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1071. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — II »

Quand elle se hasarde à des inductions sur l’avenir de l’homme, ce ne sont que des inductions sur l’avenir du moi, et ces inductions supposent toujours que la dernière grande évolution sociale est accomplie en ce monde ; c’est toujours d’après cette hypothèse que la psychologie s’enquiert des conséquences probables de destinée personnelle auxquelles l’individu est sujet, et dans cette recherche elle ne sort pas un seul instant du point de vue chrétien ; elle se pose l’âme comme substance distincte de la matière, Dieu comme un pur esprit, et l’autre vie comme n’étant pas de ce monde. […] L’inspiration réelle des grands artistes révélateurs ne consiste pas le moins du monde dans quelques phénomènes d’hallucinations auxquels leur nature fortement sentimentale est parfois sujette. […] Du moment que Dieu n’est plus conçu comme un être à part et hors du monde, du moment qu’il est inséparable de la nature et de l’humanité, et qu’il se manifeste uniquement en elles et par elles, du moment enfin que le mal cesse d’être un principe positif ennemi du bien, dès lors l’homme n’a plus peur de Satan, de même qu’il n’a plus besoin de médiateur pour entrer en rapport avec Dieu ; la communication est directe, immédiate ; il sent l’influence divine dans chacune de ses relations avec les hommes et avec les choses ; il ne s’imagine aucunement devoir recourir à des envoyés mystérieux, à des anges ; et les anges, les envoyés mystérieux, les démons ne lui viennent pas. […] Bien que ce rapport ne soit point nécessairement un lien de plus de l’homme avec le monde, puisque dans le cas du christianisme c’était du mépris et un complet détachement, toutefois la conception nouvelle qui établit ce rapport tend toujours à se réaliser socialement ; elle s’empare en souveraine de l’existence actuelle de l’homme ; elle le prend et l’enserre de ses plis et replis en cette vie, sans lui donner relâche ni trêve ; elle l’associe sous une forme plus saisissante et plus large à la fois que toutes les formes qui ont précédé ; elle le presse et le soulève tour à tour de tout le poids d’une institution forte et sainte.

1072. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre V. De la lecture. — Son importance pour le développement général des facultés intellectuelles. — Comment il faut lire »

Les idées neuves sont rares en ce monde : on pourrait n’en pas rencontrer une seule dans l’œuvre de plus d’un grand écrivain, qui n’en vaut pas moins. […] Eh bien, dans ce cadre que vous fournit votre lecture, faites rentrer la réalité que vous connaissez, votre vie intime, le monde qui vous entoure : déformez-le, s’il le faut ; agrandissez, resserrez ; en un mot adaptez-le à votre usage, et moulez le contenant sur le contenu. […] Il y a là un trésor de notions sur l’homme et sur le monde, qu’on peut contrôler par soi-même et réduire à son usage. […] Vous conclurez alors que Molière n’a voulu en somme que montrer combien le monde s’accommode peu de la parfaite vertu, qui le gêne, et dont il se venge par le ridicule, et combien aussi l’humaine faiblesse en est peu susceptible, puisque dans la plus belle âme elle s’exagère, s’aigrit et s’attache à des riens. […] et quelle leçon enfin tirer de là, sinon que le monde est mauvais et l’homme faible ?

1073. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens II) Henry Fouquier »

C’est un miroir sensible largement ouvert au monde et à la vie. […] C’est, dans le monde de la littérature, un don Juan qui recouvre un bourgeois. […] La femme est, en effet, ce qui tient, pour l’homme, la plus grande place en ce monde. […] Chercher la loi du monde est même une folie : il n’y a qu’à la subir. Cette franc-maçonnerie établit qu’une jeune fille qui donne son cœur pour un bouquet de roses est perdue, tandis qu’une femme mariée qui le donne par caprice — ou pour un bracelet, comme les lionnes pauvres dont le monde honnête est plein  n’est pas compromise, pourvu qu’elle y mette un peu d’hypocrisie, etc.

1074. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XI »

Un notaire, qui est son parrain et l’ami dévoué de sa mère, est bien forcé de lui apprendre qu’il est enfant naturel ; il lui révèle, en même temps, le nom de son père, Jacques court à ce père, qui s’excuse comme il peut de ne l’avoir pas reconnu et lui refuse la main de sa nièce, par toute sorte de raisons tirées des lois du monde. […] Jacques n’a subi aucune des épreuves que rencontrent ordinairement, dans le monde, les enfants de l’ombre et de l’inconnu. […] Le monde murmure et se scandalise : il se rappelle les exploits galants de M. de la Rivonnière, il sait qu’il a visé à la main d’Hélène, il le voit la comblant de largesses, l’entourant d’attentions et de prévenances excessives ; d’où le monde conclut que le comte est amoureux de sa bru. […] Non, le monde parisien n’est pas une coterie méchante et venimeuse à ce point.

1075. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Jules Janin » pp. 137-154

Lorsque Voltaire écrivait ces vers lestes et presque pirouettants : Quand sur la scène de ce monde Chaque homme a joué son rôlet, En partant, il est à la ronde Reconduit à coups de sifflet… il se moquait de nous, Voltaire. […] Je ne m’occupe pas le moins du monde de savoir si les Planche, les Chasles et les Sainte-Beuve, qui furent les contemporains de Janin et qui ne furent non plus que des critiques à l’état fragmentaire, l’auraient docilement accepté pour leur Roi de la main fort peu consacrée de M.  […] Et on le vit bien, quand il fit ce chef-d’œuvre de style qui s’appelle La Fin d’un Monde ou la suite du Neveu de Rameau, dans lequel ce fils de Diderot — il l’était — se montra égal, si ce n’est supérieur, à son père ! […] Victor Cousin, qui était un styliste, et qui avait plus de style que de philosophie, s’écriait un jour qu’il donnerait le monde pour une belle phrase. […] Il était pourtant d’une originalité dangereuse, au début, avec la routine et la vulgarité qui gouvernent le monde.

1076. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

En somme, il veut faire vendre un livre pieux qui ne se vend pas, le livre de Drelincourt, et, par surcroît, confirmer les gens, dans leur foi en persuadant qu’il revient des âmes de l’autre monde. […] Quand son maître entreprend de l’embrasser par force, elle s’étonne, elle ne veut pas croire que le monde soit si méchant. « Le gentleman s’est rabaissé jusqu’à prendre des libertés avec sa pauvre servante1039 !  […] Le pauvre Richardson, sans s’en douter, a pris la peine de mettre la chose dans tout son jour, et il a composé sir Charles Grandisson, « le modèle des gentlemen chrétiens. » Je ne sais pas si ce modèle a converti beaucoup de monde. […] Dans ce monde-là, quand une fille sort de chez elle, elle court risque de rentrer femme, et quand un homme sort de chez lui, il court risque de ne pas rentrer du tout. […] Aux quatre murs, sous les vitres transparentes et reluisantes, les torses se soulèvent, les chairs palpitent, la tiède rosée du sang court sous la peau veinée, les visages parlants se détachent dans la lumière ; il semble que le laid, le vulgaire et l’odieux aient disparu du monde.

1077. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE CHARRIÈRE » pp. 411-457

De pensée ferme autant que de vive allure, elle sait de bonne heure le monde, réfléchit sur les sentiments, et voit les choses par le positif. […] Elle fit le voyage d’Angleterre dans l’automne de 1766, y resta jusqu’au printemps de 1767, y vit le grand monde, toutes les ambassadrices et la nobility. […] mon père est plus content de moi que jamais ; il me trouve charmante : il dit qu’il n’y a rien d’égal à sa fille, et qu’il ne la troquerait pas contre les meilleures jambes du monde. […] Que pensera-t-on de toi dans le monde, si on apprend ton propos ?  […] Ainsi va le monde, illusion et sophisme, dans un cercle toujours recommençant de désirs, de fautes et d’amertumes.

1078. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Et cela sera ainsi, je l’espère, car je vous jure, sur mon honneur, qu’il n’y a personne au monde qui vous persécute ou qui songe seulement à vous nuire ou à vous menacer ; mais, au contraire, chacun vous aime et désire ardemment que vous viviez…. […] Le Tasse était trop sacré pour être traité en fou, il était trop fou pour être traité en criminel, il était trop malheureux pour être jeté sans pitié à ces gémonies des vivants, parmi les balayures du monde. […] Il écrivit à sa sœur une lettre que nous possédons aussi, du 14 novembre 1587, pour sonder le dernier cœur qui lui restait ouvert dans le monde, et pour lui annoncer son prochain départ pour Sorrente. […] « Il n’y a, dit-il, dans les temps modernes que deux beaux sujets de poème épique, les Croisades et la Découverte du nouveau monde. […] Son âme, dit Manso, de plus en plus détachée du monde, et absorbée dans les pensées éternelles, voyait trop le néant de toutes choses pour croire à l’éternité d’une couronne de laurier, bien que ce laurier eût été consacré sur le front de Pétrarque.

1079. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

IV Quant à Aristote, nous connaissons assez de son histoire pour vous la redire avec les certitudes et les détails que la distance du temps et des lieux et la célébrité de l’homme ont laissés, de traditions en traditions, rayonner autour de ce grand nom, héritage de deux mondes, le monde ancien et le monde scolastique moderne. […] Aristote, que son devoir comme sujet macédonien forçait autant que son affection pour Philippe à se consacrer à Alexandre, se rendit aux vœux du roi et se dévoua pendant cinq ans à élever le maître futur du monde. […] Et, si l’on remonte par la pensée à deux ou trois mille ans plus loin que sa Politique, ne sera-t-on pas tenté de croire que le monde est né vieux et que les mêmes mots ont exprimé les mêmes choses depuis l’origine inconnue des mots et des choses ? […] Ce n’est point ainsi, du reste, qu’on l’a jusqu’à présent employé : on n’a point considéré le moins du monde dans l’ostracisme l’intérêt véritable de la république, et l’on en a fait une simple affaire de faction. […] Mais pourquoi cette révolution dont parle Socrate s’appliquerait-elle à cette république qu’il nous donne comme parfaite, plus spécialement qu’à tout autre État, ou à tout autre objet de ce monde ?

1080. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

Le monde des théories, autant que celui des faits, se montre à nous comme un magasin de produits différents, contraires, inconciliables. […] Aujourd’hui nous pouvons constater, à l’état statique, dans le monde actuel, les différents degrés de l’évolution chronologique. […] A des esprits préparés sa doctrine fut le geste décisif : la France et le monde n’ont plus entièrement cessé, depuis, être cartésiens. […] Bourget, au contraire, la vie apparaît toute en les déductions des motifs : le monde des sensations est à peine indiqué dans ses beaux romans. […] Transporté à la vision constante d’un monde supérieur, il ne parle point, ou prononce des mots qu’on ne peut comprendre.

1081. (1882) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Deuxième série pp. 1-334

Quels sont, par exemple, les témoins de la magnificence des riches de ce monde ? […] Auteurs, censeurs, libraires, tout ce monde est un peu de la même société. […] Il n’y a personne au monde à qui j’en doive davantage. […] Au moyen de quoi je pourrai encore croire de n’être pas encore sorti de ce monde. […] Tout est étranger en ce monde, car tous s’en vont avec la mort.

1082. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

Ainsi, dans le monde extérieur, il n’y a pas d’objets qui nous soient naturellement donnés. […] Le monde est fait avec des astres et des hommes. […] Coxcomb, crête du monde, on t’appellera Coxcomb ! […] Un bonheur aigu, fût-ce dans le plus divin séjour du monde, n’est possible que le temps d’une surprise. […] Le monde extérieur correspond si étroitement à la qualité d’âme de l’artiste, qu’on dirait cette âme et ce monde courbés sous le même effort triomphant, tendus dans la même excitation lyrique.

1083. (1925) Feux tournants. Nouveaux portraits contemporains

Si on l’avait écouté, l’Allemagne n’aurait pas gardé un seul ami dans le monde entier ! […] Ghéon, qui est néanmoins l’homme le plus aimable du monde. […] Raymond Radiguet ne souffrit pas que d’être présenté au monde comme un phénomène. […] Du monde à ses pièces, M.  […] Le plus jeune directeur des chemins de fer du monde !

1084. (1898) XIII Idylles diaboliques pp. 1-243

Je veux être imbécile selon le monde. […] Il y en aura pour tout le monde. […] Mais dans le monde, il évite d’attirer l’attention par quelque singularité que ce soit […] Il s’agirait d’acquérir, lors de la prochaine récolte, les blés du monde entier. […] Il faut créer un nouveau monde.

1085. (1907) Propos de théâtre. Quatrième série

Pas le moins du monde. […] Thèse dans La Question d’argent (comme quoi entre le monde des affaires et le monde bourgeois il faut maintenir le fossé profond et ne pas jeter de passerelle). […] Il ne va jamais dans le monde. […] Enfin vous connaissez bien la tête du professeur chez la femme du monde. […] Une femme du vrai monde voyant son amant dans les hôtels ?

1086. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 460

Caux, [Gilles de] né à Ligneris, dans la Généralité d’Alençon, mort à Bayeux en 1733, âgé de 51 ans ; moins connu à présent par sa Tragédie de Marius, qu’on n’a pas jugé à propos de remettre au Théatre, que par une Piece d’environ cent vers, qui a pour titre, l’Horloge de Sable, ou Figure du Monde ; Piece qui peut figurer à côté des meilleurs Vers moraux qui aient été faits dans ce siecle, d’autant plus que la morale n’en est pas amphigourique, & qu’au contraire elle est tirée avec beaucoup de justesse du sujet, & énoncée sans prétention. […] Quand on est établi Juge en Littérature, on doit au moins savoir ce qui s’est passé dans le Monde Littéraire ; s’il est permis d’ignorer les regles de la République des Lettres, on est inexcusable d’en ignorer les faits.

1087. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

Quant au premier éveil de la réflexion ils essayent de concevoir le monde, ils le font à l’image de leur esprit. […] Le vertige religieux n’entre point dans les esprits sains et équilibrés qui ont conçu un pareil monde. […] Le poëte théologien circule dans son monde divin avec une liberté et une sérénité d’enfant qui joue. […] Un monde a fini, celui d’Homère et de l’épopée ; un monde commence, celui d’Archiloque, de Callinos, de Terpandre, d’Olympos et de la poésie lyrique. […] Tachons de nous représenter ce monde si éloigné et dont les débris] sont presque tous perdus ; il n’y en a pas de plus différent du nôtre, ni qui exige un si grand effort d’imagination pour être compris ; mais il est le moule primitif et persistant d’où le monde grec est sorti.

1088. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Sieyès. Étude sur Sieyès, par M. Edmond de Beauverger. 1851. » pp. 189-216

Après quoi, en 1772, il entra dans le monde à vingt-quatre ans ; mais le monde paraît s’être borné longtemps pour lui à quelques relations particulières assez rares. […] Croire que le peuple aime moins la parole dorée que le beau monde ne l’aime, est une erreur. […] Il en faudrait seulement conclure que le monde est plein de gens légèrement fous ou enivrés. […] Si timide, si fier et si ombrageux qu’il fût, le jeune abbé cherchait à se faire sa place dans ce vieux monde si mal ordonné. […] Parlant de l’Ancien Régime et de l’ancien monde, il écrivait, vers 1774 : « Le genre humain est un corps gangrené d’une part, et dont les mouvements sont convulsifs de l’autre.

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