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1080. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

Péladan considère que « les valeurs esthétiques sont les plus universelles parmi les valeurs morales ». […] C’est, en outre, dans un intérêt moral, mais non point de la façon que vous allez peut-être imaginer. […] Il est presque plus moral que la vie réelle. […] Qui voudrait immoler au Moloch moral imaginé par Rousseau toute vie sociale, esthétique et intellectuelle ? […] On pourrait se demander où était alors le progrès moral.

1081. (1925) Comment on devient écrivain

Manon n’a pas l’ombre de sens moral jusqu’à sa mort. […] En principe, évidemment, la Critique a le devoir de prendre très au sérieux les conséquences morales d’une œuvre. La première condition de l’art, c’est d’être moral. […] A propos des obligations morales de la Critique, M.  […] Dieu sait tout ce qu’il devait à l’auteur français des Œuvres morales de Plutarque et plus étroitement encore à la langue latine, que Montaigne parlait depuis sa jeunesse.

1082. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome II

Il a dû constater, avec une stupeur dans son indignation, une psychologie de férocité à laquelle la science servait d’instrument matériel et moral. […] C’est nous provoquer au pire des individualismes, celui qui s’institue le despote moral des autres. […] Les rencontres individuelles, dans ce moment où la tension de la guerre est toujours latente, ne représentent le plus souvent que des chances de conflit moral. […] Ici encore le problème moral domine les autres, et ce problème moral lui-même n’est qu’un cas du problème intellectuel. […] Il ne faut pas désespérer de lui pourtant, car la source des splendeurs morales est toujours prête à jaillir, dès qu’il accepte de se dévouer.

1083. (1864) Études sur Shakespeare

Ce soin amical et la complaisance avec laquelle Shakespeare reproduit dans la pièce, à propos des armes de Shallow, le jeu de mots qui faisait tout le sel de sa ballade contre sir Thomas Lucy, ont bien l’air d’un tendre souvenir ; et, à coup sûr, peu d’anecdotes historiques peuvent produire, en faveur de leur authenticité, des preuves morales aussi concluantes. […] Son influence donna, il est vrai, aux ouvrages qu’il mettait en scène, un caractère plus sérieux et plus moral que n’avaient ailleurs des compositions livrées aux fantaisies du public et aux anathèmes de l’Église. […] Aussi, muni du fil moral qui ne se rompt jamais dans ses mains, marche-t-il d’un pas ferme à travers les embarras des circonstances et les perplexités des sentiments divers ; rien de plus simple, au fond, que l’action de Shakespeare ; rien de moins compliqué que l’impression qu’on en reçoit. […] Son âme est la scène où viennent jouer leur rôle les événements de ce monde ; ce n’est point par leur propre vertu, c’est uniquement par leurs rapports avec l’être moral dont la destinée nous occupe, que les événements prennent part à l’action ; tout caractère dramatique les abandonne dès qu’ils prétendent à exercer sur nous une influence directe, au lieu d’agir par l’intermédiaire d’un personnage sensible, et par l’émotion que nous recevons, à notre tour, de l’émotion qu’ils ont excitée en lui. […] Les dispositions morales qui imposent à la poésie cette nécessité ne changeront point ; on les verra au contraire se manifester et se développer de jour en jour.

1084. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1892 » pp. 3-94

» Jeudi 17 mars Conversation avec Alfred Stevens, qui est un vrai magasin d’anecdotes, et ce qui est mieux, un extraordinaire garde-mots de toutes les phrases typiques des peintres de sa connaissance, dans le passé et dans le présent, — des phrases qui définissent mieux que vingt pages de critique, un moral, un caractère, un talent. […] Parlant de la société future, je disais que les gens les plus intelligents ne peuvent concevoir les formes d’une société future, et que dans l’antiquité, il n’y aurait pas eu une cervelle capable de prophétiser la société du moyen âge, cette société à basiliques ténébreuses, au lieu de temples pleins de lumière, cette société aux danses des morts, remplaçant les théories des fêtes d’Adonis, cette société, avec sa constitution, ses vêtements, son moral si différent de l’autre, cette société, ou même les belles et classiques formes de la femme grecque ou romaine, semblent devenues des formes embryonnaires, telles que nous les voyons retracées par le pinceau de Cranach, dans des académies de femmes du temps. […] L’enfant tendre, à l’intelligence paresseuse, que j’ai peint sous le nom de Pierre-Charles, était mort d’une méningite, avant le départ de sa mère pour l’Italie, et sur ce pauvre et intéressant enfant, présentant un sujet neuf, sous la plume d’un romancier, j’ai fait peser le brisement de cœur et les souffrances morales de son frère cadet, pendant la folie religieuse de sa mère. […] » Jeudi 8 décembre J’entendais aujourd’hui Hanotaux, parler intelligemment des futurs Américains, qui sont en train de se faire chez les Africains de l’Algérie, de cette jeune population, née du contact des officiers et des soldats français avec les prostituées autochtones de là-bas : une population pleine d’activité, de vitalité, mais légèrement privée de sens moral.

1085. (1920) Action, n° 2, mars 1920

Le génie moral d’Ibsen nous fait accepter le tragique de ses petites gens : la mort et les catastrophe terribles ne sont pas disproportionnées à la grandeur de la conscience. […] Les conquêtes coloniales, la féodalité industrielle, l’impérialisme buté et étroit des gouvernements que nulle noblesse d’âme ne possède, la sottise abyssale des peuples empiffrés de mensonge, tout cela entraîna un prodigieux recul moral. […] Encore qu’il offre à sa pensée la douceur des mots que le Grec parfuma, Han Ryner apparaît dans ce roman, un peu dur, revenu à l’inspiration de ce Judaïsme Chrétien qui n’est point sans responsabilités morales devant les massacres. […] Il n’y a plus pour nous d’irréparables saccages moraux.

1086. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « quelque temps après avoir parlé de casanova, et en abordant le livre des « pèlerins polonais » de mickiewicz. » pp. 512-524

Gautier lui-même ; mais, pour y rester fidèle jusqu’au bout et le remplir, pour se faire, à titre de peintre dépaysé, un coin de poésie à soi, pour le marquer d’une heureuse et singulière culture et l’enrichir de fruits à bon droit plus colorés qu’ailleurs, pour y réaliser, comme Andromaque exilée en Épire, le petit Xanthe et le Simoïs de l’éclatante patrie, combien il eût fallu d’efforts religieux et purs, de mesure scrupuleuse, de tact moral sous-entendu et, je le dis au sens antique, de chasteté !

1087. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XX. Du dix-huitième siècle, jusqu’en 1789 » pp. 389-405

Il trouvera des idées, des expressions que l’ambition du bien peut seule faire découvrir ; il sentira son génie battre dans son sein, il pourra s’écrier un jour avec transport, en relisant ce qu’il aura écrit, ce qu’il aura dit dans un tel moment, comme Voltaire en entendant déclamer ses vers : « Non, ce n’est pas moi qui ai fait cela. » Ce n’est pas, en effet, l’homme isolé, l’homme armé seulement de ses facultés individuelles, qui atteint de son propre essor à ces pensées d’éloquence dont l’irrésistible autorité dispose de tout notre être moral : c’est l’homme alors qu’il peut sauver l’innocence, c’est l’homme alors qu’il peut renverser le despotisme, c’est l’homme enfin lorsqu’il se consacre au bonheur de l’humanité : il se croit, il éprouve une inspiration surnaturelle.

1088. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre I. Malherbe »

Il n’a guère varié les éléments de sa poésie : toutes ses grandes odes, à Henri IV, à Marie de Médicis, a Louis XIII, au duc de Bellegarde, présentent les mêmes matériaux et le même argument : éloge des actions passées, prédiction des prospérités futures, développements moraux et applications mythologiques.

1089. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Stendhal, son journal, 1801-1814, publié par MM. Casimir Stryienski et François de Nion. »

Je désigne pour mes trois, Georges Gros, Tracy et Chateaubriand, pour apprécier le malheur moral dans l’âme d’un poète.

1090. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Préface »

La femme belle et vertueuse est le mirage qui peuple de lacs et d’allées de saules notre grand désert moral.

1091. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre II. Filles à soldats »

vains mots qui n’existiez pas il y a deux mille ans et qui, dans deux mille ans ; ne serez plus que des noms historiques : les vents de folie qui soulèvent ici ou là votre poussière d’une heure ne peuvent faire douter du soleil moral que ceux qui sont esclaves de leur temps et des mouvements de foule ou eux chez qui les persistants instincts de la brute triomphent de l’homme à peine commencé.

1092. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Chamfort »

Il fut la perfection du genre, et il est resté le type le plus éclatant et le plus complet de tous ces révoltés au ventre, comme l’aurait dit l’ancienne législation avec son énergie romaine, qui ne peuvent par donner à l’ordre moral et social d’avoir été violé par eux du fait même de leur naissance.

1093. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Paix et la Trêve de Dieu »

la plus belle part, la part qui revenait au directeur moral de la société au Moyen Âge, — il a été exclusif et injuste.

1094. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Xavier Eyma » pp. 351-366

Enfin, l’ouvrage se termine par une appréciation de l’état intellectuel et moral des États-Unis et de leur génie industriel.

1095. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Eugène Pelletan » pp. 203-217

La réalité du tempérament intellectuel des hommes dont Pelletan nous donne les biographies est, je le veux bien, dans son livre ; mais l’intelligence de leurs opinions, mais la réalité de leur caractère moral, n’y sont pas.

1096. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Benjamin Constant »

Aussi, en désespoir de cause, ils aimèrent mieux, sans aucune expérimentation possible, faire de cette céleste Récamier une espèce de monstre physiologique, que d’admettre le monstrueux prodige moral d’une vertu qui leur avait toujours résisté.

1097. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XX. M. de Montalembert »

Sans le geste de la phrase, qui d’ailleurs ne varie pas et qui remue toutes ces idées assez communes, débitées partout sur la chute de l’empire romain, sur les Barbares, sur les premières grandeurs morales du christianisme, vous n’avez plus là, sous le nom de M. de Montalembert, que le style et les aperçus du Correspondant, c’est-à-dire de la Revue des Deux-Mondes, en soutane.

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