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1408. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre VI. Milton. » pp. 411-519

Chacune de ses images s’étale en un petit poëme, sorte d’allégorie solide, dont toutes les parties attachées entre elles concentrent leurs lumières sur l’idée unique qu’elles doivent embellir ou éclairer. « Les prélats, dit-il470, sortis d’une vie basse et plébéienne, et devenant tout d’un coup seigneurs de palais somptueux, d’ameublements splendides, de tables délicieuses, de cortéges princiers, ont jugé la simple et grossière vérité de l’Évangile indigne d’être plus longtemps dans la compagnie de leurs seigneuries, à moins que la pauvre et indigente madone ne fût mise en de meilleurs habits : ils chargèrent de tresses indécentes son chaste et modeste voile qu’entouraient les rayons célestes, et, dans un attirail éblouissant, la parèrent de toutes les fastueuses séductions d’une prostituée. » Les politiques répondent que cette fastueuse Église soutient la royauté : « Quelle plus grande humiliation peut-il y avoir pour la dignité royale, dont la hauteur solide et sublime s’appuie sur les fondements immuables de la justice et de la vertu héroïque, que de s’enchaîner pour subsister ou périr ensemble aux créneaux peints et à la pourriture splendide d’un épiscopat qui n’a besoin que du souffle du roi pour s’écrouler comme un château de cartes471 !  […] regarde cette pauvre Église épuisée et presque expirante ! […] Souvent en son absence l’Imagination, qui tâche de la contrefaire, veille pour l’imiter ; mais, assemblant mal ces formes, elle ne produit souvent qu’une œuvre incohérente, principalement en songe, par un mélange bizarre de paroles et d’actions présentes ou passées509. » — Il y a de quoi rendormir la pauvre Ève. […] Le serpent séduit Ève par une collection d’enthymèmes dignes du scrupuleux Chillingworth, et là-dessus la fumée syllogistique monte dans cette pauvre tête. « La défense de Dieu, se dit-elle, recommande encore ce fruit, puisqu’elle infère le bien qu’il communique et notre besoin ; car un bien inconnu certes n’est pas possédé, ou s’il est possédé et encore inconnu, c’est comme s’il n’était point possédé du tout. […] Quelle vie pour ce pauvre roi !

1409. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

Si la richesse est un mal, ne nuirons-nous pas aux pauvres en leur abandonnant ce que nous possédons ? […] Ce n’est pas pour les pauvres, c’est pour lui que le riche doit faire abandon de sa richesse : heureux le pauvre « en esprit » ! […] Il est pauvre, et il doit rester pauvre.

1410. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

Ainsi, pour n’avoir pas éclairci, résolu, épuisé, en dix pauvres pages, une question qui reste en suspens depuis la poétique d’Aristote, je lui parais disqualifié. […] Il se trompe du tout au tout. (« he is absolutely wrong » ; intraduisible en français poli…) enfin il conclut que la poésie pure consiste en un « fluide mystérieux », qui transfigure les mots vides ou pauvres de sens, et qui nous fait communier avec l’infini, ou même avec Dieu. […] La fin de cette lettre désolée nous dit leur pauvre secret : cette peur du « bateau », si j’ose encore m’exprimer ainsi. […] Ils nous donnent beaucoup mieux : ce je ne sais quoi qui transfigure en poète un pauvre homme pétri de prose, qui l’élève à l’état de grâce poétique, et qui, ainsi métamorphosé, l’incite à fabriquer, marte sua, le premier et le second vers. […] D’un pauvre presbytère de campagne, où il « enchante ses heures de profonde solitude, en méditant les mystiques et en s’oubliant dans les poètes », un prêtre me fait le grand honneur de m’écrire : … « la fille de Minos… », je ne suis pas insensible à la musique de ce vers ; mais le charme ne provient-il pas de l’évocation d’un passé mystérieux ?

1411. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Je me regarderais maintenant comme trop heureux si je pouvais seulement, sans crainte du poison, étancher à satiété la soif qui me consume, et, comme l’homme de la condition la plus vulgaire, passer mes jours en paix, mais libre, dans quelque pauvre chaumière de paysan ! […] Dans cette lettre pathétique il fait à la pauvre Cornélia le tableau le plus désolant de sa situation. […] « Que dira mon pauvre ami Antonio quand il apprendra la mort de son Tasse ?

1412. (1864) Cours familier de littérature. XVII « Ce entretien. Benvenuto Cellini (2e partie) » pp. 233-311

Un pauvre aniero le conduit sur son âne jusque sur les marches de Saint-Pierre de Rome. […] On fournit à cet homme un diamant de peu de valeur, et l’on m’a dit qu’un certain orfèvre, Léon Aretino, l’un de mes plus grands ennemis, fut chargé de le mettre en poudre ; mais comme il était fort pauvre, et que ce diamant valait pourtant quelques dizaines d’écus, il le garda pour lui, et donna au soldat la poudre d’une autre pierre à sa place. […] « Cependant je secouais mes chagrins, et je me donnais du courage, malgré tous mes regrets, qui me reportaient vers la France, où je trouvais plus de secours que dans Florence, ma patrie, et que je n’avais quittée, dans le fond, que pour faire du bien à ma pauvre famille.

1413. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Écoutez pourtant chez Baudelaire la douleur s’adoucir, bien exceptionnellement, il est vrai, et voyez comment la pensée aussi forte, mais plus lointaine que chez Vigny, s’enveloppe aussi de plus d’art : à ce point qu’il est impossible de dire autrement que-par les longues et les brèves, comme une mélopée, ces vers de Baudelaire : Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire, Que diras-tu, mon cœur, cœur autrefois flétri, À la très belle, à la très bonne, à la très chère Dont le regard divin t’a soudain refleuri ? […] Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre âme, Et les voici vibrer aux cuivres du couchant. Ferme les yeux, pauvre âme, et rentre sur le champ.

1414. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

Il existe malheureusement, de par cette nation privilégiée, quelques « mauvais esprits » assez pauvres de confiance, pour ne pas se contenter de cette adhésion héroïque à la Vérité totale, et qui osent même demander des comptes, les insensés !  […] Il lui oppose le dogme catholique, les éternels arguments pourris de la scolastique, les affirmations sans valeur sur lesquelles l’Église assoie sa domination spirituelle, toutes les pauvretés, en un mot, du fanatisme, rehaussées par l’orgueil de la phrase et du ton. « La stérilité de Bossuet est ici curieuse, observe justement Michelet… Il a recours aux plus pauvres moyens. » A-t-il osé une seule fois, au cours de ces Avertissements, se mesurer avec Jurieu, à armes loyales, c’est-à-dire sur le terrain même de son contradicteur, sur le terrain de l’humanité et du droit ? […] Quand le futur évêque de Meaux écrivait dans un placet au roi : « Nous avons à cœur d’établir un ordre et union à Metz entre tous les sujets de Votre Majesté », cela voulait dire qu’il prétendait user de tous les moyens pour refuser le droit de vivre à une fraction de la population de Metz ; plus tard dans un prêche aux Nouvelles Converties, s’adressant aux protestantes arrachées par la force à leurs maris ou à leurs pères, puis incarcérées, il les nommera : « ces pauvres filles, qui sont venues à l’Église, … qui ont couru à nous… » !

1415. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

Jean-Baptiste Vico, né à Naples, d’un pauvre libraire, en 1668, reçut l’éducation du temps ; c’était l’étude des langues anciennes, de la scholastique, de la théologie et de la jurisprudence. […] Dans sa vieillesse, il composa l’Odyssée… La Grèce plus mûre, conçut longtemps après le caractère d’Ulysse, le héros de la sagesse. — Homère fut pauvre et aveugle… dans la personne des rapsodes, qui recueillaient les chants populaires, et les allaient répétant de ville en ville, tantôt sur les places publiques, tantôt dans les fêtes des dieux. […] Les riches ne considèrent plus leur fortune comme un moyen de supériorité légale, mais comme un instrument de tyrannie ; le peuple qui sous les gouvernements héroïques ne réclamait que l’égalité, veut maintenant dominer à son tour ; il ne manque pas de chefs ambitieux qui lui présentent des lois populaires, des lois qui tendent à enrichir les pauvres.

1416. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (2e partie) » pp. 305-367

La troisième de ces tendances, c’est la concorde organique entre les classes riches ou pauvres de la société par des institutions qui les rapprochent et qui leur inspirent non cette fraternité déclamatoire et métaphysique qui ne consiste qu’en égalité et en communauté de biens impraticables et contre nature, mais par des actes efficaces de patronage et de clientèle entre la propriété du capital et la propriété du travail, entre le propriétaire et le prolétaire, entre le sol et le bras, propriétés aussi sacrées l’une que l’autre et dont l’une ne peut subsister sans l’autre. […] Il me répondit avec beaucoup de bonté qu’il était étonné que son nom, depuis si longtemps égaré et enseveli dans le coin de terre où il desservait une humble paroisse, fût parvenu jusqu’à moi ; que, son âge et ses infirmités l’empêchant de se déplacer lui-même, il me recevrait dans son pauvre presbytère et me dirait tout ce que sa mémoire lui rappelait de ces tragiques événements.

1417. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (3e partie) » pp. 161-219

Les pauvres de ma paroisse seront spécialement préférés à tous les autres. […] Quand les infirmités de Pie VII, aggravées accidentellement par un accident dans sa chambre qui lui rompit la clavicule, eurent précipité sa mort sainte comme sa vie, il sentit le flot des ambitions ajournées monter rapidement autour de lui dans le sacré collège pour le submerger ; il se retira, pour ne pas le voir, dans une petite et pauvre maison de campagne aux bords de la mer, non loin d’Anzio et de Rome.

1418. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série «  Leconte de Lisle  »

Arrivés au terme de leur énergique pèlerinage, ils eurent à lutter contre une nature rude et pauvre de soleil, dont l’inhumanité les condamnait à l’action violente, tandis que ses aspects les inclinaient aux rêves vagues et brumeux. […] Elle a nourri tant qu’elle a pu son armée de pauvres ; quand elle n’a plus rien à leur donner, elle leur donne le ciel.

1419. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série «  M. Taine.  »

pour nous présenter en fin de compte, sous le nom de bonheur idéal, les joies mêlées, les joies terrestres que nous connaissions déjà) ; il se torture si fort l’entendement pour aboutir à ce chétif résultat, que, vraiment, le drame est beaucoup moins dans l’âme de Faustus et de Stella, les pauvres bienheureux, que dans celle du poète tristement acharné à la construction de ce pâle Eden et de ce douteux Paradis, Rien n’est plus touchant, par son insuffisance et sa stérilité même, que ce rêve laborieux du bonheur. […] les dialogues où il exprime à Stella les inquiétudes de sa conscience et son dessein de redescendre sur la terre pour faire profiter les pauvres hommes de ce qu’il a appris dans un monde meilleur, et même, s’il le faut, pour souffrir encore avec eux… il y a dans tout cela une émotion, une beauté du sentiment moral, et comme un sublime tendre où M. 

1420. (1920) Enquête : Pourquoi aucun des grands poètes de langue française n’est-il du Midi ? (Les Marges)

Les Méridionaux devinrent vite des parents pauvres, lointains, peu glorieux, que reniait Marot et que ridiculisa Molière. […] Pauvres sots !

1421. (1841) Matinées littéraires pp. 3-32

Introduction Un missionnaire du siècle dernier, montant en chaire pour la première fois devant l’élite de la société parisienne, s’exprimait ainsi : « À la vue d’un auditoire si nouveau pour moi, il semble que je ne devrais ouvrir la bouche que pour vous demander grâce en faveur d’un pauvre missionnaire dépourvu de tous les talents que vous exigez, quand on vient vous parler de votre salut. » Ne devrais-je pas, à l’exemple du père Bridaine, vous demander grâce en faveur d’un obscur missionnaire de la religion des lettres qui vient vous entretenir des objets sacrés de son culte ? […] Ne sachant plus alors à quel saint se vouer, Au maître du logis le pauvre auteur s’adresse : « Voyons, mon général, le temps fuit, l’heure presse.

1422. (1902) Le culte des idoles pp. 9-94

« C’est étonnant », écrit ce pauvre Sarcey, « Taine à l’école n’avait aucun style. » Je ne m’imagine pas qu’il en ait jamais eu un. […] À part ce pauvre Francis Poictevin qui devint fou, je ne crois pas qu’il ait eu réellement des disciples, mais on peut dire que la plupart des romanciers et des écrivains de théâtre ont subi plus ou moins son influence.

1423. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1855 » pp. 77-117

» * * * — Rue des Fossés-du-Temple (la rue derrière les théâtres), rue noire fermée d’un côté par un mur peu élevé, au-dessus duquel pyramident des piles de bois, un mur troué par de grandes portes cochères et des baies de marchands de vin et de pauvres crémeries, à la devanture de demi-tasses de grosse porcelaine, et au fond desquelles on voit des hommes en blouse attablés. […] * * * — Je copie ces quelques lignes dans de vieilles notes d’Edmond : « Quand je commençai à être un jeune homme, je me rappelle qu’allant au printemps dans la campagne, j’avais une impression langoureusement triste de cette terre à la pauvre petite verdure, de ces arbres maigrelets, de toute cette puberté souffrante de la nature, et je me surprenais des larmes dans les yeux, gonflé de désirs, les glandes des seins douloureuses, l’âme, pour ainsi dire, pleine de bourgeons.

1424. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

Pauvre petit nerveux, bien élevé de ce temps, qui aime les belles choses agréables, et sa maîtresse par-dessus le marché, parce qu’elle est une de ces belles choses-là ; mais enfant toujours, et enfant gâté, révolté ou docile, apaisé ou furieux, et qui ne devient pas plus homme sous l’étreinte de la Peine, parce qu’il n’a ni une conviction, ni une idée sur laquelle il s’appuie pour lui résister ! […] Nous connaissons trop les détails de ce pauvre bonheur qui se cache dans un appartement de garçon, dont on nous donne assez bourgeoisement l’inventaire, pour que M. 

1425. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

La conscience qu’a Lorenzo d’avoir trop vu et trop pratiqué la vie, d’être allé trop au fond pour en jamais revenir, d’avoir introduit en lui l’hôte implacable qui sous forme d’ennui le ressaisira toujours et lui fera faire éternellement par habitude, par nécessité et sans plaisir, ce qu’il a fait d’abord par affectation et par feinte, cette affreuse situation morale est exprimée en paroles saignantes : « Pauvre enfant, tu me navres le cœur », lui dit Philippe ; et il ne sait que répéter, à toutes les explications et révélations profondes et contradictoires du jeune homme : « Tout cela m’étonne, et il y a dans tout ce que tu m’as dit des choses qui me font peine, et d’autres qui me font plaisir. » Je ne fais qu’effleurer le sujet.

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