Le but qu’on s’y propose, est d’examiner l’origine, la marche & les excès des passions humaines. […] La sagesse de la conduite dépend presque entiérement de la connoissance de soi-même : il indique les moyens de parvenir à cette connoissance, d’en tirer des fruits, & de soustraire son ame à la tyrannie des passions ; il met sous les yeux de la raison, les principes qui les éveillent, les alimens qui les fortifient, & les contre-poids qui peuvent les arrêter.
L’homme idéal, celui qui viendra à la fin des temps, comme il saura et concevra également toutes choses, n’aura sans doute presque plus de personnalité intellectuelle ; et il n’aura que des passions, des vices et des travers fort atténués. […] Renan, gouvernera peut-être un jour le monde, délivrés, par l’omnisciente, des passions inférieures, devront se ressembler entre eux à un tel point qu’ils seront à peu près indiscernables. […] Stendhal est sa passion, son vice, et quelquefois son préjugé. […] En vérité, je ne crois pas qu’aucun écrivain, non pas même Stendhal, ait montré une pénétration supérieure dans l’étude des « passions de l’amour ». […] Qu’il applique à l’analyse d’autres passions que celles de l’amour, à l’étude d’autres situations que celles où nous pouvons nous trouver vis-à-vis de la femme, ses dons merveilleux de psychologue et à la fois de moraliste.
C’est ainsi que pour le jeu, qu’il croyait un ingrédient nécessaire dans la composition d’un jeune homme de bel air, il s’y plongea sans passion d’abord, mais ne put s’en retirer ensuite, et compromit par là pour longtemps sa fortune. […] Presque tous les hommes sont nés avec toutes les passions à un certain degré ; mais il n’y a presque point d’homme qui n’en ait une dominante, à laquelle les autres sont subordonnées. Faites sur chaque individu la découverte de cette passion gouvernante ; fouillez dans les replis de son cœur, et observez les divers effets de la même passion dans différentes personnes. Et quand vous aurez trouvé la passion dominante d’un homme, souvenez-vous de ne jamais vous fier à lui là où cette passion est intéressée.
Il a éprouvé les passions, il les a laissées naître, et les a, jusqu’à un certain point, cultivées en lui, mais sans s’y livrer aveuglément ; et, même lorsqu’il y cédait, il y apportait le discernement et la mesure. […] Le plus grand plaisir de Saint-Évremond, celui qu’il goûtait le plus délicieusement dès sa jeunesse, dans l’âge des passions, et qui lui devint plus cher chaque jour en vieillissant, était celui de la conversation : « Quelque plaisir que je prenne à la lecture, disait-il, celui de la conversation me sera toujours le plus sensible. […] Ce qui est certain, c’est qu’au milieu de cette licence, où elle faisait une si grande part aux passions, elle s’imposait quelques limites et se gouvernait jusqu’à un certain point elle-même. […] Vous avez été aimée des plus honnêtes gens du monde, et avez aimé autant de temps qu’il fallait pour ne rien laisser à goûter dans les plaisirs, et aussi juste qu’il était besoin pour prévenir les dégoûts d’une passion lassante. […] Vous mêlez même les vertus à tous vos charmes, et, au moment qu’un amant vous découvre sa passion, un ami peut vous confier son secret.
Or les passions, c’est l’homme lui-même. […] L’antinomie de la raison et de la passion est une erreur. La raison doit collaborer avec les passions. […] Gloire aux passions, et surtout liberté aux passions ! […] Donner aux passions, non une autre nature, mais une autre marche, soyons donc francs, et disons que cela signifie donner aux passions humaines une autre nature.
L’humanité lui paraissait depuis longtemps sortie de ses voies ; les hommes, en s’écartant de la nature, s’étaient créé mille passions factices dont ils devenaient tour à tour instruments et victimes. La crainte de la mort et des enfers lui semblait en particulier le principe générateur de toutes les mauvaises passions. […] « Lucrèce, parlant toujours de la passion amoureuse, dit qu’il est plus aisé de prévenir le mal que de le guérir : Nam vitare plagas in amoris ne jaciamur, Non ita difficile est, quam captum retibus ipsis Exire, et validos Veneris perrumpere nodos. […] « Tout le vers : que d’épurer un cœur, etc., est à la fois une faute grossière de style, car il n’y a nulle analogie pour l’image entre filets, épurer et rendu coupable ; et un contresens formel, car il n’entre nullement ici dans la pensée de Lucrèce de dire que l’amour souffle le cœur ; le poète n’entend parler que des douleurs et des tortures que cause la passion.
Quelle passion dans la Lettre d’Héloïse ! […] Les passions sans combat, les dénouements sans gradations, les sacrifices sans regrets, les liens sans délicatesse, ôtent aux romans tout leur charme ; et le petit nombre de ceux de ce genre que nous possédons en français, ont à peine eu quelque succès dans les sociétés qui leur avaient servi de modèle. […] Tis not the coarser tie of human laws, Unnatural oft, and foreign to the mind, That binds their peace, but harmony itself, Attuning all their passions into love ; Where friendship full exerts her softest power, Perfect esteem enlivened by desire Ineffable, and sympathy of soul ; Thought meeting thought, and will preventing will, With boundless confidence………………… ………………… What is the world to them, Its pomp, its pleasure, and its nonsense all ? […] Ce n’est pas le dur lien des lois humaines, ce lien si souvent étranger au choix du cœur, qui forme le nœud de leur vie, c’est l’harmonie elle-même, accordant toutes leurs passions dans le sentiment de l’amour.
Il a restitué ainsi un curieux chant monorime de la Passion : La passion du doux Jésus, | qu’est moult triste et [dolente], Ecoutez-la, petits et grands, | s’il vous plaît de [l’entendre]. […] Les passions élémentaires surgissent violentes et cyniques, comme dans la chanson du Vieux Mari, dont sa femme attend la mort pour en porter au marché la peau, et avec le prix s’acheter un mari neuf et jeune. […] L’impudeur y est parfois charmante et la passion superbe (Marion, Jean Renaud).
Les surprises en sont bien ménagées ; les sentimens sont délicats ; les passions y parlent le langage qui leur est propre. […] Les mœurs du monde lui étoient moins connues que les passions du cœur humain ; & il réussit aussi mal à plaisanter ou à peindre des choses ridicules, qu’il excelle à exprimer le sentiment. […] L’auteur peint l’amour avec des couleurs si fines & si touchantes, qu’il est à craindre que la lecture de ses écrits ne réveille ou n’entretienne cette passion dans les jeunes cœurs. […] lui fait un autre reproche dans ses Lettres secrettes ; c’est de trop détailler les passions, & de manquer quelquefois le chemin du cœur, en prenant des routes un peu trop détournées.
et tout d’une femme et de la femme, en rondeur, en expression, en passion, en promesse ! […] Elle a fait plusieurs espèces de livres, soit des romans, comme Delphine et Corinne, soit des livres d’histoire et de politique, comme les Considérations sur la Révolution française, soit de philosophie morale, comme l’Influence des passions, soit de critique littéraire, mêlée de philosophie et de métaphysique, comme l’Allemagne ; et dans tous ces divers ouvrages, on trouve une écrivain d’un prodigieux talent. […] Le sien, à Mme Sand, est plus épais, plus bourgeois, plus prosaïque, et si la passion l’a soulevé parfois, ce n’a été ni bien haut ni bien longtemps… ni surtout bien droit ! […] C’est cette Mme de Staël, la vraie et non plus l’inventée, dont je ne voudrais pas seulement que les œuvres intellectuelles, mais la vie intime, les noblesses, les vertus, les dévouements et les fautes, car elle commit des fautes, sans nul doute, puisqu’elle avait les passions qui font le génie, — c’est cette Mme de Staël qu’il faudrait montrer, non plus dans les prétentions d’une vanité qu’elle n’eut jamais, mais dans sa toute-puissante faiblesse de femme, aux femmes qui se trompent si grossièrement sur leurs facultés, et leur destinée !
La Bruyère parle quelque part de la passion désordonnée des Romaines de la décadence pour les joueurs de flûte. […] mais elle a une passion plus vaste : elle n’aime pas que les joueurs de flûte ; elle adore tous les histrions. […] Entre le tabac, qui narcotise l’esprit des modernes dans des proportions que la science et l’histoire constateront plus tard, et le théâtre, cette passion de gens fatigués et de nation en décadence, l’esprit meurt, la conversation s’éteint. […] Demandez-lui enfin, à cette Église, qui se connaît en passions, qui jauge éternellement le cœur et les reins de l’homme de ses mains puissantes, si la pureté des cœurs et toutes les vertus de la famille ne sont pas menacées de périr dans ces comédies, qui chauffent à blanc toutes les vanités en concentrant le feu de tous les regards sur elles ?
Nicolardot, qui n’a que la passion des esprits tournés ardemment vers l’histoire, la passion de la réalité, n’a rien négligé pour montrer dans Voltaire le misérable envers de l’homme opposé à l’endroit du personnage historique, et il est curieux de le suivre dans cette investigation et cette opposition acharnées. […] À ce déchiquètement moral de la vie d’un homme qui, lui aussi, déchiqueta pendant soixante ans tant de réputations au gré de ses passions et de ses caprices, on croirait à cette espèce de haine qui dit œil pour œil et dent pour dent, et on se tromperait. […] un moi éblouissant à l’aide duquel il a séduit et régné comme les femmes règnent et séduisent ; ce coup de parti, frappé sans passion avec les mains pures et impartiales de l’histoire, avait de quoi tenter un esprit courageux et ferme, et M.
Il s’accuse de sacrifier trop « au tableau, à l’accumulation du tableau, à la rapidité du récit, au vol d’oiseau, à la passion de l’inédit », partagée par son frère, qui, comme lui, voulait faire de l’histoire neuve comme de l’invention (ce qui est impossible). […] MM. de Goncourt ont senti cela comme tous les hommes de leur temps, et cette passion pour le xviiie siècle a faussé quelquefois et souvent leur histoire, en y mettant par trop de rayons. […] Sans amitié, sans préférence, sans chaleur, sans passion, indifférent à tout, et ne faisant acte de pouvoir, et d’un pouvoir jaloux, que dans la liste des invités de ses soupers, Louis XV apparaissait, dans le fond des petits appartements de Versailles, comme un grand et maussade et triste enfant, avec quelque chose dans l’esprit de sec, de méchant, de sarcastique, qui était comme la vengeance des malaises de son humeur… Un sentiment de vide, de solitude, un grand embarras de la volonté et de la liberté, joint à des besoins physiques impérieux et dont l’emportementrappelait les premiers Bourbons, c’est là Louis XV à vingt ans, c’est là le souverain en lequel existait une vague aspiration au plaisir et le désir et l’attente inquiète de la domination d’une femme passionnée, ou intelligente, ou amusante… Il appelait, sans se l’avouer à lui-même une liaison qui l’enlevât à la persistance de ses tristesses, à la paresse de ses caprices, qui réveillât ou étourdît sa vie en lui apportant les violences de la passion ou le tapage de la gaieté.
On était en rivalité de tragédies, et dans ces luttes pacifiques on apportait la même passion que dans ces rixes terribles où, vingt ans auparavant, des villages entiers venaient offrir la bataille aux villages ennemis. » Or, à cette tragédie jouée à Montalric, il y avait, au milieu de la foule compacte, un homme qui assistait pour la première fois a cette solennité, et c’est de la rencontre et de la combinaison de la tête singulière de cet homme, simple potier-terrailler de son état, et de cette tragédie, dont l’impression le bouleversait, que va sortir tout le roman de M. de La Madelène. […] L’émeute qui ouvre le fier roman de La Prison d’Edimbourg, ce chef-d’œuvre, est moins saisissante et moins terrible ; et ce n’est pas la seule attestation que l’auteur du Marquis des Saffras nous donne de sa haute aptitude à pétrir les cœurs populaires et à traduire avec une énergie digne d’elles les fortes passions qu’ils contiennent. […] Il a le regard transparent, et peint la tête dans la lumière, y mettant la passion elle-même, dans cette lumière, quand il la peint furieuse et sauvage. Si les Anges peignaient la passion humaine, on peut croire qu’ils peindraient ainsi.
Cet art, outre une imagination très vive et prompte à s’enflammer, supposait encore en eux des études très longues ; il supposait une étude raisonnée de la langue et de tous ses signes, l’étude approfondie de tous les écrivains, et surtout de ceux qui avaient dans le style, le plus de fécondité et de souplesse ; la lecture assidue des poètes, parce que les poètes ébranlent plus fortement l’imagination, et qu’ils pouvaient servir à couvrir le petit nombre des idées par l’éclat des images ; le choix particulier de quelque grand orateur avec qui leur talent et leur âme avaient quelque rapport ; une mémoire prompte, et qui avait la disposition rapide de toutes ses richesses pour servir leur imagination ; l’exercice habituel de la parole, d’où devait naître l’habitude de lier rapidement des idées ; des méditations profondes sur tous les genres de sentiments et de passions ; beaucoup d’idées générales sur les vertus et les vices, et peut-être des morceaux d’éclat et prémédités, une étude réfléchie de l’histoire et de tous les grands événements, que l’éloquence pouvait ramener ; des formules d’exorde toutes prêtes et convenables aux lieux, aux temps, à l’âge de l’orateur ; peut-être un art technique de classer leurs idées sur tous les objets, pour les retrouver à chaque instant et sur le premier ordre ; peut-être un art de méditer et de prévoir d’avance tous les sujets possibles, par des divisions générales ou de situations, ou de passions, ou d’objets politiques, ou d’objets de morale, ou d’objets religieux, ou d’objets d’éloge et de censure ; peut-être enfin la facilité d’exciter en eux, par l’habitude, une espèce de sensibilité factice et rapide, en prononçant avec action des mots qui leur rappelaient des sentiments déjà éprouvés, à peu près comme les grands acteurs qui, hors du théâtre, froids et tranquilles, en prononçant certains sons, peuvent tout à coup frémir, s’indigner, s’attendrir, verser et arracher des larmes : et ne sait-on pas que l’action même et le progrès du discours entraîne l’orateur, l’échauffe, le pousse, et, par un mécanisme involontaire, lui communique une sensibilité qu’il n’avait point d’abord. […] Rome était le centre de tous les mouvements ; c’était là que se réunissaient tous les grands spectacles, les grands intérêts, les grandes passions. […] La corruption du goût, qui naît des vices et des passions fortes, est différente de celle qui naît du défaut d’énergie, et de l’oisiveté qui s’amuse de tout ; l’une fait trop d’efforts, l’autre n’en fait pas assez : ainsi l’une exagère, l’autre affaiblit, et par là même peut-être le goût à Rome était plus près d’une décadence entière que dans la Grèce et dans l’Asie ; car celui qui ne va pas où il peut aller, est bien plus près de la nature que celui qui est emporté au-delà.
Que si cependant, par suite de certaines circonstances, l’homme ou plutôt la majorité des hommes qui forment une société vient à se prendre d’une passion unique et violente ; si cette société, comme il arrive en temps de révolution, en proie à une idée fixe, s’obstine à ce qu’elle prévaille, et, irritée des obstacles, n’y répond que par une volonté d’une énergie croissante, n’est-il pas évident alors que l’historien peut et doit tenir compte de cette disposition morale, désormais ordonnatrice toute-puissante des événements, la mêler à chaque ligne de ses récits, et les pénétrer, les vivifier tout entiers de cette force des choses, qui n’est après tout que la force des hommes ? […] Ceci est triste, si l’on veut, mais ceci est véritable ; dans les grandes convulsions sociales, l’homme est jeté hors de lui par sa passion dominante ; par elle, tout équilibre entre ses motifs est rompu, et sa liberté morale presque annulée. […] Qu’elle les ait, en effet, parcourues sans entraves ; que de la majorité dans le sein de laquelle elle s’était formée, elle ait, en s’altérant, passé au service des diverses minorités factieuses qui l’interprétèrent à leur façon et la maintinrent dominante ; que ces minorités, sortant l’une de l’autre et s’épurant sans cesse, en soient venues à tyranniser horriblement l’immense majorité subjuguée : c’est ce qu’expliquent de reste les besoins militaires de plus en plus impérieux de ces dernières périodes, besoins de détresse qui s’accordaient merveilleusement avec les passions furieuses du pouvoir, qui les eussent sollicitées si elles n’avaient été déjà flagrantes, et qui les firent tolérer tant qu’elles les servirent.
En effet, si l’on sent vivement, la conception peut être en retard sur l’émotion ; l’intelligence n’arrive pas à se mettre au même pas que la sensibilité et l’imagination : alors la figure qui traduira le désir ou la passion sera vague et n’offrira point une idée claire à l’esprit. […] Les joueurs aiment à appeler une partie du nom de bataille, ils livrent combat au hasard ; un coup heureux est une victoire ; un coup malheureux est une défaite, et quand ils ont tenu longtemps, quand ils se sont obstinément, stupidement acharnés à se ruiner, ils se donnent le mérite d’une héroïque résistance et ne sont pas bien sûrs de n’avoir pas déployé la même espèce de courage que Wellington à Waterloo : s’ils nommaient les choses par les mots propres, peut-être auraient-ils moins de complaisance pour leur passion ; du moins elle ne se colorerait pas à leurs yeux d’une telle beauté ; ils céderaient peut-être autant, ils s’en feraient moins honneur. […] Enfin il y a des pensées et des pages de Pascal, où l’éloquence éclate, où la passion vibre dans des phrases construites avec la précision nue et l’inflexible régularité du langage géométrique.
Quand on lit ses lettres, on est saisi de cette sérénité imperturbable, de cette indifférence aux polémiques et aux passions du temps, de cette régularité laborieuse, de cet esprit d’ordre, qui permirent à Buffon de mener à bonne fin le grand ouvrage qu’il avait conçu. […] Indépendant, paisible, il s’est fait de l’exclusion des passions, de la vie intellectuelle et contemplative une philosophie, une morale, un bonheur : sa carrière nous offre l’unité d’une belle existence de savant, tout dévoué à la science et à son œuvre. […] Le châtelain de Montbard n’aimait pas la terre improductive, qui ne donne pas de revenu, ni la vie désordonnée, dont l’épanouissement n’est pas réglé par la géométrie de l’esprit humain : il avait, je l’ai dit, la passion de l’ordre.