Comme l’encre y abonde sans cesse, dès que nous laissons reposer notre plume, le noir liquide se répand et coule jusqu’au siège de nos affections. Alors nous voyons tout en noir, hommes et choses… Mais employons-nous l’encre de notre écritoire à noircir du papier, aussitôt notre esprit se rassérène ; notre imagination se purge, et, nos œuvres fussent-elles œuvres de misanthrope, notre humeur, charmée par le travail, ferme cette plaie dont vous vous plaignez.
Elle a tout à la fois des Pères de l’Église et du Voltaire, et du roman noir dans sa tête et du Byron, et avec cela de brusques éclats de joie enfantine ; mais ils sont courts. […] » Il y a un jour, un jour unique où ce nuage noir de Marie semble s’être dissipé, où il lui échappe de dire qu’elle veut être aimée tout bonnement « pour tout ce que Mme Denis regrette » ; mais ce mot naturel, ce mot que Michel appelle adorable, comme elle le reprend et le retire !
Le paysan de La Bruyère, « cet animal farouche, noir, livide et tout brûlé du soleil, qui fouille et remue la terre », est un Apollon au prix de cet animal à face et à membres de squelette, qui convoite des haillons un peu moins haillons que les siens. […] Il a mis sous le nom et le masque de cette espèce de monstre, de ce personnage « à demi Quasimodo, à demi Diogène » (comme le définit M. de Saint-Victor), toute sa misanthropie et son amertume, son noir, ce qui reste de l’ancien Michel quand toutes les aurores sont éteintes, quand tous les soleils sont couchés.
Sur la montagne, la verdoyante ramée des hêtres triomphait si bien du feuillage noir des sapins, elle s’étendait si lustrée, si criante, elle montait si vaillamment jusqu’à la région des pâturages, et ceux-ci commençaient à verdoyer si ferme, qu’à part la coupole de neige qui couvrait le fin sommet, on ne voyait que ce vert terrible qui semblait refouler la pensée en soi-même. » En allant chez la vieille, il y a un endroit plus élevé, un col à passer, et, si l’on s’y arrête pour jouir du spectacle, on voit en bas cette vallée se déroulant au plus loin dans sa moire verte et « d’un vert criard », mais de l’autre côté, du côté du village, au-dessus et par-delà, on voit la montagne et ses dernières pentes, mouchetées de sapins, semées de hêtres et offrant aussi des places plus riantes, car la saison y est retardée, et quand le vallon est en mai, on n’est là-haut qu’en avril : « Les vergers croissaient parmi, et comme j’avais monté pour arriver au col, je retrouvais fleuris les arbres qui, dans le vallon, avaient passé fleur. » Voilà des expressions charmantes et neuves, nées de l’observation même. […] Derrière la grille, on soupçonne une salle immense et noire… Après un moment d’attente, on entend crier les verrous : une porte doit s’ouvrir à l’extrémité de la salle, on ne la voit pas, tout est plein de ténèbres ; seulement un souffle glacé frappe nos visages et deux formes blanches s’approchent à pas lents.
On peut à la rigueur être du monde, du moins en passant, quand on a un habit noir. […] De se donner ou de se garder Plus probablement ceci que cela, car une charmante figure mâle, ornée de fines moustaches et de grands yeux noirs à cils ombreux, couronnée de cheveux bruns coupés ras et poussant dru, passait dans la glace à chaque instant, montrant, dans un sourire très doux, des dents juvéniles, toutes blanches et au grand complet… Un dîner, une visite, cela suffit.
Zola, ayant conté tant de contes noirs, avait bien le droit d’écrire un conte bleu. […] Il entrevoit « une femme maigre, blafarde, sans âge et sans sexe, vêtue d’une robe noire élimée, tachée de toutes sortes de trafics louches ».
C’est qu’alors il y avait un cabinet noir ; on décachetait les lettres, et une lettre trop tendre, trop vive, de la part d’une femme de soixante-dix ans, une telle lettre divulguée pouvait aller au roi, à la Cour, amuser les courtisans, faire composer, sur ce commerce un peu singulier, quelques-uns de ces couplets satiriques comme Mme Du Deffand elle-même en savait si bien faire. […] Les hommes ne jouaient pas de meilleurs rôles, et moi j’étais abîmée dans les réflexions les plus noires : je pensais que j’avais passé ma vie dans les illusions ; que je m’étais creusé moi-même tous les abîmes dans lesquels j’étais tombée ; que tous mes jugements avaient été faux et téméraires, et toujours trop précipités, et qu’enfin je n’avais parfaitement bien connu personne ; que je n’en avais pas été connue non plus, et que peut-être je ne me connaissais pas moi-même.
La douleur de la haine est amère ; la joie d’aimer est douce ; la tristesse est sombre ; le souci est noir ; le regret est cuisant. […] Pour les idées, le contraste n’est qu’un cas particulier de similarité : si l’idée du blanc éveille celle du noir, c’est parce que cette opposition a pour point de départ une idée commune, celle de lumière.
L'auteur ne ménage personne, il parle des Saints-Simoniens et des Révélateurs comme des députés ; il les peint noirs et odieux, mais il en rit davantage.
Par ma ceinture noire à la terre arrêtée, Ma mère était partie et tout m’avait quittée : Le monde était trop grand, trop défait, trop désert ; Une voix seule éteinte en changeait le concert !
j’espère que dans ce cas-là j’aurai du moins un carrosse drapé de drap noir Non, madame, de plus grandes dames que vous iront comme vous en charrette et les mains liées comme vous De plus grandes dames !
Eût-on quelque velléité de sentir autrement, fût-on convaincu même que la vérité des faits y oblige, la phrase est là, si tentante, si facile à prendre ; il est si commode de la ramasser ; on a si peu le loisir, si peu l’habitude de sentir sa propre pensée et d’en chercher l’exacte formule, qu’on se laisse aller ; et l’on dit blanc quand on eût pensé noir si l’on n’avait pas lu son journal.
Sans doute, est-il, là-bas, des tâches nécessaires — révolte, gestes de justice — qu’il ne faut point délaisser : Ô mon Dieu, je m’agenouille au coin du feu ; Et j’ose vous demander où est mon vrai devoir : Est-ce dans la joie de votre création, ô Dieu, Ou là-bas dans la ville où le soleil est noir ?
Saint-Pol-Roux (1861-1940) [Bibliographie] L’Âme noire du Prieur blanc (1893). — Épilogue des Saisons humaines (1893). — Les Reposoirs de la Procession (1894). — La Dame à la Faulx (1899). — La Rose et les Épines du chemin (1901).
Le nombre est la négation de l’infini, comme le noir est la négation du blanc.
« Depuis près de deux ans, dit-elle, cette belle amitié (de mesdames de Montespan et Scarron) s’est changée en une véritable aversion, une aigreur, une antipathie comme du blanc au noir.
Les « Chasses Noires » et les « Chasses Furieuses » de la mythologie germanique traquaient les bûcherons et les pâtres embusqués derrière les taillis pour les voir passer et souvent elles mêlaient leurs membres à la curée des fauves poursuivis.
Et puis, pourquoi n’en serait-il pas d’une littérature dans son ensemble, et en particulier de l’œuvre d’un poëte, comme de ces belles vieilles villes d’Espagne, par exemple, où vous trouvez tout : fraîches promenades d’orangers le long d’une rivière ; larges places ouvertes au grand soleil pour les fêtes ; rues étroites, tortueuses, quelquefois obscures, où se lient les unes aux autres mille maisons de toute forme, de tout âge, hautes, basses, noires, blanches, peintes, sculptées ; labyrinthes d’édifices dressés côte à côte, pêle-mêle, palais, hospices, couvents, casernes, tous divers, tous portant leur destination écrite dans leur architecture ; marchés pleins de peuple et de bruit ; cimetières où les vivants se taisent comme les morts ; ici, le théâtre avec ses clinquants, sa fanfare et ses oripeaux ; là-bas, le vieux gibet permanent, dont la pierre est vermoulue, dont le fer est rouillé, avec quelque squelette qui craque au vent ; au centre, la grande cathédrale gothique avec ses hautes flèches tailladées en scies, sa large tour du bourdon, ses cinq portails brodés de bas-reliefs, sa frise à jour comme une collerette, ses solides arcs-boutants si frêles à l’œil ; et puis, ses cavités profondes, sa forêt de piliers a chapiteaux bizarres, ses chapelles ardentes, ses myriades de saints et de châsses, ses colonnettes en gerbes, ses rosaces, ses ogives, ses lancettes qui se touchent à l’abside et en font comme une cage de vitraux, son maître-autel aux mille cierges ; merveilleux édifice, imposant par sa masse, curieux par ses détails, beau à deux lieues et beau à deux pas ; — et enfin, à l’autre bout de la ville, cachée dans les sycomores et les palmiers, la mosquée orientale, aux dômes de cuivre et d’étain, aux portes peintes, aux parois vernissées, avec son jour d’en haut, ses grêles arcades, ses cassolettes qui fument jour et nuit, ses versets du Koran sur chaque porte, ses sanctuaires éblouissants, et la mosaïque de son pavé et la mosaïque de ses murailles ; épanouie au soleil comme une large fleur pleine de parfums ?