Il confesse ses goûts, non point ses passions. […] Ils ont comme leur auteur la passion des mots. […] Les passions les plus généreuses l’inspirent et le gouvernent. […] Qu’il haïsse ou qu’il vénère, tout sentiment chez lui se traduit avec passion. […] Au cours de cette tragique exploration, il a contemplé l’infernal des passions.
Elle voltige au-dessus du monde réel, et glisse, sans jamais s’y abattre, sur nos misères et nos passions. […] Je sais bien que ces comédies, si légères et si aériennes, ont un contrepoids assez lourd qui tend à les ramener vers la terre et vers le sérieux ; je veux parler des personnages publics et des passions poétiques. […] Elle exclut toute autre passion, mais surtout celle-là, et un vieil avare amoureux est une contradiction dans les termes ou un contre-sens de la nature. […] sans doute, le combat ne peut manquer d’être fort plaisant entre l’amour et l’avarice, entre la plus généreuse et la plus égoïste des passions ; mais on oublie une chose, c’est qu’un tel combat est impossible. […] Le répertoire comique serait bientôt épuisé, s’il n’y avait qu’un seul caractère pour chaque passion.
Il y a manié les passions, le comique ; il a trouvé dans son opéra quelques peintures vives et riantes, dans sa tragédie quelques accents nobles ou attendrissants ; il est sorti du raisonnement et de la dissertation pure ; il s’est acquis l’art de rendre la morale sensible et la vérité parlante ; il a su donner une physionomie aux idées, et une physionomie attachante. […] Son premier soin, comme il le dit, était de ranger ses passions « du côté de la vérité. » Il s’était fait intérieurement un portrait de la créature raisonnable, et y conformait sa conduite autant par réflexion que par instinct. […] Ses journaux sont tout moraux, conseils aux familles, réprimandes aux femmes légères, portrait de l’honnête homme, remèdes contre les passions, réflexions sur Dieu, la religion, la vie future. […] Mettre partout le calcul, arriver avec des poids et des chiffres au milieu des passions vivantes, les étiqueter, les classer comme des ballots, annoncer au public que l’inventaire est fait, le mener, comptes en main et par la seule vertu de la statistique, du côté de l’honneur et du devoir, voilà la morale chez Addison et en Angleterre. […] Il fait comprendre au public les images sublimes, les gigantesques passions, la profonde religion du Paradis perdu.
Ainsi que ces roches, s’abaissent et sombrent une à une les passions hautes et fortes ! […] L’ennui a désarmé la passion politique. […] L’amour est couché sur une table d’amphithéâtre et les passions passées au speculum. […] Les passions politiques ont eu le temps de s’apaiser depuis douze ans. De petites reprises de ces passions ont cependant lieu, de temps en temps, mais ça n’a pas de suite.
Mais beaucoup d’auteurs croient que, pour représenter un caractère, il suffit de figurer une tendance unique, — passion, vice ou vertu, — aux prises avec les événements variés de la vie. […] Il a un procédé de simplification puissante qui consiste à ramasser tout un homme dans une seule et unique passion : le père Grandet n’est plus qu’avare, le père Goriot n’est plus qu’idolâtre de ses filles, et ainsi de suite. […] Le réalisme vrai consiste, au contraire, à ne jamais admettre qu’un homme soit une passion unique incarnée dans des organes, mais un jeu et souvent un conflit de passions diverses, qu’il faut prendre chacune avec sa valeur relative62. […] Dès que Balzac a eu choisi son sujet, il part des faits observés, puis il institue son expérience, dit Zola, en soumettant Hulot à une série d’épreuves, en le faisant passer par certains milieux, pour montrer comment fonctionne le mécanisme de sa passion. […] Le reproche fait aux romantiques est avant tout l’exagération : comme ils n’incarnent guère qu’une passion par personnage, ils réduisent ainsi la machine humaine à un seul rouage, et, toute la force de la sorte épargnée, ils l’emploient pour pousser à l’extrême la passion donnée.
Mais, au moins, il étoffe opulemment ses scènes incohérentes, et l’intérêt de la situation ou de la passion y est si palpitant ou si saignant, les personnages y sont si magnétiques, qu’on n’a le temps ni le sang-froid de s’apercevoir ou de l’absence de suite et d’ensemble, ou de l’illogique succession des tableaux qui se suivent sans raison d’être. […] La femme, c’est la source de la passion humaine, soit qu’elle l’éprouve, soit qu’elle l’inspire. […] C’était Gœthe, avec son absence de passion vraie et sa présence de déclamation fausse, qui n’est pas même à lui, car elle est à Rousseau, à l’inflammatoire et putride Rousseau, dont la jeunesse du temps était infectée. […] Des passions, excepté des passions scientifiques ou littéraires, Gœthe n’en avait pas. […] Ce favori du monde, à qui le monde a donné tout ce qu’un roi imbécile peut donner à un favori, reçut du monde le don du génie, de la passion, et même des larmes, qu’il n’avait pas et qu’on lui inventa.
Où les passions jetteraient-elles en effet de plus nombreuses, de plus vivaces, de plus tenaces racines ? […] Les passions, en effet, ne suppriment pas la volonté, quoi qu’on en dise ; elles la détournent seulement de son véritable objet ; et si, comme je le disais, l’histoire est le théâtre des passions, elle est en même temps ce que j’appellerai « le lieu des volontés ». […] Dans le Cid même, est-ce que ce n’est pas la passion qui triomphe ? […] La révolution dramatique. — Peinture de la passion […] qui jetteraient du jour, sans doute, sur la nature, et, comme on dirait aujourd’hui, sur la physiologie des passions ?
Cependant je ne dis pas que je me refuse à rien de ce qui se présentera naturellement ; mais je suis sans passion, sans désir, sans inspiration, sans espérance. […] C’est que l’engouement n’est que la passion publique et intéressée du moment pour un homme ou pour une œuvre qui servent momentanément cette passion publique. Une fois la passion éteinte ou morte, la popularité s’éteint ou meurt avec elle. […] Il y a trop de sophiste dans le comte de Maistre : dans sa politique il y a trop de passion d’esprit ; dans sa religion il y a trop d’exagération d’idées ; dans ses prophéties il y a trop de jactance ; dans son style même, le plus réel de ses titres, il y a encore trop de facétie. […] Que devenait le double dogme devant la passion ?
Une amitié passionnée unissait dès leur adolescence lady Élisabeth Harvey à la première duchesse de Devonshire ; cette première femme du duc de Devonshire était sans scrupules, femme de bruit, de passion, de beauté, de talent, de poésie et de politique. […] Elle avait tant vu familièrement la célébrité et la passion, qui n’avaient pas fait le bonheur de sa mère, qu’elle avait appris dès l’enfance à n’estimer que la vertu ; mais cette vertu était libre et grande, une vertu antique ; sa religion ne rétrécissait rien de ses pensées, sa foi donnait à sa physionomie une expression grave comme celle des femmes qui sortent des temples où elles ont eu commerce avec Dieu ; elle sortait à toute heure de l’infini. […] J’ai pu les écouter, les comprendre, les admettre jusqu’où elles étaient admissibles, mais je n’ai point laissé le doute entrer dans mon cœur. » XXX On voit par ce passage, écrit bien longtemps après son enfance, que la foi de cette jeune fille était tempérée comme son âme, et que la religion fut toute sa vie une douce habitude de ses sens plutôt qu’une passion de son intelligence. […] Un étranger, remarquable par sa naissance, son opulence et sa mélancolique beauté, le prince italien Pignatelli, jouissait d’une plus intime familiarité dans la maison et passait à tort pour inspirer la passion qu’il ressentait en silence. Lucien Bonaparte, jeune homme de Plutarque, à la fois poète, orateur et amant, flottait alors entre le rôle de héros de la république et celui de héros de roman ; sa passion déclamait un peu comme son éloquence ; quoique vêtu en apparence d’une page de Tacite, il écrivait à Juliette des pages de Clélie et de Roméo.
J’étudiai leur cœur, je flattai leurs caprices ; Je leur semai de fleurs le bord des précipices ; Près de leurs passions rien ne me fut sacré ; De mesure et de poids je changeais à leur gré. […] La vertu de ce drame est de n’avoir pas d’amour ; cette passion eût été déplacée dans le Temple ; ce sont les grandes et saintes passions divines qu’on veut y voir et y entendre. […] Mais comme les autres passions divines y parlent une langue supérieure aux langueurs de la passion des sens ! […] … Quelle place resterait-il à une passion secondaire au milieu de ces passions surhumaines ?
C’est ainsi qu’ayant eu communication des Mémoires, alors manuscrits, de Mme de La Rochejacquelein, revus et en partie rédigés par M. de Barante, il déclarait y avoir trouvé « la jouissance la plus vive que livre puisse jamais procurer. » Il y voyait tout ce qui constitue un morceau accompli d’histoire, « l’harmonie et la justesse d’un style partout adapté à la chose, l’art pittoresque qui met toujours et la scène et les personnages devant les yeux, l’intérêt le plus vif, le plus enthousiaste, le plus vertueux, qu’aucune période de l’histoire moderne ait jamais présenté, un intérêt qui s’attache aux personnes et qui ne se perd jamais dans les masses et les nombres abstraits, comme il arrive trop souvent. » Les Lettres de Mlle de Lespinasse, nouvellement publiées (1809), lui faisaient un effet bien différent ; c’était, pour lui, une lecture singulière qui lui laissait des impressions contradictoires, et où il se sentait quelquefois rebuté par la monotonie de la passion, souvent blessé d’un manque de délicatesse et de dignité dans la victime, mais attaché en définitive par la vérité et la profondeur de l’étude morale : « Un rapprochement, dit-il, que je faisais à chaque page augmentait pour moi l’intérêt de cette Correspondance. J’ai vu de près, j’ai suivi dans toutes ses crises une passion presque semblable, non moins emportée, non moins malheureuse ; l’amante, de la même manière, s’obstinait à se tromper après avoir été mille fois détrompée ; elle parlait sans cesse de mourir et ne mourait point ; elle menaçait chaque jour de se tuer, et elle vit encore. » Il est hors de doute qu’il pensait à Mme de Staël en ce moment9. […] Quand ces grands acteurs sortent de dessus la scène et qu’ils posent leurs habits de théâtre, il me semble que toute la passion cesse à leur égard. […] Mais les femmes mêlent un sentiment plus vif à tous leurs jugements, et il y a toujours la part de la passion dans leur politique. […] Il était, en effet, de retour à Paris dès janvier de cette année 1815 ; il y vit de près les fautes des Bourbons, leur appel ou leur assentiment aux vieilles passions et aux préjugés réactionnaires : le cercueil de Mlle Raucourt repoussé de Saint-Roch ; la pompe funèbre de Louis XVI allant remuer les haines de la Révolution ; la faiblesse surtout et la débilité sénile au début d’un régime et d’un règne.
Et pour ce qui est des contradictions, des luttes, des alternatives entre cet esprit chrétien, une fois ressaisi, et le monde avec ses passions, ses doutes et ses combats, qui de nous ne les a éprouvées en son cœur ? […] Il enflamme derrière lui des émulations généreuses et des passions qui régénèrent ; il est pour beaucoup dans toutes les nobles pensées de ses contemporains et du jeune avenir. […] Enfant (et je me sers à dessein d’expressions ravies), tout devient passion en attendant la passion même ; tout s’épuise, tout se dévore, avant d’être cueilli et touché. […] À côté du penchant voluptueux, voilà tout aussitôt l’idée de l’honneur qui s’éveille : « car, ainsi que le remarque le poëte, les passions ne viennent jamais seules ; elles se donnent la main comme les Furies ou comme les Muses. » L’honneur donc (et nous citons toujours), l’honneur, cette exaltation de l’âme qui maintient le cœur incorruptible au milieu de la corruption, ce principe réparateur près du principe dévorant, allume en cette jeune âme un foyer qui ne va plus s’éteindre, et qui sera peut-être son principal autel.
Il représente les inconvénients, les passions, les ridicules, et dans sa vie il y tombe ; La Bruyère jamais. […] Mais il n’appartient qu’à lui d’avoir eu l’idée d’insérer au chapitre du Cœur les deux pensées que voici : « Il y a des lieux que l’on admire ; il y en a d’autres qui touchent et où l’on aimerait à vivre. » — « Il me semble que l’on dépend des lieux pour l’esprit, l’humeur, la passion, le goût et les sentiments. » Jean-Jacques et Bernardin de Saint-Pierre, avec leur amour des lieux, se chargeront de développer un jour toutes les nuances, closes et sommeillantes, pour ainsi dire, dans ce propos discret et charmant. […] Si l’on s’étonne maintenant que, touchant et inclinant par tant de points au xviie siècle, La Bruyère n’y ait pas été plus invoqué et célébré, il y a une première réponse : C’est qu’il était trop sage, trop désintéressé et reposé pour cela ; c’est qu’il s’était trop appliqué à l’homme pris en général ou dans ses variétés de toute espèce, et il parut un allié peu actif, peu spécial, à ce siècle d’hostilité et de passion. […] Il en a sur le cœur et les passions surtout qui rencontrent à l’improviste les analyses intérieures de nos contemporains. J’avais noté un endroit où il parle des jeunes gens, lesquels, à cause des passions qui les amusent, dit-il, supportent mieux la solitude que les vieil » lards, et je rapprochais sa remarque d’un mot de Lélia sur les promenades solitaires de Sténio.
Politien, son ami, le décrit comme un homme d’une beauté accomplie : taille élevée, constitution solide et souple, force à la lutte, habileté à manier les coursiers, bravoure modèle, goût de tous les arts, passion pour la poésie, grâce pour les femmes, discrétion dans ses amours, tel fut son éloge ratifié par son temps. […] Puis en pleurant dans ces yeux où il a fixé son asile, l’amour faisait sortir de ces larmes si belles et si touchantes de brillantes et douces étincelles. » VIII Mais le sonnet n’est qu’un soupir, court et fugitif comme lui ; c’est vrai, cependant il résume une passion en un mot, et ce mot est immortel. […] La démocratie de Florence, gouvernée par les corps de métiers et surtout par les ouvriers de la laine, ne l’inquiétait pas au-dedans, mais l’inquiétait pour le gouvernement extérieur, qui demande plus de suite que la multitude n’en met dans ses passions. […] Il serait trop difficile de vous donner des instructions précises sur ce qui regarde votre conduite et vos conversations ; je me bornerai donc à vous recommander d’avoir avec les cardinaux et les autres personnes élevées en dignité le langage du respect et de la déférence, sans néanmoins renoncer à vous servir de votre propre raison, et vous laisser entraîner par les passions des autres, qui peuvent être égarés par des motifs peu estimables. […] Son début était frappant et son regard plein d’expression ; je commençai à m’intéresser sérieusement à ce qu’il allait dire. — Il commence ; je suis attentif : une voix sonore, des expressions choisies, des sentiments élevés. — Il établit les divisions de son sujet : je les saisis sans peine ; rien d’obscur, rien d’inutile, rien de fade et de languissant. — Il développe ses arguments ; je me sens embarrassé. — Il réfute le sophisme, et mon embarras se dissipe. — Il amène un récit analogue au sujet ; je me sens intéressé. — Il module sa voix en accents variés qui me charment. — Il se livre à une sorte de gaieté ; je souris involontairement. — Il entame une argumentation sérieuse ; je cède à la force des vérités qu’il me présente. — Il s’adresse aux passions ; les larmes inondent mon visage. — Il tonne avec l’accent de la colère ; je frémis, je tremble ; je voudrais être loin de ce lieu terrible. » « Valori nous a laissé, sur les sujets particuliers qui occupaient l’attention de Laurent et de ses amis dans leurs entrevues au couvent de San-Gallo, des détails qu’il tenait de la bouche de Mariano lui-même.
Plus l’action sera extraordinaire, et plus il devra en réduire les causes et les ressorts au jeu régulier de passions universelles, selon le train ordinaire des choses, à la nature enfin que tout le inonde porte en soi et dans son expérience. […] Et même cette idée qu’il avait allait un peu au-delà de ce qu’exigeait à l’ordinaire le public : mais, au fond, il ne déroutait pas les spectateurs, et ne leur présentait rien que leur degré de culture ne leur figurât aisément : ainsi il atteignait son but, qui était seulement d’empêcher leur attention de se détourner sur le détail et l’accessoire, et de la ramener tout entière sur la peinture des passions. […] Voilà pourquoi la tragédie doit être pathétique, ne pas nous décrire les caractères en repos, niais les figurer dans la passion, en convulsion. Et voilà pourquoi Racine a eu raison de fonder tous ses drames sur les effets de l’amour : De cette passion, la sensible peinture Est, pour aller au cœur, la route la plus sûre. […] Mais il faut faire rire par « les passions finement maniées », sans jamais s’écarter de la nature.
Henri Estienne, le plus illustre de cette famille, noble aussi par l’hérédité du savoir et du dévouement aux lettres, est plein de mouvement et d’enthousiasme dans ces ouvrages un peu confus, où il défend l’idiome français contre l’imitation italienne, et l’égale à la langue grecque mêlant toutes choses, la philologie et la polémique, la dissertation et les anecdotes contre les catholiques, sa passion de réformé et sa passion d’érudit. Ouvriers habiles, gens de cœur, ces écrivains n’expriment rien mollement ; tous savent donner à leurs pensées un tour vif et hardi, ceux qui ont éprouvé les passions de leur époque, comme ceux qui n’en ont senti que la curiosité ardente pour tous les objets de la connaissance humaine. […] Et dans ce moi, composé d’un être double, d’une âme qui pense et don corps qui a des besoins certains, mais si difficiles à démêler d’avec ses passions, pour qui sera la préférence, ou de l’âme qui ne pense que des choses douteuses et ne remue que des obscurités ? […] Ajoutez-y toutes les grâces d’un style approprié à la matière, abondant et coloré dans tout ce qu’il emprunte d’images à la nature extérieure délicat et exquis dans de chastes peintures des passions, insinuant et suave pour rendre la piété aimable, efficace parce qu’il est affectueux.
Au-dessus, par le caractère, de toutes les passions comme de tous les mécontentements qui offusquent notre esprit, et qui nous préviennent même contre les choses indifférentes, il a, comme le grand Corneille, l’intelligence des choses admirables. […] Il dit le bien par esprit de justice et le mal par passion. […] Le roi restait, toujours majestueux, mais sans son escorte d’hommes supérieurs, entouré et obscurci de parvenus choisis par le caprice ou donnés par le hasard, qui le flattent dans sa passion d’être le maître et dans la plus grande faute de sa vie, son mariage avec Mme de Maintenon. […] Il n’est pas, en effet, de petite affaire dans son récit, parce qu’il n’en est pas une qui ne mette en jeu quelque passion. […] Saint-Simon raconte ce qui ne se voit pas, ou ce qui a peu de témoins : négociations, intrigues, vues secrètes, et non seulement les intentions exprimées par les paroles, mais celles que les paroles servent à déguiser ; les vrais mobiles des actions, non d’après certains lieux communs de morale, mais sur ce qu’il en a surpris ou pénétré ; les passions avec les nuances qu’elles reçoivent des situations et des caractères.
Il était de ceux dont parle Juvénal et qui ont aisément la passion du silence : Rarus sermo illis et magna libido tacendi. […] Vous auriez dû voir que les vérités les plus certaines, que les meilleures idées ouvrent aux fripons et aux coquins de nouveaux moyens d’exercer leurs funestes passions. […] Toutes ses illusions étaient perdues, qu’il en nourrissait peut-être une encore : c’était qu’on adopterait enfin cette Constitution modèle qu’il avait de longue main élaborée, qui devait rompre le flot de la démocratie en le divisant, et triompher des passions des hommes en les balançant et les contrepesant l’une par l’autre. […] Des personnes qui l’ont approché dans ses dernières années (et le nombre en est petit) me le peignent immobile, renfermé, pratiquant plus que jamais cette opiniâtre passion de se taire : « Je ne vois plus, disait-il, je n’entends plus, je ne me souviens plus, je ne parle plus ; je suis devenu entièrement négatif. » Il s’arrêtait quelquefois au milieu d’une phrase commencée, et disait : « Je ne trouve plus le mot, il se cache dans quelque coin obscur. » Il revenait pourtant encore avec quelque plaisir sur ses anciens jours, et y rectifiait quelques points de récit qui appartiennent à l’histoire. […] Quand l’Assemblée constituante, en proie aux passions et aux intrigues, s’égare décidément dans son œuvre, il laisse échapper ce mot qui constate l’ère des déviations : « Ils veulent être libres, et ils ne savent pas être justes !