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355. (1899) Le préjugé de la vie de bohème (article de la Revue des Revues) pp. 459-469

Car cette région de liberté, et même de licence, est une prison comme toutes les catégories sociales : et il est très difficile d’en sortir, parce qu’on y prend de funestes manies morales. […] Elle a laissé à la bourgeoisie une foule d’avantages, dont le plus grand est une sorte de solidarité de caste fortifiée par l’acceptation mutuelle de certaines tares morales ; les égoïstes s’allient volontiers, et rien ne solidarise comme l’aversion partagée envers tout élément altruiste et sensitif. […] Avec la ruine de la littérature du sentiment, de la peinture de genre et de la musique langoureuse, avec le retour de l’intellectualité française à ce genre d’ouvrages insolents, dont parle Stendhal, qui forcent le lecteur à penser au lieu d’émouvoir simplement ses nerfs, avec l’avènement de l’artiste aux suprématies morales dans une époque où les hiérarchies se meurent, le spectre grimaçant de l’ancien bohème, outrageant la noblesse vivante de l’artiste, avec celui du névrosé, de l’égotiste et de l’arriviste va reculer définitivement au fond de la région des ombres.

356. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre V. Premiers aphorismes de Jésus. — Ses idées d’un Dieu Père et d’une religion pure  Premiers disciples. »

Ses relations intimes et libres, mais d’un ordre tout moral, avec des femmes d’une conduite équivoque s’expliquent de même par la passion qui l’attachait à la gloire de son Père, et lui inspirait une sorte de jalousie pour toutes les belles créatures qui pouvaient y servir 212. […] La fraternité des hommes, fils de Dieu, et les conséquences morales qui en résultent étaient déduites avec un sentiment exquis. […] Les premières prédications, surtout dans Matthieu, sont toutes morales.

357. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre I. Le Bovarysme de l’individu et des collectivités »

Attitudes esthétiques et morales en présence de cette constatation. —  III. […] Du fait de cette constatation, tous les cas défavorables signalés dans la première partie de ce livre, toutes les déviations et toutes les difformités morales et mentales que l’on y exposa, ne sembleront pas une trop forte rançon des bénéfices qu’il procure. […] Il est permis de penser qu’il en est des groupes sociaux comme des organismes animaux, en sorte que l’apparition d’une conception bovaryque assume parmi les collectivités humaines une signification opposée selon qu’elle se manifeste parmi une société en formation ou parmi une société ancienne, pourvue par une longue hérédité historique d’organes religieux, moraux et politiques que coordonnent entre eux les fibres d’une sensibilité homogène et invétérée, élaborée aux sources de l’ethnicité de la langue et de l’habitat communs.

358. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre I : Principe de la métaphysique spiritualiste »

La vie future est l’objet de la foi et de l’espérance, non d’une vision directe : de grandes raisons morales, de solides inductions rationnelles, viennent à l’appui des pressentiments naturels de l’âme ; mais l’expérience intérieure est muette sur cet anxieux problème, et, si l’induction et l’analogie nous autorisent à affirmer la permanence de notre être, nulle induction, nulle analogie, ne nous permettent de nous représenter sous une forme quelconque cet état futur de notre être dans des conditions d’existence absolument différentes de celles que nous connaissons. […] Vous pouvez peser l’homme physique et le comparer avec les poids des autres choses matérielles, vous pouvez mesurer l’espace qu’il occupe, vous pouvez mesurer sa durée, vous pouvez sinon mesurer, du moins évaluer le mérite intellectuel ou moral des différents hommes ; mais, si vous pénétrez plus avant encore, si vous plongez jusqu’à l’être même, que trouverez-vous ? […] On sait que Cabanis, si franchement matérialiste dans les Rapports du physique et du moral, est parvenu à une philosophie toute différente dans sa Lettre à Fauriel sur les causes premières.

359. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Préface de la seconde édition »

Les mythes, les légendes populaires, les conceptions religieuses de toute sorte, les croyances morales, etc., expriment une autre réalité que la réalité individuelle ; mais il se pourrait que la manière dont elles s’attirent ou se repoussent, s’agrègent ou se désagrègent, soit indépendante de leur contenu et tienne uniquement à leur qualité générale de représentations. […] En effet, a-t-on dit, tout milieu physique exerce une contrainte sur les êtres qui subissent son action ; car ils sont tenus, dans une certaine mesure, de s’y adapter. — Mais il y a entre ces deux modes de coercition toute la différence qui sépare un milieu physique et un milieu moral. […] Il est nul ou très faible dans le cercle des phénomènes religieux et moraux ou la variation devient aisément un crime ; il est plus étendu pour tout ce qui concerne la vie économique.

360. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre II. Marche progressive de l’esprit humain » pp. 41-66

Les conquêtes d’Alexandre furent un torrent qui ne fit que passer ; toutefois elles répandirent au loin la connaissance de la langue grecque, destinée à servir d’organe aux premiers apôtres de la vérité, aux premiers martyrs de la foi chrétienne, comme elle avait servi auparavant à préparer, par la culture des lettres, et par des doctrines morales, un grand nombre de nations barbares à recevoir la semence de la parole. […] On peut suivre les progrès des idées morales chez les païens, en comparant la nécromancie d’Homère dans l’Odyssée, le Tartare et l’Élysée de Virgile, le Songe de Scipion, et enfin l’Enfer de Plutarque, dans son traité des Délais de la Justice divine. […] Maintenant, si nous retournons la supposition, ne pouvons-nous pas admettre que la vie est une sorte d’initiation qui sert à manifester, dans l’homme, l’être intellectuel et l’être moral ?

361. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

II L’amour chez l’homme est un sentiment moral ; ce n’est que par dégénération qu’il se transforme quelquefois, et qu’il devient l’irrésistible appétit des sens comme chez les animaux. Le sentiment de la beauté n’est-il pas un sentiment moral ? […] Et qui peut assurer la durée de la société conjugale, si elle ne repose pas en effet sur un sentiment moral ?

362. (1887) La banqueroute du naturalisme

Mêmes Quenu-Gradelle et mêmes Rougon-Macquart, mêmes procédés, même absence aussi de sens moral, c’était toujours le même M.  […] Avec le goût et le sens moral, ce qui lui manque le plus c’est la sympathie, et sans la sympathie, sans cette faculté précieuse, délicate et subtile, n’y ayant pas moyen d’enfoncer un peu avant dans la connaissance de nos semblables, il n’y a pas moyen non plus d’être naturaliste. […] Mais quiconque en ce temps-là se permettait d’y voir et d’y reprendre cette même grossièreté de langage, ou cette même insuffisance et banalité de l’observation, ou ce même manque enfin de sens moral, dont il semble que tout le monde s’aperçoive aujourd’hui, celui-là se faisait, en moins de vingt-quatre heures, une solide réputation d’étroitesse et de timidité d’esprit.

363. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre IV. La comédie »

Parfois, en dépit du très habile emploi de tous les ressorts dramatiques, on croit n’avoir pas devant soi une image de la vie : l’abstraction l’emporte, et la pièce s’écoute, en dépit des acteurs, comme un dialogue moral ; l’accent de l’auteur domine dans toutes les voix des personnages. […] Il a publié aussi diverses brochures sur les questions morales et sociales.

364. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

Mais le fait psychologique et moral n’est-il pas lui aussi un fait ? […] Les faits psychologiques et moraux d’un autre ordre encore. […] Le Scientisme nous avait donné du monde psychologique et moral une explication qui le détruisait. […] C’est l’exemple projetant sa lumière à la fois dans le monde moral, et dans le monde politique. […] De là cette nécessité pour le gouvernement de surveiller avec grand soin le moral du pays.

365. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Blot, Georges »

Sully Prudhomme Le spectacle de l’Océan, l’un des plus variés et des plus grands de la nature, vous a suggéré des enseignements moraux bien dignes d’un pareil maître.

366. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

Certes Balzac, bien qu’il ne s’était donné ni comme réaliste, ni comme naturaliste, mais bien comme un consciencieux et perspicace observateur, n’avait pas vu l’humanité en beau sinon au physique, qu’il ne négligeait pas, mais au moral. […] Essayons de débrouiller ce grimoire. « La vaste nature éternellement eu création la vie totale, la vie universelle qui va l’un bout de l’animalité à l’autre sans haut ni bas, sans beauté ni laideur. » Tout est équivalant au physique comme au moral. […] Il exerce d’autant plus d’action sur les intelligences que l’instruction est moins forte plus cette distraction est unique, plus elle a d’influence sur le moral. […] L’abaissement moral de Coupeau n’est pas motivé. […] En somme, deux motifs empêchent les naturalistes de faire des ouvrages moraux l’hérédité fatale et l’élimination de l’idéal.

367. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » p. 440

Villeneuve, [Gabrielle - Susanne Barbot de] morte à Paris en 1755, est connue dans la République des Lettres par plusieurs Romans, qui, en général, offrent des situations pathétiques, des sentimens vifs & généreux, des réflexions morales, nobles & sensées ; mais les plans n’ont rien de neuf ; les événemens n’y sont pas toujours d’accord avec la vraisemblance, les situations sont souvent forcées ; le style d’ailleurs est inégal, diffus, incorrect, & chargé de détails minutieux.

368. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Souvestre, Émile (1806-1854) »

Charton Il ne voyait dans les lettres qu’un moyen de satisfaire sa passion la plus ardente, celle de se rendre utile selon ses facultés en exprimant les sentiments généreux dont son cœur était plein, en défendant les vérités de l’ordre moral proscrites, reniées, oubliées, au milieu des entraînements matériels du siècle.

369. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » p. 206

Comme personne ne se doute peut-être dans quel genre il s’est exercé, nous apprendrons au Lecteur qu’il a fait des Traductions médiocres de plusieurs Ouvrages de Cicéron, & des Romans aussi médiocres que ses Traductions : le plus répandu de tous est l’Homme moral, faussement attribué à l’Abbé Prévôt, qui se seroit bien gardé d’en faire un pareil.

370. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre premier. Division des Harmonies. »

Ces sujets se rapportent au côté physique ou au côté moral des arts.

371. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Pensées »

XIV L’ensemble des illusions morales au sein desquelles habitent la plupart des hommes ressemble à cette coupole étoilée du firmament qui nous fait l’effet d’être notre dôme sur la terre. […] XXVII La bonne chère, le goût et le choix qu’on y porte, est souvent un signe de délicatesse au moral.

372. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IV. De la philosophie et de l’éloquence des Grecs » pp. 120-134

Les anciens prenaient souvent leur point d’appui dans les erreurs, souvent dans des idées factices ; mais enfin ils se sacrifiaient eux-mêmes à ce qu’ils reconnaissaient pour la vertu ; et ce qui nous manque aujourd’hui, c’est un levier pour soulever l’égoïsme : toutes les forces morales de chaque homme se trouvent concentrées dans l’intérêt personnel. […] Ils ne blâment ni n’approuvent ; ils transmettent les vérités morales comme les faits physiques, les beaux discours comme les mauvaises actions, les bonnes lois comme les volontés tyranniques, sans analyser ni les caractères, ni les principes.

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