Les écrivains des autres peuples et des autres temps, même les admirables poëtes du grand siècle, ont trop souvent oublié, dans l’exécution, le principe de vérité dont ils vivifiaient leur composition. […] Il se rappellera toujours ce que ses prédécesseurs ont trop oublié, que lui aussi il a une religion et une patrie.
Je doute fort, en effet, que la postérité, même celle-là qui commence, pour chacun de nous, à quatre pas de la tombe, s’occupe beaucoup de Mme Sophie Gay, dont le nom serait déjà oublié, si, sous ce nom, Mme Émile de Girardin n’avait commencé sa renommée. […] En province, où elle vécut d’abord ; à Paris, où elle vint plus tard, elle n’aspira jamais qu’à être la Philaminte d’un cercle mieux composé que celui des Femmes savantes, et dont les Vadius et les Trissotin ne furent rien moins que Soumet, alors dans toute sa gloire, — Soumet, sur le corps de qui ont passé Lamartine et Victor Hugo, — Guiraud, Émile Deschamps et le marquis de Custine, un grand artiste à peu près inconnu, très grand seigneur avec la gloire qu’il n’a pas courtisée, et dont le marquis de Foudras, l’héritier de son immense fortune, a oublié de publier les œuvres complètes, quand on imprime celles de Mme Gay !
… Mais il y a plusieurs raisons qui m’empêchent… et vous n’aurez pas oublié ce que je vous en disais si souvent en nos longues promenades de Roumens, où il n’y avait que des arbres et des fontaines qui nous écoutassent. » Après cet aveu dépouillé d’artifice, on comprend quelle doit être l’histoire, écrite pour le public et pour la postérité, de ce courageux historien à l’usage des arbres et des fontaines. […] Il y a des noms qui survivent à leurs œuvres, mais qu’il est impossible d’y rattacher, tant ces œuvres sont oubliées.
Il a tout fait pour être absolument insupportable à une époque où la distinction est honnie comme une aristocratie outrageante ; où, par exemple, le grand Lamartine est oublié pour les Lilliputiens du Parnasse, et où ce Flaubert, qui vient de mourir en emportant dans sa tombe la tête d’une littérature qui ne laisse plus derrière lui que ses parties honteuses, mugissait de son vivant, comme un bœuf qu’il était : « ce gueuloir de Chateaubriand ! […] Cet Édelestand du Méril, imbécilement oublié par l’Institut, comme le sera probablement Saint-Victor, parce qu’il ne possédait pas la faculté si grande et si respectée en France d’être un pédant solennel, avait tout ensemble rétréci et dilaté le sujet abordé aujourd’hui par Saint-Victor.
Affriolant et mordant sujet, difficile et oublié ! […] Peut-être de cet homme raboté, vernissé par une éducation spéciale, sortira-t-il enfin quelque petite voix naturelle, quelque petite voix de génie, comme d’un étui de maroquin noir tout uni, centième exemplaire de la même boîte, peut très bien sortir une charmante mandoline dont les sons ne s’oublient jamais une fois qu’on les a entendus !
Cette adorable traduction d’Hérodote par Pierre Saliat, ensevelie sous trois ou quatre autres, avait été définitivement oubliée pour celle de Larcher. […] Ce caractère religieux a frappé Pierre Saliat, qui, ramenant tout à la préoccupation de son temps comme les vieux peintres au costume du leur, quels que soient les sujets qu’ils traitent, finit par appeler « chrétien » Hérodote, comme il rayait appelé « un gentilhomme grec ». « Une chose que je ne veux oublier, — dit-il en son style d’une senteur antique et exquise, — c’est que les vieux historiens (comme aussi les poètes)sont dignes véritablement d’être révérés et honorés, et principalement pour cette révérence qu’ils portent à leurs Dieux, quoique feints ils soient.
Dans la Marie-Antoinette d’avant l’échafaud, d’avant la prison, et même d’avant la calomnie ; dans la Marie-Antoinette de la jeunesse et du bonheur, dans celle-là que Prudhon aurait peinte, que Goujon et Canova auraient sculptée ; dans cette idéale reine aux cheveux d’or, pour qui non-seulement un diadème pesait trop, mais une simple guirlande ; dans celle-là, enfin, la Marie-Antoinette à la robe de linon qui semblait ressortir plus particulièrement de leur art, à ces historiens de la Vie, il y avait une femme qu’ils ont oubliée, un génie de femme qu’ils auraient dû dégager et qu’ils n’ont pas vu, comme s’il était dans le destin de la divine Malheureuse d’être méconnue par l’Histoire autant qu’elle avait été calomniée. […] Femme d’un grand sens, que la religion éclairait de ses lumières surnaturelles, elle ne s’y trompait pas ; et, d’ailleurs, si elle avait pu l’oublier, un souvenir cruel l’aurait avertie.
Pour ma part, je ne l’oublierai pas. […] Tel est ce Roger Bontemps, ce bénédictin de robe courte qui l’a rentrée dans sa culotte de peau, et qui postillonne pour le compte de l’Histoire et nous rapporte, des postes qu’il court, toutes sortes de fleurs d’érudition oubliées dans nos archives, ces serres de choses mortes !
Dans la Marie-Antoinette d’avant l’échafaud, d’avant la prison, et même d’avant la calomnie ; dans la Marie-Antoinette de la jeunesse et du bonheur, dans celle-là que Prudhon aurait peinte, que Goujon et Canova auraient sculptée ; dans cette idéale reine aux cheveux d’or, pour qui non seulement un diadème pesait trop, mais une simple guirlande ; dans celle-là, enfin, la Marie-Antoinette à la robe de linon, qui semblait ressortir plus particulièrement de leur art, à ces historiens de la Vie, il y avait une femme qu’ils ont oubliée, un génie de femme, qu’ils auraient dû dégager, et qu’ils n’ont pas vu, comme s’il était dans le destin de la divine Malheureuse d’être méconnue par l’histoire, autant qu’elle avait été calomniée ! […] Femme d’un grand sens, que la religion éclairait de ses lumières surnaturelles, elle ne s’y trompait pas ; et d’ailleurs, si elle avait pu l’oublier, un souvenir cruel l’aurait avertie.
Après la décapitation de d’Egmont, ce Ney de l’histoire hispano-flamande, — car Graveline et Saint-Quentin valent bien la Moscowa, — et pour qui, comme pour Ney, il y eut autant de raisons de pardonner que de condamner, Prescott rapporte toute entière cette lettre du duc d’Albe à Philippe II, que tant d’autres historiens auraient oubliée : « Votre Majesté comprendra le regret que j’ai eu de voir finir ainsi ce pauvre seigneur et de lui faire subir ce sort ; mais je n’ai pas reculé devant le devoir de servir mon souverain… Le sort de la comtesse m’inspire aussi une très grande compassion quand je la vois chargée de onze enfants dont aucun n’est assez âgé pour se suffire, et quand on pense à son rang élevé de sœur de comte palatin et à sa vie si vertueuse et si exemplaire, je ne puis que la recommander aux bonnes grâces de Votre Majesté. » Les bonnes grâces de Philippe II furent chiches. Il prit, lui, sans broncher, la responsabilité d’un événement qui pesait à son général, et Prescott n’a pas non plus oublié de nous dire que le duc d’Albe fit une pension, de ses deniers, à la comtesse d’Egmont, tout le temps qu’elle vécut.
En revenant à Camille Desmoulins, l’Opinion ne l’avait pas oublié. […] À travers le journaliste, fatalement vieilli comme ils vieillissent tous, dont la personnalité reculait, en s’effaçant, dans un passé qui s’éloignait et qu’on rapproche, on aperçoit l’homme, si on peut dire l’homme de cet enfant trépignant et passionné, qu’il aurait valu mieux faire oublier que rappeler, pour son honneur et pour sa gloire.
Il ne s’agit pas ici de tragédies plus ou moins oubliées et qu’on oubliera tout à fait.
Si la nostalgie de Paris n’avait pas poussé le pauvre Galiani à jeter des lettres dans ce tombeau où les lettres arrivent , disait si mélancoliquement Madame de Staël de l’absence, il ne se serait pas endormi sous le bleu du ciel de Naples comme les lazzaroni de ses bornes, car il n’avait rien du lazzarone, cet homme d’éther et de phosphore, mais il aurait, avec cette dextre souplesse qui est le caractère de son genre de génie, rempli stoïquement les hautes fonctions économiques, financières, administratives et judiciaires auxquelles le gouvernement napolitain l’appela pour lui faire oublier sa disgrâce d’un jour. […] Et l’Arlequin délicieux qu’il avait été dans ces salons enchantés de sa jeunesse fût redevenu plus fort en lui que le Machiavel qu’il voulait être, et le lui eût fait oublier !
Il ne s’agit pas ici de tragédies plus ou moins oubliées et qu’on oubliera tout à fait.
En effet, on dirait qu’on l’oublie : l’organisation du travail, qu’on intitule la grande question des temps modernes, est une question éternelle. […] L’humanité, cet homme collectif, fait souvent dans sa marche ce que fait l’homme individuel dans la sienne, quand il revient chercher ce qu’il a oublié derrière lui et ce qui est nécessaire à son voyage.
Le magnifique poème de Moïse, à coup sûr, après Eloa, le plus beau du recueil, et qui paraît plus mâle et plus majestueux peut-être à ceux qui oublient ce Satan d’Eloa dont Milton aurait été jaloux, — le poème de Moïse n’apparaît pour la grandeur du sentiment et de l’idée, l’ineffable pureté des images, la solennité de l’inspiration, la transparence d’une langue qui a la chasteté de l’opale, qu’un fragment détaché de cette Eloa qui n’est pas seulement l’œuvre de ce nom, mais chez M. de Vigny, l’angélique substance de la pensée. […] C’est le sublime de la bonté conçue, presque égal à celui de la bonté de l’action… Seulement, comme un palais qui serait taillé dans une perle, il faut voir les détails de cette création inexprimable à tout autre qu’au poète qui a su en faire trois chants, qu’on n’oubliera plus tant qu’il y aura un cœur tendre et un esprit poétique dans l’univers, mais qui n’en sont pas moins trop purs et trop beaux pour cette grossièreté de lumière, de bruit et d’éclat qu’on appelle la Gloire !
On oubliera demain ce Neveu de Rameau de la blague (je parle sa langue, en écrivant ce mot-là) et ce Bernardin de Saint-Pierre des Paul et Virginie du concubinage. […] Je n’ai plus le sou, ma chère, — et ton code Dans un pareil cas, condamne à l’oubli, Et sans pleurs, ainsi qu’une ancienne mode, Tu vas m’oublier, n’est-ce pas, Nini ?
C’est un livre érudit, où rien n’est oublié, et qui ajoute la vérité de l’aperçu à une érudition qui ne l’a pas toujours. […] En d’autres termes plus précis, c’est encore là bien moins de l’inconnu que de l’oublié… L’oubli qu’on a fait de la moitié du grand Corneille est égal à la gloire de l’autre moitié.