Nous lisions avec étonnement cette phrase étonnante : « Il n’y eut personne dans le chapitre qui ne le louât extrêmement, mais sans louanges. […] Il en donna encore de petites à différentes personnes. » La belle curée ! […] Écoutez ce style : « Je dis au roi que je n’avais pas pu vivre davantage dans sa disgrâce, sans me hasarder à chercher à apprendre par où j’y étais tombé... ; qu’ayant été quatre ans durant de tous les voyages de Marly, la privation m’en avait été une marque qui m’avait été très-sensible, et par la disgrâce et par la privation de ces temps longs de l’honneur de lui faire ma cour... ; que j’avais grand soin de ne parler mal de personne ; que pour Sa Majesté j’aimerais mieux être mort (en le regardant avec feu entre deux yeux). […] Il s’échappait ; au fort de l’action, l’ouragan intérieur l’emportait ; on avait peur de lui ; personne ne se souciait de manier une tempête. […] Sa voix entrecoupée, la contrainte de ses yeux, le saisissement et le trouble visible de toute sa personne démentaient le reste de venin dont il ne put refuser la libation à lui-même et à sa compagnie.
Il tranchait du petit-maître et personne ne l’est moins que je ne le suis. […] Un grand artiste comme vous doit s’en rapporter à lui-même plus qu’à personne. […] elle n’a épargné personne. […] Aimez-moi, car il est affreux de n’être aimé de personne. […] Tirez-moi de là sans blesser personne.
Il n’avait jamais conçu la pensée de tromper personne ; feindre lui aurait paru une demi-duplicité. […] Il se sentait trop de talent pour envier personne. […] Pour devenir grand il n’avait besoin de rapetisser personne. […] ne parlez de cela à personne ; vous irez rendre ce livre à M. […] En général, les femmes aiment celui qui ne s’abaisse devant personne.
Sur-le-champ il changea de sujet, et fit le portrait du prélat parfait, portrait qui ne cadrait pas bien avec la personne de l’évêque, et il fut dénoncé pour ce fait. […] Personne ne voyageait sur les routes et ne se promenait dans les champs, excepté en cas de nécessité absolue. […] Personne, sauf Spenser, n’a été si lucide. […] Celui que personne n’osait avertir, tu l’as persuadé. Ce que personne n’osait faire, tu l’as fait.
La foule n’est personne, parce que la foule est tout le monde. […] En la formulant, je n’apprendrais rien à personne. […] Personne, s’il faut en croire M. […] Hugo n’a besoin du témoignage de personne pour démontrer ce qu’il vaut. […] Hugo ne seront plus qu’une seule et même personne.
Telle était ma situation morale après tant de vicissitudes de cœur, et après la perte, par la mort ou autrement, de tant de personnes adorées. […] J’avais eu l’occasion, l’année précédente, de rencontrer à Chambéry une jeune personne anglaise, d’un extérieur gracieux, d’une imagination poétique, d’une naissance distinguée, alliée aux plus illustres familles de son pays. […] Les personnes pieuses du pays, confidentes de son penchant pour moi, faisaient des vœux charitables pour que l’amour achevât la conversion de l’esprit. […] Il remit les affaires à M. de Fontenay, premier secrétaire d’ambassade, comme cela se fait ordinairement dans les circonstances équivoques, afin de pouvoir désavouer des hommes secondaires, et il resta de sa personne à Naples encore quelque temps, pour recevoir des instructions de Paris. […] Rome, sous son gouvernement, ressemblait à une république où chacun pense et dit ce qu’il veut, sans que personne inquiète ou tyrannise personne.
Il représente une phase nouvelle et un progrès social dans la science qu’il cultivait avec succès ; il contribua plus que personne en son moment à la rendre facile, accessible, même élégante de forme, en la laissant sérieuse et solide ; à la tirer des écoles, sans la rendre pour cela frivole et sans la profaner. […] Doué des dons naturels de la personne, de la physionomie et de la figure, de la séduction de l’organe et de l’agrément de la parole, il brilla au premier rang comme professeur et comme orateur académique ; à ce dernier titre, il a sa place encore aujourd’hui parmi ceux qui, tout en les louant, ont su peindre les hommes. […] Les principaux membres de la Société y sont crûment traités comme des coquins et des intrigants, et Vicq d’Azyr y’est moins ménagé que personne. […] Vicq d’Azyr, enlevé avant l’âge, manqua à cette fondation et à cette renaissance complète sous le Consulat, ou plutôt on peut dire qu’il y assista encore dans la personne de ses amis et confrères survivants, nourris du même esprit, les Thouret et les Fourcroy. […] N’oublions jamais non plus la personne de l’orateur, sa grâce à bien dire et les nuances qui se marquaient dans sa voix.
On l’aimait parce qu’il ne lui échappait jamais rien contre personne ; qu’il était doux, complaisant, sûr dans le commerce, fort honnête homme, obligeant, honorable ; mais d’ailleurs si plat, si fade, si grand admirateur de riens, pourvu que ces riens tinssent au roi, ou aux gens en place ou en faveur ; si bas adulateur des mêmes, et, depuis qu’il s’éleva, si bouffi d’orgueil et de fadaises, sans toutefois manquer à personne, ni être moins bas, si occupé de faire entendre et valoir ses prétendues distinctions, qu’on ne pouvait s’empêcher d’en rire. […] Pour mon compte, sans être un M. de Saint-Germain, c’est l’illusion que je me fais quelquefois, quand les yeux fermés je rouvre les scènes et les perspectives de ma mémoire : car enfin ce temps qui a précédé notre naissance, ce xviiie siècle tout entier, nous le savons, avec un peu de bonne volonté et de lecture, tout autant que si nous y avions assisté en personne et réellement vécu : Mme d’Épinay, Marmontel, Duclos, tant d’autres nous y ont introduits ; nous pourrions entrer à toute heure dans un salon quelconque et n’y être pas trop dépaysés ; et même, après quelques instants de silence pour nous mettre au fait de l’entretien, nous pourrions risquer notre mot sans nous trahir et sans être regardés en étrangers. […] Dangeau est trop circonspect et trop poli pour le dire, il vous laisse le plaisir de le deviner. — Quelques jours après, les choses se dessinent ; il devient moins sûr que jamais qu’elle soit du voyage, et on lit à la date du samedi 25 mai : « Mme de Montespan, chez qui le roi était allé au sortir de la messe comme à son ordinaire, s’en alla le soir toute seule à Rambouillet ; elle n’a voulu prendre congé du roi ni de personne. » On aura d’autres nouvelles encore de Mme de Montespan, mais seulement au fur et à mesure et au jour la journée. […] [NdA] M. de Vivonne, Mme de Montespan et ses sœurs avaient dans l’esprit un tour inimitable, ce qu’on a pu appeler l’esprit Mortemart, le don de dire « des choses plaisantes et singulières, toujours neuves et auxquelles personne ni eux-mêmes, en les disant, ne s’attendaient. » (Saint-Simon.)
À l’égard des personnes, M. […] quand on publie ses Mémoires de son vivant, on s’expose à un jugement complet de son vivant ; on le réclame ; car ne demander qu’un simple jugement littéraire en venant présenter au public toute sa personne, toute sa vie, ce serait par trop diminuer le droit du lecteur et rabaisser sa juridiction. […] » — Non, mon cher Auguste Le Prevost (car c’était lui), non, l’histoire en personne sous les traits de M. […] C’est une magnifique guerre de guérillas où l’on ne tue personne. […] Celui de madame de Boigne me semble moins bien traité et trop peu étudié : cette personne rare, d’un esprit si ferme et si juste avec tant de tour et de délicatesse, méritait mieux.
Dans cette pleurésie qu’elle a et qu’on traite tout de travers (car l’absurdité autour d’elle éclate de toutes parts et sous toutes les formes), elle a près de son lit des dames placées par l’Impératrice, et elle entend d’elles, à leur insu, et devine beaucoup de choses qu’elle a intérêt à connaître : « Je m’étais accoutumée, dit-elle, pendant ma maladie, d’être les yeux fermés ; on me croyait endormie, et alors la comtesse Roumianzoff et les femmes disaient entre elles ce qu’elles avaient sur le cœur, et par là j’apprenais quantité de choses. » Elle sait qu’avant tout, à ses débuts, il faut plaire, — plaire à l’Impératrice d’abord, personne faible, crédule, pleine de préventions et de petitesses ; plaire à la nation aussi, et paraître soi-même en être éprise. […] Je montrais un grand respect à ma mère, une obéissance sans bornes à l’Impératrice, la considération la plus profonde au grand-duc, et je cherchais avec la plus profonde étude l’affection du public. » Et encore « Je m’attachais plus que jamais à gagner l’affection de tout le monde en général : grands et petits, personne n’était négligé de ma part, et je me fis une règle de croire que j’avais besoin de tout le monde, et d’agir en conséquence pour m’acquérir la bienveillance ; en quoi je réussis. » Elle rencontra, à ce moment difficile et décisif, un conseiller excellent : c’était un Suédois de beaucoup d’esprit, qui n’était plus jeune, le comte Gyllenbourg. […] Elle a pour principe essentiel de n’être à charge à personne, se sentant par nature pour être de ces âmes royales qui ont leur support en elles-mêmes et de qui d’autres peuvent dépendre, mais qui ne dépendent pas. […] Peu de personnes y étaient à leur avantage ; Élisabeth y brillait entre toutes : « Ont aurait toujours voulu avoir les yeux attachés sur elle ; et on ne les en détournait qu’à regret, parce qu’on ne trouvait nul objet qui la remplaçât. […] Je n’en fis pas secret à Mr Tchoglokoff qui le redit à l’oreille de deux ou trois personnes, et de bouche en bouche, au bout d’un quart d’heure à peu près, tout le monde le sut. » Avec une galanterie des ce genre et moyennant cette adroite flatterie pour un caprice souverain, la grande-duchesse réparait pour quelque temps, dans l’esprit futile d’Élisabeth, bien des préventions contre elle, qu’on lui avait inspirées. — Mais voici le mieux, et je ne crois pas qu’un peintre de femmes, fût-il un Hamilton, eût jamais pu mieux faire ni mieux dire, s’il s’était proposé de nous donner le portrait de Catherine, à l’âge de vingt et un ans : « Aux bals de la Cour, où le public n’assistait pas, je me mettais le plus simplement que je pouvais, et en cela je ne faisais pas mal ma cour à l’Impératrice, qui n’aimait pas beaucoup qu’on y parut fort parée.
La gouvernante est une Irlandaise fort instruite, qui joue de la harpe au clair de la lune, mais protestante, disgracieuse de toute sa personne, et fort laide. […] C’est insensé : car d’abord Raoul n’a point là-dessus de parti pris absolu et irrévocable ; car, de plus, Sibylle, qui exerce un grand ascendant sur lui, doit espérer, Dieu aidant, de modifier son opinion et de l’amener à la sienne ; car, même chrétiennement parlant, il n’y a pas lieu, en pareil cas, de jeter le manche après la cognée, puisque saint Paul a écrit que « la femme fidèle justifierait le mari infidèle. » Aussi, à partir de ce moment, tout intérêt selon moi, cesse raisonnablement de s’attacher à Sibylle, qui se conduit en personne peu éclairée, en fille volontaire et opiniâtre, en fanatique fidèle à la lettre plus qu’à l’esprit, et, pour trancher le mot, comme une petite sotte. […] cette belle et florissante personne, si faite pour les jouissances de la vie, si amie du positif et des réalités, qui servait à Sibylle de repoussoir, la voilà qui se trouve, elle aussi, atteinte et infectée du même vice que Sibylle, de vouloir à toute force quelque chose de transcendant et de surnaturel ! […] Il n’est pas donné à tous d’aller au fond de cet océan et d’en sonder toutes les profondeurs ; mais il n’est permis à personne de ne pas tenir compte des grands courants. […] Dès qu’un de ses romans paraît chez son éditeur, il faut voir, nous dit-on, comme son public, à lui, se dessine ; d’élégantes lectrices viennent en foule et elles viennent en personne ; les équipages se succèdent : en général, on ne demande pas un, mais plusieurs exemplaires du roman nouveau.
Il n’eut, dans toute sa vie littéraire, qu’une heure de vrai talent ; c’est le jour où, piqué au jeu et piqué jusqu’au sang, traduit en personne sur le théâtre par Voltaire, et gêné d’ailleurs ou du moins contenu dans ses représailles par M. de Malesherbes, alors directeur de la Librairie, il rendit compte, après maint essai infructueux et maint remaniement obligé, de la première représentation de l’Écossaise. […] En réduisant autant qu’on le voudra la gravité de cette remarque, il s’ensuit toujours que sa critique baisse d’un cran ; la dignité des lettres ne brillait ni dans ses écrits ni dans sa personne. […] La Harpe, dans sa chétive personne, presque aussi exiguë que celle de Pope, sous cette enveloppe petite et frêle, que tous ces hommes gros et gras lui reprochaient grossièrement, avait des qualités vives, des susceptibilités fines, des nerfs délicats ; il sentait en lui un principe supérieur, une flamme, ce qui est devenu à certain jour un flambeau, ce qui lui a fait entreprendre et mener à bien les belles parties de son Cours de Littérature. […] Selon moi, il n’a pas tiré un parti assez sérieux de Linguet et de ses nombreux écrits ; Linguet le paradoxal, si éloquent lorsqu’il a raison ; celui de qui Voltaire écrivait dans une lettre à Condorcet (24 novembre 1774) : « Si ce Linguet a d’ailleurs de très-grands torts, il faut avouer aussi qu’il a fait quelques bons ouvrages et quelques belles actions » ; celui dont Mme Roland, qui l’avait vu à Londres en 1784, a parlé comme d’un homme « doux, spirituel, aimable », corrigeant dans sa personne et dans sa conversation ce que sa plume pouvait avoir d’âpre et d’amer, et en particulier (chose rare chez un exilé) ne s’exprimant sur la France et les Français qu’avec circonspection, réserve et modestie17. […] Collé lui-même, qui n’aime pas Voltaire, et, au moment où, dans son Journal, il s’indigne le plus vivement des personnalités injurieuses répandues dans l’Ecossaise, se croit obligé d’ajouter : « Et personne n’a pourtant un plus froid, un plus profond mépris que moi pour Fréron. » 17.
., que, lorsque je reviens de Versailles, je m’arrête quelquefois dans les rues à regarder un chien ronger un os297. » L’homme, s’étant livré tout entier au monde, n’avait gardé pour soi aucune portion de sa personne, et les convenances, comme autant de lianes, avaient enlacé toute la substance de son être et tout le détail de son action. Il y avait alors, dit une personne qui a subi cette éducation298, une manière de marcher, de s’asseoir, de saluer, de ramasser son gant, de tenir sa fourchette, de présenter un objet, enfin une mimique complète qu’on devait enseigner aux enfants de très bonne heure, afin qu’elle leur devînt par l’habitude une seconde nature, et cette convention était un article de si haute importance dans la vie des hommes et des femmes de l’ancien beau monde que les acteurs ont peine aujourd’hui, malgré toutes leurs études, à nous en donner une idée ». — Non seulement le dehors, mais encore le dedans était factice ; il y avait une façon obligée de sentir, de penser, de vivre et de mourir. […] Les amoureux de la Nouvelle Héloïse échangent, pendant quatre volumes, des morceaux de style, et là-dessus une personne, « non seulement mesurée, mais compassée », la comtesse de Blot, dans un cercle chez la duchesse de Chartres, s’écrie « qu’à moins d’une vertu supérieure une femme vraiment sensible ne pourrait rien refuser à la passion de Rousseau304 ». […] Enfermés dans leurs châteaux et leurs hôtels, ils n’y voient que les gens de leur monde, ils n’entendent que l’écho de leurs propres idées, ils n’imaginent rien au-delà ; deux cents personnes leur semblent le public D’ailleurs, dans un salon, les vérités désagréables ne sont point admises, surtout quand elles sont personnelles, et une chimère y devient un dogme parce qu’elle y devient une convention. […] Personne n’osa exécuter le mandat d’arrêt.
Le secret du retour était gardé entre très peu de personnes. […] Mais ici la méfiance, déjà propre à cette jeune nature, se marqua à l’instant ; sa physionomie se ferma : « Mais je ne connais personne à Paris », répondit-il ; — et après une pause d’un instant : « Je n’y connais plus que la colonne de la place Vendôme. » Puis s’apercevant qu’il avait interprété trop profondément une parole toute simple, et pour corriger l’effet de cette brusque réponse, il envoya le surlendemain à M. de La Rue, qui montait en voiture, un petit billet où étaient tracés ces seuls mots : « Quand vous reverrez la Colonne, présentez-lui mes respects. » Au maréchal Marmont, comme à toutes les personnes avec qui il parlait de la France, le jeune prince exprimait l’idée qu’il ne devait, dans aucun cas, jouer un rôle d’aventure ni servir de sujet et de prétexte à des expériences politiques ; il rendait cette juste pensée avec une dignité et une hauteur déjà souveraines : « Le fils de Napoléon, disait-il, doit avoir trop de grandeur pour servir d’instrument, et, dans des événements de cette nature, je ne veux pas être une avant-garde, mais une réserve, c’est-à-dire arriver comme secours, en rappelant de grands souvenirs. » Dans une conversation avec le maréchal, et dont les sujets avaient été variés, il en vint à traiter une question abstraite ou plutôt de morale, et comparant l’homme d’honneur à l’homme de conscience, il donnait décidément la préférence à ce dernier, « parce que, disait-il, c’est toujours le mieux et le plus utile qu’il désire atteindre, tandis que l’autre peut être l’instrument aveugle d’un méchant ou d’un insensé ». Se rappelant la conversation qu’il avait eue avec Napoléon avant Leipzig, à Düben, le 11 octobre 1813, et que les événements subséquents avaient gravée en traits brûlants dans son souvenir, le maréchal fut très frappé de ce qu’il croyait une coïncidence fortuite ; mais, comme il en parlait à une personne de la Cour, il sut que le jeune prince avait été informé par elle de cette conversation de Napoléon et des traces qu’elle avait laissées dans le cœur du maréchal. […] Non, la France ne saurait renier celui qui justifia si bien les grandeurs déjà commencées de l’histoire, et qui montra de sa présence et de sa personne, dans ces diverses contrées du monde où il parut, que la renommée lointaine ne mentait pas.
Il n’est pas téméraire, semble-t-il, de penser que plus d’un de ces morts volontaires que l’on invoque a pour cause une suggestion de la coutume, qui, déplaçant le centre de gravité de l’individu, le contraint à se concevoir très différent de ce qu’il est : il sacrifie alors, de la façon la plus tragique, à cette fausse conception de soi-même sa propre personne et son instinct de conservation le plus fort. […] Dans ses jeux, il se transforme le plus souvent en grande personne et il devient à son gré un général, un médecin ou un empereur ; mais il peut être aussi bien, car il est protéiforme, chien, cheval, oiseau. […] De semblables erreurs sur la personne sont loin d’être insignifiantes : par leur fait, l’énergie individuelle est détournée de ses fins pendant la période où elle est le plus propre à s’amplifier et à se définir. […] Il faut qu’il se reflète dans sa propre conscience autre qu’il n’est, revêtu d’apparences où il prenne le change sur sa propre personne. […] En sachant à propos se singulariser et se coaliser tour à tour, les snobs réussissent à faire tenir une réalité dans un simulacre, et à opérer la substitution de personne qui est la condition de leur bonheur.
. — Sa personne. — Ses façons. — Sa vie. — Ses doctrines. — Son jugement sur Voltaire et Rousseau. — Son style. — Ses œuvres. — Hogarth. — Sa peinture morale et réaliste. — Contraste du tempérament anglais et de la morale anglaise. — Comment la morale a discipliné le tempérament. […] À force de se répéter entre eux la même idée, ils la fixent dans leur cervelle, et s’exaspèrent quand on essaye de la leur ôter. « Nous sommes sept et vous êtes seule : qui doit céder de toute la famille ou d’une seule personne ? […] Il se contredit, il défait ses propres projets : il est comme un taureau aveugle qui bute à droite, à gauche, revient sur ses pas, n’atteint personne et piétine en place. […] Lui-même, Primrose, compose des traités que personne n’achète contre les secondes noces des ecclésiastiques, écrit d’avance dans l’épitaphe de sa femme qu’elle fut la seule femme du docteur Primrose, et, en manière d’encouragement, encadre sur sa cheminée ce morceau d’éloquence. […] Personne n’a enserré les idées dans des compartiments plus rigides ; personne n’a donné un relief plus fort à la dissertation et à la preuve ; personne n’a imposé plus despotiquement au récit et au dialogue les formes de l’argumentation et de la tirade ; personne n’a mutilé plus universellement la liberté ondoyante de la conversation et de la vie par des antithèses et des mots d’auteur.
Qu’on laisse l’ouvrage sortir de ses mains, sans angoisse ainsi que sans orgueil, et que, dominant les craintes comme les espérances de l’amour-propre, on se résigne à la pensée de n’avoir pas fait un chef-d’œuvre, malgré tant de soins et de peines, et de ne forcer l’admiration de personne : faire de son mieux, sans défaillance, quand on ne se flatte pas de faire mieux que personne, n’est pas un mérite mince ; du moins ce n’est pas banal.
Il n’est personne qui n’admire le genie et la verve de Lucrece, l’énergie de ses expressions, la maniere hardie dont il peint des objets, pour lesquels le pinceau de la poësie ne paroissoit point fait : enfin sa dexterité pour mettre en vers des choses, que Virgile lui-même auroit peut-être desesperé de pouvoir dire en langage des dieux : mais Lucrece est bien plus admiré qu’il n’est lû. Il y a plus à profiter dans son poëme de natura rerum, tout rempli qu’il est de mauvais raisonnemens, que dans l’éneide de Virgile : cependant tout le monde lit et relit Virgile, et peu de personnes font de Lucrece leur livre favori.