Il fallait prendre, un à un, les divers courants où s’étaient empoisonnées les intelligences modernes, et faire voir quelles en avaient été les sources et comment le poison, mieux caché dans ces sources, y avait été tout aussi mortel. […] — mais protester, dans l’intérêt même de la littérature, contre un entraînement qui ne peut qu’achever sa décadence, étouffer tout ce qui lui reste d’aspirations honnêtes et élevées, et abaisser d’un degré encore le niveau déjà si bas de l’imagination et de l’art modernes. […] Qu’il essaye de juger les anciens ou les modernes, Cicéron ou Fénelon, Tacite ou Bossuet, Platon ou Joseph de Maistre, c’est toujours sa pensée qu’il poursuit dans celle des autres, c’est toujours le reflet de ses songes dont il colore l’œuvre si diverse de ces éminents esprits. […] Voilà l’égalité moderne telle que la philosophie l’a prêchée, telle que la Révolution l’a voulue, telle que la France l’a poursuivie, depuis soixante-dix ans, à travers toutes les variations de sa politique, toutes les formes de son gouvernement. […] N’a-t-il pas eu, lui aussi, sa lignée et sa descendance dans le monde moderne ?
Or les portraits physiques et biographiques des personnages me charment et m’instruisent dans Thucydide, dans Tacite, dans Machiavel, dans Saint-Simon, dans tous les grands historiens anciens ou modernes. […] Je crois donc que ces historiens antiques ou ces historiens routiniers modernes qui ont imité Plutarque en plaçant le portrait à la fin au lieu de le placer au commencement, se sont trompés de place dans leur système historique ; je le crois d’autant plus que ce n’est pas ainsi que procède la nature, cette grande logicienne, cette grande rhétoricienne de l’école de Dieu. […] J’avais fait là ce que je fais toujours, j’avais pris le mot latin pudeur au lieu du mot moderne réserve ou convenance. […] Ce fut en effet le concile œcuménique de la raison et de la philosophie modernes. […] La Révolution moderne appelait les Gentils comme les Juifs au partage de la lumière et au règne de la fraternité.
Études sur la littérature ancienne et moderne. […] Ces fables ingénieuses de l’antiquité seraient-elles sans application possible aux temps modernes ? […] Si nous en sommes réduits à formuler cette affligeante question, nous devons le dire, ce n’est pas seulement la frivolité ou la corruption de notre civilisation moderne que nous devons en accuser. […] En consacrant ces Matinées à l’étude des Sciences naturelles, de l’Histoire et de la Littérature ancienne et moderne, nous avons choisi, parmi les connaissances humaines, celles qui dans la vie sont d’une application plus fréquente et d’un intérêt plus général. […] Études sur la littérature ancienne et moderne.
Les modernes entendent mieux leurs intérêts et ceux du public. […] Parmi les modernes, ce nom et ce rôle sont inconnus ; mais à l’épilogue des anciens, ils ont substitué l’usage des petites pièces ou comédies, qu’on fait succéder aux pièces sérieuses, afin, dit-on, de calmer les passions et de dissiper les idées tristes que la tragédie aurait pu exciter. […] Je m’étonne qu’un moderne ait dit que la monodie est un poème composé pour un seul personnage, tel que la Cassandre de Licophron ; car n’étant pas même d’accord avec Scaliger touchant l’intelligence de ce simple terme poétique, il me semble qu’on peut bien aussi n’approuver pas son opinion. […] Les deux comiques latins que nos modernes ont imités, ont inséré plusieurs monologues dans presque toutes les comédies que nous en avons ; mais comme il y en a quelques-uns qui sont faits à propos, et d’autres contre toute raison, je n’en veux pas faire ici le jugement en détail. Je dirai seulement ce que j’estime qu’il faut observer pour faire un monologue avec vraisemblance ; et si l’on approuve mes sentiments, l’on pourra juger quels sont les bons et les mauvais, tant chez les anciens que chez les modernes.
Cours de l’histoire de la philosophie moderne, 5 vol. ix-18. […] On y saisit bien à son point de départ et à son origine la moderne école philosophique qui est devenue plus tard l’éclectisme, et qui n’était encore à ce moment que le spiritualisme. […] Aussi, malgré les premiers étonnements et les hauts cris que soulève toute idée nouvelle, l’éclectisme, servi par la belle parole et l’infatigable activité de son promoteur, a fait fortune avec les années, et son nom est devenu celui même de l’école philosophique moderne.
J’ai répété néanmoins de diverses manières que la plupart des inventions poétiques nous venaient des Grecs, que la poésie des Grecs n’avait été ni surpassée ni même égalée par les modernes 4 : mais je n’ai pas dit, il est vrai, mais je n’ai pas dit, il est vrai, que depuis près de trois mille ans les hommes n’avaient pas acquis une pensée de plus ; et c’est un grand tort dans l’esprit de ceux qui condamnent l’espèce humaine au supplice de Sisyphe, à retomber toujours après s’être élevée. […] J’ai soutenu que, dans les bons ouvrages modernes, l’expression de l’amour avait acquis plus de délicatesse et de profondeur que chez les anciens, parce qu’il est un certain genre de sensibilité qui s’augmente en proportion des idées. […] Premièrement, en parlant de la perfectibilité de l’esprit humain, je ne prétends pas dire que les modernes aient une puissance d’esprit plus grande que celle des anciens, mais seulement que la masse des idées en tout genre s’augmente avec les siècles.
Le prince Hermann, sous l’influence d’une touchante aventurière, la jeune Frida de Thalberg, ancienne amie et élève de la socialiste internationaliste Audotia Latanief, est un roi très moderne. […] Même négligence de l’art contemporain que de la sociologie moderne […] — Pourquoi, vous qui parlez avec tant d’ingéniosité et de gentillesse de Racine, de Marivaux et de Meilhac que vous savez bien, calomniez-vous gratuitement l’art moderne que vous ne connaissez pas, et dont vous ne voyez, au boulevard, que les ridicules spécimens ?
Le français, tout aussi bien que le grec et certaines langues modernes, se prête volontiers aux mots composés ; on en relève plus de douze cents dans les dictionnaires usuels qui ne les contiennent pas tous, et il s’en forme tous les jours de nouveaux. […] Les médecins modernes n’ont presque rien inventé de plus absurde, mais ils ont inventé davantage, et renouvelé à la fois leur science et l’art d’en voiler la faiblesse au vulgaire. […] Une telle bonhomie a choqué les naturalistes modernes et ils ont traduit soigneusement en grec jambe enflée, ce qui a donné le mot charmant œdienème.
Il y a des catholiques pour qui toutes les grandes conquêtes modernes, liberté de conscience, liberté de pensée, liberté de la presse, liberté politique, ne sont que de grandes et funestes erreurs : c’est la liberté du mal. […] D’autres, plus éclairés, ayant eux-mêmes reçu plus ou moins le souffle de cet esprit moderne si détesté, voudraient que le catholicisme s’alliât à cet esprit pour le diriger, en adoptât hautement les maximes, et revendiquât pour l’Évangile même l’honneur de ces principes que l’on dirige faussement contre lui. […] Néanmoins, tant que ces variations et oppositions ne se manifestaient que dans les limites du dogme lui-même, c’est-à-dire sans mettre en question le fondement surnaturel du christianisme, il y avait dans l’Église protestante un fonds commun, une unité de foi, et en quelque sorte, un point fixe : la divinité du Christ, et la croyance à une révélation spéciale de Dieu ; mais le moment est arrivé où, la liberté d’examen venant à s’étendre jusqu’aux bases mêmes de la théologie dogmatique, s’est élevée la question de savoir si le christianisme est absolument lié à tel ou tel dogme, s’il lui est interdit de s’ouvrir aux lumières de la critique et de la philosophie moderne, et si rejeter le surnaturel, c’est abdiquer l’esprit chrétien.
… Je n’en serais pas étonné ; mais regardez bien ce Joubert, et voyez s’il n’est pas Platon à sa manière, — un Platon moderne, chrétien, par conséquent plus Platon, par là, que Platon lui-même. […] voyez, examinez si mon muguet, cette fleur d’albâtre, n’est pas une bouture de Platon ; si ce Joubert, au nom bourgeois, n’est pas Platon, mais dans ce milieu plat et non platonique du monde moderne que nous touchons avec la main, car l’éloignement, cette perspective qui crée la poésie, rapetisse les objets comme il les grandit. […] Rendu, ni l’habit gris, ni la vie et les mœurs modernes, ennemies jurées de toute grandeur, n’empêchaient pas qu’il eût en lui, ce Joubert, je ne dirai point tout le Platon grec, dont le génie spacieux ne pourrait tenir dans cette bonbonnière d’homme, mais les meilleures miettes de cette substance divine qui pensait vers la 95e olympiade et qui est immortellement Platon.
Il a été évidemment écrit sous l’empire du plus grand préjugé de notre âge, dans la foi exaltée ou calme, superficielle ou profonde, d’un croyant moderne à cette Économie politique qui a succédé à une détestable philosophie, et voilà ce qu’avant tout la Critique devait signaler. […] L’existence en dehors de Dieu (comme la veut la science moderne) s’explique par la liberté, mais la liberté ne s’explique que par la douleur. […] Nous l’avons éprouvé, le verre à bière d’Adam Smith était plein d’autant d’illusions que la coupe irisée d’un poète… Aussi est-ce déjà beaucoup, pour un esprit moderne et un économiste, d’avoir sauvegardé la justesse de son coup d’œil en regardant son pays.
Mais n’ayant rencontré, quand il tenta de pénétrer en France, que François Ier paganisé par la Renaissance, l’allié du Turc, le lecteur passionné de Rabelais et d’Érasme et le protecteur de Marot, flottant inconséquemment des bûchers allumés à des bûchers éteints, et du châtiment des Vaudois au repentir qu’il en exprima en mourant, le Protestantisme envahit bientôt, malgré la sécheresse de sa doctrine, un pays où il n’avait eu pour lui d’abord que les moqueries païennes de ses écrivains et l’attrait (lamentable toujours en France) de sa nouveauté… Révolté, dans son âme de moderne, contre la rigueur d’un temps qui avait une foi ardente et des mœurs séculairement chrétiennes, néanmoins catholique à ce point qu’il répète qu’il l’est incessamment dans son histoire, parce qu’il sait trop qu’on pourrait l’oublier, M. de Meaux ne paraît pas avoir compris que plus tard encore il était possible d’arrêter le Protestantisme envahisseur, comme l’Église, dans d’autres temps, avait arrêté l’Hérésie. […] Mais, malgré la ruse de son effort, il ne l’y trouve pas, et sa tolérance, à lui, n’en reste pas moins sous sa plume une bâtarde du Catholicisme et de l’esprit moderne accouplés. […] Battue au Moyen Âge, mais non détruite, châtiée rudement, mais non corrigée, l’Hérésie de ce temps repoussa dans l’Hérésie moderne du Protestantisme, plus forte, plus vivace, mieux organisée, — par conséquent, plus redoutable.
L’enseignement du prêtre qu’on pouvait craindre y est remplacé par la sentimentalité d’un philosophe, chrétien encore, mais d’un christianisme qui n’est point farouche, d’un christianisme humanisé ; et le moine, le moine qui inquiète toujours les yeux purs et délicats de la Philosophie, s’y est enfin suffisamment décrassé dans les idées modernes, pour qu’il n’en reste rien absolument sur l’académicien, reluisant neuf ! […] C’est le roman moderne, subtil, maladif, affecté, allemand, le roman des affinités électives, transporté de Goëthe dans l’Évangile, pour expliquer les sentiments que l’Évangile avait assez expliqués, en les voilant de son texte inviolable et sacré, pour la gloire de sainte Marie-Madeleine et l’édification de ceux qui croient en elle ! Mais le Père Lacordaire, moderne lui-même comme le roman, a trouvé que ce n’était pas assez que les quelques mots, rayonnants dans les placidités du divin récit, que les quelques faits qui donnent Dieu et l’homme en bloc ; il a voulu, qu’on me passe le mot, y mettre plus d’homme, et il l’a voulu pour émouvoir les âmes où il y a plus de créature humaine que de chrétienne, car ce livre — on le sent par tous ses pores, — est écrit surtout pour les femmes et pour les âmes femmes, quel que soit leur sexe.
Nous avions déjà d’une main moderne l’histoire de la Papauté au xvie et xviie siècles. […] Ni le Hussitisme et ses guerres d’un fanatisme si sauvage, ni le Condottierisme qui déchire et se partage l’Italie, ni les exploits de Huniade et de Scanderbeg contre les Turcs, inspirés par l’héroïque mais mourant esprit des Croisades, n’ont la gravité désastreuse de ce concile de Bâle où la Révolution, comme les temps modernes l’ont vue depuis, sophistique, bavarde, ergoteuse, n’ayant à la bouche que cet insolent et menaçant mot de réforme qui a fini par titrer le protestantisme, est entrée dans l’Église pour descendre de cette cime du monde et s’étendre dans le monde entier, et de religieuse se faire politique sans pour cela cesser d’être religieuse, — les communards et les athées de ce temps ne le prouvent-ils pas ? […] Quoiqu’il se pose, comme je l’ai dit plus haut, plus en narrateur qu’en jugeur en narrateur à la manière des anciens et de Quintilien (ses maîtres, dit-il), et qu’il s’enferme, avec un mépris étonnant pour les idées générales, dans la rhétorique d’un païen, après deux mille ans de christianisme, il n’en juge pas moins le xve siècle avec le bon sens, qui déduit, d’un moderne, et l’orthodoxie d’un prêtre.
Il ne s’agit pas seulement pour lui des Parnassiens, cette école de poètes comme les Lakistes en Angleterre ; il s’agit de tous les genres de poètes, anciens et modernes. […] André Chénier, qui, toute sa vie, s’était englouti dans le monde et les choses de l’Antiquité, André Chénier, ce patient et laborieux mosaïste, qui incrustait le détail antique avec un art si profond et si subtil dans l’expression des sentiments et des choses modernes, remonta par l’horreur vers le Dieu auquel il n’avait peut-être jamais pensé, et il jeta cette clameur des Iambes, le cri de la foi passionnée, la plus magnifique torsion d’âme et de main désespérées autour d’un autel invisible, la plus intense prière, enfin, que l’imagination d’un poète révoltée des abominations de la terre ait jamais élancée vers Dieu ! […] Les païens modernes, qui sont partout, se sont particulièrement épris de ce tour de force et de souplesse d’André, se faisant Grec du temps de Périclès, à la fin du xviiie siècle, comme Chatterton, le seul analogue de Chénier dans l’histoire littéraire, s’était déjà fait du Moyen Age, avec un talent peut-être égal.
Fripon en plus, proxénète, et, qu’on me passe ce vilain mot moderne si applicable au monde moderne ! […] Il a créé cette chose moderne, le roman d’aventures, — qui va des Trois Mousquetaires à Rocambole ; — cette chose qui n’est pas littéraire, qui file, s’interrompt et refile, au bas des journaux, sans autre raison que de toucher, comme un postillon, ses quelque sous à chaque relais.
Antiquité, moyen âge et temps modernes jusqu’à hier en ont toujours jugé ainsi. […] Le libéralisme moderne, c’est la liberté s’exaltant jusqu’au suicide. […] Ils sont désapprouvés également par la science moderne et par le bon sens. […] Il était, ou voulait être, très moderne, en même temps qu’il était très réactionnaire. […] N’est-ce point Vico qui a dit que Dante était le plus grand historien des temps modernes ?
Le don est une invention toute moderne. […] L’idée de la vie dans les arts est toute moderne. […] C’est une tragédie, avec des personnages modernes. […] Celle-là n’a rien de moderne. […] Ennius m’a paru singulièrement moderne.