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462. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — I. » pp. 134-154

Mézeray, très bon historien pour ces derniers siècles, portait de Sully le jugement juste et vrai qu’il faut qu’on en porte encore, mais sans embellissement et sans enthousiasme : « Outre qu’il était infatigable, ménager et homme d’ordre, dit-il, il avait la négative fort rude, et était impénétrable aux prières et aux importunités, et attirait à toutes mains de l’argent dans les coffres du roi. » Tant que Louis XIV régna, il fut assez peu question des grandeurs et des gloires des règnes précédents. […] C’est un tableau raccourci des remords et angoisses de Charles IX après la Saint-Barthélemy, de la résistance que rencontrent les ordres sanguinaires du roi chez quelques gouverneurs généreux de places et de provinces, et du ressort que reprend, le parti après le premier effroi, au lieu d’être écrasé et atterré comme on l’avait cru. […] Le retour du roi de Pologne Henri III et son arrivée en France, le démenti donné du premier coup aux espérances qu’on avait de lui, ne sont pas moins bien notés ; ce dernier des Valois arrive avec le dessein, qui lui a été suggéré par de sages princes et conseillers qu’il a vus au passage (en Autriche, à Venise et en Savoie), d’octroyer la paix à tous ses sujets et de rétablir l’ordre et la concorde avec traitement égal pour tous ; mais, à peine arrivé, il fait défaut, se laisse retourner par la reine sa mère, s’engage dans je ne sais quelle petite guerre et quel petit siège qu’il est obligé de lever avec mille sortes de reproches et d’injures que lui lancent du haut des murailles les femmes et les enfants : Ce honteux décampement, dit Sully, l’aversion que le roi témoigna dès lors de toutes choses généreuses et de la vraie gloire, qui ne s’acquiert que par les armes, et une inclination et disposition portée toute au repos, aux délices et plaisirs, le firent tomber en mépris qui engendra la haine, et la haine l’audace d’entreprendre contre lui, de laquelle procéda sa perdition avec infamie. […] Rosny remplit les ordres et les vues de son maître. […] Il l’épousa cette année même 1583 : L’amour et gentillesse de laquelle vous retint toute l’année 1584 en votre nouveau ménage, où vous commençâtes à témoigner, comme vous aviez déjà bien fait auparavant en toute votre vie, en la conduite de votre maison, une économie, un ordre et un ménage merveilleux, prenant la peine de voir et savoir tout ce qui concernait la recette et dépense de votre bien, écrivant tout par le menu, sans vous en remettre ni fier à vos gens, chacun s’étonnant comment sans bienfaits de votre maître, ni sans vous endetter, vous pouviez avoir tant de gentilshommes à votre suite, et si honnêtes gens qu’étaient les sieurs de Choisy, Morelly, Boisbrueil, Mallosnay, Tilly, Lafond et Maignan, et faire une si honorable dépense.

463. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — II. (Fin.) » pp. 452-472

On le voit, si une idée auguste et grandiose préside à l’inspiration de Gibbon, l’intention épigrammatique est à côté : il conçoit l’ancien ordre romain, il le révère, il l’admire ; mais cet ordre non moins merveilleux qui lui a succédé avec les siècles, ce pouvoir spirituel ininterrompu des vieillards et des pontifes, cette politique qui sut être tour à tour intrépide, impérieuse et superbe, et le plus souvent prudente, il ne lui rendra pas justice, il n’y entrera pas : et de temps en temps, dans la continuité de sa grave Histoire, on croira entendre revenir comme par contraste ce chant de vêpres du premier jour, cette impression dénigrante qu’il ramènera à la sourdine. […] Ce seul premier volume renfermait bien des matières diverses : des considérations remarquables par l’ordre et l’étendue, des récits rapides ; les cruautés et les atroces bizarreries des Commode, des Caracalla, des Élagabal, les trop inutiles vertus des Pertinax, des Alexandre Sévère, des Probus ; le premier grand effort des Barbares contre l’Empire, et une digression sur leurs mœurs ; l’habile et courageuse défense de Dioclétien, sa politique nouvelle qui, toujours veillant aux frontières, se déshabitue de Rome, et qui, présageant l’acte solennel de Constantin, tend à transporter ailleurs le siège de l’Empire ; enfin les deux chapitres concernant l’établissement du christianisme et sa condition durant ces premiers siècles. […] Considérée par cet aspect, son Histoire ressemble à une belle et longue retraite devant des nuées d’ennemis : il n’a pas l’impétuosité ni le feu, mais il a la tactique et l’ordre ; il campe, s’arrête et se déploie partout où il peut. […] Ceux encore aujourd’hui qui auront vécu par la lecture dans cette intimité tempérée et ornée, n’y eussent-ils passé comme moi qu’une quinzaine, comprendront que Gibbon, sans être de l’ordre des génies, sans être même de ceux qui avec du talent troublent ou passionnent les hommes, ait eu ses fidèles et ses pèlerins affectueux.

464. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — II. (Fin.) » pp. 513-532

Les Sarrasins, dont le sultan était malade d’une maladie mortelle, ne recevant aucun ordre précis, s’effrayèrent, et, après quelques escarmouches de peu d’importance, ils abandonnèrent brusquement aux Français la cité de Damiette. […] Mais tout cela se rencontre chez Joinville sans ordre ni méthode ; son récit marche comme cette guerre elle-même. […] Quand on en vient à Joinville, qui est le quatorzième en ordre, le légat, qui était comme chargé par le roi de faire le tour d’opinions, l’interroge, et Joinville se prononce, mais avec un surcroît d’énergie, pour l’avis du comte de Jaffa, disant hardiment « que le roi n’a encore rien mis de ses deniers dans l’entreprise, qu’il n’a dépensé que les deniers des clercs (du clergé) ; que si donc le roi y va de ses propres deniers pour la dépense et qu’il envoie quérir des chevaliers en Morée et outre-mer, à la nouvelle des avances et largesses du roi il lui viendra des chevaliers de toutes parts ; par quoi il pourra tenir la campagne l’espace d’un an ; et que, par le fait de sa demeurance, seront délivrés les pauvres prisonniers qui ont été pris au service de Dieu et au sien, lesquels n’en sortiront jamais si le roi s’en vaai ». […] Vers la fin de son livre, on dirait que Joinville, en le dictant98, s’accoutume peu à peu à être auteur ; parlant de saint Louis et des maisons religieuses de tout genre, des monastères de tout ordre qu’il fonda, il dit : « Et ainsi que l’écrivain qui a fait son livre et qui l’enlumine d’or et d’azuram, enlumina ledit roi son royaume de belles abbayes qu’il y fit. » Voilà une comparaison littéraire proprement dite ; et elle est encore vive et riante. Il y avait plus de quinze ans que saint Louis était rentré dans son royaume, qu’il en réparait les plaies, qu’il y affermissait chaque jour un ordre de justice et y pourvoyait au bonheur de ses sujets, quand malade et affaibli avant l’âge, au point de ne pouvoir supporter ni le cheval ni à peine la voiture, il se sentit ressaisi d’une extrême ardeur d’aller encore combattre ou plutôt mourir sous la croix (1270).

465. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — I. » pp. 301-321

Or, dans cet ordre nouveau, imaginez un hussard, un hulan, un chevau-léger d’avant-garde qui va souvent insulter l’ennemi jusque dans son retranchement, mais qui aussi, dans ses fuites et refuites, pique d’honneur et aiguillonne la colonne amie qui cheminait parfois trop lentement et lourdement, et la force d’accélérer le pas. […] Le Français est sociable, et il l’est surtout par la parole ; la forme qu’il préfère est celle encore qu’il donne à la pensée en causant, en raisonnant, en jugeant et en raillant : le chant, la peinture, la poésie, dans l’ordre de ses goûts, ne viennent qu’après, et les arts ont besoin en général, pour lui plaire et pour réussir tout à fait chez lui, de rencontrer cette disposition première de son esprit et de s’identifier au moins en passant avec elle. […] Il existe de cette dédicace deux versions, l’une où se trouve le nom de l’exilé de Sainte-Hélène, l’autre, plus énigmatique et plus obscure, sans le nom ; dans les deux, Napoléon y est traité en monarque toujours présent, et Beyle, en rattachant « au plus grand des souverains existants » (comme il le désigne) la chaîne de ses idées, prouvait que dans l’ordre littéraire et des arts, c’était une marche en avant, non une réaction contre l’Empire, qu’il prétendait tenter. […] Ce génie, qu’il n’appartenait point à la critique de créer, a manqué à l’appel ; des talents se sont présentés en second ordre et ont marché assez au hasard. […] [NdA] Je ne voudrais pas faire de rapprochement forcé ; mais il m’est impossible de ne pas remarquer que Beyle, dans un ordre d’idées plus léger, ne fait autre chose qu’adresser aux Français de ces reproches que le comte Joseph de Maistre leur adressait également.

466. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — IV » pp. 103-122

Fénelon, ne l’oublions pas, inclinait à croire que tout était perdu et sans ressources ; il le dit en termes nets, écrivant au duc de Chevreuse au commencement de 1740 : « La discipline, l’ordre, le courage, l’affection, l’espérance, ne sont plus dans le corps militaire : tout est tombé, et ne se relèvera point dans cette guerre. […] Voisin, l’armée de Flandre n’est pas désirée par le soldat, et l’on en peut juger par la grande désertion des troupes qui ont eu ordre de s’y rendre. […] Dès le soir et dans la nuit du 23 juillet, Villars donna ses ordres et mit ses troupes en mouvement. […] Le prince Eugène donna seulement ordre à quelques brigades de sa droite de se rendre aux retranchements de Denain, à quatre lieues de là : pour lui, il s’y transporta à toutes jambes, ne pouvant encore se persuader que ce fût la tête de l’armée française. […] Il examina l’ennemi pendant un moment, en mordant de dépit dans son gant ; et il n’eut rien de plus pressé que de donner ordre que l’on retirât la cavalerie qui était dans ce poste. — Les effets que produisit cette affaire sont inconcevables : elle fit une différence de plus de cent bataillons sur les deux armées, etc.

467. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie de Maupertuis, par La Beaumelle. Ouvrage posthume » pp. 86-106

… » Comme Voltaire l’avait dénoncé d’emblée aux puissances et signalé comme un calomniateur de Louis XIV, de Louis XV et du roi de Prusse, La Beaumelle le rappelait à l’ordre et lui faisait toucher son inconséquence : « Apprenez qu’il est inouï que le même homme ait sans cesse réclamé la liberté de la presse, et sans cesse ait tâché de la ravir à ses confrères15. » Il y a même une lettre assez éloquente, la xiiie , dans laquelle l’auteur suppose un baron allemand de ses amis, qui s’indigne de l’espèce de défi porté par Voltaire, dans son enthousiasme pour le règne de Louis XIV : « Je défie qu’on me montre aucune monarchie sur la terre, dans laquelle les lois, la justice distributive, les droits de l’humanité, aient été moins foulés aux pieds… que pendant les cinquante-cinq années que Louis XIV régna par lui-même. » La réponse est d’un homme qui a souffert dans la personne de ses pères et qui sort d’une race odieusement violentée dans sa conscience, opprimée depuis près de quatre-vingts ans16 et traquée. […] Il fut mis deux fois à la Bastille pour des causes légères, et ensuite exilé dans le midi de la France, avec défense de rien publier ; il éluda cet ordre, le plus pénible peut-être pour un homme de son humeur, en mettant quelques-uns de ses écrits d’alors sous le nom de ses amis. […] Je vous prie de mettre promptement ordre à vos affaires, car vous me manquez beaucoup ici. […] Il y a eu dans l’Antiquité tout un ordre de grammairiens et de rhéteurs qui ont fabriqué des lettres de rois et de grands hommes, et quelquefois c’était à s’y méprendre. […] [NdA] Frédéric lui-même rappelait Voltaire à l’ordre sur ce point, dans une lettre du 19 avril 1753, écrite dans le temps que s’imprimait cette réfutation où Voltaire, tout en se vengeant, n’était pas fâché de se donner comme le vengeur des rois : « Je n’ai point fait alliance avec vous pour que vous me défendiez, et je ne me soucie guère de ce que La Beaumelle s’est avisé de dire de moi ou de mon pays.

468. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite et fin.) »

Elle aimait l’Angleterre et les Anglais ; elle causait bien politique, et ce fut une des femmes du xviiie  siècle qui, les premières, surent manier en conversant cet ordre d’idées et de discussions à la Montesquieu. […] « S’acquitter de ses devoirs selon leur ordre et leur importance. […] Cependant, ci-devant nobles et émigrées rentrées comme elles étaient, ces dames ne peuvent éviter l’arrestation : elle a lieu par ordre du Comité de sûreté générale, le 22 janvier 1794, après examen et saisie de leurs papiers. […] 2° Détenue à la Conciergerie depuis le 4 pluviôse dernier (23 janvier 1794), par un ordre du Comité de sûreté générale portant qu’elle était émigrée rentrée. […] Quand on a eu une vraie distinction, on ne meurt jamais entièrement au sein de la société et du régime dont on a été, qui vous a produit et qui vous survit, et où se transmettent tant bien que mal les souvenirs ; mais là où on court le risque à peu-près certain de périr et d’être abîmé tout entier, c’est quand le déluge fatal qui survient tôt ou tard, le tremblement ou le déplacement des idées et des conditions humaines envahit et emporte l’ordre de choses même et tout le quartier de société et de culture qui vous a porté.

469. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite.) »

On a ainsi le duc d’Orléans, Mirabeau, La Fayette, Mathieu de Montmorency, le futur consul Lebrun, ce dernier très agréablement dessiné ; car Malouet s’entend mieux à montrer ces caractères moyens qu’à exprimer les personnages extrêmes : « Enfin un homme dont la fortune s’est élevée depuis au niveau de ses talents, dont les opinions s’étaient manifestées pour la conservation des trois Ordres, arrive comme vaincu dans le camp des vainqueurs ; et là, sans se mêler jamais à aucune autre discussion que celle des finances, il abandonne la Constitution à sa triste destinée dans toutes ses conséquences politiques ; mais il la soutient, il la défend dans tout ce qui est relatif aux impôts, aux monnaies, aux assignats, aux recettes et aux dépenses de l’État. […] Il y a parmi nous plus d’une tète ardente, plus d’un homme dangereux ; dans les deux premiers Ordres, dans l’aristocratie, tout ce qui a de l’esprit n’a pas le sens commun ; et, parmi les sots, j’en connais plusieurs capables de mettre le feu aux poudres. […] Si l’incompréhensibilité des mystères révélés épouvantait ma raison, les merveilles de la nature me démontraient évidemment son auteur et l’existence d’un ordre moral à côté de l’ordre physique. […] Malouet fit observer qu’en Angleterre, à la Chambre des communes, le plus grand ordre régnait, et que cela était dû à la souveraine autorité dont était investi le speaker qui avait pouvoir, si un membre causait du désordre, de lui imposer silence, par manière de punition pour deux mois ou pour tout autre laps de temps déterminé.

470. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de La Mennais »

Quand je considère cette disposition toujours croissante à une mélancolie aride et sombre, l’avenir m’effraye ; de quelque côté que je tourne les yeux, je ne vois qu’un horizon menaçant ; de noires et pesantes nuées s’en détachent de temps en temps et dévastent tout sur leur passage ; il n’y a plus pour moi d’autre saison que la saison des tempêtes… » Ici se trahit le contemporain et le compatriote de René ; et quand je parle de René et d’Oberman à propos de La Mennais, ce ne sont pas des influences qui se croisent ni des reflets qui lui arrivent de droite ou de gauche : c’est une sensibilité du même ordre qui se développe sur son propre fond, mais qui hésite encore, qui se cherche et n’a pas trouvé son accent ; c’est un autre puissant malade, enfant du siècle, qui, dans la crise qu’il traverse et avant de s’en dégager, accuse quelques-uns des mêmes symptômes et rencontre, pour les rendre, quelques expressions flottantes dans l’air et qui se font écho. […] Il préparait lentement les matériaux de l’ouvrage qu’il faisait en commun avec son frère, la Tradition de l’Église sur l’institution des Évêques ; il en amassait les textes et les mettait en ordre ou les compilait. […] Ceux qui le prirent à un certain moment pour un maître et pour un guide lui-même se sont bien trompés : ce guide était homme à les mener loin en effet et à les entraîner de bon cœur, mais à les planter là aussi, un jour ou l’autre, au beau milieu du chemin. — J’ai besoin de quelqu’un qui me dirige : ce quelqu’un, il ne s’agit aujourd’hui, quand on étudie la vie de La Mennais, que de savoir le trouver et l’indiquer aux divers moments ; ce quelqu’un ce fut l’abbé Jean d’abord, ce fut ensuite l’abbé Carron, qui, joint à l’abbé Jean, lui fit violence et le décida, quoi qu’il lui en coûtât extrêmement, à recevoir les ordres sacrés à la fin de 1815 et dans le carême de 1816. […] Ce n’est pas connaître le monde, en effet, que de vivre jusqu’à l’âge de trente-deux ans au fond d’une campagne, n’ayant qu’un seul ordre étroit et sévère de rapports et d’intérêts moraux, de n’avoir jamais observé la société moderne dans l’infinie variété de ses conditions, de ses opinions, de ne s’être pas accoutumé de bonne heure à considérer de plain-pied les hommes nos semblables dans la diversité de leurs goûts, de leurs aptitudes, de leurs talents et de leurs mérites, dans les directions multipliées de leur, zèle et de leur ardeur, dans leur indifférence même, qui serait bien souvent de la sagesse si elle était plus réfléchie. […] Au lieu de cela, en dehors de l’étude et d’une lecture assez étendue, mais toute sérieuse, La Mennais jeune n’a que des relations et des préoccupations d’un ordre unique : une guerre, à Saint-Malo, du petit séminaire contre l’Université, Saint-Sulpice à l’horizon pour toute capitale, et deux ou trois amis avec qui il correspond sur les mêmes objets élevés, mais toujours pris d’un seul point de vue ; rien d’ailleurs qui vienne renouveler l’esprit et lui offrir une variété d’aliments.

471. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

De là la division de l’ouvrage, cet extrême morcellement qui aboutit à la confusion extrême : de là ces livres multiples dont l’ordre ne s’impose pas, dans chaque livre cette abondance de chapitres, dont quelques-uns n’ont qu’un alinéa, et dans chaque chapitre, cet égrènement des idées en alinéas, dont beaucoup ont deux ou trois lignes. […] Ce défaut d’ordre dans l’exposition n’est que le signe d’un manque d’unité dans la conception. […] Il y vient lire son Dialogue de Sylla et d’Eucrate, où l’on voit d’une part le philosophe politique s’affranchir du moraliste psychologue que l’éducation du collège et des livres avait formé, et d’autre part s’affirmer la puissance de l’homme aux larges vues, créateur d’un ordre politique qui détermine l’histoire. […] On s’attendrait que Montesquieu va poursuivre son exposition dans le même sens, selon la même méthode, et commencer à étudier les rapports nécessaires des lois avec chaque ordre de causes naturelles. […] Il voudrait y détruire le despotisme, y restaurer la monarchie, l’entourer d’une noblesse, d’une magistrature et d’un clergé, qu’on renforcerait et qui serviraient de contrepoids à l’autorité royale : dans les Parlements, il trouverait le pouvoir judiciaire ; de là réunion des trois ordres il dégagerait le pouvoir législatif ; la royauté ne détiendrait plus que l’exécutif.

472. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre I : La loi d’évolution »

Herbert Spencer l’applique aux divers ordres de phénomènes. […] « Finalement, les faits tendent à montrer que chaque espèce de progrès est de l’homogène à l’hétérogène, et que cela est parce que chaque changement est suivi de plusieurs changements. » L’interprétation complète du phénomène de l’évolution, présentée sous une forme systématique et dans un ordre synthétique se réduit, en résumé, aux propositions suivantes : Le principe fondamental de révolution est la persistance de la force : c’est de lui seul que tout se déduit. Il y a dans l’univers deux ordres de changements contraires et nécessaires : l’un d’intégration (évolution), l’autre de désintégration (dissolution). […] De nos jours, dit-il, le consensus entre les sciences est devenu tel, qu’il n’y a guère de découverte considérable dans un ordre de faits, qui ne conduise bientôt à des découvertes importantes dans les autres. […] Quant au troisième, tout en faisant cas de sa doctrine, il le critique pour avoir dit que l’ordre de généralité décroissante est celui dans lequel se produisent historiquement les sciences.

473. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

Cependant il y eut un moment où l’affaire devint plus chaude, et Lauzun eut ordre de faire une charge avec quelques dragons. […] C’est qu’à moins d’être un homme du premier ordre, un homme qui en réunit et en assemble plusieurs en lui, on ne saurait, eût-on trente ans et même cinquante, s’affranchir jamais du cachet qu’une pareille vie première imprime à l’âme, à la volonté, à toute l’existence. […] Il avait été employé sous mes ordres, et j’avais conçu beaucoup d’amitié pour lui, non seulement à cause de ses qualités aimables, mais pour sa loyauté, sa franchise et son esprit de chevalerie. […] On ajoute que, dans un sentiment plus élevé, il s’écria à l’instant de la mort : « J’ai été infidèle à mon Dieu, à mon Ordre et à mon Roi : je meurs plein de foi et de repentir39. » On aime à penser qu’en ce moment de suprême équité, un autre nom, une autre infidélité lui serait revenue encore en mémoire, et qu’il se serait dit quelque chose de plus à lui-même s’il avait pu prévoir que, quelques mois après, sa femme, cette modeste, charmante et vertueuse femme dont il a si indignement parlé, et dont tous, excepté lui, ont loué l’inaltérable douceur, la raison calme et soumise, et les manières toutes pleines de timidité et de pudeur, monterait à son tour sur l’échafaud. […] Mais ici on a droit d’interrompre la personne du monde qui juge de la sorte si à la légère, et de lui dire : « Non, madame, il n’est au pouvoir d’aucun homme, si élevé qu’il soit par son nom et son influence, de récuser ainsi et de mettre à néant d’un trait de plume des indiscrétions, fussent-elles scandaleuses et préjudiciables à tout un ordre de la société.

474. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Il le reconnaît du premier ordre pour la marche lumineuse de l’ensemble, pour la puissance de l’action et les principaux effets que le théâtre se propose, pour « ce grand fonds d’intérêt qu’il semble interrompre lui-même volontairement, et qu’il est toujours sûr de relever avec la même énergie ». […] Il en est une surtout qui rentre dans l’ordre moral et littéraire : « M. de Buffon m’a toujours étonné, dit Grimm, par l’intime conviction qu’il paraît avoir de la certitude de sa théorie de la terre. […] Le duc de Saxe-Gotha le nomma son ministre à la cour de France ; la cour de Vienne lui conféra le diplôme de baron du Saint-Empire, et celle de Pétersbourg le fit colonel, puis conseiller d’État, grand cordon de la seconde classe de l’ordre de Saint-Vladimir. […] Sa conversation est un délice pour moi ; mais nous avons encore tant de choses à nous dire, que jusqu’ici nos entretiens ont eu plus de chaleur que d’ordre et de suite. […] La totalité de la Correspondance a été revue, mise en ordre et annotée, par M. 

475. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ernest Hello » pp. 207-235

V Le livre d’Ernest Hello intitulé : Physionomies de Saints, n’est pas un livre de l’ordre littéraire accoutumé, mais d’un ordre littéraire spécial, supérieur, transcendant. […] Alors, il se passa dans l’ordre spirituel un fait analogue à celui qui se produisit dans nos églises. […] Sa main, qui tremble quand il se donne une peine si lâche pour raturer l’Inquisition de l’histoire de son Ordre, reprit toute sa fermeté pour glorifier ces deux choses, dérision du monde : — la chasteté virginale d’un moine et les miracles d’un serviteur aimé de Dieu. […] Entre ce merveilleux ébaucheur au fusain de phosphore et l’historien de saint Dominique, qui a voulu représenter en pied l’immense fondateur de son Ordre, quelle différence d’expression !

476. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

Dans tous les ordres, le miracle n’est qu’apparent, le miracle n’est que l’inexpliqué. […] La théorie générale des mythologies, telle que Heyne, Niebuhr, Ottfried Müller, Bauer, Strauss l’ont établie, se rattache au même ordre de recherches et suppose le même principe. […] Sous le régime de Jéhovah, la création mythologique ne pouvait aboutir qu’à des exécuteurs de ses ordres. […] Il est temps que l’on proclame qu’une seule cause a tout fait dans l’ordre de l’intelligence, c’est l’esprit humain, agissant toujours d’après des lois identiques, mais dans des milieux divers. […] La négation obstinée est inabordable ; dans aucun ordre de choses, on ne fera voir celui qui ne veut pas voir.

477. (1906) L’anticléricalisme pp. 2-381

C’est d’ordre commun, particulièrement en France. […] L’ordre du père de famille, du chef de tribu, c’est l’ordre du ciel. » Et remarquez qu’en disant cela, il n’est pas fourbe. […] Elle est née de la nécessité de l’ordre ici-bas. […] C’est à peine si quelques ordres hospitaliers sont tolérés encore. […] J’y mettrai ordre.

478. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

Il veut à la fois la liberté absolue et l’ordre implacable. […] C’est le rêve d’un homme d’ordre ami des plaisirs. […] Il y a un abîme entre ces deux ordres de conception. […] Nous avons besoin de l’ordre universel, et nous avons besoin aussi, jusqu’à présent, que l’ordre universel ressemble à un ordre humain bien établi, ou qui est tombé juste. […] Mais la science moderne ne voit pas l’ordre moral, aucun ordre moral, dans la nature.

479. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (2e partie). Littérature de l’Allemagne. » pp. 289-364

Ensuite un corps de musique, huit membres du clergé de Berlin et, devant le char funèbre, trois gentilshommes de la chambre, le comte de Fürstenberg-Stammheim, le comte de Dœnnhoff, le baron de Zedlitz ; ils étaient assistés d’un quatrième qui portait, sur un coussin de velours rouge, les insignes de l’ordre de l’Aigle noir, de l’ordre du Mérite et des autres ordres nombreux dont Humboldt était décoré. […] Derrière le cercueil marchaient les plus proches parents du mort, conduits par les chevaliers de l’ordre de l’Aigle noir ; à leur tête, le gouverneur de l’ordre, général feld-maréchal de Wrangel, le général prince G. de Radziwil, le général comte de Grœben. […] « Dans la grande rue de Frédéric, devant le gymnase de Frédéric, se tenaient les élèves avec leur directeur ; ils saluèrent le passage du mort de chants religieux ; en passant devant l’Université, au son des cloches, au bruit des chants de la société chorale des hommes de Berlin, le cercueil arriva devant le dôme où l’attendaient, sous le portail, la tête découverte, le prince régent, les princes Frédéric-Guillaume, Albert, Albert fils, Frédéric, Georges, Adalbert de Prusse, Auguste de Würtemberg et Frédéric de Hesse-Cassel ; puis, à l’entrée principale de l’église, les chapelains de la cour, conduits par Strauss, reçurent le cercueil et l’accompagnèrent devant l’autel, où il fut déposé sur une estrade entourée de palmes et de plantes en fleurs, d’innombrables cierges portés par quatre immenses candélabres, et enfin des coussins sur lesquels reposaient les ordres du défunt. […] Alexandre de Humboldt ; Un Allemand, un Prussien, un homme d’une prodigieuse instruction, un voyageur en Amérique et en Europe, un écrivain, non pas de premier ordre, car sans âme il n’y a pas d’écrivain, mais un homme d’un talent froid et suffisant à se faire lire ; un homme, de plus, qui, par son industrieuse habileté dans le monde, par ses amitiés intéressées avec tous les savants étrangers, et par l’art de les flatter tous, est parvenu à les coïntéresser à sa gloire par la leur, et à se faire ainsi une immense réputation sur parole : réputation scientifique, spéciale, occulte, mathématique, sur des sujets inconnus du vulgaire ; réputation que tout le monde aime mieux croire qu’examiner ; gloire en chiffres, qui se compose d’une innombrable quantité de mesures géométriques, barométriques, thermométriques, astronomiques, de hauteurs, de niveau, d’équations, de faits, qui font la charpente de la science, et dont on se débarrasse comme de cintres importuns quand on a construit ses ponts sur le vide d’une étoile à l’autre ; espèce de voyageur gratuit, non pour le commerce, mais pour la science, au profit des savants pauvres et sédentaires à qui il ne demandait pour tout salaire que de le citer. […] Il s’agit de porter l’ordre et la lumière dans l’immense richesse des matériaux qui s’offrent à la pensée, sans ôter aux tableaux de la nature le souffle qui les vivifie ; car, si l’on se bornait à donner des résultats généraux, on risquerait d’être aussi aride, aussi monotone qu’on le serait par l’exposé d’une trop grande multitude de faits particuliers.

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