Il tenait de son père pour la constitution physique ; mais, comme tant d’hommes célèbres, pour le dedans et la manière de sentir, il tenait étroitement de sa mère. […] C’est déjà la manière littéraire d’Antigone ; aux divagations perpétuelles du livre du Sentiment a succédé une mesure grave, sobre, solennelle à la fois et charmante de mélodie, un écho retrouvé du mode virgilien. […] Les philosophies primitives de l’antiquité furent sans contredit intuitives, et se produisirent sous les voiles de la poésie, avec les accents de la muse : refuserait-on entièrement aux époques de transformation où le sens antique se réveille, et où aboutissent tous les échos du passé, de reconstruire à leur manière quelque chose de ces mystérieux monuments ? […] Si vous trouviez quelque chose de malsonnant dans l’expression Esprit révolutionnaire, vous seriez dans une grande erreur ; car nous en tenons tous : il y a du plus, il y a du moins sans doute ; mais il y a bien peu d’esprits que l’influence n’ait pas atteints d’une manière ou d’une autre ; et moi-même qui vous prêche, je me suis souvent demandé si je n’en tenais point…. […] Cette manière de consacrer l’homme par l’idée, et de l’ériger en représentant mystérieux, va mieux, on le sent, aux personnages lointains qu’à des individus qu’on peut coudoyer.
C’est à cet élément que se lie d’une manière intime le ton de la sensation, c’est-à-dire son caractère agréable ou pénible ; toutefois, l’intensité est quelque chose de plus général que le ton agréable ou pénible. […] Cette manière d’être et de réagir propre à la conscience n’est point une forme, ni une sorte de cadre intellectuel a priori : c’est un état général en corrélation avec l’étendue de l’organisme, c’est un ensemble d’impressions venant de partout et provoquant une réaction du centre dans toutes les directions ; c’est un rayonnement véritable, une sorte d’irradiation de la vie comme celle d’un foyer de chaleur. […] Direz-vous que vous ne percevez pas la ligne absolument de la même manière que vous percevez la couleur, c’est-à-dire par un mode particulier de sentir ? […] Dans l’état actuel de l’humanité, le mécanisme natif de la vision est disposé de telle manière que la rétine est un ensemble de points sentants et, pour ainsi dire, de milliers d’yeux fondus en un seul. […] En ce sens, on pourrait supposer avec Leibniz que l’espace est simplement l’ordre des coexistences, c’est-à-dire une certaine manière dont nous ordonnons et rangeons nos sensations simultanées de résistance.
C’est encore une manière de le faire, au moins tout auprès de soi. […] Nous l’avons vue souffrir à cet égard, souffrir réellement, lorsqu’on exprimait le moindre blâme devant elle ; et dans ces occasions elle imposait silence d’une manière qui n’était jamais désobligeante, car elle montrait tout simplement la peine qu’on lui faisait éprouver. […] Mme du Deffand et Mme du Châtelet se plaignent déjà des manières des hommes, et Mme de Lambert déclare qu’ils ont perdu le vrai ton. […] On ne pense pas seulement tout haut, on étudie tout haut ; la manière s’y aiguise en clarté, en rapidité, en intérêt ; elle marque moins en originalité et en profondeur. […] Mme de Rémusat était donc, vers 1820, dans la maturité de son esprit, dans le développement de ses opinions probablement définitives, mais pourtant actives ; devenue très-simple de manières, gaie même, nous dit-on, et d’une grande aisance d’esprit et de conversation ; aimant la jeunesse et le nouveau, un peu railleuse, pieuse ou plutôt chrétienne, sans grande ferveur apparente, mais décidée et appuyée sur des points précis.
Il s’était perfectionné, depuis les trois dernières années, de la manière la plus sensible pour qui le suivait de près. […] Pour moi, ce me semble, il n’est qu’une manière un peu précise de songer à la postérité quand on est homme de lettres : c’est de se reporter en idée aux anciens illustres, à ceux qu’on préfère, qu’on admire avec prédilection, et de se demander : « Que diraient-ils de moi ? […] C’est une manière de se représenter cette postérité vague et fuyante sous des traits connus et augustes, de se la figurer dans la majesté reconnaissable des ancêtres. […] Or, il n’y a qu’une manière de se tenir en garde contre l’abus, c’est de faire toujours entrer la tradition pour une grande part dans ses considérations, et de ne pas la supprimer d’un trait sous prétexte qu’on n’a plus de moyen direct et matériel d’en vérifier tous les éléments. […] Pour des séances plus précises et définies, ne sait-on pas d’ailleurs combien les procès-verbaux, en leur enregistrement authentique et sous leur sérieux impassible, ont une manière d’être inexacts et, dans un certain sens, de mentir ?
Quatre époques importantes font la manière et le sujet des quatre volumes que l’on publie, et dans lesquels tous les genres de poésie sont représentés, excepté la poésie dramatique. […] « Sur les croupes des destriers gris de fer reposent les têtes de ceux qui suivent. » — Il faudrait voir dans l’Iliade (chant xvi, vers 212 et suivants) la manière, également admirable, dont Homère exprime la jointure serrée des rangs des guerriers ; et, dans la course des chars ([Iliade, xxiii, 380), comment l’un des coureurs presse si fort son devancier, que les chevaux de l’un ont l’air à tout moment de monter dans le char de l’autre : « Et le dos et les larges épaules d’Eumèle sont toutes moites de l’haleine de ces coursiers, qui posent sur lui leur tête envolant. » La même réalité, rendue avec une vérité expresse, a donné les mêmes images. […] Poète d’esprit plutôt que de génie et de grand talent, mais tout plein de grâce et de gentillesse, qui n’a point la passion, mais qui n’est pas dénué de sensibilité, il a des manières à lui de conter et de dire, il a le tour ; c’est déjà l’homme aimable, l’honnête homme obligé de plaire et d’amuser, et qui s’en acquitte d’un air dégagé, tout à fait galamment. […] Ce qui est le plus à priser de Ronsard et de Du Bellay, c’est surtout ce que j’appelle leur seconde manière. […] Il en est résulté que les novices et les inexperts se mettant à l’œuvre sans se douter de la difficulté de l’art, toutes les manières ont été imitées presque à la fois et bien souvent confondues.
Henri Baude est parfois étonnant d’audace naturaliste, dans sa manière sobre et mordante, où il détache d’un mot sec et saisissant la réalité qu’il veut montrer : et Dieu sait sur quelles réalités tombe son œil implacable d’observateur et de peintre ! […] N’est-il donc point au xve siècle de ces sentiments généraux, qui font courir à travers une société, du haut en bas, une commune aspiration à quelque idéale et hautaine manière d’être ou d’agir ? […] Il a des mots délicieux, non pas de cynisme — ce n’est pas sa manière ; — mais de scepticisme désabusé. […] La Bretagne eut Meschinot de Nantes (1420 ou 22-1491), qui égala Molinet, avec ses Limettes des Princes, avec l’absurdité de ses allitérations et de ses rimes, avec ses vers qui peuvent se lire en commençant par la fin, ou par le milieu, ou autrement ; une de ses oraisons se peut lire par huit ou seize vers « en 32 manières différentes, et il y aura toujours sens et rime ». […] Tels sont Jean Marot, ou Jean Le Maire de Belles ; ils font du reste ce qu’ils peuvent pour attraper la manière des grands maîtres.
Elles sont aux timbres, en quelque manière, comme la mesure est aux rythmes et, de même que dans le Rythme (au sens large) les rythmes sont l’élément le plus subjectif, de même les harmonies sont l’élément le plus objectif de l’Harmonie. — Forme virile de notre pur instinct, le rythme, léger tel qu’un souffle ou fort comme une volonté d’homme, naît de notre désir et s’identifie avec nous-même. […] Vielé-Griffin, ce qu’on ne dit pas assez — nous sommes à une ligne de faîte qui sépare deux versants, l’ancienne et la nouvelle manière du poète. […] Mais l’étude des proportions révélées par les traditions, l’entente progressive des manières d’art et des règles admises par autrui peuvent développer ce goût et faire du poète un artiste. […] Cette manière de versifier, quand elle ne conduit pas à une sensualité vaine permet évidemment à l’instinct de s’épanouir en claires fleurs ; elle peut s’accorder souvent avec le talent et ils l’ont prouvé ; mais si elle favorise la naissance de mille compositions légères et charmantes, elle ne recèle pas assez de force vive pour s’ordonner en une œuvre décisive et grande. […] Et sa définition, dans tous les dictionnaires peut-être, — sauf Littré, — on se la rappelle aussi : « l’art de combiner les sons d’une manière agréable à l’oreille ».
L’incontinence générale ne pouvait souffrir patiemment cette réserve de langage et de manières qui faisait ressortir son effronterie ; la décence gracieuse, du genre de celle de la marquise de Rambouillet, de Julie, des Sévigné, des La Fayette, importunait la cour, foyer de la dissolution générale, choquait les personnages importants de la capitale. […] Ces bourgeoises sont de plus des pécores (peckes) sans éducation, sans esprit, de manières ignobles, qui prétendent à l’élégance du ton, des manières et du langage. […] On y conversait d’une manière si alambiquée, que sur quelque sujet que ce fût, on finissait toujours par ne pas s’entendre. […] En un mot, y aurait-il eu du bon sens à prendre deux pécores, bourgeoises, provinciales, presque canailles, qui ont si peu d’usage du monde qu’elles traitent, en hommes de distinction, des laquais travestis, mais affublés de manières propres à leur condition, pour donner une leçon de discernement à les femmes contre lesquelles le grief de Molière aurait été d’avoir un esprit trop raffiné et une délicatesse trop pointilleuse ?
Je ne m’étendrai pas en considérations sur ce point ; je crois bien, seulement, que les esprits tout à fait supérieurs le sont déjà à l’état latent, en quelque manière, à l’état inconscient surtout, dans leur enfance, et qu’une éducation qui ne peut être faite que pour une moyenne, qui vise toujours une moyenne (Nietzsche a des considérations très intéressantes là-dessus), déplaît comme fatalement à l’homme qui sera plus tard un homme supérieur. […] Si, par malheur, une atteinte un peu forte Le fait clocher d’un ou d’autre côté, Comportez-vous de manière et de sorte Que ce secret ne soit point éventé. […] A partir de 1668, La Fontaine entrelaça le travail des Fables et le travail des Contes, de telle manière que tantôt il paraissait un recueil de Contes et tantôt un recueil de Fables, et ceci jusqu’à la fin, ce qui lui a permis d’insérer dans les Fables un certain nombre de poèmes qui sont des Contes, qui ne sont pas autre chose que des Contes. […] Pour vous montrer la manière dont quelquefois ceux qui n’ont pas tout l’esprit qu’il faut avoir pour en avoir assez, parlent aux hommes de génie ; pour vous donner aussi l’idée d’un ton qui, certainement depuis, a complètement disparu des usages de l’Académie, je vous lirai le fragment suivant du discours de M. de La Chambre : « Ne comptez pour rien, monsieur, tout ce que vous avez fait par le passé. […] Nous avons encore la relation du prêtre qui l’a confessé, encouragé, soutenu dans son retour à la religion ; c’est l’abbé Pouget, qui paraît avoir été un homme très élevé dans ses sentiments, assez rigoureux — et je ne lui en fais pas un reproche — dans sa doctrine et dans ses manières.
Quand ils agissaient de cette manière, le dernier mot n’avait pas été dit sur les hommes qu’ils attaquaient, sur des événements dont le sens dépassait leurs compréhensions. […] Quoiqu’ils fussent des protestants à leur manière, quoiqu’il ne leur ait manqué qu’un Henri VIII pour faire en France ce que les anglicans ont fait en Angleterre, ils avaient la prétention vaine de rester catholiques au sein même de leurs erreurs, et, pour cette raison, ils encouraient le mépris de ces penseurs effrénés aux yeux de qui une hérésie était une vérité timide. […] En cela, ils ont donné un noble exemple, qui n’a pas été suivi, à des écrivains catholiques, du moins par le baptême, et de toutes manières, excepté par-là, au-dessous d’eux. […] Mais chacun en connaît-il bien le moment, la manière, la cause ? […] Réfléchissez aux conséquences de notre suppression, aux événements qui se succèdent chaque jour, et jugez s’il pouvait commencer à le faire d’une manière plus éclatante. » Telles sont les paroles de ces hommes à qui on prenait plus que la vie ; car pour des hommes qui croient en eux-mêmes et à ce qu’ils font, il y a plus que la vie : c’est l’influence qu’on perd, l’action qu’on vous défend, la direction qu’on vous arrache !
Dozy comment il a pu se faire que le Cid, tel que vient de nous le montrer l’histoire, lui, l’exilé, qui vivait a augure, comme on disait, à l’aventure, au jour le jour, consultant le vol des corbeaux et des oiseaux de proie, oiseau de proie lui-même, « qui passa les plus célèbres années de sa vie au service des rois arabes de Saragosse ; lui qui ravagea de la manière la plus cruelle une province de sa patrie, qui viola et détruisit mainte église ; lui, l’aventurier, dont les soldats appartenaient en grande partie à la lie de la société musulmane, et qui combattait en vrai soudard, tantôt pour le Christ, tantôt pour Mahomet, uniquement occupé de la solde à gagner et du pillage à faire ; lui, cet homme sans foi ni loi, qui procura à Sanche de Castille la possession du royaume de Léon par une trahison infâme, qui trompait Alphonse, les rois arabes, tout le monde, qui manquait aux capitulations et aux serments les plus solennels ; lui qui brûlait ses prisonniers à petit feu ou les donnait à déchirer à ses dogues… », — comment il s’est fait qu’un tel démon ait pu devenir le thème chéri de l’imagination populaire, la fleur d’honneur, d’amour et de courtoisie, qu’elle s’est plu à cultiver depuis le xiie siècle jusqu’à nos jours : — « un cœur de lion joint à un cœur d’agneau », comme elle l’a baptisé et défini avec autant d’orgueil que de tendresse ? […] Personnage redouté, guerrier puissant, acharné, vrai démon, vrai diable à quatre, et qui sut se conquérir à lui seul une manière de couronne, deux faits surnagent et dominent dans sa vie d’exploits et de ruses, d’entreprises et de rapines : il a été, somme toute, et malgré ses alliances avec les mécréants, un reconquistador, un reconquéreur de l’Espagne sur les Arabes ; il reprit Valence et conçut le projet de faire plus encore ; — et aussi il fut l’objet de la part de son roi d’une persécution et d’une grande injustice, de laquelle il se vengea par des victoires réitérées, éclatantes. […] Cette manière de gagner le pain, belle en elle-même dans sa franche expression première, se relève singulièrement et se poétise. […] Dozy a également traduit ces passages, mais d’une manière un peu moins littéraire et plus élégante, ce qu’il ne faut pas.
De toutes les manières d’entendre et de définir ce mot de vertu (et il en est plus d’une, assurément, depuis Aristote jusqu’à Franklin), le xviiie siècle avait préférablement choisi et adopté celle qui se résume dans l’idée de bienfaisance. […] Veiller les nuits, élever et recueillir chez elle des orphelins, se charger de fardeaux disproportionnés, et les porter à bon port sans fléchir, ce fut sa manière d’être. […] Et d’abord, sans prétendre en rien rouvrir une discussion générale, où tous les arguments de part et d’autre semblent avoir été épuisés, et qui pourtant resterait encore inépuisable, il est impossible de ne pas rappeler devant vous qu’il y a eu (et même dans la Commission dont j’ai l’honneur d’être l’organe) deux manières d’envisager la question des droits d’auteur : l’une qui la généralise et la simplifie, qui la constitue et l’élève à l’état de principe, de droit absolu, de propriété inviolable et sacrée, revendiquant hautement sa place au soleil ; et l’autre manière de voir, plus modeste, plus positive, plus pratique sans doute, qui ne s’est occupée que d’améliorer ce qui avait été fait déjà, de l’étendre aux limites qui semblent le plus raisonnables, en tenant compte des différences de matière et d’objet, en mettant la nouvelle loi en rapport avec les articles qui dans notre Code régissent le mariage, les successions, et en combinant le mieux possible les droits des auteurs et ceux du public.
Si M ignet se produisait déjà si nettement dans son premier ouvrage par l’expression formelle de la pensée philosophique qu’il apportait dans l’histoire, il ne s’y donnait pas moins à connaître par le sentiment moral qui respire d’une manière bien vive et tout à fait éloquente dans les éloges donnés à saint Louis, à ce plus parfait des rois, du si petit nombre des politiques habiles qui surent unir le respect et l’amour des hommes à l’art de les conduire. […] Nous avons à dire quelques mots des principaux écrits que nous venons d’énumérer ; mais, avant tout, nous parlerons de la manière dont M.Mignet conçoit en général l’histoire elle-même. […] Tant de hautes qualités, que nous avons eu à reconnaître dans la manière de l’historien et de l’écrivain, sont achetées au prix de quelques défauts, et notre profonde estime même nous autorisera à les indiquer. […] C’est surtout quand cette rigueur de manière s’applique à des faits et à des personnages récents qu’on est frappé du contraste.
Il avertit en un endroit son frère cadet qu’il lui parle des livres sans aucun égard à la bonté ou à l’utilité qu’on en peut tirer : « Et ce qui me détermine à vous en faire mention est uniquement qu’ils sont nouveaux, ou que je les ai lus, ou que j’en ai ouï parler. » Bayle ne peut s’empêcher de faire ainsi ; il s’en plaint, il s’en blâme, et retombe toujours : « Le dernier livre que je vois, écrit-il de Genève à son frère, est celui que je préfère à tous les autres. » Langues, philosophie, histoire, antiquité, géographie, livres galants, il se jette à tout, selon que ces diverses matières lui sont offertes : « D’où que cela procède, il est certain que jamais amant volage n’a plus souvent changé de maîtresse, que moi de livres. » Il attribue ces échappées de son esprit à quelque manque de discipline dans son éducation : « Je ne songe jamais à la manière dont j’ai été conduit dans mes études, que les larmes ne m’en viennent aux yeux. […] Quand on a un style à soi, comme Montaigne, par exemple, qui certes est un grand esprit critique, on est plus soucieux de la pensée qu’on exprime et de la manière aiguisée dont on l’exprime, que de la pensée de l’auteur qu’on explique, qu’on développe, qu’on critique ; on a une préoccupation bien légitime de sa propre œuvre, qui se fait à travers l’œuvre de l’autre, et quelquefois à ses dépens. […] Lorsqu’il entreprit de les imiter, il se plaça tout d’abord au premier rang par sa critique savante, nourrie, modérée, pénétrante, par ses analyses exactes, ingénieuses, et même par les petites notes qui, bien faites, ont du prix, et dont la tradition et la manière seraient perdues depuis longtemps, si on n’en retrouvait des traces encore à la fin du Journal actuel des Savants 132 ; petites notes où chaque mot est pesé dans la balance de l’ancienne et scrupuleuse critique, comme dans celle d’un honnête joaillier d’Amsterdam. […] Bien que ces disputes de dialectique fussent encore pour Bayle une manière d’amusement, elles achevèrent d’user sa santé si frêle et sa petite complexion.
Que peut faire, je vous le demande, à la valeur morale d’un homme la croyance à tel fait, ou plutôt la manière d’apprécier et de critiquer tel fait ? […] Vous me direz, comme, j’entendais dire au séminaire : « Ne jugez pas l’intrinsèque des preuves par la petite manière dont elles sont présentées. Nous n’avons pas de vigoureux hommes, mais nous pourrions en avoir : cela ne fait rien à la vérité intrinsèque. » Je réponds : 1ºune bonne preuve, surtout en critique historique, est toujours bonne, de quelque manière qu’elle soit présentée ; 2º si la cause était absolument la vraie, elle aurait de meilleurs défenseurs. […] Que si, par un retour qui n’est pas sans exemple, une telle manière devient influente, c’est bon ; on viendra à moi, mais je ne me mêlerai pas à ces tourbes.
Les jeunes courtisans, les ambitieux qui l’entouraient, voyaient avec dépit se perpétuer cette tutelle du cardinal et cette insipide enfance, ce rôle d’écolier d’un roi qui avait déjà plus de trente ans : ils comprirent qu’il n’y avait qu’une seule manière de l’émanciper et de le rendre maître, c’était de lui donner une maîtresse. […] Tout ceci semble étrange et presque ridicule ; mais, pour peu qu’on étudie la marquise, on reconnaît qu’il y a du vrai dans cette manière de voir, et que le goût même du xviiie siècle s’y retrouve au naturel. Mme de Pompadour n’était pas une grisette précisément, comme affectaient de le dire ses ennemis, et comme Voltaire l’a répété en un jour de malice : elle était une bourgeoise, la fleur de la finance, la plus jolie femme de Paris, spirituelle, élégante, ornée de mille dons et de mille talents, mais avec une manière de sentir qui n’avait pas la grandeur et la sécheresse d’une ambition aristocratique. […] Enfin, ici comme pour l’imprimerie, elle a mis de toute manière sa main, sa jolie main, à l’œuvre ; elle est du métier, et, de même que les bibliophiles l’inscrivent sur leur liste et les typographes sur la leur, les graveurs ont droit de compter dans leurs rangs, à titre de confrère, Mme de Pompadour graveuse à l’eau-forte.
S’il n’y avait pas la vie qui fait l’école, à sa manière, et qui détruit souvent la leçon du romancier ; s’il n’y avait pas un peu de catéchisme, dont on se rappelle encore les questions quand les réponses sont oubliées ; s’il ne restait pas, dans l’air et la lumière de ce pays, un peu de sens commun qu’on respire malgré soi, que deviendrait un peuple enseigné de la sorte ? […] Je cherche cette fraternité de cœur, cette tendresse dans l’œuvre naturaliste, et je trouve un parti pris de dénigrement, voisin de l’orgueil, une manière dure de parler de la misère, une brutalité de touche dans le portrait des pauvres gens, toujours représentés comme des êtres d’impulsion, esclaves des instincts, des hérédités et des passions, une tendance à considérer l’ouvrier comme une machine à boire et à faire des révolutions, qui dérivent d’un mépris foncier de l’espèce humaine, à moins qu’ils ne révèlent la plus certaine des incompréhensions. […] Tombons d’accord que l’on rencontre, dans cette épopée commencée en 1847 et publiée seulement en 1862, des blasphèmes qui ne sont pas de la première manière du poète, et de mauvais calembours qui furent de toute sa vie. […] Victor Hugo a su pénétrer ces petites âmes d’enfants, qui sont si près des nôtres par l’amour, et en même temps si loin de nos manières de voir, de souffrir, de nous exprimer.
Graduellement nous étendons cette durée à l’ensemble du monde matériel, parce que nous n’apercevons aucune raison de la limiter au voisinage immédiat de notre corps : l’univers nous paraît former un seul tout ; et si la partie qui est autour de nous dure à notre manière, il doit en être de même, pensons-nous, de celle qui l’entoure elle-même, et ainsi encore indéfiniment. […] Qu’y a-t-il de vrai, qu’y a-t-il d’illusoire dans cette manière de se représenter les choses ? […] Ce raisonnement à peine conscient se formulerait, croyons-nous, de la manière suivante. Toutes les consciences humaines sont de même nature, perçoivent de la même manière, marchent en quelque sorte du même pas et vivent la même durée.