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410. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1867 » pp. 99-182

Par les dentelles de bois des moucharaby, le soleil entre dans la salle et découpe des rosaces lumineuses au-dessus des boîtes de momies et des sarcophages, sur lesquels sont piqués avec une épingle des morceaux de papier, où sont inscrits, en leurs noms d’Égypte, la ligne paternelle et maternelle de ces morts et de ces mortes. […] » crie Mariette, — et d’un canif qui fouille l’aisselle, il fait sortir quelque chose qu’on se passe et qui semble une fleur qui a senti bon : un petit bouquet planté par l’Égypte sous le moite du bras de ses mortes. […] * * * — Aujourd’hui seraient morts en bloc Jésus-Christ, Socrate, Franklin, que les journaux ne seraient pas plus en deuil. […] * * * — Des hommes sont tentés par la mort comme par une dernière aventure. […] » Au bout de la table, Sainte-Beuve a l’air d’un maître d’hôtel d’une cérémonie funèbre, de son repas de mort.

411. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1895 » pp. 297-383

sur la mort d’un monsieur avec lequel je ne me suis rencontré qu’une fois dans ma vie, à un dîner donné par L’Écho de Paris, mon banquet ne peut pas avoir lieu, le lendemain de sa mort ! […] Je ne puis toutefois m’empêcher de lui dire : « Sauf pour votre mort, plus de remise, ou je renonce au banquet !  […] Elle la faisait porter à un mage, qui l’avertissait de se défaire au plus tôt de cette pierre, sous peine de mort subite, ce qui était arrivé à lord Lytton. […] La traduction de la lettre m’apprenait que cette poudre, vendue très cher là-bas par les prêtres, était de la poudre qui, prise avant de mourir, empêchait la rigidité du cadavre après la mort. […] Là-bas, on met en bière les morts, comme ils sont venus au monde, dans le ramassement, où on les empote au Pérou, dans une jarre.

412. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Charles Labitte »

Charles Labitte « La mort a dépouillé ma jeunesse en pleine récolte… J’étais au comble de la muse et de l’âge en fleur, — hélas ! […] Quelle qu’en fût la cause, l’étude passionnée à laquelle se livrait Charles Labitte et d’où il tirait pour nous tant d’agréables productions, lui était à la fois un plaisir et une source de mort. […] trois ans à peine s’étaient écoulés, et lui-même allait être initié à ces secrets de la mort, où il semble que, par un triste pressentiment, il s’était plu à s’arrêter avec une curiosité mélancolique. » Il allait savoir le dernier mot (s’il est permis !) […] Ce dernier projet nous touche surtout, en ce que notre ami s’y montre à nous comme ayant sondé plus avant qu’il ne lui semblait habituel les dégoûts amers de la vie et le problème de la mort. […] « Il est mort, s’écriait Pline en pleurant un de ses jeunes amis240, et ce qui n’est pas seulement triste, mais lamentable, il est mort loin d’un frère bien-aimé, loin d’une mère, loin des siens… procul a paire amantissimo, procul a matre… Que n’eût-il pas atteint, si ses qualités heureuses eussent achevé de mûrir !

413. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (1re partie). Littérature scientifique » pp. 221-288

La mort de leur mère les surprit alors ; ils la pleurèrent tous deux comme la racine commune de leur existence. […] Il ne voulait pas abandonner son frère tête à tête avec la mort, il aimait sa belle-sœur. […] Elle attendait la mort, mais en vain. […] Ce fut avec un sentiment de sympathie et de vénération générale que Berlin apprit, ce jour-là, que la mort avait fini ses souffrances. […] L’amour de Guillaume pour sa femme avait grandi avec les années, et cette mort réveilla de nouveau dans son cœur cette tendance naturelle à la mélancolie et à la rêverie.

414. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

Le vaisseau se relève lentement sous le poids des vagues qui se creusent un berceau au pied des mâts et roulent furieuses sur le pont disparu sous l’onde ; il flotte au hasard, rasé comme un ponton, sans savoir où la tempête le pousse ; trois nuits, trois jours l’engloutissent avec ses deux mille habitants dans les caprices de la mer ; c’est un tombeau où les morts sont avec les vivants, et où chaque seconde est une agonie renaissante ; nul n’espère plus son salut, et le silence funèbre a succédé au cri de la terreur : tout est mort sur ce jouet de la mort. […] Trente mille esclaves gladiateurs, ces comédiens de la mort, y récréèrent, à leur agonie, les regards féroces des Romains. La mort seule était le jeu de ce peuple funèbre qui tuait pour triompher, et qui tuait encore pour célébrer ses triomphes. […] Leur partie matérielle se disperse à leur mort. […] Mais cela suffit-il à l’espérance, qui, en s’approchant chaque jour de la mort, y marche gaiement pour étancher enfin sa soif d’immortalité ?

415. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IV. Ordre d’idées au sein duquel se développa Jésus. »

Tout grand rôle, alors, entraîne la mort ; car de tels mouvements supposent une liberté et une absence de mesures préventives qui ne peuvent aller sans de terribles contre-poids. […] Les plus grands hommes d’une nation sont ceux qu’elle met à mort. […] La mort des séditieux était assurée ; mais la mort, quand il s’agissait de l’intégrité de la Loi, était recherchée avec avidité. […] Un mépris extraordinaire de la vie, ou pour mieux dire une sorte d’appétit de la mort fut la conséquence de ces agitations 187. […] Le principal mobile des martyrs est l’amour pur de la Loi, l’avantage que leur mort procurera au peuple et la gloire qui s’attachera à leur nom.

416. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits de Fénelon. (1850.) » pp. 1-21

Au moment de la mort du poète, il l’a loué par une jolie pièce latine dans laquelle il célèbre ses grâces ingénues, son naturel nu et simple, son élégance sans fard et cette négligence unique, à lui seul permise, inappréciable négligence, et qui l’emporte sur un style plus poli. […] ce prince ainsi présenté par Saint-Simon, et dont la mort lui arrache, à lui l’observateur inexorable, des accents d’éloquence émue et des larmes, qui donc l’avait transformé ainsi ? […] Le premier Dauphin était mort le 14 avril, et le duc de Bourgogne devenait l’héritier prochain et, selon toute apparence, très prochain du trône. […] En apprenant la mort du duc de Bourgogne, Fénelon n’a qu’une parole ; elle est brève et sentie, elle est ce qu’elle doit être : « Je souffre, Dieu le sait ; mais je ne suis point tombé malade, et c’est beaucoup pour moi. […] Un homme considérable, ami de Destouches, avait offert sa fille à l’un des neveux de Fénelon ; le lendemain de la mort du duc de Bourgogne, cet homme se dédit et retire sa promesse.

417. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une préface abandonnée » pp. 31-76

Il est mort, laissant une préface. […] Il est mort, laissant une préface. […] Il est mort, laissant une préface. […] Il est mort, laissant une préface. […] Il est mort, laissant une préface.

418. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre II. Signes de la prochaine transformation »

Quand elle eut perdu M. de Mora, quand elle eut mesuré M. de Guibert, l’univers, l’art, pas même la musique n’offrirent rien à son âme qui la contentât ; elle ne sentit plus de raison de vivre, et elle aima la mort. […] J’ai haï la vie ; j’ai invoqué la mort ; mais, depuis le bûcheron, elle est sourde aux malheureux ; elle a peur d’être encore repoussée. […] L’amour et la mort, c’est le thème que Leopardi, que Musset chanteront : Mlle de Lespinasse l’a vécu. […] Voltaire mort et devenu l’intangible idéal, l’abbé Delille représenta la plus haute forme du génie poétique que le public fût capable de concevoir. […] Et ce bel esprit qui n’a jamais su faire que des inventaires ou des catalogues, à sa mort mit la France en deuil : ses funérailles furent une apothéose, et l’on croyait enterrer avec lui la poésie !

419. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre IV. Littérature dramatique » pp. 202-220

C’est la dernière lueur avant l’ombre définitive, le dernier surgeon, la dernière poussée de sève au tronc de l’arbre mort. […] Degron admirait : « La Dame à la Faulx, c’est la Mort, — la “Vendangeuse aux doigts d’Octobre”. […] Cortège de la folie, Mort de Divine. Entrée de la Dame dans le palais de Magnus, la Mort de Magnus ; Beautés poignantes, Scènes d’angoisse et d’amour, qui vous ravissent et vous bouleversent, hurlantes d’humanités ! […] S’il n’est pas une école de beauté, de vérité et de renaissance, il devient fatalement une école de laideur, de mensonge et de mort.

420. (1912) L’art de lire « Chapitre V. Les poètes »

Musset avait écrit dans Carmosine : Depuis le jour où le voyant vainqueur, D’être amoureuse, amour, tu m’as forcée, Fût-ce un instant, je n’ai pas eu le cœur De lui montrer ma craintive pensée, Dont je me sens à tel point oppressée, Mourant ainsi, que la mort me fait peur. […] Mourant ainsi, que la mort me fait peur ! […] | Mourant ainsi, que la mort me fait peur ! […] Il lui arrive cependant, comme à tout grand poète, d’atteindre à cette partie de l’art et il dira : Et la terre et le fleuve et leur flotte et le port Sont des champs de carnage où triomphe la mort. […] Je me suis longtemps cité à moi-même le vers de Voltaire ainsi : « Il est deux morts, je le vois bien… » Le texte est : « On meurt deux fois, je le vois bien » ; qui, au moins comme euphonie est très préférable.

421. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Japonisme » pp. 261-283

Oui, vraiment, cette écritoire, ce petit objet de la vie usuelle, a été fabriqué par un vassal du prince Akao, par un de ces quarante-sept héros qui se vouèrent à la mort pour venger leur seigneur et maître, par un de ces hommes dont la mémoire est devenue une sorte de religion au Japon, en ce pays, adorateur du sublime, et qui, au dire d’Hayashi, n’accueille et n’aime de toute notre littérature européenne que les drames de Shakespeare et la tragédie du CID, de Corneille. […] On ne tire pas le sabre dans l’enceinte du palais, sans encourir la peine de mort et la confiscation de ses biens. […] » s’écrie la malheureuse épouse qui attribue les mauvais traitements de son mari à un dérangement de la cervelle causé par la mort du prince. […] Votre papa a beaucoup d’ennuis, et il ne faut pas parler ainsi. » L’infortuné pensa à ses devoirs envers son prince mort, et s’armant d’un cœur d’acier contre tout sentiment, il se recoucha et recommença à faire semblant de sommeiller. […] Et leur offrande faite de la tête de Kotsuké, se regardant déjà comme morts, ils demandaient aux bonzes de les ensevelir, et se rendaient au tribunal.

422. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Gérard de Nerval  »

Sa mort, qui n’a que faire ici, sa mort, on le sait, fut tragique. Mais c’est toujours un profit que la mort. […] Elle ne demande pas contre ce pauvre jeune homme, qui est mort homme, le coup de colère d’une réaction. […] Que Gérard de Nerval ait été un aimable garçon ; qu’il ait offert à ses contemporains le phénomène que nous offre Monselet en ce moment de n’avoir pas eu un ennemi, — ce qui put lui être agréable pendant sa vie, et ce qui lui est, comme vous le voyez, utile encore après sa mort ; qu’il ait été bambin avec des célèbres et qu’il ait joué aux petits jeux de l’amour et de la poésie avec des gens qui ont fait là-dessus leurs Poésies de jeunesse et qui vont faire maintenant là-dessus leurs Poésies de vieillesse, — car les choses sont plus belles quand on se retourne, et les lointains, à mesure qu’ils s’éloignent, se veloutent d’un si joli bleu !

423. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Henri Murger. Œuvres complètes. »

J’ai eu cette prudence contre l’enthousiasme des regrets et cette condescendance pour une mort si triste. […] Henri Mürger, par exemple, est mort jeune, ce qui n’est pas, hélas ! […] vraiment, pour l’honneur de la Critique et l’exactitude de l’histoire littéraire qu’elle écrit chaque jour, j’ai cru que ce n’était pas là une raison suffisante de se taire et de souscrire, par son silence, à l’opinion trop émue qu’on a voulu dernièrement nous donner d’un talent qui, en lui-même, n’est pas si troublant et auquel la Mort, cette railleuse qui fait parfois les meilleurs prospectus, en a fait un qu’aucune circonstance probablement ne recommencera jamais plus. […] Il faudra que la Critique sérieuse de l’avenir compte avec ce Mauvais Garçon… Mort à l’âge où le talent n’est que le bouton entr’ouvert d’une rose qui aurait été délicieuse, si elle se fût épanouie, l’auteur du Myosotis aurait pu être pleuré par un Virgile, et ce n’est pas cependant une simple espérance que Virgile eût pleurée. […] Henri Mürger comme poète, et si à quarante ans il n’est pas mort, en bas âge, dans leurs fortes mains !

424. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre V. Autres preuves tirées des caractères propres aux aristocraties héroïques. — Garde des limites, des ordres politiques, des lois » pp. 321-333

Les pères de famille avaient un droit souverain de vie et de mort sur leurs fils, et la propriété absolue de leurs acquêts. […] Jugeant de l’antiquité par leur temps (axiome 2), les jurisconsultes romains du dernier âge ont cru que la loi des douze tables avait appelé les filles à hériter du père mort intestat, et les avait comprises sous le mot sui, en vertu de la règle d’après laquelle le genre masculin désigne aussi les femmes. […] Auguste commença à protéger les fidéicommis, qui auparavant ne passaient aux personnes incapables d’hériter que grâce à la délicatesse des héritiers grevés ; il fit tant pour les fidéicommis, qu’avant sa mort ils donnèrent le droit de contraindre les héritiers à les exécuter. […] En France on était puni sévèrement, en Espagne mis à mort, lorsqu’on osait les alléguer. […] Imperium s’entend des grandes magistratures, du consulat, de la préture qui donnaient le droit de condamner à mort ; potestas, des magistratures inférieures, telles que l’édilité, et modicâ coercitione continetur.

425. (1898) La poésie lyrique en France au XIXe siècle

Et, en littérature, vous savez qu’il n’y a pas un grand livre d’où cette idée de la mort soit absente. […] Dans l’œuvre de Bossuet, dans l’œuvre de Pascal, l’idée de la mort est toujours présente. — Et nous-mêmes, de la façon dont nous concevons la mort, dépend la façon dont nous vivons chaque jour : car, pensons-nous que le jour de la mort est vraiment la fin de tout, mais alors, réjouissons-nous, hâtons-nous de jouir et, pareils aux sages épicuriens, couronnons-nous de roses. […] Pendant toute sa vie, Victor Hugo a écrit ; quand il est mort, il a continué d’écrire. […] C’est le bouffon du roi qui est mort. […] Alors, il s’est affaissé, il est tombé, il est mort.

426. (1888) Études sur le XIXe siècle

On lui a reproché cette crainte comme une lâcheté et comme une contradiction : comment l’homme qui parlait sans cesse de son désir de la mort, l’homme dont l’œuvre entière n’est qu’un hymne à la mort, pouvait-il trembler au moment où la mort approchait ? […] C’est que cette mort marque peut-être une date davantage encore qu’on ne le pense. […] J’avais lié un nœud que seule la mort pouvait défaire ! […] En la déposant sur le lit, il me sembla voir sur son visage l’expression de la mort. […] Elle est morte, te dis-je, et dans ce domaine de la mort elle a rencontré d’anciennes rivales.

427. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Bilan des dernières divulgations littéraires. » pp. 191-199

Paix aux morts, respectons leur cendre, laissons intacte leur gloire et l’image épurée que nous nous formons d’eux ! […] Les morts n’ont de pudeur que celle que nous leur prêtons pour donner bonne opinion de notre délicatesse. […] Et puis, au fond, les morts n’ont pas de secrets et n’en sauraient avoir. […] Absolvons les morts en bloc (sauf ceux qui furent méchants).

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