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294. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre III. Suite des Époux. — Adam et Ève. »

Suis-moi, je te conduirai où une ombre vaine ne trompera point tes embrassements, où tu trouveras celui dont tu es l’image ; à toi il sera pour toujours, tu lui donneras une multitude d’enfants semblables à toi-même, et tu seras appelée la Mère du genre humain. » Que pouvais-je faire après ces paroles ? […] Ulysse, bien que roi et héros, a toutefois quelque chose de rustique ; ses ruses, ses attitudes, ses paroles ont un caractère agreste et naïf. […] Cependant Milton n’a pas voulu peindre son Ève parfaite ; il l’a représentée irrésistible par les charmes, mais un peu indiscrète et amante de paroles, afin qu’on prévît le malheur où ce défaut va l’entraîner.

295. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre II. Qu’il y a trois styles principaux dans l’Écriture. »

Mais lorsque, sous les rapports chrétiens, on vient à penser que l’histoire des Israélites est non seulement l’histoire réelle des anciens jours, mais encore la figure des temps modernes ; que chaque fait est double, et contient en lui-même une vérité historique et un mystère ; que le peuple juif est un abrégé symbolique de la race humaine, représentant, dans ses aventures, tout ce qui est arrivé et tout ce qui doit arriver dans l’univers ; que Jérusalem doit être toujours prise pour une autre cité, Sion pour une autre montagne, la Terre Promise pour une autre terre, et la vocation d’Abraham pour une autre vocation ; lorsqu’on fait réflexion que l’homme moral est aussi caché sous l’homme physique dans cette histoire ; que la chute d’Adam, le sang d’Abel, la nudité violée de Noé, et la malédiction de ce père sur un fils, se manifestent encore aujourd’hui dans l’enfantement douloureux de la femme, dans la misère et l’orgueil de l’homme, dans les flots de sang qui inondent le globe depuis le fratricide de Caïn, dans les races maudites descendues de Cham, qui habitent une des plus belles parties de la terre91 ; enfin, quand on voit le Fils promis à David venir à point nommé rétablir la vraie morale et la vraie religion, réunir les peuples, substituer le sacrifice de l’homme intérieur aux holocaustes sanglants, alors on manque de paroles, ou l’on est prêt à s’écrier avec le prophète : « Dieu est notre roi avant tous les temps. » Deus autem rex noster ante sæcula. […] Mot céleste, parole ineffable ! […] Il entre dans son récit à la manière des anciens historiens ; vous croyez entendre Hérodote : « 1º Comme plusieurs ont entrepris d’écrire l’histoire des choses qui se sont accomplies parmi nous ; » 2º Suivant le rapport que nous en ont fait ceux qui dès le commencement les ont vues de leurs propres yeux, et qui ont été les ministres de la parole ; » 3º J’ai cru que je devais aussi, très excellent Théophile, après avoir été exactement informé de toutes ces choses, depuis leur commencement, vous en écrire par ordre toute l’histoire. » Notre ignorance est telle aujourd’hui, qu’il y a peut-être des gens de lettres qui seront étonnés d’apprendre que saint Luc est un très grand écrivain, dont l’Évangile respire le génie de l’antiquité grecque et hébraïque.

296. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1863 » pp. 77-169

Il a une parole amène tombant d’une bouche aux dents longues d’une vieille Anglaise. […] » toutes se mettant à paraphraser la banale parole pendant une demi-heure. […] Ici Gautier prend la parole, et nous déroule l’étrange existence de cette femme3. […] Qu’elles en sortent ou qu’elles n’en sortent pas, il me semble que, par leurs paroles, leur tenue, leur amabilité, elles vous y ramènent toujours. […] Dans la parole de Gautier, il faut toujours s’attendre à du romanesque ou à de l’hyperbolisme ; dans la parole de Flaubert, à de l’exagération, à du grossissement des choses.

297. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviiie entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

C’est donc sans raison, ajouta Kriemhilt, que tu voudrais te plaindre de mes paroles. […] » « Le roi Gunther prit la parole : « Je suis vivement affligé. […] L’opulent roi reprit la parole : « Ta parfaite innocence m’est complétement démontrée. […] « Le puissant roi prit la parole : « Je vous dirai comment vous devez agir. […] » Le joueur de viole prit la parole : « Je vous le ferai savoir.

298. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

Il y adhéra tout d’abord, et se contenta, pendant cinquante ans de travaux de parole ou de plume, de donner les motifs de son adhésion. […] Une puissance naturelle, qui se plaît de relever ce que les superbes méprisent, s’est répandue et mêlée dans l’auguste simplicité de ses paroles. […] Il battait les protestants par leurs propres paroles, par des actes de foi publique, par des confessions communes. […] Est-ce que Bossuet se met à la place des victimes, et s’associa aux paroles de menace qu’il leur prête contre leurs bourreaux ? […] La nommer, c’eût été avouer l’apologie : il espérait la sauver à la faveur de quelque proposition générale, qui eût excusé implicitement des excès de parole ou de plume bien pardonnables à une femme.

299. (1859) Critique. Portraits et caractères contemporains

qui lui eût dit qu’on lui ferait un crime d’une chose qui lui a tant coûté, l’eût bien étonné, sur ma parole ! […] Le philosophe Plotin (c’est Bayle qui le raconte, et nous recommandons cette belle et bonne parole à M.  […] » Véritable parole d’un Grec. […] Elle disait souvent, dans sa folie, des mots sensés, des paroles véhémentes. […] Les sanglots lui coupaient la parole.

300. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — E — Elskamp, Max (1862-1931) »

Chaque jour de la semaine est défini en ces pages selon sa caractéristique, chaque jour y a sa chanson : lundi, où chôment les établis ; mardi, toute la blancheur des toiles et des langes ; mercredi, le « grand jour des jardiniers » et des marchés où sonnent les carillons ; jeudi, le jeudi des amoureux, baisers donnés, baisers à rendre ; vendredi, « l’heure des bouches », et samedi, « avec votre bel habit noir », ce sont les six jours de non-repos évoqués l’un après l’antre, et c’est la vie honorée plus simplement, s’il se peut, que dans En symbole vers l’apostolat, honorée en pensée humble, en paroles portant modeste robe de bure… Et voici : les quatre volumes que signa M.  […] Leurs rêves bleus ont des lignes courtes, un peu sèches, droites et brusquées : Marie épandez vos cheveux : Voici rire les Anges bleus, Et dans vos bras Jésus qui bouge Avec ses pieds et ses mains rouges, Et puis encore les Anges blonds Jouant de tous leurs violons… Ce sont pieuses gens qui laissent leurs paroles suivre la pente des litanies.

301. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre IV. Le développement général de l’esprit est nécessaire pour bien écrire, avant toute préparation particulière »

Si l’on a bien appris, si l’on a bien vécu, c’est-à-dire comme un être actif et conscient, toutes les connaissances et toutes les émotions antérieures concourront insensiblement dans tout ce qu’on écrira, et, sans qu’on puisse marquer précisément l’empreinte d’aucune, elles se mêleront dans toutes nos pensées et dans toutes nos paroles, comme on ne saurait dire quelle leçon de gymnastique ou quel aliment entre tous a donné au corps la force dont il fait preuve un certain jour au besoin. […] Mais une âme fine et philosophique qui ait senti ce que la présence de l’homme met d’intérêt dans les choses inanimées, ce que l’indifférente sérénité de la nature a de navrant, quand disparaît ce bonhomme qui allait, venait, bêchait, taillait, introduisant le mouvement, la variété, la vie, peuplant ce désert à lui seul, âme de ce petit inonde ; une imagination imbue de poésie païenne, qui exprime la tristesse de cette impassibilité même, et mette en deuil pour le vieux jardinier les fleurs éternellement belles et souriantes, peuvent seules dicter cette brève parole, où l’on entend un écho d’Homère et de Virgile.

302. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Guérin, Charles (1873-1907) »

Le sceptre alourdit la main qui laissa choir l’archet, et, à ouïr les assonances frêles ou graves que le poète trouva, à se pénétrer de l’infinie délicatesse comme de l’écho sonore que dénote, voulu, le choix de ses mots, on se souvient, concis et formidables, de ces premiers poèmes orphiques dont le langage compliqué était, entre initiés, la parole par excellence. […] Il excelle souvent à commencer un poème par des paroles à la fois musicales et songeuses et qui, le livre fermé, pleurent encore dans la mémoire : Ô mon ami, mon vieil ami, mon seul ami, Rappelle-toi nos soirs de tristesse parmi L’ombre tiède et l’odeur des roses du Musée.

303. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DE LA MÉDÉE D’APOLLONIUS. » pp. 359-406

Minerve donne les mains à l’expédient de Junon : « Je n’entends rien, dit-elle, à tous ces traits ni à tous ces foments de l’amour ; mais puisque le moyen te paraît bon, j’y consens, et je suis prête à te suivre : seulement ce sera à toi de porter la parole. » Les deux déesses s’envolent aussitôt et arrivent au palais bâti à Vénus par son boiteux époux. […] Se débattant d’effroi, elle s’élança hors du lit et regarda de tous côtés les murailles de sa chambre : elle eut peine à recueillir ses esprits comme auparavant, et elle laissa échapper ces paroles avec sanglots : « Malheureuse que je suis, quels songes pesants m’ont épouvantée ! […] La parole tantôt lui montait au bout de la langue, et tantôt se renvolait au fond de sa poitrine. […] mais soudainement les épouvantes de l’horrible Pluton descendirent dans son cœur ; elle demeura un long temps privée de la parole : autour d’elle tous les aimables soins de la vie se représentaient. […] e Nemours prit la parole… » Voilà ce qu’est proprement le goût français ; on indique, on court, on sous-entend ; on a la grâce, la discrétion, la finesse, tout jusqu’à la poésie exclusivement.

304. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1886 » pp. 101-162

Mais la parole de l’apoplectique s’embrouillait et il ne pouvait se faire entendre. […] Et il me montre le possesseur de cette voix s’amusant à jouer, à musiquer de cette parole, à la façon des mourantes, en leurs dernières jouissances d’amour. […] Huysmans l’a entrevu aujourd’hui, une seconde, et sa seule parole a été celle-ci : « Avez-vous lu mon livre ?  […] » Et il sort de sa bouche un flot de paroles colères, qu’il termine ainsi : « Oui, cet homme me tue… me rend tout impossible… je ne vous parlais pas de ce journal, parce que je voulais en faire un livre… mais je sens que, lui là, je ne pourrai jamais le faire… Vous me paraissez un galant homme. […] Je trouve que c’est bien une parole d’ivrogne, transformée en enseigne.

305. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXIXe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe (2e partie) » pp. 161-232

D’où me viennent ces angoisses dans tes bras, lorsque, autrefois, tes paroles, tes regards me mettaient tout un ciel dans l’âme et que tu m’embrassais à m’étouffer ! […] Puisque ni mes paroles ni mes instances ne peuvent rien, il faut que je t’emporte d’ici ! […] Une fois le soir venu, quand le feu de ses paroles avec ses amis est évaporé, il devient doux et maniable, et il sent ses torts envers les autres. […] « Herman a à peine écouté ces paroles. […] Ses paroles seront sages, raisonnables, j’en suis sûr.

306. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

Ayant beaucoup écrit depuis plus de trente ans, c’est-à-dire m’étant beaucoup dispersé, j’ai à me recueillir avant d’aborder un enseignement proprement dit, et à poser quelques règles ou principes, qui marqueront du moins la direction générale de ma pensée ; j’en ai besoin, pour qu’il n’y ait entre nous aucun malentendu, et que ma parole puisse aller ensuite devant vous avec d’autant plus de liberté et de confiance. […] Mais avec la marche des siècles, après les révolutions et les cycles laborieusement accomplis, les astres se rejoignent et redeviennent cléments ; l’harmonie, la suprême beauté se retrouve ; elle éclate, elle resplendit dans le monde des arts, dans cette Rome aimable et raphaélesque de Léon X : dans un ordre moins brillant, mais plus estimable peut-être, dans l’ordre moral et de la parole éloquente, de la poésie sincère et convaincue, elle reparaît en France sous le règne de Louis XIV. […] On ne s’est pas borné aux figures historiques, à proprement parler, on a voulu descendre dans le for intérieur, dans le foyer privé des hommes les plus éloquents par la plume ou la parole, et en examinant leurs papiers, leurs lettres autographes, les éditions premières de leurs œuvres, les témoignages de leurs alentours, les journaux des secrétaires qui les avaient le mieux connus, on s’est fait d’eux des idées un peu différentes, et certainement plus précises que celles que donnait la seule lecture de leurs œuvres publiques. […] Je sais que d’en bas, et quand on est de la simple majorité des mortels, il convient de moins compter ses paroles et de se moins garder d’admirer ; mais encore faut-il savoir diriger sa louange et ne pas la faire monter en fusée. […] Je m’inclinerai devant la grande, la puissante et sublime parole de Bossuet, la plus impétueuse certainement et la plus pleine qui ait éclaté dans la langue française ; mais s’il s’agit d’agrément et de grâces, je les réserverai pour Fénelon.

307. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

Un esprit merveilleux, brillant, en train de toute science et de toute diversion, cherchant jusqu’au miel des poëtes ; une parole éloquente et suave, un cœur généreux et magnifique, une âme ardente, impatiente, immodérée, épuisant la fatigue sans jamais trouver le repos, que rien ne pouvait combler, ressaisie d’une mélancolie infinie au sein des succès et des plaisirs ; que revenait obséder par accès l’idée de la mort, l’image de l’éternité, et qui, à un certain moment, rejetant ce qui n’était plus qu’incomplet pour elle, l’immolant au pied de la Croix, entra, comme dit son biographe, dans la haine passionnée de la vie. […] Nous profiterons, chez le biographe, de toutes les belles paroles. […] Souvent, après avoir chassé le matin dans quelque belle terre, il venait en poste, de douze ou quinze lieues, prêcher en Sorbonne à l’heure dite, comme si de rien n’était : « Sa parole, dit M. de Chateaubriand, avait du torrent, comme plus tard celle de Bourdaloue ; mais il touchait davantage et parlait moins vite. » Sa violence de passion, en tout temps, se recouvrait d’une parfaite politesse.  […] Le Roi trouvait excessive et que Rancé favorisait ; la seconde au sujet des études monastiques que Rancé voulait trop restreindre, et dans laquelle Nicole prit naturellement parti pour Mabillon ; la troisième enfin avec l’humble M. de Tillemont au sujet de diverses circonstances et paroles qui semblaient également empreintes de quelque dureté. […] » En vain, au début du livre, par manière de prélude, il se disait en une de ces paroles, telles que seul il les sut trouver : « La vieillesse est une voyageuse de nuit : la terre lui est cachée ; elle ne découvre plus que le ciel. » À deux pas de là, il oubliait cette vieillesse que les dieux de la Grèce ne connaissaient pas, ou il ne s’en souvenait que pour s’écrier : « Ô Rome !

308. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Malesherbes. » pp. 512-538

Ces paroles nous peignent, ce me semble, M. de Malesherbes dans toute l’habitude de sa vie : naturel avant tout, bonhomme, simple, sensé, vif de franchise jusqu’à paraître un peu brusque. […] C’est Boissy d’Anglas qui nous le montre ainsi, et Chateaubriand achève le portrait en ajoutant : « Mais, à la première phrase qui sortait de sa bouche, on sentait l’homme d’un vieux nom et le magistrat supérieur. » Sa conversation était riche, nourrie, abondante ; il savait tout, ou du moins il savait beaucoup de tout, et cela sortait à flots avec une vivacité et une profusion qui rendait sa parole aussi piquante qu’instructive. […] M. de Chateaubriand, en deux ou trois endroits de ses Mémoires, où il introduit M. de Malesherbes, a très bien rendu ce mouvement de paroles qu’on a comparé « au mouvement irrégulier et perpétuel d’une liqueur bouillante ». […] Magistrat, il était un modèle ; ses paroles, ses actes, quand il le fallait, allaient à la grandeur. […] Notre science était toute dans les livres ; nous n’avions aucune connaissance des hommes. » On n’a nulle raison de révoquer en doute ces paroles qu’il a répétées plus d’une fois et à plus d’une personne.

309. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Nommé lieutenant-colonel de la garde nationale de Blérancourt, et l’un des meneurs du pays, il s’exerçait à la parole dans les questions d’intérêt local ; mais par goût il la faisait toujours laconique et brève. […] Brutus Saint-Just tiendra parole : il tuera tout le monde jusqu’à ce qu’il se fasse tuer lui-même. […] Ce premier discours de Saint-Just dans le procès de Louis XVI fournit quantité de ces axiomes et aphorismes dont la parole de l’orateur est habituellement tissue, et qui vont devenir la théorie conventionnelle la plus pure : De peuple à roi je ne connais plus de rapport naturel… Pour moi je ne vois point de milieu : cet homme doit régner ou mourir. […] » Il aime et affecte ces métaphores de foudre, de coups de tonnerre : « La Révolution est comme un coup de foudre, il faut frapper. » C’est ainsi encore qu’il dira en paroles d’airain, que l’Histoire cependant ne peut s’empêcher de graver, car elles apportaient avec elles leurs actes terribles : Que le cours rapide de votre politique entraîne toutes les intrigues de l’étranger. […] On ne cite de lui aucune parole depuis le moment de la défaite, durant ces dernières heures d’insulte et d’agonie ; il n’exprima ni indignation, ni regrets, ni remords.

310. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame, secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. »

Il avait un air prévenant ; sa voix était d’une étendue ; prodigieuse ; il prononçait fort vite, et cependant si distinctement qu’on ne perdait pas une seule de ses paroles. […] Pour cela, il ne faudrait d’ordinaire choisir pour pasteurs que des prêtres qui eussent le don de la parole. […] Simple abbé, il se distingua fort par sa parole et sa conduite dans les Assemblées du Clergé ; en une circonstance mémorable où le second Ordre était en conflit avec le premier, il se refusa à un rôle de chef de parti, de chef de file, qu’un ambitieux plus imprudent eut recherché : il aima mieux pousser à un rapprochement. […] Il donna une autre preuve de sa merveilleuse dextérité de parole lorsque, chargé par le roi de prononcer, aux obsèques solennelles d’Anne d’Autriche, à Notre-Dame, l’oraison funèbre de cette reine à laquelle il devait tant, il le fit avec toute l’effusion convenable, mais en touchant les années de la Fronde et de la guerre civile de telle sorte et si délicatement que le Parlement de Paris présent, et si fort intéressé dans ces souvenirs, put l’entendre sans se sentir offensé. […] Sa parole avait des charmes, des facilités qui rappelaient, par de singuliers contrastes, à qui était tenté de s’en souvenir, l’éloquence de Retz, mais d’un Retz soumis, adouci, métamorphosé et tout à la Cour.

311. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Mais de même que je me rappelais tout à l’heure Virgile en le lisant, je ne puis m’empêcher encore de me reporter à cette autre parole d’Andromaque dans Euripide, laquelle, au plus fort de ses douleurs et de ses alarmes maternelles, s’écrie : « … Oui, cela est vrai pour tous les hommes : leurs enfants, c’est leur âme même, et celui qui, pour n’en avoir pas l’expérience, dit le contraire, celui-là souffre moins, mais il est heureux sans bonheur. […] Cette parole me revenait en lisant Émile et en assistant à l’analyse si ferme, si douloureuse et si ardente de cette situation profondément fouillée. […] La netteté, la résolution de l’esprit se retrouvent dans la parole qui ne fait qu’un saut sur le papier, et sans songer à ce qu’on appelle le style, ni y faire songer, il se trouve qu’on en a un. […] Ayant vu, quelques années après, tomber également dans un duel mortel son collaborateur de La Presse, Dujarier, il prononça sur sa tombe, le 14 mars 1845, des paroles qui méritent d’être rappelées et qui témoignent d’un sentiment profond : « Si j’élève ici la voix, disait-il, ce n’est pas seulement pour exprimer de vains regrets et rendre un pieux hommage aux rares qualités que m’avaient fait reconnaître et honorer en lui des relations dont chacune était une épreuve journalière et décisive… Mais, placé entre la tombe qui est sous mes yeux et celle qui demeure ouverte et cachée dans mon cœur, je sens que j’ai un devoir impérieux à remplir, devoir trop douloureux pour n’être pas solennel ! […] Il se mêla le jeudi 2 mars à cette foule républicaine, qui partit de l’Hôtel de Ville pour le cimetière de Saint-Mandé, et il prononça sur la tombe de celui dont il portait en lui l’image voilée quelques paroles émues et simples qui obligèrent Marrast lui-même à lui donner la main.

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