Remarquons seulement un singulier progrès : en voyant les inversions nombreuses, autrefois si chères à l’auteur, un journal qui a trop de sens pour ne pas en supposer aux autres, la Revue d’Édimbourg pensa que M. d’Arlincourt pouvait bien être le Cervantes du siècle, que ses romans n’étaient après tout que des critiques ingénieuses et voilées, et qu’en forçant la bizarrerie, il avait voulu faire honte au goût de ses contemporains : ainsi dans un autre genre, Machiavel, en professant le despotisme aux princes, n’avait fait, selon quelques-uns, que prêcher la liberté aux peuples.
On prendra garde de se laisser aller à comparer ce qu’on ne conçoit pas, comme cet aveugle qui disait que le mot rouge le faisait penser au son de la trompette.
De la conversation de l’hôtel de Rambouillet, de l’émulation de bien penser et de bien dire qu’elle avait excitée, est née l’Académie française.
Le 1er novembre, la reine donna à la France un héritier de la couronne : grand événement qui imposa au roi une obligation sérieuse ; c’était de nommer une gouvernante à ce précieux enfant, et de penser d’avance au gouverneur qui la remplacerait après la première enfance.
A-t-il pu imaginer qu’on adopteroit ses decisions, lorsqu’on l’a vu vingt fois s’efforcer de prouver que ce premier Poëte de notre Nation n’est pas si infaillible qu’on le pense ; que ses Ouvrages ne sont pas exempts de fautes contre la Langue & le goût ; qu’il a avancé des erreurs & des mensonges ; qu’il est injuste dans presque toutes ses critiques, indécent & atroce dans ses diatribes ; que tous ses Opéra sont détestables ; que plusieurs de ses Comédies n’ont d’autre mérite que celui de la versification ; que quelques-unes de ses Tragédies sont médiocres ; que ses Histoires sont remplies de faussetés, ses Satires de calomnies, ses Romans d’impiétés ?
A la facilité de saisir, dans les objets, les rapports les plus éloignés, il réunit le mérite de penser avec noblesse & de peindre avec force.
Nous ne le pensons pas.
Deux amis de Racan, l’ayant sçu, résolurent de se donner un divertissement qui pensa devenir tragique.
brief, ne sçay que penser.
Je vous ai dit dans le temps ce que j’en pensais, et ce soldat renversé sur son cheval abattu, percé d’un dard, et dont le sang descendant le long de la crinière du cheval allait teindre les eaux du Xante, m’est encore présent.
Tout le monde dit-on, auroit pensé cela.
On imite la main d’un autre, mais on n’imite pas de même, pour parler ainsi, son esprit, et l’on n’apprend point à penser comme un autre, ainsi qu’on peut apprendre à prononcer comme lui.
Mais, comme je l’ai déja dit, la chose n’arrive point, et je ne pense pas qu’on puisse me citer une seule piece françoise rejettée par le public lorsqu’il la vit dans sa nouveauté, laquelle le public ait trouvée bonne dans la suite, et quand les conjonctures qui l’auroient fait tomber auroient été changées.
Qu’il ait toujours présent à l’esprit que les manières de penser auxquelles il est le plus fait sont plutôt contraires que favorables à l’étude scientifique des phénomènes sociaux et, par conséquent, qu’il se mette en garde contre ses premières impressions.
Ou enfin, troisième parti, on ne sait qu’en penser.
Or, la postérité est restée, à propos du Tableau de Paris, sous l’empire d’un mot cruel prononcé par un esprit séducteur : « C’est un livre — disait Rivarol — pensé dans la rue et écrit sur la borne », comme si la rue n’était pas un théâtre d’observation tout comme un autre, quand il s’agit des mœurs d’une grande ville, et même meilleur qu’un autre, quand il s’agit de ses monuments !
Comme on s’obstina bien longtemps dans la comparaison fatale entre la Restauration des Bourbons et la Restauration des Stuarts, et, plus tard, comme on voulut voir de mystérieuses identités entre la Révolution de 1830 et la Révolution de 1688, de même aujourd’hui la fin d’une République, l’ascendant dynastique d’un homme qui semble avoir absorbé si profondément dans sa gloire le nom de César que, quand on le prononce, c’est à Napoléon qu’on pense, aux qualités impériales retrouvées dans le neveu du César moderne de manière à rappeler involontairement le neveu du César ancien, toutes ces diverses circonstances ont introduit dans les esprits la préoccupation de la grande époque romaine et fait regarder beaucoup la nôtre à travers… Le titre du livre de l’abbé Cadoret semble tout d’abord rappeler cette préoccupation contemporaine.
Ainsi, par exemple, un grand ouvrage de Lerminier sur les Législateurs et les Constitutions de la Grèce antique, — un livre pensé, médité, presque une découverte en histoire, — et dont la Critique, par parenthèse, préoccupée des choses présentes, commérant d’une voix hâtée sur des œuvres éphémères, n’a pas pu ou voulu parler comme elle le devait.