que j’aime le mieux, disait-elle ; Tartuffe me plaît davantage. » Et dans une autre lettre : « Je ne puis vous écrire plus long, car on m’appelle pour aller à la Comédie ; je vais voir Le Misanthrope, celle des pièces de Molière qui me fait le plus de plaisir. » Elle admirait Corneille, elle cite La Mort de Pompée ; je ne sais si elle goûta Esther : elle aurait aimé Shakespeare : « J’ai souvent entendu Son Altesse notre père, écrivait-elle à sa demi-sœur, dire qu’il n’y avait pas au monde de plus belles comédies que celles des Anglais. » Après la mort de Monsieur et durant les dernières années de Louis XIV, elle avait adopté un genre de vie tout à fait exact et retiré : « Je suis ici fort délaissée (5 mai 1709), car tous, jeunes et vieux, courent après la faveur ; la Maintenon ne peut me souffrir ; la duchesse de Bourgogne n’aime que ce que cette dame aime. » Elle s’était donc faite absolument ermite au milieu de la Cour : Je ne fraye avec personne si ce n’est avec mes gens ; je suis aussi polie que je peux avec tout le monde, mais je ne contracte avec personne des liaisons particulières, et je vis seule ; je me promène, je vais en voiture ; mais depuis deux heures jusqu’à neuf et demie, je ne vois plus figure humaine ; je lis, j’écris, ou je m’amuse à faire des paniers comme celui que j’ai envoyé à ma tante. […] Elle était très exacte à écrire à Mme l’électrice de Hanovre et à plusieurs autres personnes en Allemagne. […] Je ne crois pas qu’il y ait dans Paris, tant parmi les ecclésiastiques que parmi les gens du monde, cent personnes qui aient la véritable foi chrétienne, et même qui croient en notre Sauveur ; cela me fait frémir. » Le peuple de Paris sentait dans Madame une princesse d’honneur, de probité, incapable d’un mauvais conseil et d’une influence intéressée ; aussi elle était en grande faveur auprès des Parisiens, et plus même qu’elle ne le méritait, disait-elle, se mêlant aussi peu des affaires.

622. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Maucroix, l’ami de La Fontaine. Ses Œuvres diverses publiées par M. Louis Paris. » pp. 217-234

M. de Joyeuse avait une fille qui avait de l’esprit et de la beauté ; Maucroix la voyait se former et grandir : « Comme ce garçon est bien fait, a beaucoup de douceur et beaucoup d’esprit, et fait aussi bien des vers et des lettres que personne, à quinze ans elle eut de l’inclination pour lui. » C’est Tallemant qui nous peint ainsi son ami, et qui nous raconte l’historiette romanesque. […] Par le plus grand bonheur du monde j’ai recouvré un portrait de la personne que j’ai la mieux aimée, combien y a-t-il ? […] Ce sont trois pièces qui sont imitées d’Horace, de Malherbe ; le poète y redit, en l’affaiblissant, ce que ce dernier avait dit de la mort, qui n’épargne personne. […] Louis Paris, nous apprend tout ce qu’on peut désirer, sinon sur les principaux événements de sa vie, du moins sur sa personne et son caractère. […] On a beaucoup cité ces quatre vers qu’il fit en 1700, quand il avait quatre-vingts ans passés : Chaque jour est un bien que du ciel je reçoi, Je jouis aujourd’hui de celui qu’il me donne ; Il n’appartient pas plus aux jeunes gens qu’à moi, Et celui de demain n’appartient à personne.

623. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — III. (Fin.) » pp. 479-496

Ce manuscrit, avec beaucoup d’autres papiers, contenant le fruit de quinze années de travaux assidus, fut pillé et détruit en 1814 par les Cosaques : « C’est venir de bien loin, remarquait-il avec une douce plainte, pour faire du mal à un homme qui n’en veut à personne. » Les Voyages au Mont-Perdu me semblent le plus classique des deux ouvrages de Ramond. […] Personne n’y était monté jusqu’alors ; il en approcha deux fois, il y toucha, et avait toujours été arrêté à une petite distance de la cime. […] Ces formes simples et graves, ces coupes nettes et hardies, ces rochers si entiers et si sains dont les larges assises s’alignent en murailles, se courbent en amphithéâtres, se façonnent en gradins, s’élancent en tours où la main des Géants semble avoir appliqué l’aplomb et le cordeau : voilà ce que personne n’a rencontré au séjour des glaces éternelles ; voilà ce qu’on chercherait en vain dans les montagnes primitives, dont les flancs déchirés s’allongent en pointes aiguës, et dont la base se cache sous des monceaux de débris. […] Elle nous le montre aussi au naturel dans sa conversation et dans sa personne : « On aurait dit que l’âge accroissait encore le feu de ses discours et de ses regards ; et jusqu’à ses derniers moments, ses proportions légères, son tempérament sec, la vivacité de ses mouvements, ont rappelé le peintre des montagnes. » En ce qui était des hommes, des personnages en scène, il les jugeait bien et les marquait en les jugeant ; sa conversation était gaie, piquante ; il avait de ces mots qui restent, du caustique, le trait prompt et continuel4. […] Ramond est fait pour apprécier, autant et mieux que personne, les mérites et les beautés.

624. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — I » pp. 356-374

On a aussi contre la personne de ce grand roi des préventions qui datent du temps de M. de Choiseul et de Voltaire, des opinions toutes faites qui se transmettent ou se renouvellent sans examen. […] La reine mère lui répond : « J’ai à bénir le ciel de m’avoir conservé tout ce que j’ai de plus cher au monde, votre personne, mon cher fils, m’étant plus chère que ma vie. […] Il n’y a que l’article du militaire qui m’importe trop pour que je puisse y admettre des ménagements pour personne. […] Nombre de lettres de Frédéric adressées à son frère, à la veille ou au lendemain des batailles acharnées où il risque tout et où, tantôt battu, tantôt battant, sa personne est continuellement enjeu, lettres toutes remplies de recommandations nettes et précises, attestent sa simplicité, sa force d’âme et son souci patriotique de l’État, il met certainement le plus haut prix aux services que le prince Henri ne cesse de rendre, en ces cruelles années, par ses soins et ses bonnes dispositions autant que par sa valeur : « L’Europe, lui dit-il (mai 1759), apprendra à vous connaître non seulement comme un prince aimable, mais encore comme un homme qui sait conduire la guerre et qui doit se faire respecter. […] Vous qui prêchez l’indulgence, ayez-en quelqu’une pour les personnes qui n’ont aucune intention de vous offenser ou de vous manquer de respect, et daignez recevoir avec plus de bénignité les humbles représentations que les conjonctures me forcent quelquefois de vous faire.

625. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Des prochaines élections de l’Académie. »

L’Académie, en la personne de plusieurs de ses membres considérables, a, en effet, une grande peur : c’est encore moins la politique qui détermine dans certains cas, que la crainte de la Bohême littéraire. […] À s’en tenir aux noms qui sont en ligne, et puisque le cri public ne proclame personne, M.  […] L’auteur est content d’avoir fait quelque chose d’impossible, là où on ne croyait pas que personne pût aller. […] Puisqu’il s’agit non-seulement d’un prêtre, mais d’un religieux à remplacer au sein de l’Académie, il était tout simple que quelques personnes pensassent au Père Gratry, oratorien. […] Nous les rend-il, mais vivants, mais rajeunis, et non pas seulement assagis, attiédis, intimidés et comme mortifiés en ses écrits et en sa personne ?

626. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite) »

Soyons juste : l’ambition était par trop grande à lui de prétendre régner aussi dans les sciences ; cette monarchie universelle n’est donnée à personne, même dans le monde des esprits. […] Quand j’avais, pendant des années, travaillé de toutes les forces de mon âme, afin de plaire au monde par un nouvel ouvrage, il voulait encore que je lui fisse, de plus, de grands remerciements parce qu’il avait bien voulu le trouver supportable. — Quand on me louait, je ne devais pas accepter ces éloges avec un contentement calme, comme un tribut qui m’était dû, on attendait de moi quelque phrase bien modeste, par laquelle j’aurais détourné la louange en proclamant avec beaucoup d’humilité l’indignité profonde de ma personne et de mes œuvres. […] Personne mieux que Gœthe ne s’entendait à prendre la mesure des esprits et des génies, de leur élévation et de leur portée ; il savait les étages ; c’est ce que trop de critiques oublient et confondent aujourd’hui. […] Aussi ses rapports personnels avec Gœthe, tout en étant bons et parfaitement convenables, s’en trouvaient quelquefois un peu gênés : « Tieck, disait Gœthe à ce propos, est un talent d’une haute signification (très-significatif, c’était encore un des mots favoris de Gœthe), et personne ne peut mieux que moi reconnaître ses mérites extraordinaires ; mais si on veut l’élever au-dessus de lui-même et l’égaler à moi, on se trompe. […] C’est un homme unique : ses pièces touchent à la tragédie, elles saisissent, et personne en cela n’ose l’imiter.

627. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Legkzinska »

Le duc de Bourbon, du moment qu’il résistait à donner au roi une de ses sœurs, crut ne pouvoir trouver une personne plus à son gré et dans sa main que cette espèce de Nausicaa ou de Noémi si humble et si simple ; on comptait l’avoir à sa dévotion. […] Mademoiselle de Clermont, dont Mme de Genlis a fait dans un joli roman une héroïne si sentimentale, était une personne qui ne marchandait pas. […] Il nous le montre, vers la fin, devenu si défiant qu’on pouvait fort douter s’il croyait encore à la probité : ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il regardait les personnes vertueuses comme peu capables, et s’il fallait s’en remettre à quelqu’un, c’étaient les plus malhonnêtes sans hésitation, et les plus signalés au mépris, qu’il employait de préférence et sans réserve : l’excès de défiance l’avait mené ainsi, de degrés en degrés, à son contraire : « Cette défiance, ajoute Le Roy en terminant, justifiée malheureusement par un grand nombre de faits, avait donné dans les derniers temps de l’immoralité à son caractère et mis le comble à son apathie ; elle avait surtout fait des progrès rapides, depuis qu’on avait attenté à sa vie. […] vous redoublez mes alarmes. » Elle resta toujours en sa présence cette personne intimidée et alarmée. […] J’avoue ma perplexité : nous sommes ici avec la reine devant des portraits assez différents ; c’est bien la même personne, mais elle est vue par les uns bien en beau, et par les autres assez en laid.

628. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre IV. Le roman »

Il ne ressemble guère aux gens de lettres du xviiie siècle, si remuants, si désireux de s’étaler, d’occuper le monde de leurs personnes. […] Il n’en veut ni à la religion ni à la société ; il traite comme travers des personnes et des classes ce que les autres attaquent comme vices des institutions ; il fait le moraliste, et non le sociologue. […] Non, il y a simplement que la Régence a passé, en son débraillé, dans sa cynique impudence, étalant ce que la majestueuse personne de Louis XIV cachait : il y a que Lesage a vu l’abbé Dubois gouverner le Régent, tandis que Philippe V avait Albéroni. […] Marianne est une petite personne, honnête d’instinct, fine d’esprit, sensible, vaniteuse, coquette : un type féminin, mais une femme. […] Jacob est plus simple, aussi s’analyse-t-il moins : mais Marianne, dans sa petite personne, est infiniment compliquée.

629. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. de Lamartine. (Les deux premiers volumes. — Pagnerre.) » pp. 389-408

Mais, dès cette première phrase de M. de Lamartine, j’ai vu des personnes se demander ce que l’historien entendait par le milieu de la vie, et si, en effet, nous en étions encore à mesurer l’espace de nos jours et le nombre des soleils qui nous sont accordés, comme on le faisait au temps des patriarches. […] Je n’insiste sur cette phrase de début, qui a frappé beaucoup de personnes, que pour montrer qu’on ne saurait raisonnablement attendre de l’historien-poète un grand scrupule d’exactitude sur ces points de détail et d’humble réalité. […] Après l’avoir peint dans son costume ordinaire, avec ses bottes de velours, son habit de drap bleu, et avoir décrit ainsi sa tête : « Sa chevelure, artistement relevée et contournée par le fer des coiffeurs sur les tempes, se renfermait derrière la nuque dans un ruban de soie noire flottant sur son collet » (ce qui, sans périphrase, veut dire qu’il avait une queue) ; après avoir ajouté, en parlant toujours de sa tête : « Elle était poudrée à blanc à la mode de nos pères, et cachait ainsi la blancheur de l’âge sous la neige artificielle de la toilette », le peintre en vient au caractère de la personne et au visage : On eût dit que le temps, l’exil, les fatigues, les infirmités, l’obésité lourde de sa nature, ne s’étaient attachés aux pieds et au tronc que pour faire mieux ressortir l’éternelle et vigoureuse jeunesse du visage. […] Il détaille à l’excès la personne et le physique des gens ; il va jusqu’à poursuivre les moindres reflets aux angles des yeux et au front : on n’a jamais vu tant de choses dans un visage. […] Ce n’est pourtant que vers 1818 que ces diverses richesses intellectuelles, qui devaient honorer la période des quinze ans, commencèrent à se dessiner la plupart dans la personne de leurs jeunes représentants.

630. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « La reine Marguerite. Ses mémoires et ses lettres. » pp. 182-200

C’est à quoi il veut parer : En cette appréhension, continue-t-il, songeant les moyens d’y remédier, je trouve qu’il m’est nécessaire d’avoir quelques personnes très fidèles qui tiennent mon parti auprès de la reine ma mère. […] Le duc d’Anjou propose donc à sa sœur de changer sa manière de vie, d’être désormais assidue auprès de la reine leur mère à toutes les heures, à son lever, dans son cabinet tout le jour, à son coucher, et d’obtenir ainsi d’être traitée désormais non plus comme un enfant, mais comme une personne qui le représente pendant son absence. […] Cette beauté était moins encore dans les traits particuliers du visage que dans l’ensemble et la grâce de toute la personne, dans le mélange de séduction et de majesté. […] Cette beauté si réelle et si solide, et qui avait si peu besoin d’emprunt, avait, comme toute sa personne, ses bizarreries et ses superstitions. […] Marguerite témoigne désirer que, puisqu’elle doit être interrogée, ce soit de personnes plus privées et plus familières, son courage n’allant pas jusqu’à pouvoir supporter si publiquement une telle diminution : « Et craindrais que mes larmes, dit-elle, ne fissent juger à ces cardinaux quelque force ou quelque contrainte, qui nuirait à l’effet que le roi désire. » (21 octobre 1599.)

631. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Philarète Chasles » pp. 111-136

I Quelques jours après sa mort, Philarète Chasles eut sa minute de bruit ; mais les nécessiteux et les furieux d’actualité, comme ils disent, qui avaient attendu sa mort pour parler de lui, dont ils ne disaient pas grand-chose quand il était vivant et qu’il lançait quelque livre du fond de sa petite catacombe de la Bibliothèque Mazarine, ne s’occupèrent bientôt pas plus de sa personne que s’il n’avait jamais existé. […] Et l’on croasse sur ses livres, sur sa personne, sur sa causerie, sur ses ridicules et jusque sur ses pots de pommades et ses cosmétiques, car il fut longtemps comme Mazarin, qui ne voulait pas déchoir et mettait du rouge pour ne pas paraître mourant, ce que le marquis de Mirabeau a admiré, par parenthèse, dans une phrase magnifique. […] Il fût devenu certainement, s’il avait eu tout ce que le Christianisme peut donner, le premier critique d’un temps qui n’a pas de premier, et personne, incontestablement, dans ce siècle, ni Sainte-Beuve, ni Gustave Planche, ni les autres qui font de la critique, n’aurait pu lui être comparé. […] J’y trouve le reviewer que Chasles avait rapporté d’Angleterre dans sa personne ; car il fut le premier des reviewers en France et il est demeuré le plus fort de tous. […] Questions ressassées, sans qu’on n’en ait jamais fait sortir — Chasles ni personne — une solution qui impose et fasse loi et silence autour d’elle.

632. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Vigny »

Or, malgré la beauté de ces traductions amoureuses, la muse virginale de Vigny n’est faite pour être la Léda de personne, même quand le cygne qui cache le maître des dieux serait Shakespeare. […] … Quel rapport, direz-vous, existe-t-il entre Pascal, — le mâle Pascal, mâle jusqu’à la monstruosité, — janséniste, misanthrope, lycanthrope, génie effaré et terrible, et Vigny, femme par la pitié, grâce par le génie ; Vigny de la « Tour d’ivoire », sur lequel on exécute, quand on en parle, la symphonie en blanc majeur de Théophile Gautier ; Vigny, albâtre et albatros, qu’on pourrait très bien faire seigneur de Cinq-Cygnes, car il en entre certainement plus de cinq dans la composition de sa personne et de sa Muse… Quel rapport ? […] Il fut Pascal, sans Port-Royal, sans cilice, sans conclusion, sans consolation ; — Pascal sous une forme douce, sous cette forme de la résignation qui ne trompe ni Dieu ni personne, et qui est la forme la plus poignante que je sache du désespoir ! […] Mais voilà pourtant la vérité certaine dont, avant le livre de Ratisbonne, personne ne se doutait sur l’auteur d’Éloa, sur ce Calme qui cachait un Profond… Cependant, quand je dis personne, je dis trop.

633. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XII : Pourquoi l’éclectisme a-t-il réussi ? »

Personne ne s’étonna en voyant Mme de Staël prêcher l’exaltation et l’enthousiasme. Personne ne se scandalisa en voyant M. de Chateaubriand recommander le christianisme à titre d’agréable, changer Dieu en tapissier décorateur, et répondre à la géologie nouvelle que le monde fut créé vieux. […] Personne ne voudrait la comparer, comme les anciennes, à un fleuve qui arrose et renverse ; point de bruit, point de mouvement, point d’effet ; c’est une baignoire bien propre, bien reposée et bien tiède, où les pères, par précaution de santé, mettent leurs enfants. […] Voici qu’on vient de déterrer le plus grand psychologue du siècle, Henri Beyle, qui avait manqué la popularité, parce qu’il avait fui le ton sublime ; et plusieurs personnes déjà préfèrent ses petites phrases précises, dignes d’un code et d’une algèbre, aux métaphores de Victor Hugo et au galimatias de Balzac. […] Quelques personnes commencent à redouter le sentiment, à discuter l’enthousiasme, à rechercher les faits, à aimer les preuves.

634. (1813) Réflexions sur le suicide

On a néanmoins eu tort de prétendre, que le Suicide était un acte de lâcheté : cette assertion forcée n’a convaincu personne ; mais on doit distinguer dans ce cas la bravoure de la fermeté. […] Revoyez, après dix ans, une personne qui a subi une grande privation de quelque nature qu’elle soit, et vous saurez qu’elle souffre et jouit par une autre cause que cette privation même, dans laquelle consistait son malheur dix ans auparavant. […] Quelques personnes prétendent qu’il est des circonstances, où se sentant à charge aux autres, on peut se faire un devoir de les délivrer de soi. […] Si deux personnes profondément malheureuses s’étaient donné la mort en implorant la commisération des êtres sensibles et en se recommandant aux prières des âmes pieuses, personne n’aurait pu se défendre de donner des larmes à la douleur qui rend insensé, quel que soit le genre de folie qu’elle suggère. […] C’était une personne d’une piété parfaite, et dont toute l’existence était empreinte de douceur et de dignité.

635. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

Il n’y en a pas davantage, si les personnes ne sont ni amies ni ennemies. […] Cette science, l’histoire naturelle, il la possède comme personne ne l’a possédée avant lui, comme depuis lors personne peut-être ne l’a possédée. […] Et est-il personne qui ne puisse adopter ceux qui donnèrent à Socrate son imperturbable foi devant une mort inique et cruelle ? […] Jusqu’à présent la sagacité des érudits a échoué devant la Métaphysique, que personne n’a pu restituer légitimement. […] Que devenaient ces conversations, du moment que Socrate cessait d’y figurer en personne ?

636. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

J’allai avec d’autres personnes, et bientôt après on se mit à table. […] Malgré toute notre expérience, quand il s’agit d’une personne qui nous est chère, nous croyons la mort toujours impossible, et nous ne pouvons y croire ; elle est toujours inattendue. […] Il montrera cette collection aux voyageurs qui passent par Weimar, et se fera renseigner par eux sur les personnes dont il a le portrait et qui lui sont encore inconnues. […] Non : ces idées sont en nous ; elles sont une partie de notre être, et personne ne peut les écarter de soi. […] À l’extrémité d’une allée nous voyons deux personnes de nos connaissances qui marchaient paisiblement l’une à côté de l’autre en causant.

637. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Granier de Cassagnac » pp. 277-345

Seul en France, peut-être, Granier de Cassagnac, dont la voix porte quand il parle, pouvait dire de ces choses qui n’auraient été perdues pour personne et qu’on eût entendues au-dessus et au-dessous de lui. […] Jusque-là, en effet, personne, parmi les écrivains qui avaient voulu raconter ou expliquer la Révolution française, n’avait eu, comme l’historien qui s’élevait alors, le coup de pinceau historique. […] Tout le monde se défiait de tout le monde, alors, marque certaine de la petitesse des âmes pour les nations comme pour les hommes, et personne ne se donnait ou ne se refusait à personne, parce que personne ne croyait aux autres ni même à soi ! Pouvoir, opposition, partis, gouvernements étrangers, personne ne croyait assez à soi pour oser être et nettement agir. […] C’était un autoritaire par amour de l’ordre, absolument nécessaire aux sociétés humaines, et c’était un monarchiste qui n’ignorait pas que les dynasties ne représentent pas seulement leurs augustes personnes, mais la propriété héréditaire du pouvoir.

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