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2037. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’expression de l’amour chez les poètes symbolistes » pp. 57-90

Un mot malencontreux aurait si vite fait de rompre le charme ! […] Jean Ajalbert nous montre, dans l’un de ses romans, un amant s’éloignant de sa maîtresse, qui implore un rendez-vous, avec ces simples mots : « Je t’écrirai !  […] Ces messieurs sont incapables de se livrer à d’autres excès qu’à ceux de la rime-calembour et, sous leur masque insolent de fier-à-bras, d’hercules infatigables et d’ogres rabelaisiens, sont aussi peu voraces que le frugal Auguste Dorchain, l’auteur applaudi de la Jeunesse pensive qui s’épouvante des mots que la tentation lui murmure à l’oreille et qui tremble à la seule idée de la chute possible. […] Les uns chuchotent des mots mystérieux qu’ils osent à peine confier au vent. […] Il verse dans le pessimisme outré, la recherche du rare et de l’inédit, sinon dans les mots, du moins dans les sensations.

2038. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre Premier »

Quel roi byronien, dans le sens nerveux et blasé du mot, que ce Xerxès, qui fit fouetter l’Hellespont, coupable d’avoir dispersé ses navires, et qui, dans sa campagne en Grèce, devenu amoureux d’un platane à l’ombre duquel il avait dormi, suspendit à ses branches, comme aux bras d’une femme, des bracelets et des colliers d’or ! […] Tacite est rempli de ce triste mot. […] Sa plaie saignait sous le cilice, comme sous la ceinture relâchée. — « Ce qui vous fait peine, Stagyre, — lui écrit le saint, — c’est de voir que beaucoup d’hommes qui étaient tourmentés par le démon de la tristesse, quand ils vivaient dans les plaisirs, s’en sont trouvés tout à fait guéris, une fois qu’ils ont été mariés et qu’ils ont eu des enfants, tandis que vous, ni vos veilles, ni vos jeûnes, ni toutes les austérités du monastère n’ont pu soulager votre mal. » Et il ajoute ce mot profond : « Le meilleur moyen de se délivrer de la tristesse, c’est de ne point l’aimer. » Le christianisme, en sanctifiant cette tristesse, ouvrit un refuge aux désabusés du vieux monde. […] Le bourgeois Mucarade est devenu le seigneur Monteprade, et ce changement de nom peint d’un mot, sa transformation. […] Mademoiselle Rachel a fait de ce mot un cri sublime.

2039. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de Pompadour. Mémoires de Mme Du Hausset, sa femme de chambre. (Collection Didot.) » pp. 486-511

On a cité de lui des mots heureux, des reparties piquantes et assez fines, comme en ont volontiers les princes de la maison de Bourbon. […] L’un de ceux qui parurent la regretter le moins, fut Louis XV ; on raconte que, voyant d’une fenêtre passer le cercueil qu’on transportait du château de Versailles à Paris, comme il faisait un temps affreux, il dit ces seuls mots : « La marquise n’aura pas beau temps pour son voyage. » Son aïeul Louis XIII avait dit à l’heure de l’exécution du favori Cinq-Mars : « Cher ami doit faire maintenant une laide grimace. » Auprès du mot de Louis XIII, le mot de Louis XV est presque touchant de sensibilité. […] Une estampe se détache et pend, qui représente un graveur en pierres fines au travail avec ces mots : « Pompadour sculpsit ».

2040. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chateaubriand homme d’État et politique. » pp. 539-564

À cette première époque de sa vie, le jeune écrivain, bien qu’émigré, n’avait épousé de cœur aucune cause politique ; on se rappelle son mot sur Chamfort : « Je me suis toujours étonné qu’un homme qui avait tant de connaissance des hommes, eût pu épouser si chaudement une cause quelconque. » Un tel mot donne la mesure des convictions de M. de Chateaubriand au moment où il l’écrivait. […] En réimprimant son Essai en 1826, et en le voulant juger, l’auteur disait, dans la préface nouvelle : « On y trouvera aussi un jeune homme exalté plutôt qu’abattu par le malheur, et dont le cœur est tout à son roi, à l’honneur et à la patrie. » Il y a anachronisme dans ces trois mots, et le jeune Chateaubriand n’avait nullement ce triple culte, surtout le premier. […] La liberté d’abord, malgré le grand usage qu’il fit du mot, il est impossible de l’y trouver fidèle dans le sens véritable et pratique durant toute sa période d’ultraroyalisme. […] Il jetait pour premier mot le nom de régicide à la face de ses adversaires.

2041. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1879 » pp. 55-96

Mardi 28 janvier Un mot de la Guimond : « Conçoit-on ce Girardin… j’ai huit cents lettres de lui toutes compromettantes… et il ne veut pas me les racheter. » Mercredi 5 février Une anecdote sur le colonel, le frère de ce général Lasalle, qui ne quittait l’armée que pour se commander à Paris une paire de bottes, et faire un enfant à sa femme. […] » un fin mot d’Odry, répondu à Dumersan. […] * * * — Un mot du vieux Giraud, sur une femme galante de la société, ayant dépassé la quarantaine : « Elle commence à avoir la chaude fadeur d’haleine des chats qui ont mangé trop de mou ». […] … C’est ma bataille des Thermopyles… Je ferai un voyage en Grèce… Je veux écrire cela sans me servir de vocables techniques, sans employer par exemple le mot cnémides… Je vois dans ces guerriers, une troupe de dévoués à la mort, y allant d’une manière gaie et ironique… Ce livre, il faut que ce soit, pour les peuples, une Marseillaise d’un ordre plus élevé. […] Au fond c’est lui qui a introduit dans le livre l’amant bossu, les pieuvres, et le mot « merde ».

2042. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre III. De la nature du temps »

On répugnera peut-être à l’emploi du mot si l’on y attache un sens anthropomorphique. […] Pour le moment, nous voudrions en bien marquer l’origine psychologique, dont nous avons déjà dit un mot. […] Mais par là elle reconnaît qu’un événement E, s’accomplissant à côté de l’horloge H, est donné en simultanéité avec une indication de l’horloge H dans un sens tout autre que celui-là, — dans le sens que le psychologue attribue au mot simultanéité. […] Vous pouvez dire que vous avez encore affaire à du temps, — on est libre de donner aux mots le sens qu’on veut, pourvu qu’on commence par le définir, — mais nous saurons qu’il ne s’agit plus du temps expérimenté ; nous serons devant un temps symbolique et conventionnel, grandeur auxiliaire introduite en vue du calcul des grandeurs réelles. […]   Mais nous venons de prononcer le mot « réalité » ; et constamment, dans ce qui va suivre, nous parlerons de ce qui est réel, de ce qui ne l’est pas.

2043. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

Non seulement elle crut en elle-même, mais elle ne crut qu’en elle-même, comme si elle était antérieure et supérieure à tout ; disons le mot, elle se fit Dieu. […] Le second mot n’est pas moins remarquable que le premier. […] On compterait, dans ce temps, les têtes levées, les hommes demeurés debout, selon le mot de M. deLa Fayette, soit dans le camp du philosophisme, soit dans le camp opposé. […] C’est le mot de la vierge chrétienne livrée aux insultes du gladiateur : alors même qu’elle ne possède plus son corps, son âme est à elle, et elle la donne à Dieu. […] Il lui semblait qu’il y avait une contradiction choquante à penser avec des idées chrétiennes et à s’exprimer avec des mots et des images empruntés à la mythologie.

2044. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon » pp. 423-461

Si j’avais à définir en deux mots le père de Saint-Simon, je dirais que c’était un favori, mais que ce n’était pas un courtisan : car il avait de l’honneur et de l’humeur. […] On a souvent cité son mot dédaigneux sur Voltaire, qu’il appelle Arouet, « fils d’un notaire qui l’a été de mon père et de moi… » On en a conclu un peu trop vite, à mon sens, le mépris de Saint-Simon pour les gens de lettres et les gens d’esprit qui n’étaient pas de sa classe. […] Il sait rappeler au besoin cette vieille bourgeoise du Marais si connue par le sel de ses bons mots, Mme Cornuel, Tels sont les gens d’esprit aux yeux de Saint-Simon. […] Lorsque Saint-Simon écrit des notes et commentaires sur le Journal de Dangeau, il écrit comme on fait pour des notes, à la volée, tassant et pressant les mots, voulant tout dire à la fois et dans le moindre espace. […] [NdA] Je n’emploie le mot que parce que lui-même me le fournit.

2045. (1860) Cours familier de littérature. IX « Le entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier (2e partie) » pp. 81-159

Il dit un mot sur moi dans une de ses lettres à madame Récamier, mot à la fois flatteur et injuste que je suis bien loin de lui reprocher. […] « Je voudrais réunir tous les droits d’un père, d’un frère, d’un ami, obtenir votre amitié, votre confiance entière, pour une seule chose au monde, pour vous persuader votre propre bonheur et vous voir entrer dans la seule voie qui puisse vous y conduire, la seule digne de votre cœur, de votre esprit, de la sublime mission à laquelle vous êtes appelée, en un mot pour vous faire prendre une résolution forte ; car tout est là. […] Lord Wellington fut de ce nombre ; mais, blessée d’un mot de Suétone échappé au vainqueur de Waterloo, elle renonça à le voir, de peur d’avoir à se réjouir, devant un étranger, des désastres de Napoléon, son persécuteur. […] « À bientôt », écrit-il quelques jours après ; « ce mot me console de tout ! […] La correspondance, brève et pleine de réticences, respire encore la tendresse dans les mots, mais les mots, quoique tendres, sont glacés ; on sent qu’ils déguisent bien des distractions et peut-être bien des offenses à l’amitié.

2046. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

Voilà le monstre (nous disons ce mot monstre dans son sens antique, c’est-à-dire prodige), voilà le livre que nous avons essayé d’analyser ici, en le condamnant quelquefois et en l’admirant presque toujours. […] Perfection est le mot d’un autre monde ; vicissitude est le nom de celui-ci. […] « Un mot encore avant de rentrer dans la mêlée. […] C’est le bon sens qui dit : Si la nature ou si la force des choses, ce qui est le même mot, condamne tout le genre humain, riches et pauvres, puissants ou impuissants, exploitateurs ou exploités, travailleurs de la main ou travailleurs de l’esprit (car tout le monde travaille ou souffre selon ses facultés), si la force des choses, ce fait accompli, les condamne tous par leur nature bornée, par l’imperfection de leurs organes, par leurs conditions nécessairement diverses, par leurs misères à peu près égales, les condamne, dis-je, à un tâtonnement éternel, à des souffrances modérées chez les heureux, intolérables chez les mal partagés du sort, à vivre en commun sur le même globe, aspirant à une meilleure répartition de ce qu’on appelle mal et de ce qu’on appelle bien ; il faut, de toute nécessité, ou qu’ils s’entretuent ou qu’ils s’entraident. […] Le dernier mot d’une société bien faite ne peut pas être la mort !

2047. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

Et jusque-là, le mot de liberté ne peut avoir aucun autre sens que celui de « liberté du bien », de ce que l’on considère comme le bien, impliquant forcément la répression de ce que l’on considère comme le mal, ou encore le mot de liberté ne prendra de valeur que par rapport à l’état constitué, c’est-à-dire qu’il signifierait le droit pour chacun de faire respecter sa liberté par l’État, mais non par les autres individus. […] Le conflit est logiquement, et, si l’on veut bien prendre le mot en un sens assez abstrait, moralement insoluble. […] Et je rappellerai un mot bien connu et qu’on ne prend guère que par son côté plaisant : « Je suis leur chef, il faut bien que je les suive. » Il exprime une vérité profonde. […] Justice, devoir, droit, ces mots n’ont de sens que dans une société organisée, dans une société morale, et je refuse toute société morale avec vous, ou plutôt, par nature, je ne puis en accepter. […] Nous avons vu le sens très positif et très simple de ce mot.

2048. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse sociologique »

Pour quiconque reporte sur les temps passés son expérience de ce qui a lieu de nos jours, cette diversité paraîtra toute naturelle ; il lui semblera au contraire surprenant qu’on l’ait oubliée au point de croire, en vertu sans doute de l’éloignement qui brouille tout et de certaines déclamations qu’on a prises au mot, qu’il ait existé autrefois des nations homogènes. […] Un lecteur qui jouira d’un style coloriste sera un homme chez lequel existe à un faible degré la sorte de perception des nuances des choses que ce style exprime ; sans quoi les mots colorés ne lui diraient rien, et il serait surpris qu’on lui décrivît en termes exacts ce qu’il n’aurait pas su observer. […] Il convient de tenir compte dans cet énoncé des mots restrictifs qu’il contient. […] Ribot cite ces mots de M. de Quatrefages [Armand de Quatrefages (1810-1892), naturaliste, anthropologue, membre de l’Académie des Sciences, fut titulaire à partir de 1855 d’une chaire d’anatomie et d’ethnologie au Muséum d’histoire naturelle. […] Hennequin apporte sa contribution personnelle aux multiples discussions suscitées au xixe  siècle dans la critique par l’idée que la littérature puisse être, selon le mot fameux de Bonald, « l’expression de la société ».

2049. (1856) Cours familier de littérature. I « Ve entretien. [Le poème et drame de Sacountala] » pp. 321-398

disait le père, elle est la racine de tous les maux ; la vie n’est qu’une puissante faculté de douleur… Je t’ai dit autrefois, ô noble prêtresse, mon épouse, ces mots dont tu te souviens : Fuyons vers le lieu où la paix habite ! […] À ce spectacle le petit enfant, ému des larmes dont il ne comprenait qu’à demi la cause, et anticipant par son émotion sur l’âge où il pourrait défendre son père, sa mère et sa sœur, bégaya, dit le poète, ces mots à peine articulés en courant de l’un à l’autre : « Ne pleure pas, ô mon père ! […] « Quant aux efforts qu’il m’en coûta pour m’y rendre raison d’abord de quelques mots, puis par-ci par-là de phrases isolées, et enfin de passages d’une assez longue haleine, il sera facile au lecteur de s’en faire une idée, comme aussi du plaisir qui me transporta quand je fus parvenu à cette intelligence. […] Le chef-d’œuvre des littératures perfectionnées est de remonter à la simplicité, ce premier mot du sentiment. Voilà pourquoi, dans presque toutes les langues, le mot antique est synonyme de vrai beau.

2050. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « [Note de l’auteur] » pp. 422-425

Cousin donne le billet que j’avais déjà publié, en y mettant les quelques mots assez insignifiants que j’avais remplacés par des points, et il continue) » : La Rochefoucauld prit au mot Mme de Sablé ; il usa très librement de son article, il supprima les critiques, garda les éloges, et le fit mettre dans le Journal des savants ainsi amendé et pur de toute prévention à l’impartialité.

2051. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXVI » pp. 256-263

Letronne et ses adversaires, un journal citait dernièrement le mot de Schlegel. […] Il a ou il avait des éclairs de nouveauté, de passion, des étincelles d’originalité, surtout une foule de traits heureux, spirituels, malins, de mots qu’il arrange, qu’il aiguise, même lorsqu’il les emprunte, car Latouche manque d’invention et emprunte le plus souvent.

2052. (1874) Premiers lundis. Tome II « Étienne Jay. Réception à l’Académie française. »

Pendant que les destinées du pays, sa stabilité comme sa gloire, se trouvent plus que jamais remises en question par l’aveuglement d’une coterie triomphante ; pendant que les violences succèdent aux fautes, que les leçons de quarante années de révolution se perdent en un jour, et que les constitutions naissantes auxquelles on croyait quelque vie reçoivent, de la main de leurs auteurs, d’irréparables ébranlements ; pendant, en un mot, que la capitale de la France est en état de siège, et que les conseils de guerre prononcent peut-être quelque nouvelle condamnation à mort, aujourd’hui mardi, l’Académie française tenait sa séance solennelle, et M.  […] Ce mot de M. de Montesquiou a paru au public le trait le plus piquant peut-être du discours de M. 

2053. (1875) Premiers lundis. Tome III «  Chateaubriand »

Je l’ai dit ailleurs : « malgré tout, Atala garde non pas son charme (c’est un mot trop doux et que j’aime mieux laisser à Virginie), mais son ascendant troublant ; au milieu de toutes les réserves qu’une saine critique oppose, la flamme divine y a passé par les lèvres de Chactas ou de l’auteur, qu’importe ? […] Au surplus, eut-il cent mille défauts, il a tant de beautés qu’il réussira : voilà mon mot.

2054. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les Zutistes » pp. 19-27

Il jugeait de haut et, d’un seul mot, clouait ses désaveux au front des faux talents. […] Prodigieux d’à-propos, d’anecdotes et de saillies, il rejoignait la hauteur méprisante de Moréas à l’encontre des mauvais poètes en se couvrant de détours et les culbutait non d’un coup sec, mais d’une décharge de bons mots, d’une mitraille de concetti.

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