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448. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres inédites de l’abbé de Chaulieu, précédées d’une notice par M. le marquis de Bérenger. (1850.) » pp. 453-472

Je l’essaierai ici un moment pour l’abbé de Chaulieu. […] Quoiqu’il eût manqué son but positif, Chaulieu revint de Pologne comblé d’honnêtetés, de distinctions, avec une bague au doigt que le roi avait détachée du sien, au moment du départ, pour la lui donner. […] À un moment, cette union étroite des deux frères cessa ; le duc se sépara du grand prieur, et Chaulieu suivit la fortune de ce dernier. […] Sans prétendre compter les amours de Chaulieu, il est impossible, du moment qu’on touche à ce chapitre, d’oublier sa passion de vieillesse pour la spirituelle Mlle de Launay, passion dont elle a consacré le souvenir dans ses Mémoires, et qu’attestent de jolies lettres de Chaulieu qui s’y joignent ordinairement. […] Tout cela peut paraître agréable un moment en poésie ; dans le fait et en réalité, ce fut moins beau, et, on l’a vu, d’une très triste conséquence.

449. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — II. » pp. 494-514

Homme d’observation toutefois et de bon sens avant tout, absolument étranger par ses origines comme par ses habitudes d’esprit aux doctrines du droit divin, il est évident pour ceux qui le lisent que, s’il avait vécu, il ne se serait nullement considéré comme enchaîné à la Restauration, et qu’il eût fait mieux que consentir à l’essai de monarchie constitutionnelle de Louis-Philippe : il aurait cru un moment y voir la réalisation tardive de ce qu’il avait longtemps désiré et de ce dont il avait désespéré tant de fois, l’établissement d’un gouvernement mixte, devenu enfin possible en France après ces trente ou quarante ans d’une éducation préliminaire si chèrement achetée. […] Ce changement de dynastie est, du plus au moins, le point de mire de tout ce qui compte et remue en ce moment. […] sa conviction, toute sa moralité et sa personne même étant engagées dans les conseils qu’il donnait, il demandait sinon qu’on les suivît à la lettre, au moins qu’au même moment on n’agît point dans un sens directement contraire. […] Quoi qu’il en soit, Mallet du Pan, depuis Thermidor et avant le canon de Vendémiaire, avant l’équipée de Quiberon, avait eu un violent accès d’espérance ; il avait senti, de son coup d’œil de tacticien, que c’était le moment ou jamais d’agir, et qu’avec une charge à fond on pouvait enfoncer l’armée ennemie, c’est-à-dire la Convention. […] Il y dressa aussitôt sa batterie de guerre, son Mercure britannique, publication destinée à combattre avec suite, et par des tableaux mêlés de discussions, la politique du Directoire : « L’expérience est perdue, disait Mallet, si on ne la grave pas au moment même par des écrits qui en fixent l’impression. » La passion déclarée et le parti pris de l’attaque n’empêchent point dans ce Mercure la sagacité et, jusqu’à un certain point, l’impartialité des jugements.

450. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — I. » pp. 441-459

Mais le moment de ces maximes de conservation et de guérison sociale n’était point encore venu : les paroles de Portalis tombaient dans une atmosphère enflammée, et s’y altéraient au gré des passions. […] Il sort bientôt du cercle étroit que lui prescrit le dogme, pour entrer dans les régions immenses que lui ouvre l’opinion. » Le jeune homme, nourri dans la tradition et dans la pratique religieuse, paraît préoccupé des querelles et des dissensions théologiques qui agitaient encore à ce moment plusieurs classes de la société : « Un enthousiaste, dit-il spirituellement, ne cherche point dans les ouvrages divins ce qu’il faut croire, mais ce qu’il croit ; il n’y démêle point ce qui s’y trouve, mais ce qu’il y cherche… Les livres sacrés sont comme un pays où les hommes de tous les partis vont comme au pillage, où ils s’attaquent souvent avec les mêmes armes et livrent bien des combats d’où tous croient sortir également victorieux69. » On devine, à la manière dont il parle du « judicieux abbé Fleury », qu’il n’est disposé à donner dans aucun extrême en fait de doctrine ecclésiastique, de même qu’on le trouve très en garde contre les écrits de Rousseau. […] Rien ne nous prouve mieux que Portalis ne dévia de sa ligne mixte à aucun moment, qu’il n’eut point à revenir plus tard après s’être égaré d’abord, et qu’il était de ceux qui, comme d’Aguesseau, sont nés tout tempérés. […] Il insiste sur le grand point à ce moment, sur ce qui va indiquer tout d’abord de quelle qualité est la politique nouvelle qu’on va inaugurer : Tout ne se borne pas dans le moment à réparer des désastres, il faut encore former l’esprit public ; il faut rétablir la morale dans le gouvernement… L’iniquité est aussi mauvaise ménagère du crédit que de la puissance… Nos finances ne doivent point être arrosées du sang innocent. […] Le moment de détruire était passé ; celui de gouverner, qui ne se rencontre jamais qu’avec l’homme qui gouverne, n’était pas encore venu.

451. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — III. Franklin à Passy. (Fin.) » pp. 167-185

Les sentiments de Franklin pour la France ont varié dans le cours de sa longue carrière et pendant le temps même de son séjour ; il est juste de tenir compte des divers moments pour ne pas faire de lui un moqueur ni un ingrat. […] Dans ces premiers moments, Franklin n’apprécie pas sans doute assez l’élan qui emporte la nation ; qui va entraîner le gouvernement même, et dont l’Amérique aura tant à profiter. […] À un certain moment, des négociations s’ouvrirent avec l’Angleterre au su et du consentement de la France ; la France, de son côté, en ouvrit de parallèles. […] Les jeux d’esprit, les contes et apologues dont il était prodigue en ces moments, se sont en partie conservés et nous le rendent avec son accent particulier. […] Pour le moment, je vous donnerai seulement mon opinion, c’est que, bien que vos raisonnements soient subtils et puissent prévaloir auprès de quelques lecteurs, vous ne réussirez pas au point de changer les sentiments généraux de l’humanité sur ce sujet ; et, si vous faites imprimer cet ouvrage, la conséquence sera beaucoup d’odieux amassé sur vous-même, du dommage pour vous, et aucun profit pour les autres.

452. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » p. 268

On ne doit pas s’attendre à vivre long-temps, quand on se borne à des Pamphlets : quelque agréables qu’ils soient, ce ne sont que les enfans du moment ; un autre moment les méconnoît, les tue, & les fait oublier.

453. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIV » pp. 394-401

Comme tout change d’un moment à l’autre !  […] Vous mourez d’envie de venir dans le grand monde, et moi d’en sortir. » À quelque temps de là, elle écrivait à l’abbé Gobelin : « Si je suivais mon inclination, il n’y a pas de moment dans la journée que je ne demandasse à me retirer. […] « Quanto », dit madame de Sévigné dans une lettre du 11 novembre, « dansa aux derniers bals toutes sortes de danses comme il y a 20 ans, et dans un ajustement extrême. » Et le roi, toujours voluptueux, qui se flattait par moments de revoir des mêmes yeux et de retrouver dans le même éclat les charmes dont il avait été épris, se prêtait aux illusions de la parure, et se plaisait à y ajouter sa magnificence.

454. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface d’« Hernani » (1830) »

L’auteur de ce drame écrivait, il y a peu de semaines, à propos d’un poète mort avant l’âge : « … Dans ce moment de mêlée et de tourmente littéraire, qui faut-il plaindre, ceux qui meurent ou ceux qui combattent ? […] La liberté dans l’art, la liberté dans la société, voilà le double but auquel doivent tendre d’un même pas tous les esprits conséquents et logiques ; voilà la double bannière qui rallie, à bien peu d’intelligences près (lesquelles s’éclaireront), toute la jeunesse si forte et si patiente d’aujourd’hui ; puis, avec la jeunesse et à sa tête, l’élite de la génération qui nous a précédés, tous ces sages vieillards qui, après le premier moment de défiance et d’examen, ont reconnu que ce que font leurs fils est une conséquence de ce qu’ils ont fait eux-mêmes, et que la liberté littéraire est fille de la liberté politique. […] En somme, le moment n’est peut-être pas encore venu de le juger.

455. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Lucrèce Borgia » (1833) »

L’idée qui a produit le Roi s’amuse et l’idée qui a produit Lucrèce Borgia sont nées au même moment sur le même point du cœur. […] D’ailleurs il n’y a peut-être que Corneille au monde qui puisse rester grand et sublime, au moment même où il fait mettre une préface à genoux devant Scudery ou Chapelain. […] Quand il voit chaque soir ce peuple si intelligent et si avancé qui a fait de Paris la cité centrale du progrès, s’entasser en foule devant un rideau que sa pensée, à lui chétif poète, va soulever le moment d’après, il sent combien il est peu de chose, lui, devant tant d’attente et de curiosité ; il sent que si son talent n’est rien, il faut que sa probité soit tout ; il s’interroge avec sévérité et recueillement sur la portée philosophique de son œuvre ; car il se sait responsable, et il ne veut pas que cette foule puisse lui demander compte un jour de ce qu’il lui aura enseigné.

456. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 novembre 1886. »

Le moment semble en effet venu pour les œuvres de Richard Wagner de s’introduire définitivement en nos pays de langue française. […] C’est là, c’est dans ce morceau qu’il a surtout développé les idées de Schopenhauer, et l’on avouera que le moment du drame est au moins singulièrement choisi. […] En outre, vers la fin de cette œuvre, dans la partie purement instrumentale de la scène des tombeaux, le sublime Cantabile de la scène d’amour revient un moment, mais défiguré, défloré, presque mutilé, comme un oiseau blessé79. […] Une belle réminiscence se trouve dans le Paradis et la Péri de Schumann (1843) où, interrompant par moments le chœur léger et scintillant des Génies du Nil, la mélodie plaintive (en mineur) de la première romance de la Péri est ramenée à deux reprises, en majeur. […] Au moment, dans le grand prologue, où le héros quitte le royaume des Esprits souterrains et abdique, sa royauté pour se vouer corps et âme à l’amour humain, il jure à sa mère de retourner auprès d’elle si jamais « sa couronne serait défleurie, son cœur brisé » ; et c’est !

457. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Busquet, Alfred (1819-1883) »

Maxime Gaucher Tantôt c’est un classique pur, tantôt un héritier de Chénier, tantôt un romantique hardi ; à de certains moments, on dirait un parnassien. […] Il n’a pas tenté de fondre en une seule nuance les couleurs des différents drapeaux ; il a toujours été lui-même, et étant tour à tour celui-ci et celui-là, il a suivi la fantaisie et obéi à l’inspiration du moment.

458. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Parny poète élégiaque. » pp. 285-300

Sans y mettre tant de façons, revoyons-la un moment, vivante et dans sa fleur, sous ce règne de Louis XVI, pendant les dix heureuses années qui précédèrent la plus terrible des révolutions. […] Patin qui les avait cités dans un article du Dictionnaire au mot Abusé, et il les lisait devant une partie de la compagnie, à ce moment peu attentive. — « Que c’est mauvais !  […] Il a traduit chaque fois ce sentiment à l’instant même : son élégie est née toute voisine du moment de l’émotion. […] à un certain moment, si vous la lisez avec attention, un étrange sentiment se laisse apercevoir : Elle me confondait avec sa propre vie, Voyait tout dans mon âme ; et je faisais partie De ce monde enchanté qui flottait sous ses yeux… Avant moi cette vie était sans souvenir… Et la comparaison développée du beau cygne qui trouble une onde pure dans un bassin, ne voyez-vous pas comme il la caresse ? […] Il y a longtemps que l’arbre est dépouillé à la cime et que la sève n’y monte plus. — Parny, dans ses trente dernières années, rima encore à ses moments perdus, joua beaucoup au whist, se maria, fut un homme de bonne compagnie, et il mourut au seuil de la vieillesse proprement dite, à soixante et un ans (5 décembre 1814).

459. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

80 Quatre moments religieux au XIXe siècle. […] Je reviendrai bientôt sur ce moment de 1831 à 1837 qui fut une des phases mémorables de l’opinion religieuse en France dans notre XIXe siècle. […] La vieillesse, qui flétrit le corps, rajeunit l’âme, quand elle n’est pas corrompue et oublieuse d’elle-même, et le moment de la mort est celui de la floraison de notre esprit. […] Sans entrer dans aucune controverse proprement dite et en m’en tenant à la description morale, je voudrais rappeler et signaler en quelques traits exacts et ressemblants la physionomie des moments principaux qui se sont dessinés dans cet ordre de faits depuis 1800 : ces moments, selon moi, sont au nombre de quatre et diffèrent notablement entre eux.

460. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  second article  » pp. 342-358

Il a laissé des chants immenses et magnifiques, marqués d’un incomparable cachet de génie et de sublimité, lesquels recueillis, transmis, altérés aussi de bouche en bouche, ont été restitués, rassemblés et fixés à un certain moment. […] Si Hector se hasarde hors des murs, c’est qu’Achille se tient sur ses vaisseaux ; s’il hésite, s’il doit hésiter en face du présage avant de franchir le fossé et la muraille du camp, c’est qu’Achille à tout moment peut reparaître. […] Les Grecs et les Troyens acharnés qui se disputent la muraille du retranchement, les uns sans réussir à la forcer tout entière, les autres sans pouvoir décidément la ressaisir, ce sont « deux hommes qui disputent entre eux sur les confins d’une pièce de terre, tenant chacun la toise à la main, et ne pouvant, dans un petit espace, tomber d’accord sur l’égale mesure. » Les deux Ajax qui, ramassés l’un contre l’autre, soutiennent tout le poids de la défense, ce sont « deux bœufs noirâtres qui, dans une jachère, tirent d’un courage égal l’épaisse charrue : la sueur à flots leur ruisselle du front à la base des cornes, et le même joug poli les rassemble, creusant à fond et poussant à bout leur sillon. » Ailleurs, à un moment où les Troyens qui fuyaient s’arrêtent, se retournent soudainement à la voix d’Hector, et où les deux armées s’entre-choquent dans la poussière : « Comme quand les vents emportent çà et là les pailles à travers les aires sacrées où vannent les vanneurs, tandis que la blonde Cérès sépare, à leur souffle empressé, le grain d’avec sa dépouille légère, on voit tout alentour les paillers blanchir : de même en ce moment les Grecs deviennent tout blancs de la poussière que soulèvent du sol les pieds des chevaux et qui monte au dôme d’airain du ciel immense. » Voilà bien le contraste plein de fraîcheur au sein de la ressemblance la plus fidèle. […] N’a-t-on pas relevé chez Virgile lui-même, le plus réfléchi des poëtes, une contradiction inconciliable dans l’âge qu’il assigne au jeune Ascagne en deux moments différents ?

461. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Rodolphe Topffer »

C’est à ce moment de satisfaction légitime et de plénitude, comme il arrive trop souvent, que sa destinée est venue se rompre : une maladie cruelle a, durant des mois, épuisé ses forces et usé son organisation avant l’heure, mais sans altérer en rien la sérénité de ses pensées et la vivacité de ses affections. […] Avoir vécu, dès l’enfance et durant la jeunesse, de la vie de famille, de la vie de devoir, de la vie naturelle ; avoir eu des années pénibles et contrariées sans doute, comme il en est dans toute existence humaine, mais avoir souffert sans les irritations factices et les sèches amertumes ; puis s’être assis de bonne heure dans la félicité domestique à côté d’une compagne qui ne vous quittera plus, et qui partagera même vos courses hardies et vos généreux plaisirs à travers l’immense nature ; ne pas se douter qu’on est artiste, ou du moins se résigner en se disant qu’on ne peut pas l’être, qu’on ne l’est plus ; mais le soir, et les devoirs remplis, dans le cercle du foyer, entouré d’enfants et d’écoliers joyeux, laisser aller son crayon comme au hasard, au gré de l’observation du moment ou du souvenir ; les amuser tous, s’amuser avec eux ; se sentir l’esprit toujours dispos, toujours en verve ; lancer mille saillies originales comme d’une source perpétuelle ; n’avoir jamais besoin de solitude pour s’appliquer à cette chose qu’on appelle un art ; et, après des années ainsi passées, apprendre un matin que ces cahiers échappés de vos mains et qu’on croyait perdus sont allés réjouir la vieillesse de Goëthe, qu’il en réclame d’autres de vous, et qu’aussi, en lisant quelques-unes de vos pages, l’humble Xavier de Maistre se fait votre parrain et vous désigne pour son héritier : voilà quelle fut la première, la plus grande moitié de l’existence de Topffer. […] Bernier, chargé des deux nouvelles ouailles qu’il s’est données, ses tribulations croissantes et toujours consolées, depuis le moment où il sort de l’hôtel au milieu des rires en les tenant chacune sous un bras, jusqu’au jour où il les recueille chez lui dans sa propre chambre et où la grossesse de la pauvre Rosa se déclare, ces incidents survenant coup sur coup et l’un à l’autre enchaînés sont touchés avec un art secret, et ménagés avec une conduite qui fait l’intérêt du fond. […] Le moment où Gertrude lui apprend la grossesse de Rosa et où son premier sentiment, au milieu du surcroît d’anxiété qui lui en revient, est d’aller à la jeune mère et de la bénir, arrache des larmes par sa sublimité simple. […] En nous permettant, même en ce moment, cette libre critique, nous avons voulu témoigner l’entière sincérité de notre jugement et nous maintenir le droit de dire bien haut, comme nous nous plaisons à le faire, que l’histoire de Rosa et Gertrude est une des lectures les plus douces, les plus attachantes et les plus saines qui se puissent goûter.

462. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre V. Subordination et proportion des parties. — Choix et succession des idées »

Dans toute action, dans tout raisonnement qui se développe, il y a des moments décisifs, où l’on sent qu’un grand pas est fait, qu’un point important est acquis. […] Il se rencontre à chaque moment comme une foule d’amorces qui nous font pénétrer dans la pensée inexprimée de l’auteur et poussent notre esprit dans une féconde recherche. […] On a cédé à une liaison naturelle des choses, et de fil en aiguille on est arrivé à dire ce qu’on n’avait pas besoin de dire encore : plus tard, quand le moment est venu de placer l’idée, quand on ne peut plus s’en passer, pour ne pas avoir à défaire l’ouvrage fait et à tout recommencer, par paresse, on aime mieux la répéter que de la retirer de l’endroit où elle s’était glissée à tort. […] L’ordre qu’on donne à ses idées doit être tel, en résumé, que ce qu’on dit, à chaque moment s’explique pleinement par ce qui a été dit déjà : ne demandez jamais de crédit au lecteur, ni pour donner la preuve d’une proposition, ni pour expliquer la possibilité d’un fait. […] On a saisi son plan, sans avoir songé un moment que c’était son plan qu’il faisait : ou bien on croit l’avoir deviné, lui avoir dérobé son secret, et ce petit et imaginaire triomphe de l’amour-propre enfonce les choses dans l’esprit.

463. (1890) L’avenir de la science « XXI »

Ces moments solennels, où la nature humaine exaltée, poussée à bout, rend les sons les plus extrêmes, sont les moments des grandes révélations. […] Au premier moment, elle est en apparence imparfaite, et on s’imagine trop facilement que, quand viendra la période de calme et d’organisation paisible, elle produira des merveilles. […] Tout le secret de la situation intellectuelle du moment est donc dans cette fatale vérité : le travail intellectuel a été abaissé au rang des jouissances et, au jour des choses sérieuses, il est devenu insignifiant comme les jouissances elles-mêmes. […] Le monde croulerait qu’il faudrait philosopher encore, et j’ai la confiance que si jamais notre planète est victime d’un nouveau cataclysme, à ce moment redoutable, il se trouvera encore des âmes d’hommes qui, au milieu du bouleversement et du chaos, auront une pensée désintéressée et scientifique et qui, oubliant leur mort prochaine, discuteront le phénomène et chercheront à en tirer des conséquences pour le système général des choses 188.

464. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre IV : La Volonté »

On y suit dans toutes ses phases la croissance du pouvoir volontaire, depuis le moment où il n’est encore qu’un germe obscur, un instinct presque physiologique, jusqu’à sa dernière période d’épanouissement, alors que, sous le nom de liberté, il suppose l’intelligence et fonde la moralité. […] On a si bien isolé le fait de la détermination de ses conditions et de ses résultats, de ce qui le précède et de ce qui le suit, qu’on l’a réduit à un point mathématique, à un moment presque insaisissable, qui n’a plus de réalité. Les théories courantes, en effet, ramenées à ce qu’elles ont de commun et d’essentiel, distinguent trois moments dans l’acte volontaire : la production des motifs et leur conflit, la résolution, l’action qui la traduit. […] D’ailleurs, en accordant à la conscience le privilège de l’infaillibilité, elle ne peut exister que pendant un court moment, qui ne constitue pas une science. […] Si nous voulons sortir de ce court moment, il faut avoir recours à la mémoire, et nous savons qu’elle est faillible.

465. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

Ce moment passé, les plus urgents périls conjurés ou ajournés, le calme rétabli à la surface, que fit la critique ? […] C’est le moment qu’elle a choisi pour pratiquer et mettre en lumière le principe de la neutralité. […] la prétention d’en compter toutes les phases, ni même d’énumérer tous les produits de cette fécondité qui devint un moment proverbiale. […] Et que nos lecteurs nous pardonnent d’avoir un moment appelé leurs regards sur ces blasphèmes ! […] Il personnifia un moment l’interprétation royale et chrétienne de cet esprit de réforme, d’égalité et de liberté qui allait envahir le monde.

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