Je ne puis penser, raisonner, vouloir, agir, qu’à la condition : 1° de ne pas me contredire en disant qu’une même chose est et n’est pas ; 2° d’attribuer (par paroles ou par actions) une raison à toute chose. […] Un autre fait social d’importance majeure est venu corroborer cette nécessité d’une logique commune : c’est l’existence de la parole. […] La parole humaine a des ailes : elle s’envole au-dessus de la réalité présente et des besoins immédiats ; elle est l’idée même revêtue d’un corps subtil et se faisant le plus possible immatérielle ; elle est la raison manifestée, le « verbe ». Or, la parole n’est possible que selon le principe de contradiction et le principe de raison suffisante.
Quel causeur, — bien, bien supérieur à ses livres, quelque valeur qu’ils aient, — et toujours dans la parole au-delà de ce qu’il écrit. […] Le causeur à idées de Magny est en ce moment le docteur Robin, dont la parole est pleine d’aperçus neufs, de découvertes, de trouvailles, allant des plus hautes aux plus petites questions de la médecine. […] Une verve grosse mais qui va toujours, des ripostes qui sabrent tout, sans souci de la politesse, un aplomb qui touche à l’insolence, et qui en donne à sa parole toutes les bonnes fortunes ; par là-dessus, une amertume cruelle… mais incontestablement un esprit bien personnel, un esprit mordant, coupant, emporte-pièce, que je trouve supérieur à l’esprit que l’auteur dramatique met dans ses pièces, par sa qualité de concision et de taille à arêtes vives, qu’il a, cet esprit, dans sa première spontanéité ! […] Du matin jusque dans les heures inspiratrices de la nuit, il nous a régalés de sa parole.
Laissez la poésie, laissez la parole, laissez la philosophie ! […] Ces hommes sont la vibration vivante et notée de tous les sens de cette terre de sensations, sensations qu’aucune autre langue ne peut rendre en paroles, tant ces lyrismes intérieurs dépassent les langues parlées ! […] Faut-il s’étonner que cette langue ait pour paroles des lueurs, des images et des mélodies ? […] Sa parole suave, ses manières sans apprêt, sa familiarité rassurante, élevaient tout de suite ceux qui l’approchaient à son niveau.
Selon la parole de l’Écriture, cet homme a dit aux vers du tombeau : « Vous êtes mes frères ! […] Immédiatement, il y aperçoit la forme qu’il cherchait pour sa poésie, car, selon une parole célèbre, « toute poésie n’est que de circonstance ». […] Selon les graves paroles de l’historien romain, nous avons donné un mémorable exemple de patience et nous avons connu tout ensemble ce qu’il y a d’extrême dans l’anarchie comme dans la servitude. […] Ta parole était une leçon éloquente de raison et de beauté !
. — « Tout ce qu’on a rabâché depuis sur les temps féodaux n’est que le commentaire de cet aperçu de génie », a dit M. de Chateaubriand, qui a prononcé sur Mézeray quelques paroles décisives. […] Il a de belles paroles qui lui échappent sans qu’il y songe.
Un jour qu’il avait reçu un de ces affronts comme la vieillesse la plus aimable n’en saurait éviter lorsqu’elle s’obstine à vouloir être toujours jeune, il lui échappa, à lui si bienveillant, quelques paroles contre la jeunesse : « Mon temps est passé ; mon monde est mort… Mais enfin quel est donc aujourd’hui le mérite de la jeunesse pour que le monde lui prodigue ainsi toutes ses faveurs ? […] L’auteur a ingénieusement construit cette notice avec les paroles mêmes, autant que possible, avec les expressions et les mots du prince : dans ce travail M. de Reiffenberg, à qui l’on a pu reprocher quelquefois des légèretés et des rapidités comme érudit, s’est montré de la plus agréable et de la plus française littérature.
Pourtant il s’en consolait tout bas et prenait assez crûment son parti à la manière des vieux Gaulois, en se disant ou à peu près, comme dans le fabliau (je rends le sens, sinon les paroles) : « Après tout, ce n’est qu’une femme perdue, et il s’en retrouvera assez. » Je ne donne pas cette manière de sentir pour très délicate ni pour chevaleresque, mais elle est de Sully. […] Il faut avoir l’esprit singulièrement fait pour voir dans cette parole de prudente et prévoyante observation de Sully l’indice qu’il pourrait bien avoir trempé dans l’empoisonnement supposé de Gabrielle, et il y aurait lieu, vraiment, de répéter ici avec Dreux du Radier : « C’est un soupçon punissable. » On sait le reste.
J’avois à peine douze ans que j’étois avide sur toutes choses de voir danses et rondes, d’ouïr ménestrels et paroles de joyeux déduit ; et ma nature m’induisoit à aimer tous ceux qui aiment chiens et oiseaux (tous nobles chasseurs). […] dis-je au chevalier, que vos paroles me sont agréables, et qu’elles me font grand bien tandis que vous me les contez !
Quoi qu’il en soit, il ne perd aucune occasion de critiquer Réaumur, et pour le fond des idées et pour la forme ; il lui reproche de se noyer dans une immensité de paroles : et en effet Réaumur, lu à côté de Buffon, a le style bien diffus et bien prolixe ; il l’a cependant clair et naturel, et, quand il parle des abeilles, il devient agréable. […] Les paroles de Goethe citées comme celles d’un oracle ne prouvent pas non plus beaucoup, à les lire sans superstition.
Quand tout bas elle soupire, N’en soyez pas interdit : Écoutez ce qu’on veut dire, Et non pas ce que l’on dit… Il y a ainsi de Maucroix en sa jeunesse quantité de couplets, épigrammes, madrigaux, épîtres familières, desquels il aurait pu dire comme Pline le Jeune envoyant à un ami ses hendécasyllabes : « Ce sont de petits vers dans lesquels tour à tour je raille, je badine, je suis amoureux, je me plains, je soupire, je me fâche. » Il aurait eu grand besoin, comme Pline, de demander pardon des légèretés et des endroits libres, en se couvrant des illustres exemples d’hommes réputés graves dont les mœurs, dit-on, valaient mieux que les paroles ; mais il n’aurait pu ajouter, comme le docte et ingénieux Romain, qu’il avait été, dans sa manière, tantôt plus serré, tantôt plus élevé et plus étendu (modo pressius, modo elatius) : Maucroix n’est jamais ni resserré ni élevé ; il a du naturel et une certaine douceur de rêverie, il n’a pas de force ni de travail. […] En traduisant, il s’arrête plus au sens général qu’aux paroles ; quand il rencontre dans son auteur une pensée qui lui paraît subtile ou forcée, il ne se fait aucun scrupule de la retrancher ou de l’adoucir.
D’Aubigné nous représente un type accompli de la noblesse ou plutôt de la gentilhommerie protestante française, brave, opiniâtre, raisonneuse et lettrée, guerroyant de l’épée et de la parole, avec un surcroît de point d’honneur et un certain air de bravade chevaleresque ou même gasconne qui est à lui. […] Sayous) nous fait voir Henri III juge délicat des choses de l’esprit : Henri III savait bien dire quand on blâmait les écrits qui venaient de la cour de Navarre de n’être pas assez coulants : « Et moi, disait-il, je suis las de tant de vers qui ne disent rien en belles et beaucoup de paroles ; ils sont si coulants que le goût en est tout aussitôt écoulé : les autres me laissent la tête pleine de pensées excellentes, d’images et d’emblèmes, desquels ont prévalu les anciens.
Mais une semblable parole ne pouvait être proférée impunément devant les Girondins et les partis subversifs. […] Les séances de l’Institut le partageaient également ; il les animait de ses vifs récits et de sa parole pittoresque ; il fut nommé membre résident (section d’histoire naturelle et de minéralogie) en 1802.
Vivez pour la consolation de vos sujets, et pour mettre le comble à votre gloire : ou plutôt, puisque vous êtes l’homme de la droite de Dieu, vivez, sire, pour la gloire et pour les intérêts de Dieu… Vivez pour consommer ce grand dessein de la réunion de l’Église de Dieu… Et comment, en entendant de telles paroles proférées par une telle bouche, en ces heures propices et attendries de la convalescence, le cœur de Louis XIV aurait-il douté, et n’aurait-il pas cru marcher dans la voie droite, dans la voie commandée et nécessaire ? […] La guerre s’ouvre avec vigueur ; le fils du roi, Monseigneur, est mis à la tête de l’armée du Rhin : « Le roi et Monseigneur se sont fort attendris en se séparant (25 septembre 1688). » Louis XIV dit à son fils une belle parole : « En vous envoyant commander mon armée, je vous donne des occasions de faire connaître votre mérite ; allez le montrer à toute l’Europe, afin que quand je viendrai à mourir, on ne s’aperçoive pas que le roi soit mort. » Monseigneur se conduit bien et vaillamment ; il a un éclair d’ardeur : cela même lui donne une étincelle d’esprit ; il écrit à son père devant Philisbourg : « Nous sommes fort bien, Vauban et moi, parce que je fais tout ce qu’il veut. » — « Mais Vauban pourtant, ajoute Dangeau qui s’anime et s’aiguillonne à son tour, n’est pas si content de Monseigneur, qui va trop à la tranchée et y demeure trop longtemps. » On prend Philisbourg, on prend Manheim et Frankendal : après quoi Monseigneur revient.
Il se fit recevoir avocat, et fréquenta quelque temps le Palais ; mais prévoyant trop d’obstacle et d’ennui dans la pratique, par la dépendance où se trouvaient les avocats vis-à-vis des procureurs, il se tourna du côté de l’Église, et muni comme il était de toute sorte de doctrine, doué d’une faconde naturelle, et d’une parole abondante et démonstrative, il devint prêtre et prédicateur. […] comme il y a plus de charité véritable et de tendresse dans la parole impérieuse en apparence et despotique de celui-ci !
Goûté et suivi par ces hommes de l’école érudite et libre, La Mothe Vayer, Gassendi, Naudé, il eut l’honneur d’être burlesquement insulté par le père Garasse : Quant au sieur Charron, disait ce facétieux dénonciateur des beaux esprits de son temps, je suis contraint d’en dire un mot pour désabuser le monde et les faibles esprits qui avalent le venin couvert de quelques douces paroles et de pensées aucunement favorables, lesquelles il a tirées de Sénèque et naturalisées à la française, sans voir bonnement ce qu’il faisait ; car c’était un franc ignorant, et semblable à ce petit oiseau du Pérou, qui s’appelle le tocan, et qui n’a rien que le bec et la plume. […] Vous êtes remplis encore de cette parole abondante, douce, affectueuse, onctueuse, fondée en raisons de physiologie et d’hygiène, solide à la fois et moralement persuasive, qu’Aulu-Gelle déclare cependant n’avoir pu reproduire qu’imparfaitement avec l’infériorité de son latin et de la langue romaine elle-même.
L’ère de guerre et de rivalité à main armée, entre les deux communions, avait cessé ; on entrait dans un régime nouveau, qui aurait dû être un régime de police civile, de légalité, de raison ferme, d’action douce et de conquête par la seule parole. […] Toutefois, c’est incontestablement un grand personnage ; négociateur dans les camps, homme d’épée dans les conseils, homme de plume et de belle parole.
Il disait encore de son ami, en laissant voir bien ingénument toute la différence qu’il y avait de sa façon de vivre à celle de Gray : L’humeur de Matthisson variait du sérieux au gai ; plus souvent il était sérieux… Il avait des journées entières où je ne pouvais lui arracher une parole, pas même une réponse. […] À propos de cet aveuglement si remarquable alors chez ceux qui auraient dû voir de plus haut, Rivarol disait une belle parole de royaliste irrité : « Autrefois les rois avaient leur couronne sur le front, ils l’ont aujourd’hui sur les yeux. » Bonstetten n’a jamais de ces mots qui gravent ; mais il a le crayon fin, juste et léger.
Et c’est cette parole, vive et jaillissante, qu'elle a retrouvée, grâce à son fidèle interprète. […] Le roi en a mal usé toute sa vie avec lui ; mais il est son cousin, et il feindra une maladie pour rester chez lui, samedi, jour de l’appel nominal qui doit décider du sort du roi. » — « Alors, monseigneur, dis-je, je suis sûre que vous n’irez pas à la Convention mercredi ; je vous en prie, n’y allez pas. » Il répondit qu’il n’irait certainement pas, qu’il n’en avait jamais eu le projet, et il me donna sa parole d’honneur qu’il ne s’y rendrait pas ce jour-là, ajoutant que, quoique, selon lui, le roi eût été coupable en manquant de parole à la nation, rien ne pourrait le contraindre, lui, son parent, à voter contre Louis XVI.